Pourquoi on aimerait un retour de American McGee’s Alice / Madness Returns ?
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Rédigé par Nathan Champion
On termine cette saison en beauté (parce que oui, dans deux semaines c’est déjà juillet, synonyme d’une pause bien méritée dans l’écriture de cette chronique) avec une franchise qui a récemment fait saigner l’actualité et le cœur de nombreux joueurs. Je parle bien sûr de American McGee’s Alice, et de sa suite, Alice : Madness Returns, deux titres qui auraient dû être suivis par un troisième, Alice : Asylum. Mais le destin en aura décidé autrement, à moins que ce ne soient les pontes de Electronic Arts et leur amour pour les rentées d’argent, un peu plus frileux que de coutume depuis le colossal échec de Anthem. Mais ne nous égarons pas.
Le fait est que, si l’espoir de voir revenir la série était encore permis il y a quelques semaines, notamment parce que le premier intéressé ne cachait pas plancher sur son univers fétiche, il faudra finalement faire sans. Electronic Arts l’a annoncé, la franchise compte dans son catalogue (les deux premiers opus étant présents dans le EA Play, et par extension sur le Xbox Game Pass Ultimate), mais la firme américaine ne compte pas financer un troisième volet. Une décision qui fait suite à une longue délibération, pendant laquelle EA a pu étudier le marché, mais aussi un PDF gigantesque regroupant toutes les idées et la road map prévue par American McGee.
L’argent est donc le principal problème ici. Suivi de près par cette volonté de Electronic Arts de ne se séparer en aucune façon de ses droits sur American McGee’s Alice. Une bien triste nouvelle, qui donnerait presque des envies d’expéditions punitives, mais relativisons : la vie continue, et il est toujours possible de jouer aux deux premiers jeux, qui malgré leurs nombreuses et apparentes rides sont toujours excellents. Ainsi, bien que l’espoir est mort, que l’heure est plus à la tristesse et la haine, voyons ensemble pourquoi on aurait adoré un retour de cette franchise si particulière, qui prolonge d’une façon étonnante l’œuvre de Lewis Carroll.
Note : Les screens que vous trouverez dans cet article ont été capturées par nos soins, via la version de Alice : Madness Returns présente dans le Xbox Game Pass Ultimate, comprenant en bonus American McGee’s Alice.
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ToggleAmerican McGee, de Wolfenstein à Alice au Pays des Merveilles
Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant le bonhomme a planché sur plusieurs des plus gros jeux des années 90, des œuvres cultes sans lesquelles le First Person Shooter ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Je parle évidemment de DOOM premier du nom, et son prédécesseur, Wolfenstein 3D. Mais pas que, puisque American McGee se fait aussi Game Designer du sous-côté Hexen, Level Designer sur Final DOOM et le premier Quake, et a par ailleurs planché sur DOOM 64 ainsi que DOOM II. Bref, dès lors que John Carmack aura recruté ce petit génie, il se constituera un CV en béton armé comme on en voit peu.
Sur la base des jeux que nous venons d’évoquer, qui sont tous des FPS, ou plutôt des DOOM-like dans le jargon de l’époque, rien ne peut laisser présager que American McGee va finir par quitter le navire de guerre qu’est id Software. Et encore moins qu’il va se lancer dans la confection d’un jeu de plateforme s’inscrivant dans une version fantasmée de Alice’s Adventure in Wonderland, que vous connaissez sous le nom Alice au Pays des Merveilles, roman publié en 1865 par Charles Ludwidge Dogson, qui aura choisi le pseudonyme Lewis Carroll. Pourtant, un beau jour, il va rejoindre Electronic Arts qui publiera son premier projet en solitaire, American McGee’s Alice.
C’est le début d’une nouvelle carrière, tout aussi reluisante que la précédente, si ce n’est plus, mais néanmoins beaucoup moins médiatisée. Parce que bien que le studio texan perde de sa superbe suite à quelques choix douteux, notamment vis à vis d’un DOOM 3 qui peinera à convaincre en raison de son orientation horrifique, on peut dire que id Software est toujours demeuré une valeur sûre dans l’industrie. Le genre de studio qui ne périra pas suite à un investissement foireux, à un jeu minable, ou à des promesses trop belles pour êtres vraies… tout le contraire de Ion Storm Dallas, studio fondé par Romero (seconde tête pensante de id Software à ses débuts) qui ne résistera pas longtemps après la sortie de l’étron puant qu’est Daikatana. Voilà pour le pic gratuit.
En ce qui concerne American James McGee, donc, puisque c’est le sujet de cet article, la suite est plutôt intéressante, quoique beaucoup moins productive que tout le temps qu’il passe chez id Software. Après sa relecture de Alice au Pays des Merveilles, on lui confie un autre projet sur lequel apposer sa marque et ses idées, Scrapland. Un jeu d’aventure un brin étrange, paraissant en 2004 sur PC et Xbox, qui ne marquera pas durablement l’industrie malgré de solides arguments. Vint ensuite Bad Day L.A. en 2006, sorte de simulation de SDF sous crack qui représente à n’en point douter le pire moment de la carrière du monsieur avant aujourd’hui.
