Pourquoi le moteur Unity est au cœur d’un grand scandale depuis sa nouvelle politique ? Le résumé de l’affaire
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Rédigé par Jordan
Il va sans dire que Unity est l’un des moteurs les plus utilisés de l’industrie, que ce soit des petits projets devenus gros comme Fall Guys et Among Us en passant par des jeux bien plus massifs comme Genshin Impact, même si les grands éditeurs préfèrent souvent utiliser des moteurs maison pour leurs AAA. Toujours est-il qu’il est l’un des plus répandus du marché et vous avez forcément déjà joué à un jeu qui l’utilisait. Aujourd’hui, l’entreprise derrière ce moteur fait face à une énorme polémique qui pourrait bien bouleverser toute l’industrie et mettre en péril certains projets, ce qui a suscité une vague d’indignation auprès de nombreux studios et développeurs indépendants, quand ce ne sont pas directement des acteurs plus massifs qui ont montré leur mécontentement. Explications.
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ToggleQu’est-ce qui a changé chez Unity
Pour pouvoir utiliser un moteur, les studios et développeurs doivent s’acquitter d’une certaine somme et de règles spécifiques, qui diffèrent selon chaque entreprise propriétaire de cette technologie. Si l’on se réfère aux données fournies par le journaliste Rami Ismail et PC Gamer, utiliser le moteur Unreal Engine serait par exemple gratuit jusqu’à ce que les revenus du projet dépassent le million de dollars. Après cela, et uniquement après, 5% des revenus seraient transférés chez Epic Games. Pour ce qui est de RPG Maker, qui est un moteur à bien plus petite échelle utilisé par les tout petits indépendants, il suffirait de payer environ 25 dollars pour se payer ses services, et ce une seule fois.
Pour Unity, c’est gratuit. Du moins, au début, selon la taille de votre projet et si vous ne payez pas Unity Pro, une version avec plus d’options. Mais hier, l’entreprise dirigée par John Riccitiello (Ex-Electronic Arts) a annoncé une nouvelle politique tarifaire très différente et de la manière la moins claire possible, s’attirant ainsi les foudres de toute l’industrie.
Le palier gratuit d’Unity devrait être complétement différent, car maintenant, les développeurs dont les jeux atteignent les 200 000 téléchargements (on ne parle pas de ventes) et obtiennent plus de 200 000 dollars de revenus devront payer 20 centimes par installation du jeu. Non pas par vente encore une fois, mais par installation. Pour les possesseurs de Unity Pro, le cap est cependant plus élevé avec un tarif moindre (on parle de 15 centimes à seulement 2 selon le nombre de téléchargements).
Ce qui veut dire que si l’on se fie ce schéma-là qui a été présenté au départ par Unity, si vous possédez un jeu et que vous devez le réinstaller, disons 5 fois, le studio derrière celui-ci devra payer 1 dollar à Unity si les conditions sont remplies. Si vous devez télécharger une mise à jour qui demande de réinstaller le jeu, le studio passe à la caisse. Imaginez aussi que l’on parle d’un jeu vendu à un prix minuscule comme Vampire Survivors, qui a pourtant été téléchargé des millions de fois. Et que dire des free-to-play ? La facture grimpe vite.
Qu’est-ce que cela implique ?
Une politique absurde qui amène à énormément de dérives. Tout d’abord, il vient la question des abonnements, de plus en plus nombreux au sein de l’industrie. Que se passe-t-il lorsqu’un jeu développé sur Unity se retrouve sur le Game Pass fort de ses plus de 25 millions de clients potentiels ? Une inquiétude légitime sur laquelle Unity s’est vite exprimée chez Axios, en déclarant que dans ce cas précis, ce serait à Microsoft de payer le coût de la taxe. Pas sûr que cela ravisse le géant américain, qui aura déjà payé les droits pour amener un jeu sur son service, et cela impactera aussi les indépendants étant donné que Microsoft pourrait maintenant être plus pointilleux dans sa sélection, étant donné les coûts supplémentaires.
Qu’en est-il des jeux vendus dans les packs du type Humble Bundle, notamment pour les actions de charité ? Les jeux vendus de la sorte peuvent-ils être taxés ? Là encore, Unity a sorti son plus grand damage control pour expliquer que dans le cas de jeux vendus de la sorte, la taxe ne serait pas appliquée, mais seulement à condition que le studio derrière le jeu prévienne Unity, soi-disant via une plateforme qui sera mise en place pour cela.
