Les Montagnes Hallucinées, tome 1 – Présentation et avis sur l’édition de Bragelonne
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Rédigé par Nathan Champion
Grand nom, s’il en est, du fantastique et plus généralement de la littérature, Howard Phillips Lovecraft n’a de cesse d’inspirer les créatifs de tous horizons. Il y a énormément à dire sur cet homme à l’imaginaire torturé, qui naquit et mourut à Providence, dans le Rhode Island. Ne serait-ce que par la récurrence des références qui lui sont dédiées au cinéma, tout indique qu’il était le maître de l’horreur, mais surtout qu’il est encore aujourd’hui reconnu comme tel.
Rien d’étonnant, alors, dans le fait que ses œuvres soient régulièrement rééditées, voire traduites à nouveau dans certains cas spécifiques. Parmi elles, Les Montagnes Hallucinées tiennent une place de choix. Elles ont en effet connu plusieurs éditions, allant même jusqu’à s’offrir une version entièrement illustrée par François Baranger (ayant déjà travaillé sur L’appel de Cthulhu en 2017) aux éditions Bragelonne. Jetons un œil au premier des deux tomes de cette nouvelle édition.
Sommaire
ToggleH.P. Lovecraft, savant fou parmi les hommes de lettres
Si aujourd’hui tout lecteur, ou presque, a déjà entendu le nom de Howard Phillips Lovecraft, ce n’était pas le cas lorsqu’il était encore de ce monde. Né en 1890 dans le Rode Island, l’auteur de moult récits fantastiques ne parvint pas à toucher le public avant sa mort, survenue brutalement en 1937. Le maître de l’horreur n’atteint la reconnaissance qu’on lui connaît qu’à titre posthume, obtenant par la même occasion son statut de pilier de la littérature américaine.
Renouvelant complètement un genre dans lequel Edgar Allan Poe et Mary Shelley étaient pleinement assis depuis un moment, Lovecraft a depuis inspiré nombre d’auteurs, de cinéastes et de créateurs en tout genres Aurions-nous eu des Hans Ruedi Giger ou des Clive Barker sans lui ? L’influence de ce grand nom de la littérature et de l’imaginaire est encore loin de se tarir, touchant même ce nouveau média qu’est le jeu vidéo de plein fouet.
En 2018 nous avions ainsi droit à Call of Cthulhu, inspiré de l’imagerie et des récits autour de la créature mythique de Lovecraft. Puis, un an plus tard, ce fut au tour de The Sinking City, prenant place dans un univers complètement ancré dans l’univers étrange de l’auteur. Dans une certaine mesure on pourra citer plusieurs autres œuvres vidéoludiques, notamment Alone in the Dark, Eternal Darkness ou Darkest Dungeon. La liste ne s’arrête évidemment pas là.
Les Montagnes Hallucinées, de son nom original At the Mountains of Madness, est une œuvre arrivée très tardivement dans la vie de Lovecraft. S’il l’écrit en 1931, elle n’est publiée qu’en 1936, et subit de nombreuses modifications décidées par l’éditeur. Mal reçu, ce récit étonnant rejoint finalement d’autres travaux de l’auteur dans le recueil Arkham House en 1939, mais n’est commercialisé qu’en 1985 dans sa forme originelle.
L’édition de Bragelonne nous arrive cette année en deux tomes bien distincts, reprenant évidemment le texte complet et original (celui que le monde découvre en 1985), mais se cramponnant malgré tout au format épisodique de parution des années 30. Ce qui laisse le temps à François Baranger de s’imprégner de ce texte mythique, de cette ambiance incomparable dont seul l’auteur de Providence a le secret, et de nous livrer deux morceaux d’histoire enrobés d’une couche d’illustration magistrale.
François Baranger, amoureux du récit et fin dessinateur
François Baranger, dont on ne peut que vous inviter à aller voir le travail pour vous rendre compte de son talent évident, oscille entre les casquettes de romancier, scénariste, concept artist et graphiste. Touche à tout, il est même le réalisateur de deux courts métrages à la fin des années 90, puis débute une courte carrière dans le jeu vidéo, média à qui il prête son pinceau. Il travaille d’ailleurs sur le célèbre Alone in the Dark : The New Nightmare en 2001.
