Pourquoi on aimerait un retour de Shadow Hearts ?
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Rédigé par Neomantis Dee
A l’approche du printemps et des beaux jours qui le suivront, pendant que des joueurs, joueuses par millions s’amusent comme des enfants innocents aux côtés d’Ichiban et Kiryu dans Like a Dragon : Infinite Wealth, que d’autres arpentent joyeusement les contrées de Final Fantasy VII Rebirth, quelques-uns choisissent d’aller se confronter à la noirceur du monde. A une époque d’apparence révolue, mais trouvant pourtant un écho dans les tourments qui fleurissent en ce 21ème siècle. Sans savoir véritablement dans quoi je m’embarquais quelques mois plus tôt, bien qu’au fait de la réputation de la licence, précisément le deuxième volet, j’ai entrepris de découvrir Shadow Hearts.
Un nom qui résonne et traverse le temps, comme ses jaquettes qui m’ont marqué même sans y jouer, une œuvre potentiellement culte de la PS2 s’enfonçant dans l’oubli. Il faut dire qu’espérer s’imposer en lançant un nouvel RPG au tour par tour entre 2001 et 2004 c’était culotté, de surcroît quand l’ambition était de se démarquer de la concurrence en reprenant des idées radicales d’un obscure titre de la PS1. Les studios réussiront, grâce à une communauté de fans bien réelle, certes, mais trop restreinte pour permettre à la licence d’atteindre son ultime volet, le véritable Shadow Hearts III. L’actuel troisième opus, intitulé Shadow Hearts : From The New World.
Il s’agit d’un spin-off ne reprenant pas l’histoire de Yuri, héros de la série, même si le scénariste iconique a fourni les grandes lignes et le concept global du jeu. C’est pourquoi je ne parlerai que des deux opus chapeautés par Matsuzo Machida. En outre, je n’ai que récemment découvert cet univers. Or, à peine remis de Shadow Hearts je me précipitais sur le gros morceau Covenant que je n’ai, à l’heure actuelle, pas encore terminé. En toute logique ce dernier ne sera pas au centre de l’attention. Cependant, après des heures investies, et suite à la claque infligée par le premier opus, une force naquit en moi et me poussa à écrire. Déclarer ma flamme à une œuvre qui, je l’espère, s’extirpera des ténèbres qui la retiennent.
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Tout d’abord, afin de mieux appréhender le projet Shadow Hearts, il convient de mentionner ses origines, à savoir la création du studio Sacnoth, qui se renomma Nautilus en 2002, par Hiroki Kikuta, compositeur sur Secret of Mana et plus récemment Indivisible. S’il est le principal instigateur de cette démarche nourrie par le désir personnel de créer un jeu, il n’a évidemment pas œuvré sans aide. Outre le soutien financier de SNK qui, selon les dires de Norimasa Hirano voyait en Sacnoth un studio indépendant entièrement libre créativement, des artistes expérimentés rejoindront l’aventure.
Le studio, composé majoritairement de vétérans du milieu ayant quitté Square, fut bâti dans un but précis : réaliser le RPG tant désiré par Kikuta. Au sein de Square il était cantonné malgré lui à son rôle de compositeur, quand bien même son envie de développer son propre projet, mais SNK lui offrit cette opportunité. Naîtra alors Koudelka, un obscur soft de la PS1 sorti en 1999 et possédant une ambiance singulière, une bande-son tout aussi atypique, sans compter quelques bonnes idées de game design perdues au milieu d’errances plus handicapantes.
Une œuvre plus qu’imparfaite découlant d’une production difficile marquée par de sérieuses divergences créatives entre Hiroki Kikuta et ses équipes. Cela poussera le compositeur à démissionner de son poste de PDG et abandonner le studio. Cela étant dit, Koudelka aura été la graine qui n’attendait que de germer dans les bonnes conditions. Kikuta parti, Sacnoth s’attellera rapidement à un nouveau jeu, un RPG toujours aussi ambitieux et original, mais davantage ancré dans leur vision, précisément sur la partie gameplay, point de désaccord majeur sur Koudelka.