Autre problème, les démos de jeu. Au départ, il était légitime de penser que ce nouveau tarif s’appliquait aussi à cette pratique mais Unity a précisé les conditions. Cela s’applique bien, mais uniquement sur les démos qui sont en réalité comprises dans le jeu dans sa globalité, ce qui englobe donc les accès anticipés. Si une démo est faite à part du jeu et est proposée, par exemple, au Steam Next Fest, elle ne devrait pas être soumise à la taxation.
Vient alors l’ultime dérive, le piratage. On a beau l’oublier dans une industrie qui est de plus en plus lucrative, mais le piratage reste un fléau qui touche particulièrement les petits studios, notamment chez ceux qui sortent leurs jeux uniquement sur PC. Ces copies obtenues illégalement seraient tout de même comprises dans l’équation et seraient donc encore plus à perte pour les développeurs.
Et c’est sans parler de tous les autres soucis qui peuvent être liés à la pratique, car on imagine que des petits malins avec du temps à perdre pourraient se lancer dans des boucles de réinstallations du jeu afin de faire payer le studio derrière, ce qui serait une nouvelle forme de manifestation après le review-bombing. On ne parle certes que d’une petite somme, mais imaginez cela à très grande échelle avec des millions d’utilisateurs. Unity dit vouloir mettre en place un outil pour contrôler et lutter contre ce fléau potentiel, mais en l’état, l’entreprise ne semble pas avoir de mesures concrètes pour le moment. De plus, Unity a rétropédalé par la suite en indiquant que seule l’installation initiale sera comptée pour la facturation. Seul problème : par quels moyens Unity pourra-t-il vérifier cela ? C’est l’inconnu.
Les réactions de l’industrie
https://t.co/qg6yjZzL1d pic.twitter.com/5IJG9Hzgoc
— Innersloth 🦥 (@InnerslothDevs) September 12, 2023
Forcément, à la lumière de cette annonce et avant qu’Unity précise les contours de ces changements, une grande partie de l’industrie a pris la parole. Innersloth, le studio derrière le phénomène Among Us, a montré sa vive réprobation de ce nouveau système :
« Nous utilisons Unity pour nos jeux. Cela va non seulement nous affecter nous, mais aussi les autres studios de toutes les tailles et de tous les budgets. Si cela est mis en place, nous décalerons l’arrivée de nouveau contenu et nos portages attendus par les joueurs (comme d’autres l’envisagent déjà). Mais beaucoup de développeurs n’ont pas le temps ou les moyens de faire de même. Arrêtez ça. WTF ? »
Un message posté en réponse à celui du studio Aggro Crab, derrière Another’s Crab Treasure, qui arrivera en 2024 notamment dans le Game Pass. Il s’inquiète des dérives que cela entraînerait avec l’arrivée de son jeu sur le service de Microsoft, et si Unity a répondu à cela, pas certain que la grogne soit calmée pour autant. Massive Monster, le studio qui a développé Cult of the Lamb a lui aussi exprimé son mécontentement avec un long message dans la même tenue, et une vidéo pour le moins explicite :
Stop the stink @unity pic.twitter.com/ijme9wQ89m
— Massive Monster 🙏🐑 (@MassiveMonster) September 13, 2023
Quand ce nouveau tarif sera-t-il mis en place ?
Cette nouvelle politique tarifaire entrera en vigueur dès le début de l’année 2024. Une date butoir relativement proche qui donne la sensation que certains développeurs sont désormais pris au piège, s’ils devaient sortir un jeu d’ici quelques mois. Il est bien évidemment trop tard pour basculer des projets imminents sur d’autres moteurs, et l’industrie se demande maintenant si ce nouveau tarif n’est pas que le début de dérives encore plus grandes chez Unity. Ce qui ne serait pas étonnant étant donné qu’Unity a été obligé de réagir très vite pour donner plus de détails sur son projet, en faisant presque volte-face en quelques heures.
Après tout, John Riccitiello, président de l’entreprise (et qui n’est pas le dernier des vautours), vient de vendre 2 000 parts de sa société dans le cadre d’un grand plan de revente contenant plus de 50 000 parts. Quel hasard. On sent donc que cette nouvelle tarification était prévue depuis un moment et que l’entreprise s’apprête à enregistrer des revenus importants, du moins si tout le monde ne quitte pas le navire suite à cette annonce qui a provoqué de l’indignation chez une grande partie de l’industrie.
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