Lifelong : Notre interview exclusive de Rem, développeur indépendant à la tête de cette satire du monde bureaucratique
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Rédigé par Florian
Cette année plus que jamais, l’AG French Direct a été l’occasion de découvrir en exclusivité plusieurs jeux révélés à l’occasion de la conférence. L’un de ces jeux, Lifelong, mérite toute votre attention car porteur d’une direction artistique tout à fait singulière et d’un message qui pourrait faire réfléchir plus d’une personne en abordant de manière très critique le salariat contemporain. L’occasion pour Rem, le solo game developer du studio montpelliérain Red Rabbit, de nous en dire plus sur ce projet qu’il supporte presque exclusivement seul depuis deux ans maintenant.
Pour ce reveal exclusif à l’AG French Direct, Lifelong s’est présenté en grande pompe avec un trailer exclusif nous présentant en quelques minutes son histoire et surtout son univers si particulier, celui d’un employé déambulant dans la société qui l’emploie, Scopesoft. Mais quoi de mieux pour en apprendre bien plus que de laisser la parole à son développeur, Rem, qui nous avons eu la chance d’interviewer.
Sommaire
ToggleL’enfer de la bureaucratie
- ActuGaming : Bonjour Rem ! Tout d’abord merci pour cette interview ! Pourriez-vous définir à nos lecteurs et lectrices votre rôle au sein de Red Rabbit ?
Rem : Bonjour et merci à vous pour l’opportunité. Excepté la musique et le sound design que je délègue, mon rôle dans Red Rabbit est de toucher à tous les autres domaines pour créer Lifelong, ce qui rend parfois compliqué le travail d’organisation et de production du projet.
- Le tout dernier AG French Direct a donc permis de lever le voile sur votre premier projet, Lifelong. En quelques mots, comment pourriez-vous présenter le jeu ?
Lifelong est un jeu d’aventure, d’exploration et de résolution d’énigmes à la première personne en noir et blanc. Le jeu traite de l’empire bureaucratique et de l’absence de sens dans certains emplois. Vous incarnez un employé du nom de Marcel Dämlich, esclave de l’entreprise la plus infecte qui soit : Scopesoft.
Alors que vous n’étiez qu’un sous-fifre, une télécommande aux pouvoirs incroyables est déposée par erreur sur votre bureau. Votre superviseur vous demande de la ramener immédiatement – mais c’est enfin l’occasion pour vous de vous échapper !
- Vous mettez un coup de pied dans une fourmilière en tentant de montrer les aspects les plus absurdes du monde du travail et en particulier des grandes entreprises dans une critique acerbe et contemporaine. Quels messages aimeriez-vous véhiculer en proposant Lifelong au public ?
Hum, je pense que j’aimerais surtout que cela suscite une réflexion sur le salariat contemporain et toutes les dérives qui y sont associées (aliénation, harcèlement, dépression, etc.). J’aimerais aussi que cela permette aux joueurs et joueuses de questionner leurs propres conditions de travail ou celles de leurs proches.
- On pourrait presque y percevoir une certaine lassitude du statut de salarié et la volonté de fuir ce qui ressemble presque à un enfermement sans fin. En tant que développeur indépendant, vous sentez-vous davantage à votre place désormais, et pourquoi ?
C’est effectivement le cas, cette vision négative que j’ai du travail n’est pas nouvelle, elle est intimement liée au milieu familial ouvrier dans lequel j’ai grandi et travaillé. Cette position de développeur indépendant me convient bien mieux, je pense que j’ai surtout eu la chance de pouvoir faire ce que je fais car j’étais soutenu par mes proches.
Cependant j’ai dû aussi accepter le fait que c’est un mode de vie marginal et précaire, c’est difficile d’en vivre et on ne compte pas ses heures. Il faut également ne pas se laisser culpabiliser par le discours véhiculé ces dernières années sur le mythe du « parasite social », discours auquel je ne crois bien évidemment pas et que je trouve extrêmement violent.
