On a joué à Mouthwashing, et c’était très dérangeant
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Rédigé par Nathan Champion
Si l’on vous demande de citer des jeux dérangeants, peut-être aurez vous à la bouche des noms tels que Silent Hill ou Forbidden Siren, Clock Tower, voire Outlast. Des réponses qui trouvent sens, principalement, derrière le fait qu’il s’agit de Survival Horror, pensés pour faire peur en usant de mécanismes spécifiques. Usage modéré (ou non) de Jumpscare, ennemis vifs face à un protagoniste mou du genoux, munitions en faible nombre, Sound Design nous laissant entendre, au loin, tous types de bruits que l’on prend facilement pour des menaces lancées à notre poursuite… tous les moyens sont bons. Pourtant, nous sommes les premiers surpris, le jeu du jour n’a rien d’un Survival Horror, et n’use d’aucune des techniques précédemment citées, mais il s’agit à n’en point douter de l’une des expériences les plus étranges et dérangeantes de 2024. Ce jeu, c’est Mouthwashing.
L’échelle de Jacob
Non pas que nous n’ayons guère envie de rendre un bel hommage à ce titre surprenant, qui nous a personnellement conquis, mais écrire un test de Mouthwashing nous semblait tout à fait contre productif. D’une part, parce que le jeu de Wrong Organ, déjà à l’œuvre sur le non moins étrange How Fish is Made, est plus à rapprocher d’un Walking Simulator que de tout autre type d’expérience vidéoludique. Un genre assez singulier qui n’appelle pas facilement de note, ou d’avis purement critique, dans le sens où il est souvent conçu dans un but purement narratif, comme une expérience à vivre et dont retirer des émotions. Donneriez vous une note à une randonnée, vous ? Nous non plus ! Ainsi, cet article sera plutôt à la croisée des chemins entre la présentation et le retour d’expérience. Maintenant que c’est dit, embrayons.
Mouthwashing nous place aux commandes de deux personnages distincts, au cours d’une aventure de faible durée, que nous avons personnellement bouclée en moins de trois heures, ne lésinant pas sur les flashbacks et autres modifications temporelles qui finissent un peu par nous perdre. Premier point assez dérangeant, qui sera suivi par pas mal d’autres. Parce qu’en essayant de suivre l’histoire de Mouthwashing, malgré sa relative simplicité, on se demande souvent où, quand et qui l’on est. Pourtant, ce n’est pas compliqué en apparence. À chaque flashback, ou changement de temporalité, on nous affiche assez clairement quand se situe l’action, par rapport à la scène d’introduction. À nous de deviner, quand les personnages ne vendent pas la mèche, qui nous incarnons en fonction du moment.
Le contexte, c’est un vaisseau spatial voguant dans le vide intersidéral avec à son bord une cargaison commerciale. Nous et nos compagnons ne sommes qu’un équipage parmi d’autres dans l’infini interstellaire, lancés dans le but de livrer différentes denrées à des clients dont nous n’entendrons jamais parler au cours du jeu. Des voyages de très longue durée, plusieurs centaines de jours, qui nécessitent un groupe restreint pour éviter autant que faire se peut le moindre débordement. Malheureusement, c’est justement un genre de « débordement » qui touche dès la scène d’introduction notre petite bande et son vaisseau, propulsé sur une planète étrangère et inconnue par la main du premier personnage que l’on incarne. Un point de rupture qui va tout changer pour nos protagonistes, puisque aucun secours ne semble en route.
Or cette scène introductive donne bien le ton de l’aventure. Le jeu fait comme s’il nous laissait le choix d’envoyer ou non notre vaisseau s’écraser sur une planète extraterrestre, mais en réalité, une seule option permettra de progresser. S’en suit une séquence qu’on ne s’amusera pas à divulguer aux potentiels joueurs que vous êtes, mais qui, on vous l’assure, a de quoi faire rire autant que glacer le sang. Un constat qu’on retire, une fois l’aventure terminée, d’une grande partie de ses passages les plus marquants. L’équipage qui nous accompagne tient des propos parfois ambiguës, souvent amusants, mais il leur arrive d’être tout simplement menaçants ou de susciter des émotions voisines de l’inquiétude. Idem pour les objectifs qui nous sont donnés par un gros marqueur en haut de l’écran, parfois à s’étouffer de rire, parfois à se ronger les ongles. Une ambivalence qui déroute.
