La Musique dans Zelda – Les clefs d’une épopée hylienne – Présentation et avis du livre de Third Editions
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Rédigé par Fauchinou

Les grandes sagas, tant sur le plan de la longévité qu’au niveau de la notoriété, font l’objet, au fil des ans, de bon nombre d’ouvrages visant à les décortiquer ou les analyser. The Legend of Zelda fait indéniablement partie de ces séries épluchées à travers les décennies, et à l’occasion de son 35e anniversaire, l’opportunité fut belle de s’attarder sur un pan entier et légendaire de la licence : sa musique, après avoir récemment abordé dans nos colonnes la création copieuse des éditions Soleil, centrée sur The Legend of Zelda: Breath of the Wild.
Avec La Musique dans Zelda – Les clefs d’une épopée hylienne, Fanny Rebillard est l’autrice qui a souhaité se pencher, pour Third Editions, sur ce patrimoine musical vidéoludique précieux, du tout premier Zelda à Breath of the Wild, en passant par l’incontournable Ocarina of Time, les épisodes DS ou encore les opus 2D réalisés en collaboration avec Capcom. Plus de trois décennies de compositions et de sound design ont donc été « détricotées », selon le terme glissé en quatrième de couverture, afin de retirer l’essence de ce qu’est la musique propre à l’une des sagas majeures du jeu vidéo, au bout des 248 pages que comportent le livre.
Sommaire
ToggleUne construction chronologique et didactique
L’autrice a choisi de décomposer son propos en quatre chapitres. Au sein du premier, ce sont les équipes derrière le son et la musique dans Zelda qui sont mises à l’honneur, avant de rentrer un peu plus en profondeur sur la musique de la licence en tant que telle. D’abord dans son rôle qu’elle mène étroitement avec le gameplay, puis dans un chapitre trois qui se concentre plus précisément sur les thèmes de la saga. Enfin, l’autrice aborde le fait que la musique de Zelda dépasse le cadre des jeux et qu’elle s’écoute beaucoup en dehors, via les reprises, les concerts ou encore l’édition de bandes originales.
Concernant le déroulé du propos, si The Legend of Zelda comporte autant d’opus qu’il diffuse des fragments de la légende d’Hyrule, ceux-ci ne se suivent pas toujours directement d’un point de vue chronologique. Par souci de simplicité, Fanny Rebillard fonctionne quant à elle d’une manière plus traditionnelle.
Tout au long de l’ouvrage, l’autrice étaye très régulièrement son propos dans l’ordre des épisodes sortis, et ce quels que soient les sujets sur lesquels elle s’attarde au cours des quatre chapitres. Il en résulte non seulement une question de fluidité, afin que les moins assidus ne se perdent pas au fil des noms de personnages ou de lieux énumérés, mais aussi de cohérence technique et artistique.
Evidemment, la technologie a évolué depuis 1986 et le premier épisode de la licence de Nintendo, et les visions des compositeurs, sound designers, ainsi que les autres métiers du son ont fatalement pu s’exprimer plus librement à mesure que l’enregistrement de la musique et des effets sonores ont gagné en diversité, réalisme et précision. Parcourir la saga de cette manière est donc tout aussi logique qu’agréable, que le lecteur soit néophyte ou illustre fan.
À ce sujet, si l’on possède toutes et tous une affinité et une implication variables envers Link et ses nombreuses aventures, il en va de même avec la musique. Ainsi, si une certaine quantité de termes musicaux ou d’instruments sembleront familiers aux musiciens, ils sonneront peut-être de prime abord comme obscurs envers les moins initiés. De prime abord seulement, puisque par un souci pédagogique, l’autrice n’omet pas d’annoter à chaque fois l’instrument, la technique de composition ou encore simplement le contexte de ses affirmations.
Cette attention a pour effet d’accompagner par la main toutes celles et ceux pour qui la musique ne s’écoute plus qu’elle ne se lit ou s’analyse, en introduisant ses codes d’un point de vue plus général, en dehors même du champ de Zelda ou du jeu vidéo.
La découverte ne quitte cependant pas le ludisme et les contrées hyliennes puisque l’autrice va jusqu’à introduire des extraits de partitions des différents thèmes de la licence à l’intérieur de ses textes, et ce dès la fin du chapitre deux. Un bon moyen d’illustrer le propos grâce aux repères visuels venant souligner l’analyse en cours, et source d’interactivité envers les musiciennes et musiciens souhaitant jouer ces fragments mélodiques entre deux lignes.
La philosophie de Kôji Kondô comme crédo
Le tout premier point sur lequel a voulu insister Fanny Rebillard, c’est fort justement sur les hommes et les femmes ayant construit cette identité musicale. Le plus célèbre et important d’entre eux n’est autre que Kôji Kondô compositeur historique de Nintendo.
