Projet de très grande envergure développé par une équipe indépendante, Kingdom Come : Deliverance est un jeu de rôle dans un univers médiéval, en vue à la première personne. Mais là où le parallèle pourrait être vite fait avec la série des Elder Scrolls, par exemple, le jeu de Warhorse Studios délaisse totalement la fantasy, la magie et les dragons, au profit d’un récit quasi historique, et d’un gameplay exigeant se voulant au maximum réaliste. Très attendu par les amateurs de RPG et d’histoire féodale, il a sur le papier tout pour être, au choix, une grande réussite, ou une vaste déception. Voyons de quel coté il se situe.
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ToggleDécevant au premier coup d’œil
Remettons les choses dans leur contexte. Kingdom Come n’aurait jamais vu le jour sans une campagne de financement participatif qui fonctionna bien, récoltant plus d’un million d’euros. Le titre a su vendre son concept, pour le moins accrocheur, et nombreux sont ceux qui y ont cru. Développé de prime abord par une quarantaine d’hommes et de femmes, dans un petit studio monté à Prague, il fallut bientôt faire intervenir de nouvelles têtes, pour arriver à plus de cent employés. Il faut dire que, pour un jeu indépendant, Kingdom Come voit les choses en grand, avec des ambitions dignes d’un triple A, et plus encore. Monde ouvert, choix multiples, évolution en fonction de nos actions, mais aussi une trame se basant sur des faits historiques et tout ce que cela implique. Clairement, sur le papier, le projet envoie du rêve. Malheureusement, une fois le jeu en main, c’est une autre histoire.
Monde ouvert, choix multiples, évolution en fonction de nos actions, mais aussi une trame se basant sur des faits historiques et tout ce que cela implique. Clairement, sur le papier, le projet envoie du rêve.
Parce qu’il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir, la petite équipe de chez Warhorse Studios nous a malheureusement livré un jeu qui, en l’état, n’est pas totalement terminé. Le patch Day One de plus de 23 Go ne pouvait que nous mettre la puce à l’oreille à ce sujet d’ailleurs… Kingdom Come frappe donc, avant toutes choses, par son aspect technique décevant, ses nombreux bugs, et les soucis à foison qui pavent son univers. Pour commencer, le jeu est lent. Mais pas uniquement parce qu’il se veut réaliste et que les déplacements sont volontairement mous. Non, Kingdom Come est aussi lent parce qu’il saccade régulièrement. C’est simple, le nombre de FPS est en chute libre dès qu’il se passe quelque chose à l’écran. Et par « quelque chose », je n’entends pas nécessairement un combat ou un grand nombre de PNJ. Non, parfois il suffit de marcher en pleine campagne et de tomber sur un voyageur lambda pour que le jeu se mette à ralentir. Un comble pour un monde ouvert…
Kingdom Come frappe donc, avant toutes choses, par son aspect technique décevant, ses nombreux bugs, et les soucis à foison qui pavent son univers.
Mais c’est loin d’être le plus gros problème à ce niveau. Le titre est en effet blindé de bugs en tout genre, de la texture qui ne s’affiche pas, aux vêtements des PNJ qui se chevauchent, en passant par le désormais célèbre animal dont les jambes disparaissent dans le sol. Les premières heures de l’aventure sont d’ailleurs particulièrement pénibles, puisqu’il faudra composer avec des doublages qui n’interviennent que quand cela leur chante, des textes qui passent du français à l’anglais sans prévenir, ou des scripts qui se déclenchent sans trop que l’on comprenne comment. Idem, il arrivera que notre personnage butte en montant des escaliers, voire qu’il bloque totalement. Et il en ira malheureusement de même dans d’autres situations, dès que l’environnement devient un minimum vallonné, ce qui peut tout à fait correspondre à une banale pierre sur notre chemin. Et ne parlons pas des animations déplorables, voire inexistantes pour la partie faciale.
Une expérience immersive
C’est vraiment dommage, parce qu’avant même de parler de gameplay, Kingdom Come a tout pour être un jeu très immersif. Le développeur n’a pas pu faire de miracles avec le Cry Engine, mais l’ensemble reste plutôt agréable à l’œil de loin, bien qu’assez pauvre de près. Le titre a tout de même bénéficié d’un travail conséquent sur ses environnements. On se retrouve projeté dans une Europe médiévale convaincante, avec son lot de châteaux et de villages boueux, dont l’architecture est criante de réalisme, en dépit de textures datées. Tout a été pensé pour que l’on ait la ferme impression de revivre un morceau d’histoire, avec notamment un cycle jour / nuit qui affecte l’ouverture des échoppes, ou encore la présence de différentes castes aux mœurs bien distinctes. Dommage que les personnages soient aussi hideux, et que les temps de chargement soient aussi nombreux. Toutefois, pour les amoureux d’histoire féodale, en faisant fi de son aspect technique raté, une ballade dans cet univers aussi bien retranscrit est un réel plaisir.