Et s’il se rattrape en 2008 avec American McGee’s Grimm qui, vous l’aurez certainement deviné, est cette fois-ci une relecture des comptes de Grimm (habile ?), son œuvre majeure et son plus gros moment de gloire sont encore devant lui. Avec Alice : Madness Returns, le bonhomme assoit définitivement son talent, mais signe aussi son entrée dans la troisième phase de sa carrière, la moins reluisante de toutes. Il s’agit en effet d’une longue traversée du désert créative, qui aboutira sur l’annulation des deux projets qu’il gardait encore sous le coude, Alice : Asylum, et Oz : Adventures. Depuis, American John McGee a annoncé se retirer définitivement du milieu vidéoludique…
American McGee’s Alice, un chef d’œuvre incompris ?
Lorsque l’on fait un tour sur Metacritic à la recherche de notes pour les différentes créations du monsieur, on comprend vite pourquoi sa carrière s’est envolée. American McGee’s Alice est en effet une franche réussite critique, qui tape les 85% sur le site susnommé. Alors qu’il s’agit d’un jeu de plateforme et d’aventure, en 3D, à une heure où l’industrie regorge de projets similaires. La PlayStation 2 vient de débarquer dans les rayons, et le genre connaît un âge d’or faisant naître de véritables classiques tels que Ratchet & Clank, Psychonauts ou encore Sly Racoon. Mais il faut reconnaître que le titre de McGee a un petit quelque chose en plus.
Un petit quelque chose sur lequel il n’est pas compliqué de poser le doigt, puisqu’il s’agit de son ambiance. Particulièrement sombre, American McGee’s Alice plonge tête baissée dans des partis pris difficiles à assumer, mais en sort la tête haute. Parvenant parfois presque à faire peur, d’autres à faire sourire, il met néanmoins toujours mal à l’aise, et c’est parfaitement volontaire. Il le doit d’une part à son visuel très particulier, nous montrant un Pays des Merveilles plus glauque et sanglant que jamais, avec des choix de design mémorables (contrairement à la détestable adaptation de Burton) ; d’autre part à sa bande sonore, excellente au demeurant, mais que d’aucun qualifierait d’oppressante.
Pourtant ce n’était pas gagné, puisque dans sa première version, exclusive au PC, le titre n’est pas facile à prendre en main, et Alice connaît souvent des chutes mortelles, la faute à des phases de plateforme mal calibrées. Il en va de même du coté des combats, plutôt nombreux au cours de cette aventure d’une douzaine d’heures de long, qui souffrent d’une imprécision à s’arracher les cheveux. À noter par ailleurs que American McGee’s Alice ne sauvegarde automatiquement que TRES rarement, ce qui peut là encore profondément frustrer en cas de mort. Heureusement, il était possible de sauvegarder manuellement.
Cela étant, parmi la liste de jeux que j’ai dû essayer pour les besoins de notre chronique du dimanche, je dois reconnaître que celui-ci compte aisément dans les expériences les plus douloureuses. Pourtant, j’ai rapidement abandonné la version PC, au profit de son portage Xbox 360, disponible sous certaines conditions sur le CD de sa suite, mais surtout sur le Game Pass Ultimate, et la maniabilité y gagnait beaucoup à mon sens. Mais malgré une prise en main regrettable, je ne peux m’empêcher de sourire en pensant à ces heures passées sur American McGee’s Alice, tant sa proposition originale détonne, et marque durablement.
Madness Returns, McGee au sommet de son art
Mais il faut se rendre à l’évidence : le premier opus a brillé parmi une caste d’initiés, et n’est devenu culte que grâce au second, qui lui offrit une visibilité nouvelle. N’ayons pas peur des mots, Alice : Madness Returns est un véritable chef d’œuvre sur le plan visuel, mais aussi celui de l’ambiance, et parvient à lier le tout avec une bande sonore tout aussi mémorable, si ce n’est meilleure, que la précédente. Ce qui n’était, là encore, pas gagné, puisque sur le plan technique, le titre développé par Spicy Horse, déjà à l’œuvre sur American McGee’s Grimm quelques années plus tôt, semble avoir quelques wagons de retard dans sa version consoles.