Jouissant aujourd’hui d’une carrière admirable sur les séries Mario, et donc, Zelda, Kôji Kondô a rapidement séduit Shigeru Miyamoto, alors à la tête du Nintendo Entertainment, Analysis and Development (EAD) à l’époque, grâce à ses premiers travaux dont un certain Super Mario Bros.
Une reconnaissance qui l’amènera à participer sur le tout premier The Legend of Zelda et, à l’issue d’une confrontation avec cette figure historique de Nintendo, laisser une place importante au sound design grâce aux capacités du Famicom Disk System (une déclinaison de la NES utilisant le support disquette). Il s’agit alors du point de départ d’un travail émanant d’une philosophie basée sur trois piliers fondamentaux : rythme, équilibre et interactivité, notion à laquelle l’autrice reviendra tout au long du premier chapitre.
Dans les grandes lignes, il s’agit de dire que chaque jeu bénéficie d’un rythme intérieur qu’il est préférable d’adapter à l’action et la narration, que l’équilibre de l’instrumentation et celui entre les sons doit être préservé et notamment, tiens donc, entre la musique et le sound design, et qu’enfin l’interactivité liant le jeu au joueur doit pouvoir s’exprimer au travers des retours sonores auxquels ce dernier réagit, à l’issue des actions qu’il a effectuées.
Qu’il s’agisse des projets sur lesquels Kondô a directement et largement participé, des moments où il était davantage en retrait sur d’autres opus, ou encore y compris lorsqu’il ne fait purement et simplement pas partie de tel ou tel jeu de la saga, ces trois piliers formeront – et forment toujours – une sorte de Triforce à part entière à laquelle le patrimoine musical de Zelda est intimement lié, quelles que soient les équipes en charge.
Ce sont donc tout autant les personnes ayant œuvré aux côtés de Kôji Kondô que la génération suivante qui ont mis cette philosophie en pratique tout en appliquant leur propre patte. Citons par exemple un des nombreux noms importants de l’histoire musicale de Zelda, Hajime Wakai.
Celui-ci a notamment travaillé sur The Wind Waker, et placé l’interactivité sonore à un niveau de détail très pointilleux. À titre d’exemple, c’est de cet homme que l’on tient le concept dans cet opus de fragments mélodiques qui s’adaptent à chaque coup de Link, ou encore les musiques de boss qui subissent des variations selon la phase ou la situation du combat.
Egalement sound director sur Skyward Sword qui a connu ni plus ni moins qu’un orchestre pour la composition de cet épisode, le natif de Kyoto a aussi occupé cette fonction sur Breath of the Wild, dont il a complètement réimaginé l’approche sonore, bien plus épurée d’un point de vue purement musical mais pétrie de détails de sound design, ou encore sur le remake de Link’s Awakening.
On constate par ailleurs au fil de la lecture que le Link’s Awakening original, justement, n’a pas été composé par Kôji Kondô mais par les compositrices Kozue Ishikawa et Minako Hamano, accompagnées de Kazumi Totaka, chargé des effets sonores. Vous conviendrez, pourtant, qu’il s’agit certainement du Zelda dont la thématique musicale est la plus présente, en témoigne simplement la couverture du livre, reprenant les huit instruments de la Ballade du Poisson-Rêve.
Un épisode aussi marquant dont les musiques et autres sonorités restent profondément en tête, qui n’a pas été composé par celui qui a initié la légende musicale de Zelda, illustre plutôt bien la capacité à celles et ceux ayant pris le relais d’installer une continuité dans la qualité du travail fourni depuis 1986.
Nombreuses encore sont les personnes ayant amené leur pierre à cet édifice, et si toutes ne sont évidemment pas énumérées ici, Fanny Rebillard a tenu à leur rendre honneur et souhaite nous montrer, par ce focus détaillé sur les postes, les idées et les parcours des uns et des autres – qui s’étendent souvent à d’autres séries de Nintendo – qu’une véritable complémentarité s’est installée au fil des épisodes. Ce constat se veut d’autant plus remarquable dès lors que l’on prend en compte les contraintes technologiques racontées par l’autrice, certes de moins en moins pesante au fil des générations, mais qui dès le départ ont été déterminantes pour la suite.
Malgré une licence tentaculaire aux très nombreuses itérations, chacun a pu insuffler son style, son sens du détail, son respect du travail passé, toujours conformément à cette philosophie Kondô et sans jamais connaître de sortie de route, tant et si bien qu’il demeure compliqué de savoir à 100% qui a pu faire quoi, en raison de crédits incomplets.
