Notre interview de Women in Games lors de la PGW 2019
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Rédigé par Penderflash
Il y a quelques jours déjà, l’édition 2019 de la Paris Games Week fermait ses portes. Un événement toujours particulièrement intéressant et stimulant pour tout fan de jeu vidéo mais aussi l’occasion de découvrir et de pouvoir échanger avec des créateurs et des acteurs impliqués. A
u cours de notre visite sur le stand des créateurs français, nous avons pu échanger avec Audrey Leprince, présidente de l’association Women in Games. Au cours de cet entretien, nous avons voulu en savoir un peu plus sur les objectifs de cette association ainsi que sur ses actions quotidiennes pour sensibiliser le public au quotidien parfois fort délicat des femmes dans l’univers du jeu vidéo.
Sommaire
TogglePrésentation de l’association
- Bonjour et merci de nous accorder du temps pour discuter avec nous de votre association, de ses objectifs et de son quotidien ?
« Women in Games » a été créée en 2017 avec Julie Chalmette. L’idée de notre association a germé lors d’une remise de prix au cours de laquelle seules deux femmes sont montées sur scène pour recevoir une récompense. Nous nous sommes dit alors que la situation était tout à fait bizarre puisqu’il y a une vingtaine d’années, les choses étaient déjà comme cela.
En parlant de cette situation avec d’autres femmes dans les écoles du jeu vidéo, celles-ci nous ont bien fait comprendre qu’il était vraiment nécessaire de travailler sur la mixité et de faire comprendre l’intérêt de cette mixité à l’industrie dans sa globalité.
Nous avons donc monté cette association, une association professionnelle, dont l’objectif est de doubler le nombre de femmes qui travaillent dans le jeu vidéo en France, dans tous les secteurs confondus. Que ce soit dans les écoles, dans l’e-sport, du côté du développement, dans l’édition et même dans les médias.
Il faut savoir qu’aujourd’hui un Français sur deux est une joueuse, et que 74 % des Français jouent aux jeux vidéo. C’est leur loisir préféré mais pourtant la parole est accaparée par 85 % d’hommes « blancs », qui font les jeux vidéo aujourd’hui. Nous aimerions que cette industrie soit plus diverse et qu’elle intègre mieux les femmes et toutes les autres formes de diversités dans leur ensemble. Pour plus d’innovation, de créativité et d’efficacité.
- Comment expliquez-vous que les femmes soient si peu représentées dans cette industrie ?
C’est un problème structurel de la société que l’on partage malheureusement avec toutes les autres industries. Les femmes sont découragées des matières scientifiques. Or le jeu vidéo est une matière scientifique, technique. Un deuxième problème se greffe au premier. Depuis les années 1980, le jeu vidéo a été marketé comme un produit pour les hommes et c’est tout naturellement que les produits de cette industrie était rangé du côté des jeux des petits garçons. Donc on se trouve face à des produits fait par des hommes pour des hommes, ce qui génère un cercle vicieux.
Aujourd’hui, grâce à l’explosion de la scène indépendante notamment sur mobiles et Steam, une grande quantité d’objets nous parviennent et l’on se rend compte que les femmes sont aussi joueuses que les hommes. Ce double problème explique pourquoi on s’aperçoit qu’il n’y a toujours que 15 % de développeuses dans les studios, que 10 ou 15 % de professionnelles dans l’e-sport. Chez certains éditeurs comme Ubisoft on monte à 50 % grâce à tous les métiers support, marketing, communication et tout le pôle légal qui mobilisent traditionnellement plus de femmes.
Les actions de l’association
- Quels sont les angles d’attaque de votre association ?
Notre objectif est donc de faire entrer les femmes dans cette industrie et de les faire rester. Nous travaillons sur plusieurs axes : d’abord, mettre en avant les femmes qui sont dans l’industrie du jeu vidéo afin de créer des modèles pour les jeunes femmes, les femmes en reconversion. Nous avons par exemple 150 femmes qui sont prêtes à aller intervenir sur des plateaux ou lors de conférences pour mettre en avant leur expérience.
