Citizen Sleeper : Notre interview de l’illustrateur Guillaume Singelin à l’occasion de la traduction française du jeu
Publié le :
1 commentaire
Rédigé par Julien Blary
Véritable révélation de la scène indépendante en 2022, Citizen Sleeper est un RPG narratif qui avait captivé son public par sa trame et son aspect non-linéaire. Une aventure qui nous plonge dans les ruines du capitalisme interplanétaire et soutenu par une direction artistique de toute beauté. Seul hic, le jeu nécessitait de bonnes connaissances en anglais pour s’apprécier. Tout du moins, jusqu’à l’annonce d’une traduction dans notre langue.
Deux ans plus tard, le premier Citizen Sleeper aura bien droit à une traduction française intégrale. Prévue pour le 1er février 2024 via à une mise à jour gratuite, celle-ci permettra aux personnes qui ont un peu de mal avec l’anglais de profiter pleinement de l’aventure. A cette occasion, nous avons pu poser quelques questions à Guillaume Singelin, artiste français qui s’est occupé du chara-design du titre, que l’on connaît également comme étant l’auteur de bandes-dessinées comme Mutafukaz’ Loba Loca ou encore plus récemment, Frontier.
Sommaire
TogglePrésentation et introduction
- Tout d’abord, merci pour cette interview ! Pouvez-vous rapidement vous présenter, qui êtes-vous et quel est votre rôle sur Citizen Sleeper ?
Bonjour, je m’appelle Guillaume Singelin et je suis le « character designer » sur Citizen Sleeper. Pour résumer, mon rôle était de mettre en images les personnages créés par Gareth Damien Martin, le créateur du jeu.
- On vous connaît surtout pour votre travail dans la bande dessinée, notamment avec le Label 619, mais vous œuvrez aussi dans le jeu vidéo, comme avec Citizen Sleeper. Quel est votre rapport avec les jeux vidéo ? Citizen Sleeper n’était pas votre première expérience ?
C‘est vrai que l’essentiel de ma carrière se tourne autour de la BD. Mais c’est une activité qui permet aussi de changer de domaine, ce qui est super. J’ai grandi comme beaucoup avec des jeux vidéo, qui ont toujours stimulé mon envie de dessin, surtout à l’époque des couvertures de jeux et des livrets très fournis en artwork. Et aujourd’hui je continue à jouer (pas autant que je le voudrais) pour le plaisir, mais aussi car il y a toujours de nombreux jeux inspirants même pour travailler sur la BD.
Avant Citizen Sleeper, j’ai eu par hasard l’opportunité de réaliser des keyarts (l’illustration qui est visible quand on est sur les stores en ligne de jeux). Ensuite j’ai participé au petit jeu Bravery Network Online, qui était plus consistant en termes de travail, mais où je n’étais pas à l’origine de la direction artistique. Citizen Sleeper n’est pas ma première expérience, mais prend une ampleur différente par mon implication en termes de travail mais aussi d’engagement plus personnel.
- Dessiner pour le jeu vidéo a-t-il été une envie personnelle ? Une opportunité qui s’est présentée ?
Malgré mon admiration pour le jeu video en général, ça n’a jamais été un objectif précis. Il faut dire qu’à l’époque de mes études, le médium tirait beaucoup vers une envie de photo réalisme, qui ne me plaisait pas trop. Mais depuis quelques années, le jeu indé propose des visuels plus artistiques et personnels, ce qui me plaît beaucoup. Et la chance d’internet, c’est de pouvoir rentrer vite en contact avec des développeurs. Lorsque l’on m’a proposé mon premier keyart, tout s’est vite enchaîné.
Citizen Sleeper bientôt en français
- Comment s’est faite la collaboration avec le studio responsable de Citizen Sleeper ?
Je connaissais son premier jeu In Other Waters, et fait rare, j’ai un petit fanart qui m’a permis de rentrer en contact avec Gareth le créateur. Ce dernier connaissait mon travail en BD, donc on était fait pour se croiser, quelques mois plus tard il m’a proposé de travailler sur son prochain jeu. Ça a été très fluide comme rencontre, presque naturel.
- Qu’est-ce qui vous a séduit dans Citizen Sleeper ?
Quand Gareth m’a pitché le jeu, j’ai direct été charmé par l’univers, il cochait ce qui me plaisait en cyberpunk et en science-fiction (à l’époque je démarrais un projet de BD SF), avec une approche humaine qui m’a beaucoup parlé. Quand on a échangé sur les références d’œuvres qui allaient infuser son travail et donc la création des personnages, on a vite vu qu’on avait exactement les mêmes listes en tête. Donc malgré le fait de parler deux langues différentes, le fait de partager la même culture a vraiment aidé.
- On a appris qu’une traduction française sera prochainement déployée pour le jeu. C’est génial ! Est-ce que la barrière de la langue vous a embêté à un moment donné ? Avez-vous contribué d’une certaine manière à l’arrivée d’une traduction française ?
Il est vrai que quand je testais les premières builds du jeu, je devais vraiment me concentrer, ou quand je recevais les descriptions de personnages, il fallait que je sois bien affuté. Mais on a vite trouvé notre façon de travailler, avec beaucoup d’images de références.
Pour la traduction du jeu en français, on va dire que j’y ai contribué car grâce à mon public français, Gareth a reçu beaucoup de demandes de joueurs français, ça lui a un peu mis la pression, hé hé. Mais ensuite c’est l’équipe de Riotloc qui a réalisé ce travail dantesque.