Depuis lors, cet artiste aux multiples facettes a œuvré sur différents films, et est même revenu vers le jeu vidéo en 2007. D’abord pour Quantic Dream, chez qui il réalise divers concepts-arts pour Heavy Rain et Beyond Two Souls, puis chez Ubisoft pour The Division et Arkane Studios pour Dishonored 2. On reconnaît d’ailleurs la pâte particulière de François Baranger sur divers visuels du jeu d’Arkane, très sombres, et là encore inspirés de près ou de loin par Lovecraft.
Ce qu’il faut retenir de ces présentations, dont les puristes se seraient probablement passés, c’est que les deux hommes (ou plutôt leurs œuvres) étaient comme faits pour se rencontrer. Déjà avec L’appel de Cthulhu, le Français nous livrait une vision fascinante du roman de Lovecraft, enthousiasmante pour la suite de sa collaboration avec Bragelonne. Mais on ressent d’autant plus sa passion pour l’auteur de Providence avec cette version des Montagnes Hallucinées.
D’ailleurs, il est peut-être bon de noter qu’un autre auteur français célèbre et reconnu pour son talent fait une brève apparition au début de ce premier tome. C’est en effet le génial Maxime Chattam qui en réalise la préface, explorant brièvement son affinité personnelle avec l’œuvre de Lovecraft, avant de terminer sur une note qui ne peut que nous conforter dans notre appréciation transcendante de cette lecture : lui-même ne pourrait plus imaginer ce récit qu’il chérit sans les illustrations de Baranger.
Un récit magnifié
Ce qu’il faut comprendre avant de se lancer dans ce récit intense, c’est qu’en 1931, lorsque Howard Phillips Lovecraft écrit ces lignes, la conquête de l’Antarctique touche à sa fin. Pendant une quarantaine d’années, les explorateurs de tous bords ont bravé l’interdit de cette terre morte, jusque-là infranchissable. Cartographiant, illustrant et récoltant différentes données scientifiques dans ces lieux si impropres à la vie.
Les Montagnes Hallucinées arrive donc à point nommé, quelques années seulement après que les derniers conquérants acharnés aient quitté l’Antarctique. L’imaginaire collectif entrevoit alors des images plus concrètes de ces terres désertiques, qui gardent malgré tout une énorme part de mystère, d’ombre, propices à l’écriture de pareil récit fantastique. Malgré des débuts calmes et beaux, nous sommes chez le maître de l’horreur, et on s’attend évidemment à frissonner.
La grande force de l’auteur se situe dans sa faculté inégalée à ancrer son récit dans un univers réaliste, scientifiquement précis… avant d’y délayer avec une justesse sans pareille différents éléments du fantastique, qui ne détonnent plus dans ces paysages crédibles. Et c’est exactement ce qui fait la force des Montagnes Hallucinées. Un récit poignant, qui débute par un voyage sublime aux confins du monde, avant de sombrer dans une horreur glaçante.
Assez court, ce premier tome soulève de nombreuses questions, et parvient à accrocher solidement le lecteur, pour peu qu’il passe le cap des premières pages pouvant paraître un brin austères. Mais il est par ailleurs illustré par un pinceau qui parvient autant à susciter l’émerveillement, lors des découvertes de paysages inexplorés, que la répulsion lorsque sonne l’heure de faire monter l’angoisse. Le travail de François Baranger au dessin laisse tout simplement sans voix à de multiples reprises.
Terminons sur une énième note positive : nous avons hâte de découvrir la suite. Ce qui est autant dû à la qualité du récit, à l’immersion extraordinaire qu’il parvient à faire naître, qu’à sa fin brutale laissant tant de portes ouvertes.
Faut-il craquer pour Les Montagnes Hallucinées ?
Il est vrai que du haut de sa trentaine d’euros, ce premier tome fait un brin peur, d’autant qu’il ne peut qu’être suivi par une nouvelle dépense du même acabit si l’on accroche à ce récit et son adaptation graphique. Néanmoins, Bragelonne a visiblement à cœur de régaler ceux qui y mettent le prix. François Baranger nous livre ici un travail de haute volée, un dessin fin et toujours juste, qui ne peut que magnifier toute expérience à la lecture du texte exceptionnel de Lovecraft. Cette édition de grande taille est tout simplement un indispensable pour tout amoureux de l’œuvre de l’auteur américain qui n’en posséderait pas encore une dans sa bibliothèque.
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