On se retrouve projeté dans une Europe médiévale convaincante, avec son lot de châteaux et de villages boueux, dont l’architecture est criante de réalisme, en dépit de textures datées.
D’autant plus en faisant attention à sa bande son qui, bien qu’elle ne soit pas parfaite, se révèle réussie à bien des égards. Les différentes musiques qui composent l’aventure sont magnifiques, mais surtout elles sont toujours dans le ton. D’ailleurs, il ne sera jamais question de morceau épique, poussant aux moments de bravoure, puisque dans un souci de réalisme le jeu vous place dans la peau d’un jeune homme aux compétences militaires inexistantes, et ne récompensera les prouesses en combat qu’en permettant de piller les cadavres de vos adversaires. Pas question ici de vous prendre pour l’élu d’une quelconque prophétie. Vous n’êtes qu’un paysan, et on vous le rappellera constamment au cours de l’aventure, à moins que vos faits d’arme ou votre attitude ne poussent à faire changer les regards se portant sur vous. Ce qui sera, au passage, un travail de longue haleine, l’avancée dans le jeu étant très progressive, pour ne pas dire lente.
Vous n’êtes qu’un paysan, et on vous le rappellera constamment au cours de l’aventure.
Quant à ses doublages, entièrement en français, ils se révèlent assez inégaux, mais brillent souvent par une certaine justesse. On regrettera toutefois que les sous-titres diffèrent parfois des paroles prononcées par les personnages, d’autant que c’est rarement pour le mieux. Enfin cet aspect met tout de même très bien en valeur l’écriture particulièrement intelligente du titre. Rien n’est là par hasard, même dans les dialogues. Il vous sera d’ailleurs possible de vous comporter comme un paysan, comme un noble, ou comme un voyou, engendrant diverses réactions selon votre interlocuteur. Car à l’instar de beaucoup de RPG du genre, vous pourrez bien souvent choisir votre façon d’aborder une conversation. La différence, ici, c’est que votre aspect extérieur, votre tenue, sont pris en compte dans vos chances de parvenir à convaincre. Et puisque vous démarrez roturier, il vous sera très difficile de vous mettre la noblesse dans la poche sans user de subterfuges. Par ailleurs, vos choix engendrent des conséquences visibles sur l’aventure.
Mon nom est personne
Dans Kingdom Come : Deliverance, vous ne pourrez pas créer votre avatar, ce qui est bien dommage pour l’immersion en un sens. Vous incarnez donc par défaut Henry, fils du forgeron d’un village du Royaume de Bohème, au XVème siècle. Si l’histoire de ce protagoniste imposé n’a que peu d’intérêt, puisqu’elle se composera principalement de vengeance et de quête de l’honneur, un mélange assez classique, c’est surtout au niveau de sa toile de fond que le jeu de Warhorse Studios brille. En effet, en s’inspirant d’un morceau du passé de l’actuelle République Tchèque, plus précisément d’une passation de pouvoir qui aura engendré une véritable guerre civile, le développeur est parvenu à créer un univers qui sonne authentique. Les amoureux d’histoire pourront tiquer devant certains dialogues, certes parfois un peu bâclés, mais ils ne pourront cependant qu’être comblés devant ce qu’a à raconter Kingdom Come.
Bien qu’il ne soit pas possible de créer son personnage, le jeu permet toutefois de le faire évoluer comme bon nous semble. Et c’est là que repose tout l’intérêt d’avoir fait du héros un simple paysan, puisque la progression pourra vous mener, selon vos choix et vos actions, à diverses réputations bien distinctes. Vous pourrez très bien rester un rustre tout le long de votre partie, et vous contenter de voler à la tire comme un vulgaire mendiant, ou décider de vous investir dans une voie plus noble, et finir bourgeois respectable. Bien sûr, réalisme oblige, vous serez traité par les différents PNJ en conséquence de votre rang, et de votre aspect. Mais ne vous y trompez pas : si les possibilités sont multiples quant à l’évolution de votre personnage et de sa réputation, la trame, elle, ne suivra qu’un seul et même chemin défini. L’aventure est d’ailleurs très scénarisée, blindée de dialogues, ce qui pourra là encore rebuter certains joueurs, surtout les plus impatients.
Mais ne vous y trompez pas : si les possibilités sont multiples quant à l’évolution de votre personnage et de sa réputation, la trame, elle, ne suivra qu’un seul et même chemin défini.