Cette fois-ci, l’écriture et la réalisation sont laissées à Matsuzo Machida, jusqu’alors directeur artistique sur le premier jeu du studio. Le choix sera fair de reprendre l’ambiance sombre et singulière du bébé de Kikuta qui désirait initialement réaliser un RPG horrifique loin de la légèreté systématiquement retrouvée chez les mastodontes Dragon Quest et Final Fantasy, pour ce qui deviendra Shadow Hearts. Machida ajoutera sa petite touche personnelle, redéfinissant l’univers et amenant une base historique qui deviendra une des signatures de la série.
Demon’s War
Une des spécificités du monde de Shadow Hearts c’est le fait qu’il prenne racine sur des faits connus de notre histoire avec un grand H. Ne se privant d’ailleurs pas d’inviter diverses personnalités ayant réellement existé et d’injecter tout un tas d’éléments fantastiques mêlant magie, rites occultes, sectes douteuses et démons en tout genre. La passion de Machida pour l’histoire devait servir la licence en lui donnant une identité. Visuellement cela se retrouve avec la proximité avec le réel qui tranche avec les habituels univers de fantasy et de science-fiction clairement sur-représentés dans le genre, aujourd’hui encore.
Narrativement aussi, puisque Shadow Hearts s’ancre dans une certaine réalité, plaçant l’intrigue du premier épisode en 1913 et nous invitant à parcourir une Chine menacée par l’envahisseur japonais, ainsi qu’une Europe aux portes de la première Guerre Mondiale. La suite, Shadow Hearts : Covenant, se déroulera en 1915 et débutera son aventure dans les rangs de l’armée allemande avant de nous emmener en France combattre un puissant démon. Quant au troisième opus paru, Shadow Hearts : The New World, bien que non canonique, il inscrit lui aussi son intrigue dans un morceau de notre réalité en abordant la prohibition et la crise de 1929 aux USA.
Cela permettra au scénariste d’aborder des thématiques plus sombres et matures que les modèles de chez Square. Non pas que Final Fantasy VII n’abordait pas de sujets sérieux, bien au contraire, les questionnements et enjeux explicites sont encore d’actualité 25 ans plus tard. Mais disons que le soft de Sacnoth lorgne vers un ensemble plus obscur, plus glauque même. La scène introductive du jeu parle pour elle-même en nous introduisant celui qui sera le héros de la série, Yuri. Un individu plus douteux que les héros de RPG déployés çà et là. S’il reprend un peu le cliché de la brute niaise que le Shonen Nekketsu ne renierait pas, il s’avèrera plus intéressant que ça, en plus de disposer d’un charisme évident.
Solitaire et bien plus déséquilibré psychologiquement qu’un Cloud Strife, il est d’abord difficile de cerner le personnage. Mais on parvient à s’attacher à lui, en partie via sa relation avec Alice qu’il sauva lors de leur rencontre dans le train durant la scène introductive. Un caractère proche de l’antihéros et qui aura un semblant de sens dans le game design de Shadow Hearts. Il faut en effet savoir que Yuri est un harmonixeur, c’est-à-dire qu’il est capable de se transformer en démons, en fusionnant avec leur âme, et ce pouvoir sera un élément important dans le gameplay de la licence, tout en ayant son rôle à jouer narrativement.
Violence Yuri
Utiliser ses facultés obligent Yuri à se mettre en danger mentalement, la folie le guettant à chaque transformation, lui qui entend déjà des voix dans sa tête. Ainsi, chaque ennemi vaincu remplira une jauge de maléfice qui changera de couleur au fur et à mesure jusqu’à ce que la mort apparaisse littéralement pour défier le jeune homme dans le but de le tuer. Contraint d’attirer les démons à lui à cause de cette malédiction, Yuri nourrit aussi le maléfice et la folie qui l’habitent. Afin de ne pas sombrer, il devra régulièrement se purifier via le cimetière spirituel qu’il est seul à pouvoir visiter.
