Lorelei and the Laser Eyes – Logique implacable et surchauffe cérébrale
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Rédigé par Neomantis Dee
Déployé en mai 2024 sur Nintendo Switch et PC, le nouveau jeu du studio suédois Simogo (Sayonara Wild Hearts), n’a pas manqué de s’attirer le plébiscite de la presse et des joueurs, joueuses à l’international. Il faut dire que Lorelei and the Laser Eyes, outre son nom aussi mystérieux que plaisant à déclamer, est une réalisation particulière à plus d’un titre. Une œuvre envoûtante à l’évidence. Du moins, pour ceux qui pousseront le portail de l’hôtel en acceptant de plonger, à l’aveugle, dans un jeu fascinant.
Faute de pouvoir le tester en début d’année, nous profitons de sa ressortie sur PS4 et PS5 pour vous en parler. Parce que Lorelei and the Laser Eyes mérite l’attention. Notez, à toutes fins utiles, que ce retour d’expérience est garanti sans spoiler – sur l’intrigue comme sur l’expérience de jeu – , afin de préserver le mystère et la surprise de la découverte personnelle, importante ici.
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Tout débuta avec un titre formé de quelques mots : Lorelei and the Laser Eyes. Avant même l’idée d’un concept, d’une histoire à raconter ou d’une quelconque idée de gamedesign à exploiter, il n’y avait que ces mots. Cette phrase qui appelle au mystère et résonne dans notre esprit. Avec un nom pareil, même un mauvais accent lors d’une prononciation à voix haute ne gâche pas l’effet. Lorelei and the Laser Eyes… A l’image de cette dénomination et de sa conception nébuleuse, le soft ne pouvait que devenir une expérience radicale et singulière.
De même que la protagoniste est invitée à rencontrer un cinéaste italien dans un mystérieux hôtel, dans le but de participer à une expérience artistique peu commune, nous sommes invités en tant que joueurs à participer à cette dite expérience. Pour nous, c’est au travers d’une proposition ludique, pour notre héroïne il s’agit de bien plus. Comme l’expliquait Steve Fesser lors d’une interview (co-fondateur de Simogo et réalisateur sur notre sujet du jour), la protagoniste représente le joueur tandis que le cinéaste mystérieux, au cœur de l’intrigue, personnifie le processus créatif lors de la réalisation d’une œuvre d’art.
L’art sera d’ailleurs un thème omniprésent, en plus d’une metatextualité évidente. Le jeu va souvent dialoguer avec nous, comme avec la protagoniste dans la diégèse. Lorelei and the Laser Eyes souhaite nous perdre dans cette demeure pouvant rappeler le manoir Spencer, sur certains aspects. La structure non-linéaire de l’aventure ainsi que le level design cohérent et habilement agencé font écho à l’expérience du soft de Capcom. On multiplie les allers-retours d’une salle à l’autre, parfois sans savoir quoi faire, puis on finit par cartographier mentalement les lieux, en plus de trouver plusieurs cartes de l’hôtel (mentionnant les points de sauvegardes et les zones déjà visitées ou non).
Le seul frein étant notre cerveau et notre logique. Dans Lorelei and the Laser Eyes, tout est énigme. Le jeu donne ce qu’il faut d’éléments pour s’en sortir, mais aucune indication claire pour nous aiguiller. On ouvre des portes, puis une autre nous bloque juste après. Plus on progresse et découvre de nouveaux accès dans l’hôtel, et plus le mystère s épaissit. Que s’est-il passé ici ? Quel est ce lieu ? Et puis, ces dates qui ressurgissent constamment ? Il faudra chercher. L’objectif imposé est simple : il faut découvrir la vérité, graduée en pourcentage. La grande vérité n’attendant que d’éclater au grand jour. Mais pour espérer l’atteindre, il faudra être malin, attentif et comprendre la logique interne du soft.
Une page folle
Dès les premières secondes de jeu, nous sommes plongés dans une atmosphère singulière, où folie et absurde semblent cohabiter. Puis, quelques actions plus tard et les enjeux scénaristiques sont posés. On découvre l’hôtel ainsi que l’entrée gardée par une caméra de surveillance et un portail bloqué. Dès ce point précis, jusqu’au profondeur insondable de la luxueuse demeure, tout ne sera qu’énigme. Une sorte d’escape game mystique et à grande échelle. Fortement inspiré par le cinéma français et italien des années 60, parmi d’autres cinématographies européennes, le projet de Simogo reprend beaucoup au long métrage L’Année Dernière à Marienbad (1961) d’Alain Resnais.
Le nom de l’hôtel se réfère au titre du film du cinéaste français, mais cela va plus loin. L’esthétique du soft doit beaucoup au film de Resnais, dans son ambiance aussi, sans parler du pitch de départ. Pour autant, il y a presque autant de points communs que de différences entre les deux œuvres. Lorelei and the Laser Eyes s’en sert plutôt de socle pour se construire autour, tout en se réappropriant intelligemment certaines des intentions du film de 1961. A commencer par ce désir de nous perdre dans ce vaste lieu. L’Année Dernière à Marienbad usait des codes du cinéma de son époque et de la mise en scène pour perdre le spectateur, à grand renfort de transitions brutales et volontairement incohérentes, parfois, ou d’effets de style et de perspectives pour tromper notre œil.