Enfin, vous l’aurez certainement compris, sous ses faux airs de RPG à la The Witcher 3 ou Skyrim, le titre de Warhorse Studios est finalement une expérience de niche qui ne parlera quasiment qu’aux férus d’histoire. Par ailleurs, il se veut on ne peut plus réaliste, et pas seulement au niveau de son univers, puisque Kingdom Come pousse le vice jusqu’à la gestion de la faim et du sommeil, qui peuvent chacun vous conduire à la faiblesse voire à la mort. Cette dernière sera en outre omniprésente durant l’aventure. Il vous arrivera en effet souvent de rendre l’âme, en faisant une mauvaise chute, en étant terrassé par un adversaire bien équipé, ou simplement en saignant suite à un affrontement. Très immersif certes, mais aussi particulièrement exigeant, un peu trop sans doute. À tel point que le titre se transforme, petit à petit, en une véritable simulation de vie au moyen âge, à défaut de n’être qu’un divertissement comme la majeure partie de ses congénères ; et il pousse parfois le réalisme un peu trop loin, avec notamment son système de crochetage imbuvable.
Sous ses faux airs de RPG à la The Witcher 3 ou Skyrim, le titre de Warhorse Studios est finalement une expérience de niche qui ne parlera quasiment qu’aux férus d’histoire.
Exigeant jusqu’au bout
Ce réalisme exigeant est au cœur de l’ensemble des mécaniques du jeu, à commencer par le système de progression. Dans Kingdom Come, vous ne disposez pas d’une barre d’expérience classique, et vous ne répartissez pas vos points de compétence comme bon vous semble. Non, pour progresser dans un domaine en particulier, il vous faudra vous investir longuement dans celui-ci. Par exemple, si vous souhaitez devenir un as du combat à l’épée, il vous faudra combattre, encore, et encore, jusqu’à ce que votre niveau grimpe dans cette catégorie, et vous permette d’y apprendre de nouvelles facultés. Et c’est ainsi pour tout, de l’éloquence à la vitalité, en passant par la force et les compétences alchimiques. On est sur du jeu de rôle classique, mais terriblement bien pensé, ne laissant rien au hasard, et contraignant le joueur à réfléchir ses actions et la façon dont il traite les différentes quêtes, ces dernières offrant chaque fois plusieurs voies différentes.
Coté combat, Kingdom Come : Deliverance ne fait pas les choses à moitié, avec un système complexe s’inspirant de ce que l’on a pu voir chez Mount and Blade ou For Honor par exemple. Il s’agira donc de placements, de parades et de réflexion, le tout en faisant bien attention à sa jauge d’endurance et à la directions des coups adverses comme des nôtres. Le tir à l’arc n’est pas en reste non plus, vous pouvez oublier tout ce que vous avez pu voir chez les Elder Scrolls par exemple. Le gameplay est lourd, difficile à prendre en main, et c’est particulièrement visible en combat, quelle que soit l’arme choisie. Et là encore, vous allez mourir un paquet de fois avant d’en maîtriser les ficelles. Car, réalisme oblige, seuls quelques coups bien placés seront nécessaires pour vous terrasser. Heureusement pour les moins patients, l’IA est souvent à la ramasse, et laissera parfois de grosses ouvertures. Mais il arrivera aussi que ce soit l’inverse…
Le gameplay est lourd, difficile à prendre en main, et c’est particulièrement visible en combat, quelle que soit l’arme choisie.
Conçu autour d’un monde ouvert plutôt grand et convaincant, notamment grâce à ses forêts touffues et leur faune sauvage, le jeu fait la part belle aux allers-retours divers, ce qui sera heureusement vite aidé par l’obtention de notre propre cheval. Les amoureux du voyage rapide pourront évidemment choisir de se rendre d’un point A à un point B sans avoir à marcher… mais ils seront toutefois dépaysés par la façon de faire de Kingdom Come, qui ne permet pas de voyages « instantanés », et contraindra à rester vigilant en regardant notre personnage avancer lentement sur la map. Les rencontres ne sont en effet pas rares, et encore moins souvent amicales. Si le monde est certes bien rempli, les choses à y faire manquent cependant quelque peu. Il y aura beaucoup de quêtes à glaner çà et là, dont l’intérêt dépend entièrement de celui qui vous les confie, mais en dehors de ça et d’un jeu de dé sympa dans les tavernes, pas de grosses surprises cachées dans l’environnement.
Enfin qu’importe, en terme de durée de vie on est sur quelque chose d’énorme, entre soixante et cent heures selon notre façon d’aborder l’aventure ; et si tant est que l’on se prenne au jeu, on ne risque pas de s’ennuyer, malgré la lenteur de l’ensemble. Pour finir, permettez moi de glisser un petit mot sur le système de sauvegarde particulièrement fastidieux, contraignant à dormir ou à boire un breuvage très rare. On a rarement vu pire à ce niveau dans le jeu vidéo.
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