Un lieu où les âmes démoniaques subsistent et n’attendent que d’être apprivoisées pour qu’ensuite Yuri puisse acquérir la faculté de fusionner avec. C’est un véritable fardeau qui pèse sur ses épaules. La santé mentale sera un réel enjeux dans les jeux de la licence et cela va également trouver un écho dans le gameplay avec les points d’équilibre mental qui vont systématiquement diminuer pendant un combat. C’est une des spécificités des affrontements pourtant classiques en tour par tour. Dans Shadow Hearts il est impératif d’écourter les combats pour ne pas succomber à la folie une fois son équilibre mental à zéro.
Auquel cas vos personnages feront n’importe quoi et s’attaqueront entre eux. C’est un état qu’il faut à tout prix éviter. La seconde mécanique signature c’est l’anneau du jugement, un disque sur lequel apparaissent plusieurs parcelles colorées et sur lesquelles il faut réussir à appuyer quand le curseur passe dessus. Le principe est simple, chaque action effectuée, attaquer, jeter un sort ou utiliser un objet, nécessitera de jouer de l’anneau du jugement. Une erreur et l’action échoue, tandis que pour les attaques à coups multiples cela réduira le nombre de coups portés. En revanche, se montrer précis octroiera des bonus de dégât ou d’efficacité pour les objets ou sorts.
Pour en revenir à l’équilibre mental, il faut savoir que la mécanique n’est pas handicapante dans Shadow Hearts premier du nom, le challenge global étant relativement faible. Cependant, Covenant se montre un poil plus technique et demandera davantage de planifier une stratégie de combat pour ne pas vriller. Déjà qu’en terme ludique c’est prenant comme gameplay, l’anneau du jugement oblige à être actif mais ajoute aussi du contrôle au joueur, joueuse. D’ailleurs, même si c’est limité dans les faits, les ennemis sont capables d’endommager l’anneau en rétrécissant les zones de frappes, en les brouillant, etc.
L’Ennemi Intime
Un gameplay qui sera approfondi dans Shadow Hearts : Covenant avec de la personnalisation pour modeler les anneaux à sa convenance, entre autres. Cette suite va de toute manière faire la même chose en mieux, ainsi les combats s’étofferont de combos réalisables avec les membres de son équipe, fonctionnant en enchaînant attaques normales, puissantes ou bien des projections aériennes, un écrasement au sol, une magie, etc. Avec toujours cette urgence de devoir plier les affrontements le plus rapidement possible. Manière astucieuse pour ne pas bêtement allonger les combats.
C’est également une mécanique qui fait sens dans un univers aux démons inspirés des créations de H.P. Lovecraft. sa tendance à traiter de la folie. Les aspects horrifiques paraissent pas mal atténués dans Covenant pour un résultat moins déroutant que Shadow Hearts premier du nom. Dans ce dernier l’horreur transparaissait des visuels comme de l’OST parfois mystique, pour ne pas dire bizarre, mais de qualité certaine et qui reste en tête. Du beau monde s’est démené pour obtenir un tel rendu. Citons le compositeur de Bomberman 64, Yoshitaka Hirota, dont le CV mentionne un passage par le sound design dans Chrono Trigger, Parasite Eve, Front Mission et Final Fantasy VII, rien que ça.
A ses côtés, nous retrouvons Yasunori Mitsuda (Chrono Trigger, Xenobalde, Sea of Stars), ainsi que Masaharu Iwata crédité sur les bandes-son de Final Fantasy Tactics et Odin Sphère, tous ayant su pondre des partitions mélodieuses, parfois presque expérimentales, pour mettre en musique cette aventure si particulière. Ce qui, initialement, semble n’être qu’un bordel décousu laisse finalement place à un tout musicalement pertinent et cohérent avec des morceaux sortant clairement du lot. Covenant continuera sur la même lancée malgré l’approche moins « bizarre », quoique. Je vous invite à écouter Brain Hopper dans Shadow Hearts, qui me hante encore la nuit, et le morceau Vicious 1915 – Battle in Europe provenant de Covenant.