- Une suite, Citizen Sleeper 2, est en préparation. Pensez-vous que l’on puisse aussi espérer une traduction française ? Peut-être en décalé ?
Je l’espère, bien sûr les retours sur le premier épisode vont sûrement conditionner un peu ce choix. Il faut prendre en compte que c’est vraiment un micro-studio (nous sommes principalement trois à travailler sur Citizen Sleeper). Mais s’il y en a une, je pense que ça sera en décalé en effet.
Processus et création
- Comment s’est déroulé votre travail ? Qu’est-ce que l’on vous a fourni comme base pour guider vos dessins ? Parlez-nous un peu du processus créatif !
Gareth m’a d’abord fourni une vaste banque d’images, et même des références de films, séries afin de me donner l’atmosphère générale du jeu, afin de comprendre quel genre de science-fiction il avait en tête. Comme je le disais avant, c’est que nous avions les mêmes références en tête ce qui a simplifié beaucoup le processus. Ensuite je recevais des petits descriptifs de personnages, plus ou moins précis. Ceci avait vraiment pour but de me donner quelques infos fortes sur le caractère du personnage. Et tout cela couplé d’une série d’images, allant parfois à des références d’acteurs et actrices pour le visage, parfois des photos de mode pour les vêtements.
Après ça c’est un ping pong entre moi et Gareth, de plein de croquis, afin de saisir vraiment l’essence du personnage. Ce qui est chouette c’est que des fois je visais vraiment l’idée qu’il avait en tête, et parfois je me décalais de son idée, ce qui le poussait à réajuster son écriture. Le processus était très fluide, j’y ai retrouvé le plaisir de travailler avec un scénariste en BD.
- Citizen Sleeper et votre BD Frontier sont sortis à un an d’intervalle. Les deux oeuvres se déroulent dans des univers futuristes, comment avez-vous géré cette « cohabitation » de projets ?
C’est en effet un timing marrant, pour Frontier j’avais bien mon univers en tête. Mais forcément le fait de jongler entre deux univers proches, a fait que j’ai puisé dans l’un et l’autre, il y a eu une influence mutuelle je pense. Heureusement cette cohabitation a plutôt été positive.
- Est-ce qu’il y a eu une quelconque influence entre les deux projets ? Ou éventuellement des idées que vous avez eu pour l’un lorsque vous travailliez sur l’autre ?
L’écriture de Citizen Sleeper et Frontier était posée avant notre rencontre. Donc les univers étaient stables, mais il est sûr que les thématiques sont très proches, il est donc très possible que j’ai puisé dans l’écriture de Citizen Sleeper pour ajuster mes dialogues. Gareth étant un très bon écrivain, et moi plus débutant, j’avais beaucoup à apprendre de lui.
Graphiquement ça a été un véritable aller-retour d’influence.
- Et maintenant, quelle est la suite ? Avez-vous des envies particulières ? Comptez-vous travailler à nouveau dans le jeu vidéo ?
Je vais d’abord me concentrer sur le 2e épisode, et la BD est un medium qui me plaît beaucoup. Après à savoir si je veux continuer à travailler dans le jeu vidéo, cela dépendra des projets. J’ai trouvé avec Gareth le partenaire parfait. J’apprécie beaucoup les petites, voire micro-équipes, c’est plus humain et je pense qu’on peut y faire des choses plus personnelles.Il m’est arrivé de participer sur la pré-production de jeux, pour de grands studios, et ça n’a pas pas été une expérience intéressante pour moi. Donc je verrais en fonction des opportunités et des personnes.
- S’il ne fallait retenir qu’un jeu en 2023, ce serait lequel pour vous ? Jouez-vous régulièrement ? Quel est votre coup de coeur du moment ?
Hélas le temps me manque vraiment pour vraiment jouer pleinement, mais l’année dernière, je pense à Alan Wake II, notamment, pour l’aspect artistique très marqué. C’est clairement le type de jeu qui pourrait m’inspirer à faire du polar en BD. En ce moment, mon petit coup de cœur, mais qui date serait Fuga Melodies of Steel, autant pour son approche artistique que ses mécaniques de JRPG (genre que j’affectionne).
- Dernière question : avez-vous une anecdote ou une histoire insolite à raconter ? Quelque chose qui vous a marqué par rapport à Citizen Sleeper ? Ou peut-être simplement une anecdote qui vous fait désormais sourire sur votre carrière ?
Ce qui me fera toujours rire, c’est que ce qui m’avait vraiment plus et rendu admiratif sur In Other Waters (le précédent jeu de Gareth) et ce qui m’a donné envie de faire le fanart, était que le jeu avait une capacité d’immersion et d’imagination grâce au fait que le jeu ne montrait aucun personnage et avait un rendu quasi abstrait de son univers. Alors quand il m’a demandé de participer à Citizen Sleeper, j’étais très honoré, mais en même temps je me disais que mon rôle de character designer allait un peu casser la magie qui m’avait tant plu. Au final Citizen Sleeper a gagné une nouvelle identité et je ne regrette pas d’y avoir participé.
Un grand merci à Guillaume Singelin pour son temps et ses réponses. On rappelle que la traduction française de Citizen Sleeper sera déployée le 1er février sur les différentes plateformes. Sa suite, Citizen Sleeper 2: Starward Vector, est en développement sur PC et Xbox Series.
Cet article peut contenir des liens affiliés
Date de sortie : 05/05/2022