« Je ne sais pas pourquoi j’ai pas dit stop » : Wednesdays, le nouveau jeu de The Pixel Hunt, libère les paroles trop souvent bafouées
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Rédigé par Florian
Tout le monde est d’accord pour dire que le jeu vidéo est un divertissement, dont le but premier est, pour la plupart de ses productions, de nous proposer un autre univers que celui du quotidien et ainsi tenter de nous arracher quelques heures à cette routine. Mais d’autres jeux, souvent plus intimistes, loins des blockbusters et autres AAA, tentent de faire bouger les choses, en abordant des thèmes souvent empreints des méfaits de l’Homme.
C’est le cas de Wednesdays, le nouveau jeu narratif des français de The Pixel Hunt en collaboration avec Pierre Corbinais et ARTE France à l’édition. Par le biais de souvenirs d’une victime de violences sexuelles intra-familiales, le jeu porte en lui un message de sensibilisation destiné au grand public mais également d’espoir pour les victimes, celui d’être enfin entendues. Le jeu sort ce mercredi 26 mars sur PC et Mac via Steam et itch.io, et ne nécessite aucune compétence vidéoludique pour être parfaitement compris, en plus d’être accessible au plus grand nombre, sous réserve d’être en capacité de se confronter à des thématiques aussi lourdes.

Avant d’aller plus loin sur les thèmes abordés et la manière dont Wednesdays les aborde, il nous faut vous prévenir que le jeu de The Pixel Hunt aborde des thèmes très durs et souvent tabous comme l’inceste intra-familial, les violences sexuelles ou la confrontation avec l’agresseur, aux côtés de sujets plus légers comme la première fois, les expériences entre adolescents ou encore le regard sur l’homosexualité.
Ainsi, ce jeu d’un genre délicat n’est pas fait pour tout le monde et il vous faut en être conscients. Difficile dans ces conditions de proposer un test à proprement parler, Wednesdays étant un jeu PEGI 18, qui s’avère finalement un jeu qui se vit, avec vos sensibilités, votre passé, vos secrets et vos expériences. C’est pour cela que nous vous le présentons avant sa sortie.
Renverser la culpabilité
Une donnée qui fait froid dans le dos : selon l’Unicef, « un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes en France ». C’est face à ce constat alarmant que Pierre Corbinais (Haven, Road 96: Prologue, Enterre-moi, mon amour) a entrepris d’écrire une expérience vidéoludique dont le but serait d’attirer l’attention sur ce fléau qui touche principalement les relations intra-familiales, en collaboration avec ARTE France et le studio parisien The Pixel Hunt.
Rassurez-vous néanmoins, aucune scène éminemment suggestive ou pornographique n’est visible au sein de Wednesdays qui se contente de raconter les événements et les faire éclater au grand jour. Les événements, ce sont ceux vécus par Timothée, « P’tit Tim » à la tête carrée qui, alors enfant, subit des délits incestueux les mercredis après-midi sans école durant plusieurs années. C’est à l’âge adulte que tout éclate et que tout remonte lors d’une banale discussion en voiture avec un de ses amis qui lui raconte les événements vécus par son cousin, victime d’un oncle malintentionné. Tim relance alors le jeu vidéo phare de son enfance, celui qui lui rappelle tant de souvenirs que vous allez revivre avec lui, et tenter de comprendre les répercussions de ces événements sur son lui adulte.
L’originalité de Wednesdays, en plus d’aborder ces thèmes forts de manière très juste dans un récit surprenant de bienveillance au final, c’est de proposer deux gameplays différents. Le premier, vous demandera de suivre les conversations de Tim avec plusieurs personnes de son entourage comme ses grands-parents, ses parents, ses cousins, ses amis de classe etc., durant une succession de 16 tableaux (plus un servant d’épilogue) dépeignant différentes thématiques plus ou moins légères pour comprendre comment un ado ou un enfant construit son rapport à la sexualité, à l’amour mais aussi aux rapports normaux ou anormaux avec autrui, pour une durée de jeu au total d’environ 1h30 à 2h.
Ces scènes prennent la forme d’un roman graphique où vous devrez faire des choix de dialogue aux conséquences assez mineures, pour au choix faire exploser la vérité, tourner autour du pot ou comprendre en détails la situation que l’on veut nous partager, à travers la vision de plusieurs personnages y compris dans des scènes très classiques du quotidien.