Du reste, le titre jouit des mêmes qualités, et souffre des mêmes défauts que son prédécesseur. Ainsi, on lui reprochera une maniabilité pas toujours évidente, surtout lors des phases de plateforme, avec quelques imprécisions (notamment de caméra) qui mènent parfois à la mort d’une manière particulièrement frustrante. Les combats ne sont pas salués pour leur profondeur, mais on peut affirmer sans se tromper qu’ils sont bien meilleurs néanmoins, et plus abordables, notamment grâce à l’implémentation d’un système de ciblage et à une nervosité toute nouvelle. À une heure où l’open-world fait rêver toute l’industrie, on lui reproche aussi son level design très dirigiste, linéaire, à l’ancienne en somme.
Nonobstant, non seulement le jeu de Spicy Horse, chapeauté par American McGee, est salué pour son contenu fort honnête et son scénario qui fait honneur à la fois au précédent volet et au roman de Lewis Carroll, mais il est aussi plébiscité pour son ambiance qui met tout le monde d’accord. Toujours aussi étrange, toujours aussi glauque et empreint d’un malaise constant, Alice : Madness Returns est plus immersif encore, et sa trame nous mènera aux confins de la folie, avec une protagoniste qui alterne entre phases dans le monde réel, et pays des merveilles fantasmé. Le tout sur fond de psychanalyse malsaine. Une expérience culte, là encore.
Rêver éveillé
Nous l’avons vu, les deux premiers jeux ont été salués pour leur ambiance, voire leur scénario, multipliant les références, notamment à la vie de Charles Ludwidge Dogson (alias Lewis Carroll) pour le plus grand bonheur des fans. Comme avec le nom de famille de Alice, Lidell, emprunté à une jeune fille ayant véritablement existé, et dont l’auteur aura nié toute sa vie s’être inspiré pour son roman. En plus de partis pris artistiques réussis, la franchise a donc à cœur de raconter quelque chose d’intelligent, de tragiquement beau, et le fait avec une certaine justesse qui ne parvient pas à l’extirper du malaise qu’elle produit en permanence, parfaitement assumé.
Néanmoins, ces deux jeux sont imparfaits. Et s’il est encore possible de se lancer dans Alice : Madness Returns aujourd’hui, à condition d’avoir l’esprit ouvert, c’est plus compliqué en ce qui concerne American McGee’s Alice. Or, non seulement Alice : Asylum, le projet tristement avorté par Electronic Arts, aurait été une merveilleuse façon de faire découvrir la série au grand public, mais en plus il aurait pu prolonger et mettre un terme à une expérience qui demeure scénaristiquement incomplète telle quelle. Et en profiter, par la même, pour corriger les défauts soulignés chez ses frères aînés.
J’aurais beaucoup aimé que American McGee rende publique son dossier regroupant tout le travail qu’il a fourni pour ce troisième volet. Car un peu comme pour l’excellent documentaire Jodorowsky’s Dune, qui nous permettait d’entrevoir ce qu’aurait donné le film Dune imaginé par Jodorowsky, ç’aurait été une porte d’entrée dans la tête du créateur. Un moyen, certes imparfait, de savoir ce qui nous attendait, en tant que joueurs. Que voulez vous, une frustration ne me suffit pas, j’ai visiblement besoin d’en connaître une seconde, en constatant ce que je crois déjà savoir : on passe à côté d’un grand jeu. Ce que je crois sincèrement, car McGee semble avoir mis toutes ses tripes dans le projet, d’où son retrait du milieu vidéoludique.
Mais puisque le format le veut, alors je vais quand même vous dire ce que j’aurais aimé trouver dans Alice : Asylum. Pour commencer, une Alice adulte, plus folle que jamais. Et je crois bien que c’était le thème de cet épisode, au vu de son nom, qu’en dites vous ? Ce qui se traduirait en jeu par des environnements plus malsains, mais aussi au level design plus éclaté, plus asymétrique et vertical. Alice : Madness Returns était un peu sage à ce niveau, et sa linéarité n’arrangeait rien. J’aurais beaucoup aimé que ce troisième volet soit plus ambitieux, et vise un monde semi-ouvert. Rien en commun avec la recette Ubisoft, loin s’en faut, mais simplement de quoi rendre le titre plus immersif que jamais.
Enfin, j’aurais aimé qu’il embrasse pleinement sa nature de jeu vidéo, en proposant notamment des combats plus stylisés, plus dynamiques, et plus complets. En somme, que le titre se nourrisse de tout ce qu’a produit de bon le genre du Beat’em All ces dernières années, en allant piocher chez du Bayonetta 3 et du Devil May Cry 5 s’il le fallait. Mais aussi qu’il se gonfle de plateforme, qu’il soit possible d’explorer ses environnements de plusieurs façons, et qu’il nous propose une plongée dans plusieurs univers en même temps, pas seulement celui de Alice au Pays des Merveilles. Bref, j’aurais aimé un jeu parfait, ce que nous n’allions évidemment pas avoir. Mais je crois sincèrement que si Electronic Arts avait laissé un peu de leste à American John McGee, nous aurions eu une excellente suite, et c’est déjà pas mal.
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