Resnais cherchait à rendre les espaces faussement labyrinthiques. Lorelei and the Laser Eyes suit cette démarche, mais avec les codes et techniques propres au médium vidéoludique. Cela n’empêche pas les studios de convoquer tous les arts existants d’une façon ou d’une autre. Dans le but de servir une des réflexions de l’œuvre sur les domaines créatifs, notamment. Le soft regorge d’expérimentations vidéoludiques passionnantes, voire déconcertantes, témoignant d’un gamedesign parfaitement ciselé. L’immersion est totale, malgré les nombreuses surprises – à tout niveau – que réserve le jeu. Les musiques auraient d’ailleurs méritées davantage de présence pour nous bercer.
A l’instar du long métrage d’Alain Resnais, Lorelei and the Laser Eyes joue sur la porosité entre réel et virtuel, s’immisce dans notre réalité et joue avec la temporalité. Notre cerveau est constamment sollicité car tout semble faire sens. Dans chaque couloir, sur chaque mur peut se trouver un indice, une piste de réflexion. En rapport avec le scénario ou tout simplement avec notre progression. Ce que ne manque pas de rappeler le mystérieux cinéaste italien. Grâce à l’annuaire mis à disposition dans le jeu, nous pouvons le contacter et lui demander des « indices ». Des guillemets de rigueur, puisque le monsieur est littéralement obsédé par les métaphores et les dictons nébuleux, communiquant quasi exclusivement de cette manière. Même l’aide est finalement illusoire en ces lieux…
Otto e Mezzo
Notre cerveau et notre logique sont nos meilleurs atouts, la protagoniste que nous incarnons le sait également et, fort heureusement, sa mémoire photographique lui permet d’enregistrer automatiquement toute information glanée. A n’importe quel moment il est donc possible de s’y référer. L’occasion de mentionner l’ergonomie douteuse du titre qui se joue uniquement avec les directions pour se déplacer. Tandis que les boutons servent tous à la même chose : interagir avec le décor quand cela est possible, ou bien afficher le menu. Drôle de manquement, occasionnant des erreurs de manips et de légères pertes de temps. Rien de grave, on s’y habitue à la longue.
Parfois, il faudra gribouiller sur un papier avec un stylo, dans notre monde réel, pas dans le jeu. Quoique la frontière est fine en y repensant… Peu importe, le jeu le signale lui-même, se munir d’un papier est conseillé, mais pas indispensable. Et si la peur de voir l’immersion en souffrir soit légitime, force est de constater que la metatextualité de l’œuvre donne du sens à la démarche. Le travail de Simogo impressionne. Chiffres romains, notion de latin et connaissance de l’alphabet grecques sont exigées cependant, bien fouiner nous récompense de documents, extraits de livre et autre collectables précieux susceptibles de nous sauver la mise.
Quand bien même la centaine d’énigmes disséminées, dont des retorses qui feront surchauffer vos méninges, la logique interne du jeu est respectée et Lorelei and the Laser Eyes ne demande pas de solution trop alambiquée comme on en trouve dans la licence Runaway ou dans Grim Fandango. Une constante demeure dans le raisonnement attendu. Sans être simple, le jeu reste abordable, à condition de ne pas avoir peur de sécher pendant des moments qui pourront paraitre long. Cependant, du fait de sa non-linéarité, on ne reste jamais réellement bloqué par une énigme, nous sommes libre d’aller voir ailleurs pour se mesurer à une logique un peu différente.
Pas de satisfaction pour avoir explosé la tête d’un ennemi. Si influence Resident Evil il y a, comme dit plus haut, elle ne se trouve pas ici. Plutôt dans le côté backtracking et appréhension des lieux. Mais la dopamine est distribuée à chaque résolution d’énigme. Et on en redemande. En outre, l’intelligence du gamedesign de Lorelei and the Laser Eyes, c’est de parvenir à constamment nous donner l’illusion d’avoir été plus malin que le jeu. Et si tout est énigme, le mystère est tout autant présent. Dans la narration et dans le gamedesign. Quant à la direction artistique, convoquant a la fois Killer is Dead et d’autres productions Goichi Suda que des années marquées par les premières consoles de Sony, elle participe grandement à l’atmosphère si particulière du soft.
Particulière aussi par l’utilisation d’image de surimpression déstabilisantes de prime abord, mais terriblement cohérente avec les sensations et émotions recherchées par Lorelei and the Laser Eyes. Des choix de design, en passant par l’esthétique et la narration, tout est d’abord pensé pour être raccord avec les ressources créatives et financières du studio. Des faiblesses que les studios sont parvenus à exploiter pour en faire des forces et servir leur concept. La direction artistique découle avant tout de ces limites artistiques. Sauf que, finalement, les équipes ont su harmoniser l’ensemble pour garantir un tout organique et cohérent. Comme le dit Simon Flesser lui-même, c’était une manière de souligner « l’ambivalence » du jeu, sa dimension onirique.
Cet obscur objet de désir
Une œuvre pensée sans considération autre qu’artistique, nourrit par une réelle émulsion créative au sein du studio. Lorelei and the Laser Eyes brille par l’intelligence de son gamedesign en partie pour ces raisons. Une équipe créative motivée par de bonnes intentions, consciente de ses capacités, autant techniques que financières, et qui, comme certains cinéastes ou même d’autres studios de jeu vidéo, peut se féliciter d’avoir su tirer profit de leurs limitations diverses pour repousser leur créativité. C’est lunaire et déstabilisant, visuellement radical et peut-être repoussant pour certains, irrésistible et envoûtant pour d’autres. Cela étant dit, si les maigres informations dont vous disposez ne vous ont pas encore fait fuir, alors procurez-vous Lorelei and the Laser Eyes. Parce que c’est excellent.
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Date de sortie : 16/05/2024