Dans le cas du premier opus, ce foutoir rejoint l’esthétique un peu crade du jeu. Le manque de moyen est visible et faisait un peu tâche à l’époque, et Covenant s’en sortira beaucoup mieux. Cependant cela lui confère un charme et participe à son identité. De légères imperfections comme des rides sur un visage formant sa singularité, malheureusement atténuées dans l’épisode suivant plus « lumineux », ce qui était une réponse à certaines critiques reçues par les premières pérégrinations de Yuri. Fait notable, c’est bien ce que l’on peut nommer « mauvaise fini » qui sera canonisé dans le second volet.
Pourquoi on aimerait un retour ?
Matsuzo Machida avait des choses à raconter en plus d’un jeu à nous faire jouer. Et selon lui, parfois, des messages doivent être transmis via la noirceur et l’horreur pour en amplifier l’impact chez le récepteur. J’ai ressenti ce désir dans Shadow Hearts, cette envie de nous montrer que dans les pires ténèbres réside toujours une source de lumière. Le game designer le dit lui-même dans une interview au sujet de la licence. Quand bien même l’horreur, le cauchemar que l’époque de la première Guerre Mondale représente et connote, il ne faut pas occulter le positif qui a pu en émerger à l’instar des diverses avancées scientifiques et les inventions imaginées.
Un principe rappelant le Yin & Yang et qui apparait dans le gris caractérisant la morale des personnages dans Shadow Hearts. Même Albert Simon, aka Roger Bacon, référence explicite au Hannibal Lecteur interprété par Anthony Hopkins dans Le Silence des Agneaux, dévoilera un autre visage au fil de l’intrigue. Parmi les influences revendiquées pour l’élaboration de Shadow Hearts, les travaux du scénariste Keisuke Fujikawa (Mazinger Z, Galaxy Express 666), le déjà cité Lovecraft ou encore l’emblématique manga Devilman de Go Nagai, duquel on retrouve des éléments empruntés du héros mais aussi la violence psychologique.
Pour Machida, Shadow Hearts parle d’amour et de la notion de bonheur, plus explicite dans Covenant, quêtes qui animeront plusieurs personnages, principaux comme secondaires, tous étant hantés par un drame personnel. Puis la mise en scène gagnera en maîtrise sur l’épisode 2 par soucis d’immersion, et de narration. On gagne en compréhension, en profondeur aussi et l’impact n’en est que plus grand sur nous, joueurs, joueuses. De surcroît après un premier opus à la traduction française catastrophique. Ne serait-ce que pour cette raison je souhaite voir un remaster de la duologie. La trilogie me va aussi très bien, mais quitte à prioriser…
Un reboot ou un remake ne m’intéresse pas plus que cela et demanderait trop d’effort, trop de risque financier, même si je pense qu’il y a de quoi reconquérir un public. Quant à l’espoir de voir un jour le véritable Shadow Hearts III, cela semble bien enterré. C’est pourquoi Machida et quelques membres de Nautilus (anciennement Sacnoth) travaillent depuis 2019 sur un intriguant jeu intitulé Penny Blood. D’après le timide teasing publié, la vibe Shadow Hearts est bien là et le projet se présente clairement comme un fils spirituel qui, j’espère, parviendra à se concrétiser.
Refaire un Shadow Hearts, c’est s’exposer à des choix artistiques douteux, les qualités du spin-off From The New World n’ont clairement pas suffi à sauver la série. L’absence de Yuri et l’ambiance moins sombre ont fortement pesé dans la balance. Non, ce que je souhaite, et je pense que c’est le mieux pour la licence, c’est simplement un retour de ces opus dans leur état quasi naturel. Les rendre accessibles sur consoles actuelles, avec deux, trois corrections ergonomiques, à défaut de mieux. Le paysage du RPG n’a pas tant changé ses habitudes, hormis la tendance à délaisser le tour par tour, et Shadow Hearts serait encore unique aujourd’hui je n’en doute pas.
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