S’enfuir, sans jamais se retourner… ou presque !
- Après une longue session de jeu de notre côté sur une version concept, il nous a semblé que le gameplay de Lifelong demeure finalement assez facile à prendre en main mais devient redoutable en ce qui concerne certaines énigmes demandant une réflexion plus poussée. Parlez-nous justement de la conception des énigmes ?
Je pense qu’à l’heure actuelle certains passages ne sont pas bien équilibrés car les énigmes ont une progression de difficulté parfois trop importante. Bien sûr, à terme, la progression semi-linéaire du jeu permettra de moins ressentir ce déséquilibre.
Mon approche dans la conception des énigmes est d’essayer de toujours apporter une petite variation pour casser le sentiment de répétitivité. Je compte aussi beaucoup sur la variété des environnements du jeu, en y incorporant au fur et à mesure de nouvelles mécaniques.
- L’observation de son environnement semble avoir un impact important pour la progression du joueur. En découle de la manipulation d’objets de toutes sortes, des transferts entre personnes, mais aussi du contrôle au sens large de nos collègues à la tête en forme de télévision. D’autres mécaniques sont-elles prévues pour nous échapper de Scopesoft ?
Oui, il y a encore deux mécaniques que j’ai développées mais qui ne sont pas encore présentes dans le prototype. Il y a une fonctionnalité de la télécommande qui permet de regarder à travers un écran et de scanner son environnement, cela permet de mettre en évidence certains éléments du décor en couleur (oui oui, il y aura un petit peu de couleur dans le jeu). L’autre fonctionnalité permet de pirater des dispositifs, ordinateurs, portes, systèmes de surveillance.
- Le jeu semble regorger de secrets et de passages cachés. En effet, durant notre session de jeu nous avons pu par exemple trouver des figurines dans des coins bien cachés. Y aura-t-il d’autres secrets de ce genre ou des chemins parallèles pour arriver à nos fins ?
C’est l’objectif pour le projet complet, il faudra effectivement rester vigilant. J’ai déjà créé certains de ces moments et je vais m’efforcer de ne pas les communiquer pour ne pas gâcher la surprise.
- Plus globalement, savez-vous à l’heure actuelle de combien de niveaux sera composé Lifelong et combien de temps devrait prendre l’aventure au complet ?
Le jeu est découpé en trois actes, chacun ayant une thématique narrative et une thématique mécanique propre. Pour le moment j’estime la durée en ligne droite any% (quelque soit le pourcentage de complétion, ndlr) de 4h, et de 7 à 9h en explorant à 100%. Après, bien entendu, le temps de jeu varie en fonction du temps d’exploration et de la résolution des quêtes secondaires, des énigmes, etc.
- Nous l’avons vu, bien que la boucle de gameplay soit à première vue tournée davantage vers les énigmes et la manipulation d’objets, pensez-vous à y inclure des séquences davantage action ou ce n’est clairement pas le propos ?
Alors ça ne sera pas vraiment des séquences d’action mais j’ai prévu de rajouter des passages avec de la tension. Dans le jeu nous sommes amenés à circuler dans des endroits qui nous sont interdits, je travaille actuellement sur l’intégration d’une IA qui aurait la possibilité comme nous d’utiliser sa télécommande pour nous désactiver.
Broyer du noir sans être blanc comme neige
- Le parti pris artistique en noir et blanc est pour le moins original mais il semble à la fois très assumé. Pourquoi ce choix, et n’avez-vous pas peur des réactions clivantes de joueurs plus habitués au rendu plus classique ?
Non pas vraiment, j’avais conscience avant de commencer le projet que l’esthétique low poly, noir et blanc, ne serait pas au goût de tout le monde et ce n’est pas grave. Cependant, je pense que le jeu sera tout de même susceptible de rendre curieux même les plus sceptiques ne serait-ce que quelques instants car je pense que la proposition esthétique est originale (du moins c’est ce que l’on m’a souvent dit).