De l’autre côté, vous reviendrez entre chaque saynète au sein d’un jeu vidéo pour enfants, Orco Park, vous demandant de créer et gérer votre parc d’attractions, la satisfaction client, la gestion de la décoration et la construction des attractions, prétexte pour faire resurgir de nouveaux souvenirs dérangeants. Une dualité dans l’approche que l’on doit à la magnifique direction artistique de The Pixel Hunt qui nous a déjà offert des chefs-d’œuvre narratifs comme Enterre moi, mon amour ou encore dernièrement The Wreck, bouleversant.
Tout cela n’était qu’un jeu de parc d’attractions
Dans Orco Park, vous devrez ramasser les déchets jonchant le sol pour obtenir des coquillages vous permettant de vous offrir de nouvelles attractions par exemple, les anciennes attractions vous conférant de nouveaux visiteurs et donc de nouveaux coquillages etc. Vous pourrez parfois choisir entre deux ou trois nouvelles attractions, tout en sachant qu’elles seront toutes estampillées de symboles vous permettant de savoir si les sujets abordés seront sans gravité, ou bien à connotation plus sensible ou carrément très suggestifs. A vous de les placer où vous voulez dans le parc pour lancer le nouveau souvenir.
De plus, des avertissements sont présents avant chaque scène et une option vous permet de passer une scène qui vous serait trop difficile à suivre, le but premier du studio semblant être la libération de la parole, pour les victimes en premier lieu, mais aussi pour les potentiels témoins, ceux qui « n’ont rien vu » et qui pourraient reconnaître des situations vécues ou vues par le passé, permettant de déchiffrer les silences et les signaux si invisibles. Wednesdays prend le parti de parler de ces sujets difficiles sans tabou, avec des gros mots, des mots très suggestifs de gestes ou de parties du corps, tout en n’oubliant pas de recentrer cela par le spectre de la vision d’un enfant ou d’un adolescent qui ne se rend pas compte ce qui se passe.
On pourrait même extrapoler notre propos en regrettant que le jeu n’aille pas plus loin dans la pluralité de situations pouvant être rencontrées par les victimes, pour obtenir un spectre encore plus large des violences sexuelles et physiques intra-familiales. A noter que vous pouvez revivre indépendamment chaque chapitre une fois les crédits atteints, pour tenter d’autres choix de réponses et voir les différentes réactions des proches de Tim. Un système de journal permet aussi de revoir la transcription des conversations, même si l’intérêt ici est limité.
Wednesdays est l’exemple même des jeux importants au sens littéral du terme, voire même capitaux pour faire avancer la parole et donner aux victimes la possibilité de faire exploser ces situations anormales au grand jour sans peur d’être jugées, non-écoutées ou incomprises. Une sorte de « kit de survie » qui pourrait même être proposé gratuitement aux enfants et adolescents (quitte à l’adapter un peu sur certaines scènes jugées trop « crues ») de par son intérêt public. Le jeu n’est d’ailleurs pas glauque, triste ou tombant inutilement dans le « voyeurisme », mais délivre plutôt un message de tolérance, d’écoute, de pardon et d’espoir à destination de tous et toutes, parce que « la difficulté, c’est pas de parler. C’est d’être entendu. »
Vous l’aurez compris, Wednesdays est un jeu pas banal (s’il peut être qualifié ainsi vu le peu d’interactions vidéoludiques au final), vraiment différent, mais qui parvient à vous accrocher durant les quelques dizaines de minutes qui constituent son histoire, et qui prouve une fois de plus le talent incroyable des équipes de The Pixel Hunt pour proposer des titres narratifs poignants. Un jeu à ne pas mettre entre toutes les mains, vous pourriez même n’en avoir que faire si le sujet vous semble éloigné de votre situation, mais qui parlera assurément aux trop nombreuses personnes concernées ou en connaissant une l’étant elle-même. L’occasion de rappeler que le 119 est le numéro national d’appel d’urgence pour les enfants en danger, y compris en cas de violences sexuelles ; un numéro gratuit et confidentiel, permettant de signaler, demander conseil ou être écouté par des professionnels qui seront là pour rappeler que ce n’est jamais la faute de l’enfant.