Market Forces – Présentation et avis sur le roman de chez Bragelonne
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Rédigé par Nathan Champion
La science-fiction est à l’honneur ces derniers temps dans notre rubrique Livre. En quelques semaines, nous vous avons ainsi parlé de Neon Genesis Evangelion, un livre chez Pix’n Love, du roman Seule dans L’Espace, ainsi que du très bon Thin Air de Richard Morgan. Et comme nous vous l’indiquions dans notre récente chronique sur un ouvrage dont le nom rappelle étrangement un Blockbuster avec Matt Damon en tête d’affiche, nous revoici cette semaine avec un autre texte en provenance de l’auteur susnommé.
Richard Morgan, on ne le présente plus, puisqu’il s’agit de l’auteur de la saga Altered Carbon, que vous connaissez soit par les livres, soit par ses adaptations qualitativement inégales sur Netflix. Dernièrement, nous vous parlions de Thin Air, suite plus ou moins spirituelle de Black Man, se déroulant sur une planète Mars colonisée en bonne et due forme par l’espèce humaine. Mais cette semaine, laissez nous vous ramener sur Terre le temps d’un roman situé entre les univers de Philip K. Dick et de Paul-Loup Sulitzer : Market Forces.
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On ne va pas s’amuser à dresser une seconde fois le portrait de Richard Morgan, après l’avoir fait brièvement dans notre article sur Thin Air. Ce qu’il faut retenir, c’est que cet amoureux de la science-fiction est aussi un habitué des prix littéraires. Prix Philip K. Dick pour son premier roman, j’ai nommé Altered Carbon, prix Arthur C. Clarke pour le très bon Black Man, et enfin prix John W. Campbell Memorial pour le plus récent Market Forces. Force est de constater que la liste commence à être longue, et que l’ouvrage dont nous parlons aujourd’hui y figure fièrement, et pas sans raisons !
Avec Market Forces, Richard Morgan sort un peu de sa zone de confort, contrairement à ce qu’on lui reprochait à demi-mot lorsque nous parlions de Thin Air. En effet, au revoir les sociétés excessivement avancées, les colonisations totales du système solaire, ou encore le transhumanisme à la Deus Ex : Human Revolution. L’univers est, dans un premier temps, beaucoup plus terre-à-terre, mais aussi beaucoup plus contemporain, puisqu’il prend place en 2049, autrement dit dans un peu moins de trente ans.
Par ailleurs, si nous sommes bien dans un roman de science-fiction, c’est indéniable (quoique le terme d’anticipation est peut-être plus adapté), l’auteur a pris le temps d’ancrer son récit et son background dans une logique tangible, crédible. Ainsi, par bien des aspects, Market Forces nous rappelle notre propre société, qu’il critique allègrement, rendant le tout beaucoup plus digeste, mais aussi beaucoup plus impactant. Parce que contrairement à ses précédentes œuvres, qui se trouvaient à des années lumières de notre époque ou de notre planète, celle-ci semble littéralement prendre place sur le pas de notre porte.
Et cela tombe plutôt bien, puisque outre le fait qu’il soit très divertissant, mais nous y reviendrons, ce roman a aussi vocation à faire réfléchir ses lecteurs. La mention de Paul-Loup Sulitzer plus haut n’était pas vaine, puisque nous parlons bien d’économie, de finances, et des requins qui évoluent dans ce monde d’une violence inouïe. Une description qui évoquera des souvenirs à ceux qui connaissent l’auteur susnommé, mais aussi aux cinéphiles qui sont allés voir Le Loup de Wall Street. Notez toutefois que Morgan n’oublie pas de mentionner la colonisation de Mars, comme un écho à ses précédents romans, perdu quelque part dans le récit pour faire sourire les fans de son œuvre.
Des références auxquelles s’ajouteront aussi celles de l’auteur, et que l’on comprend beaucoup mieux après avoir bouclé la lecture du roman : Rollerball et Mad Max. Deux films qu’il a, de son propre aveu, vu bien trop jeune (comme beaucoup d’autres, d’ailleurs), et qui l’ont énormément influencé dans l’écriture de cet ouvrage. Un roman très brutal donc, tant dans la forme que dans le fond, mais paradoxalement tout aussi fin que pouvaient l’être ses précédents opus. Bref, une œuvre complète que nous avons beaucoup appréciée, inutile de le cacher.
Sulitzer VS Dick
Market Forces, c’est avant tout l’histoire d’une société dans laquelle la mort peut être donnée dans certaines circonstances, et même applaudie. Les loups de la finance ont évolué, muté, pour devenir de plus en plus puissants, de plus en plus influents, et de plus en plus inarrêtables. Tandis qu’ils détruisent des gouvernements entiers à coup d’investissements alléchants, qu’ils manipulent à leur gré les chiffres et donc ce que racontent les médias, il leur arrive parfois de devoir se battre au péril de leur vie pour le bien d’un projet. Ou pour conserver leur place. Ils se lancent alors dans des joutes brutales au volant de bolides surpuissants et blindés, et ce de manière parfaitement organisée, légale, voire filmée et retransmise en direct…
Au centre de ce monde parfaitement cruel, Chris Faulkner est un jeune opportuniste. Précédemment affilié à une entreprise modeste, il réalise un coup mortel très médiatisé, qui le propulse sur le devant de la scène et lui permet de postuler à une place de choix chez Shorn Associates, dans le milieu de la Gestion de Crises. Un poste à risque, mais qui rapporte très gros, lui permettant de s’habiller avec les costumes les plus fins du marché, de boire les meilleurs whiskys, ou encore de se payer des pleins d’essence pour son bolide. Chose pas si anodine que cela en 2049, date à laquelle le carburant est apparemment devenu tellement hors de prix que seule une élite peut se permettre de détenir un véhicule.