Nous les formons à la prise de parole et nous essayons également de créer de l’interaction autour de leur travail. D’où ce stand au cœur de la Paris Games Week où nous présentons 6 femmes, 6 créatrices qui ont participé activement à l’élaboration d’un jeu ou qui ont tout simplement créé leur propre jeu. Certaines étaient productrices, d’autres designeuses. On essaye de montrer au grand public qu’il y a des femmes derrière des jeux vidéo. D’où l’importance de la visibilité.
Un autre angle est relatif à l’éducation sur les métiers. Nous travaillons avec des écoles ainsi que les ministères de la Culture et de l’Education pour essayer de faire connaître les métiers et les acteurs du secteur en général. Nous avons également un angle d’attaque très important : le networking c’est-à-dire de la formation et de l’entraide entre nous. Nous avons également participé au lancement d’un fonds de financement qui finance les projets de jeux faits par des équipes diverses.
- Pourriez-vous nous raconter une situation où vous avez pu, grâce à votre réseau et votre groupe, offrir des opportunités à des femmes pour qu’elles concrétisent leurs aspirations ?
L’un des exemples forts que l’on peut citer, c’est l’incubateur e-sport que l’on a créé pour coacher des joueuses et les accompagner pour qu’elles prennent du niveau. Il y avait une jeune femme dans l’équipe qui était professeure dans un collège et qui souhaitait entrer dans le monde du jeu vidéo. Passionnée par League of Legends, elle a montré des qualités de cheffe de projet remarquables et c’est ce qui nous a conduit justement à lui confier la responsabilité de cet incubateur. Après 8 mois de travail passionné, elle a été recrutée par Ubisoft. Il y en a tous les jours des success-story.
Il faut signaler également que nous travaillons à la sensibilisation du secteur. Au cours de cette PGW 2019 nous avons signé une charte avec le Ministre de la Culture à destination des écoles de jeux vidéo pour mettre en avant certaines valeurs comme l’égalité hommes/femmes notamment. Elles ne sont actuellement que 26 % dans les écoles, nous aimerions qu’elles y soient plus nombreuses et qu’elles s’y sentent bien.
Les besoins de l’association et les autres lignes d’actions
- Votre association s’appelle « Women in Games » mais d’après ce que l’on a pu entendre et observer, votre action s’étend également à la mixité des origines culturelles et des genres ?
Nous avons toujours voulu agir sur la diversité au sens large. Même la neurodiversité d’ailleurs, qui est un sujet important très discuté actuellement.
Woman in Games c’est un réseau d’associations qui existent déjà. En Angleterre, il a été développé il y a 10 ans. Il existe également en Italie et en Norvège. On a repris la marque pour que les gens s’identifient tout de suite.
Il est important également de souligner qu’il y a 20 % d’hommes dans notre association qui nous aident. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues.
- Quels sont vos besoins ?
Nous sommes 1 600 et nous sommes tous bénévoles. Pour faire vivre l’association, nous avons besoin de donations, de sponsors pour disposer de budgets qui nous permettront de faire des actions. L’objectif est de nous professionnaliser et de vendre nos services.
- Comment les médias français du jeux vidéo s’emparent de cette question ? Sont-ils intéressés par vous mettre en avant et dialoguer avec vous ?
Oui, tout le monde est intéressé pour dialoguer avec nous. Il faut malgré tout identifier les initiatives consistant simplement à pouvoir cocher la case « diversité » en invitant par exemple 3 femmes en même temps sur un plateau que personne ne va regarder et les différencier des vraies initiatives qui constituent un vrai engagement sérieux où l’on peut constater que sur chaque plateau des femmes seront présentes pour parler des vrais sujets.
- Trouvez-vous que la situation des femmes évolue malgré tout positivement depuis ces dernières années ?
Oui, l’industrie change. La façon dont les femmes sont représentées dans le jeu vidéo s’améliore. On a de plus en plus d’héroïnes non sexualisées, racisées, non hétérosexuelles. C’est donc de mieux en mieux mais nous espérons simplement que ce n’est pas du « woman-washing » comme il existe du « greenwashing ». Changer la société prend du temps.
Il faut se rendre compte (et des études l’attestent d’ailleurs) que les équipes diverses sont non seulement plus créatives et innovantes mais aussi plus productives. En général, tout le monde est gagnant. Certains acteurs comme Ubisoft l’ont bien compris.
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