Curly, le capitaine du vaisseau, est gravement touché lors de « l’accident », et il demeure désormais allongé sur un brancard, dans l’infirmerie. De toute façon, il ne pourrait pas aller bien loin, puisque visiblement brûlé sur tout le corps, ce que l’on devine par l’utilisation systématique de bandages pour camoufler le maximum de parcelles de peau, et amputé de plusieurs membres. Il ne peut ni se mouvoir, ni s’exprimer, et il va falloir à plusieurs reprises prendre la responsabilité de lui administrer des calmants, plus pour l’empêcher de gémir que pour son propre bien. Ce qui passe par une mécanique là encore assez dérangeante, puisqu’il faut littéralement ouvrir la bouche du convalescent pour y glisser son « traitement », tandis que celui-ci fixe sur nous un unique œil partagé entre tristesse et incompréhension. Un petit côté Johnny s’en va-t-en guerre, pour ceux à qui cela parlera.
Ce que l’on retient principalement de Mouthwashing, c’est son ton décalé, et son ambiance singulière. Rarement une œuvre a su aussi bien conjuguer l’humour absurde et l’horreur, à part peut-être le film Tusk de Kevin Smith, qu’on ne saurait pas vraiment vous conseiller tant il convoque d’émotions désagréables. Mouthwashing, quant à lui, donne envie d’en connaître plus, et notamment de découvrir sa fin, tant son histoire et ses personnages parviennent à captiver, malgré une écriture somme toute assez simple. On retient aussi son aspect visuel très old school, rappelant vaguement les polygones grossiers d’une PlayStation première du nom dans la fleur de l’âge. Ses quelques personnages sont ainsi assez caricaturaux, reconnaissables entre mille, et le vaisseau, espace très restreint que l’on explore en long et en large, plutôt basique, globalement dénué de détails. On ressent tout de même quelques inspirations très sympathiques, parmi lesquelles Pandorum, Alien ou Event Horizon.
S’il suit un cheminement relativement compréhensible pendant une bonne partie de son aventure, Mouthwashing se permet toutefois quelques facéties. Jusqu’à son dernier tiers, tout du moins, qui bascule complètement vers l’horreur psychologique et l’absurde le plus total. Le tout menant à une fin qui laisse un léger sentiment d’inachevé, peut-être le seul reproche concret qu’on puisse faire au jeu de Wrong Organ. À titre personnel, nous avons bouclé l’aventure en deux sessions de jeu, une de trente minutes, et une d’un peu plus de deux heures. Contraints par des impératifs nous ayant obligé à segmenter notre partie, nous aurions, si cela avait été possible, probablement terminé le jeu d’une traite. Ce qui sonne à nos yeux comme un gage de qualité.
Alors est-ce que l’on recommande Mouthwashing ? Assurément, du moins à ceux qui pensent savoir où ils mettent les pieds. On déconseille toutefois de se renseigner le plus possible, de ne pas regarder d’images ou de vidéos de gameplay, sous peine de se gâcher le plaisir de la découverte. Parce que le titre est court, très court, et qu’il n’appelle guère de seconde partie. Nulle rejouabilité n’est à attendre de ce jeu vendu moins de 13 euros. Mais il saura toutefois marquer durablement. Un peu comme le très chouette Treshold, lui aussi édité par CRITICAL REFLEX, et à qui nous consacrions récemment un test complet. Si vous n’êtes pas sûr de vous, on vous conseille de vous essayer à How Fish is Made, précédente production de Wrong Organ, entièrement gratuite et donnant une idée du ton de Mouthwashing.
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