Ce dont il est loin de se douter, ou peut-être ce à quoi il préfère ne pas penser, c’est qu’avec son bureau flambant neuf et tous les avantages qui vont avec, il s’engage à certains résultats, quitte à devoir faire tuer femmes et enfants à l’autre bout de la planète pour y arriver. Une façon de faire qui ne lui convient pas, lorsqu’il arrive chez Shorn Associates, et dont il aura tout le temps d’observer les facettes au cours de sa carrière à l’évolution fort intéressante. Pendant ce temps, sa femme, qui est aussi sa mécanicienne, s’inquiète pour sa santé mentale, et a peur de le voir sombrer après avoir commis ou vu des actes terriblement sanglants.
Ainsi débute Market Forces, roman qui se détache de l’archétype du protagoniste badass dont a l’habitude Richard Morgan, au profit d’un jeune homme marié et presque sage, arrivé ici un peu par hasard, malgré une volonté certaine de gagner beaucoup d’argent. Idem du coté des personnages décrits à ses cotés d’ailleurs, dont le nombre est drastiquement réduit par rapport à un Thin Air, dans lequel on pouvait parfois se perdre après avoir posé le roman plus de 24h. Bref, un récit qui change par rapport à ce que fait le monsieur habituellement, et même qui change pas mal dans le paysage de la science-fiction dans lequel il évolue avec grâce.
Et ce n’est clairement pas pour nous déplaire, puisque l’originalité de ce récit n’a d’égal que son réalisme parfois troublant. Richard Morgan s’est documenté, et nous offre même une liste d’œuvres à aller voir en complément si le sujet nous intéresse. Le monde de la finance a certes évolué au fil des ans, mais ce qu’il nous décrit ne dénote finalement pas tant que cela par rapport à ce que l’on en connaît aujourd’hui. Autrement dit, les capitaux peuvent excuser et acheter beaucoup de choses, du silence de certains à la mort d’autres. On notera aussi cette captivante conversion opérée par l’argent sur l’esprit humain, que Morgan raconte avec une justesse délectable.
Mais ce que l’on retiendra le plus de ce roman, c’est sa brutalité, ou plutôt celle de son monde, qui finit paradoxalement par devenir banale aux yeux du lecteur. Le récit nous happe d’une manière étrange, et l’on se prend à avoir une réelle empathie pour ses personnages principaux, qui font face à certaines situations parfois très dures. Autant dans leur vie professionnelle que personnelle d’ailleurs, avec notamment de l’histoire de cœur palpable et déchirante. N’allons pas jusqu’à dire que Market Forces vous fera verser une larme, ce serait exagéré. Mais il est vrai que l’on se prend facilement à ses jeux de pouvoirs et de séduction, quand bien même le sang, l’argent et la malhonnêteté coulent à flot.
Faut-il craquer pour Market Forces ?
La réponse est oui ! Vous devez acheter Market Forces si vous avez un semblant d’atome crochu avec le monde de la finance, qu’il s’agisse d’une aversion ou bien d’un réel amour. Vous devez l’acheter si vous aimeriez voir ce que donne une fusion surprenante entre Mad Max et Le Loup de Wall Street. Et par dessus tout, vous devriez l’acheter si vous aimez la science-fiction, et avez besoin d’une bouffée d’air, puisqu’il s’écarte assez des archétypes que l’on voit très régulièrement pour faire souffler ce vent frais attendu.
Market Forces mérite à plusieurs égards le prix John W. Campbell Memorial qu’il a remporté. D’abord parce qu’il d’écrit une dystopie fascinante avec un réalisme troublant, parvenant à faire concorder l’image actuelle du monde de la finance avec celle bien plus brutale du monde de 2049. Ensuite parce que son récit, dont le rythme et la structure sont parfaitement calibrés, se dévore sans peine. Enfin, parce que ses personnages sont véritablement attachants, à l’exception de ceux que l’auteur veut nous faire détester, et que certains retournements de situation, pas toujours très prévisibles, sont bien sentis.
Acheter Market Forces sur AmazonPour toutes ces raisons, nous conseillons vivement Market Forces à des lecteurs avertis. À ceux-ci, rendez-vous chez Bragelonne ! Au-delà de sa brutalité dont nous avons beaucoup parlé, c’est aussi le fonctionnement de l’entreprise dans laquelle évolue le protagoniste qui peut rebuter, parfois complexe, pas toujours fascinante pour quiconque ne touchant sa bille ni en politique, ni en finance. Il écartera donc, très probablement, les lecteurs occasionnels, ou ceux qui n’ont aucune chance de comprendre les pistes que laisse l’auteur en suspend.
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