Les dessous d’une musique mémorable
Il est très peu probable – voire impossible – d’avoir joué à un épisode de The Legend of Zelda sans en retenir une mélodie ou un son en particulier. L’Overworld, thème principal joué en extérieur et dont une version, plus ou moins remaniée, existe pour chaque opus, incarne sans doute l’un des symboles les plus forts ancrés dans la mémoire collective. On en compte bien sûr tant d’autres comme la douce Berceuse de Zelda, l’air tranquille et mélancolique du Village Cocorico, le thème apaisant des fées, ou celui réconfortant et familier propre aux maisons, et l’autrice fait la longue et détaillée démonstration de tout ce que ces morceaux et ces sons ont à raconter.
Qu’il s’agisse d’un personnage, d’un lieu particulier, ou « simplement » d’une ambiance, il existe toujours une idée derrière la composition, ce qui favorise, bien entendu, la capacité à s’en rappeler longtemps après. Prenons le cas du Village Cocorico, apparu pour la première fois dans A Link to the Past, dont le schéma de composition est basé, nous dit-elle, sur la forme couplet-refrain et, sonnant comme une ballade, offre une construction répétitive qui installe le joueur dans une routine et en fait un lieu convivial où l’on revient toujours avec plaisir. Parfait pour un village faisant le carrefour entre les différentes régions d’Hyrule.
Dans la construction d’un thème ou d’une ambiance, le choix des instruments est bien entendu primordial. Au sein des multiples donjons parsemés aux quatre coins des contrées hyliennes, l’atmosphère sonore sera bien entendu différente selon la topographie, la thématique des lieux et le danger qui y habite.
Ainsi le Temple de l’Ombre d’Ocarina of Time propose des percussions entourées de diverses sonorités et voix plutôt inquiétantes et mystérieuses. Les Ruines de Glace de A Link Between Worlds, avec « des timbres et harmoniques très aigus« , livrent une impression de froid intense. Enfin, à l’inverse, les donjons prenant place dans des volcans proposent « des percussions plutôt métalliques, des chœurs de voix masculines très graves » et des sons destinés à imiter les poches de gaz au contact de la lave.
La logique s’applique également aux peuples et à certains personnages. Les Gorons, plutôt imposants, se caractérisent souvent par l’usage soutenu de percussions et de tambours, tandis que les Zoras, tribu aquatique, suggèrent quant à eux une utilisation plus légère des percussions, et favorisent l’usage de la guitare et du steel-drum, offrant une mélodie plus douce et sert la dimension idyllique des lieux.
Ganondorf, l’antagoniste par excellence de la saga, dont le thème naquit à l’occasion de A Link to the Past bénéficie lui aussi d’instruments et d’une composition visant à l’identifier tout particulièrement. « Rythmiquement irrégulier, principalement articulé autour de chromatismes et de tritons accompagnés d’une basse martelant la même note », tel que le caractérise l’autrice, le thème de Ganon, bien que repris au fil des épisodes, conserve toujours les tritons, ces intervalles particuliers visant à souligner le malaise et le côté maléfique des personnages.
Par extension, on découvre au cours de la lecture que les thèmes d’autres méchants de la saga hylienne utilisent régulièrement ces tritons, comme pour évoquer les desseins qu’ils partagent au moins partiellement avec le Seigneur du Mal. Cette façon de symboliser des situations, des évolutions de personnages ou des événements scénaristiques par des réarrangements sur les thèmes ou par un usage précis de leurs motifs participe à une construction d’une véritable symbolique narrative par la musique. Et ce n’est pas le long passage sur les multiples utilisations des fragments de l’Overworld qui le contredira.
Toutes considérations de ce soin apporté aux thèmes faites, la grandeur musicale de Zelda ne se cantonne pas uniquement à ce qu’entend le joueur. Fanny Rebillard nous le rappelle très bien en dressant le concept de diégèse, un espace-temps dans lequel se déroule l’histoire, ici dans un jeu vidéo.
Cette notion très importante dissocie les musiques jouées au sein de l’univers hylien (diégétiques) – et que les personnages peuvent eux-mêmes entendre et pratiquer – de celles uniquement composées pour le joueur, qui habillent les cinématiques ou même l’action (extradiégétiques). Si les musiques dont nous avons parlé jusqu’alors relèvent de l’extradiégétique, ce qui rend la bande-son si particulière dans Zelda repose aussi sur celles qui sont diégétiques.