- Pour aller plus loin, comment s’est passée la genèse de cette patte artistique et a-t-elle selon vous un intérêt servant la narration ?
Dans Lifelong c’est la partie graphique que j’ai développée en premier. Je voulais comprendre comment Lucas Pope avait fait son shader pour Return Of The Obra Dinn et de fil en aiguille j’ai incorporé des hommes télévision, l’idée de l’entreprise, l’imaginaire de l’époque 60’s-70’s. J’ai ensuite articulé toute la dimension esthétique, onirique et scénographique autour du champ lexical de la télévision tube cathodique noir et blanc.
A mon humble avis, oui, elle a un intérêt servant la narration, le noir et blanc renvoie à un certain imaginaire, difficile de ne pas faire le parallèle avec le cinéma noir et blanc, de penser à l’expressionnisme allemand ou bien à Charlie Chaplin. C’est également pour moi un rappel à la torpeur, la résignation, très éloignées du sentiment de joie et du positivisme que peut provoquer la couleur.
Et la suite ?
- Avec son concept original et son visuel déroutant, Lifelong aurait de quoi intriguer de nombreux joueurs. Bien que le jeu ne dispose pas encore de fenêtre de sortie, songez-vous à le porter dans un second temps sur d’autres plateformes comme la Nintendo Switch qui s’y prêterait parfaitement ?
C’est intéressant car ce n’est pas la première fois que l’on me fait la remarque pour la Nintendo Switch. Je pense également que c’est une des plateformes où je verrais bien Lifelong. J’ai envisagé un portage sur les différentes consoles de salon mais malheureusement cela ne dépend pas vraiment que de moi. C’est en définitive surtout une question d’argent, cela dépendra de si je trouve des éditeurs enthousiastes à faire le portage.
- Avant de se quitter, avez-vous une anecdote ou une histoire insolite à raconter concernant Lifelong ? Quelque chose qui vous a marqué ou une anecdote de développement sur le jeu ?
Avant de s’appeler Lifelong, le projet avait pour nom de code « The Office » en référence à la série télé. À plusieurs reprise sur le réseau social X, j’ai posté des images du projet durant le #screenshotsaturday.
Alice O’Connor du magazine Rock Paper Shotgun a mentionné plusieurs fois le projet et certaines de ses phrases concernant le nom provisoire m’ont fait beaucoup rire à l’époque. Par exemple, « yeah I don’t see that name surviving » (Oui, je ne vois pas ce nom survivre), ou encore « Surely not for much longer » (Certainement plus pour très longtemps), ou des phrases comme « a working title I cannot imagine sticking » (Un titre provisoire que je ne peux imaginer coller).
En résumé, j’avais vraiment l’impression qu’elle m’incitait à trouver un vrai nom pour le jeu !
- Un dernier mot de la fin pour nos lectrices et lecteurs ?
Pour commencer, un grand merci à vous pour cette opportunité, de m’avoir laissé un peu de place pour parler de Lifelong. Enfin pour les lectrices et lecteurs qui sont arrivés jusqu’au bout de cette interview, j’espère que vous y voyez un peu plus clair sur les intentions derrière Lifelong. J’espère vous avoir intrigué et je vous dis à bientôt, peut-être nous retrouverons-nous dans les locaux de Scopesoft !
C’est tout ce que nous vous souhaitons car Lifelong est une œuvre indépendante et singulière, qui mérite réellement que l’on s’y attarde, comme en témoigne notre première prise en main sur le jeu dans le cadre de la préparation de l’AG French Direct 2024. Nous remercions Rem pour son temps précieux et ses réponses précises. Pour rappel, Lifelong a été annoncé lors de notre conférence de cette année et est prévu prochainement sur Steam. N’hésitez pas à wishlister le jeu si vous souhaitez soutenir le projet et que vous souhaitez vous aussi cet enfer au sein de Scopesoft.
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Date de sortie : N/C