Link’s Awakening l’illustre très bien par exemple, où les instruments, simples objets de quête, jouent tous une petite partie de la mélodie finale. Marine, l’autre personnage principal du jeu, passe beaucoup de temps à chanter, ce qui a même pour effet de faire avancer l’intrigue à certains moments clés. La musique diégétique sert alors également le gameplay, et le Mambo de Manbo, servant à se déplacer, ou encore la Chanson des Grenouilles, ayant pour effet de redonner vie à des êtres inanimés, font partie de bien d’autres exemples soutenant le propos.
Impossible de ne pas citer l’ocarina dans Ocarina of Time et Majora’s Mask, où le joueur rentre directement les notes, via la manette, d’une musique que toute personne aux côtés de Link peut entendre, en plus des nombreux pouvoirs qu’elle peut conférer selon le chant joué. La Baguette du Vent de The Wind Waker rentre également dans cette catégorie d’instrument alliant musique diégétique et gameplay, avec la liberté de pratique de l’ocarina en moins.
Enfin il n’est pas envisageable non plus de ne pas mentionner les petits jingles – ou earcons, comme appelé par l’autrice – qui même s’ils ne découlent pas d’une composition complexe, suggèrent, par leur courte durée et leurs signes devenus aujourd’hui ô combien distinctifs, une réussite du joueur. Enigme résolue, trésor débusqué, quart de cœur glané, jusqu’à la simple récupération de rubis ou d’un cœur remplissant la barre de vie, tous détiennent un signal sonore reconnaissable qui titille notre mémoire ludique de joueur.
Fanny Rebillard nous démontre donc que, d’une multitude de manières et par différentes couches, la musique de Zelda s’est constituée au fil des épisodes une place forte et privilégiée dans le cœur des joueurs et des musiciens, issue d’un mélange entre des fragments de nostalgie, d’épopée ou encore de tendresse, parmi toutes les émotions procurées à chacun.
Faut-il craquer pour La Musique dans Zelda ?
Tant de points pouvaient être encore abordés tant l’autrice plonge en détail au creux de l’univers musical de Zelda. Nous vous laissons découvrir d’autres sujets intéressants tels que le rôle des personnages féminins, allant de demoiselle en détresse à figure forte ainsi que les personnages secondaires d’une manière plus globale, les manettes et le hardware qui ont pu influencer les partis pris musicaux ou tout du moins l’ont fortement servi, ou encore l’ampleur avec laquelle l’arrivée de la 3D a redistribué les cartes de la composition et du sound design.
Tellement d’éléments supplémentaires vous attendent au sujet des compositeurs et compositrices, ou à quel point la musique fut si mémorable pour beaucoup que face au manque de bandes originales officielles, une grande communauté de fans a créé moult reprises dans une large variété de styles. Grâce à cela et plusieurs années plus tard, Nintendo a ainsi pu prendre la mesure de ce trésor musical et enchaîner les collaborations pour faire vivre Zelda en concert.
Naturellement, il est plus que raisonnable de débourser les 24,90€ que coûte La Musique dans Zelda – Les clefs d’une épopée hylienne si la curiosité vous pousse à en savoir plus sur l’ADN musical de la licence de Nintendo. L’autrice fait part d’une grande minutie tout au long de ses démonstrations et analyses, en balayant aussi complètement que possible les aventures du héros à la tunique verte.
Tous les opus de The Legend of Zelda y passent, et chacun a quelque chose à nous raconter, soit individuellement, soit en faisant le pont entre les idées avancées par l’autrice. Il est donc évident que plus vous avez joué à la saga, plus vous aurez en tête les mélodies ou les sons qu’elle évoque et plus le livre de Third Editions vous parlera directement.
On assiste même parfois à une véritable dissection de la musique, avec tous les termes du jargon musical que cela implique. Encore une fois, les néophytes ne doivent pas prendre peur face aux passages à l’apparence un peu rude : tout est fait pour nous laisser approcher une musique qui, si elle est simple à retenir, est parfois complexe à analyser.
Acheter La musique dans Zelda sur AmazonCe fut d’ailleurs une volonté de Fanny Rebillard au cours d’une bonne partie de son ouvrage : proposer au maximum une analyse découlant de son ressenti, et ainsi faire parler davantage la musicologue mais également la joueuse de Zelda qu’elle est, et moins les sources extérieures. Celles-ci sont au passage très nombreuses et, représentant pas loin de dix pages, ont été placées à la fin du livre plutôt qu’à l’intérieur des annotations, afin que celles-ci soient plus lisibles.
Auprès des débutants ou confirmés vis-à-vis du langage et de la pratique musicale, et a minima familiers avec une ou deux aventures de Link, La Musique dans Zelda – Les clefs d’une épopée hylienne s’inscrit comme un ouvrage riche et didactique qui tiendrait sans nul doute sa place sur un étalage d’un magasin de Terry.
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