Pourquoi on aimerait voir un retour de Stranglehold ?
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Rédigé par Neomantis Dee
Vendu à 1 million d’exemplaires pour le moment, Sifu est un titre qui puise son essence dans la philosophie des arts martiaux chinois, proposant une retranscription réussie des fondements propres à la pratique du kung-fu notamment. Une intelligente résonance avec les films du genre, les clins d’œil fourmillent. D’ailleurs, par le fait d’être un jeu vidéo l’expérience se veut plus sensitive, plus tangible, à la différence du spectateur d’un film qui est finalement passif. Stranglehold, qui nous intéresse ici, est aussi un titre qui a su prendre source dans une philosophie à rapprocher des arts martiaux. En l’occurrence, les films de John Woo. Le jeu s’approprie l’essence de ce cinéma pour la transposer dans son gameplay et ainsi permettre aux joueurs, joueuses d’être au plus proche du héros incarné. De surcroît, depuis la ressortie du titre sur PC en 2019, les ventes ont fini par atteindre le million.
Stranglehold est un jeu de tir à la 3e personne créé par John Woo lui-même, développé via Tiger Hill Entertainment et édité par Midway. La particularité de l’œuvre, au-delà de la présence du cinéaste aux commandes, c’est qu’il s’agit d’une suite au film de 1992 réalisé par Woo, Hard Boiled. Un polar musclé qui donne la part belle à l’action survitaminée et stylisée, à grand renfort d’effet de Bullet-Time et de chorégraphies improbables. Des séquences d’action qui représentent 70 % de la totalité du film. Hard Boiled met en scène l’acteur Chow Yun-fat dans le rôle du flic Tequila Yuen. Un acteur de légende et coutumier des œuvres de John Woo, qui va ici prêter ses traits et sa voix pour les besoins du jeu.
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Pour comprendre la proposition de John Woo avec Stranglehold, il faut d’abord rappeler brièvement qui est le monsieur. C’est un cinéaste hong-kongais important, dont la légende s’est construite en 1986 avec un film co-réalisé avec Tsui Hark, A Better Tomorrow (Le Syndicat du Crime en version française). Une œuvre majeure, qui fit connaître Chow Yun-fat, l’érigeant en figure de héros badass. Un film viscéral et violent, mais non sans une forte dose de cool et de style, qui aura une influence certaine à l’international. Au point que les gangsters de Hong-Kong de la fin des années 80 vont fortement s’inspirer du style vestimentaire des personnages du film. Lunettes noires et longs trench-coat. Un peu à l’image des mafieux qui reprirent le langage et les manières des figures du Parrain.
Avec cette œuvre, en plus d’autres comme The Killer, généralement avec Chow Yun-fat en tête d’affiche, John Woo va révolutionner le cinéma et la façon de filmer l’action. C’est à cette période que vont éclore de nombreux polars violents qui marqueront plusieurs générations. Couplé à son acolyte Chow Yun-fat, les deux hommes vont populariser le Bullet-Time, les impasses mexicaines et l’utilisation de deux flingues dans la culture populaire. Matrix ou encore le cinéma de Quentin Tarantino y rendent clairement hommage. Côté jeu vidéo, récemment My Friend Pedro semble se réapproprier tous les codes inaugurés par Woo. Mais c’est évidemment Max Payne qui reste le plus digne représentant, en plus d’être le premier. En 2007 c’est Stranglehold qui, logiquement, s’inspirera à son tour de la licence de Remedy pour bâtir son gameplay. La boucle est bouclée.
Pour autant, les deux œuvres sont finalement assez divergentes dans leurs intentions. Stranglehold porte forcément bien plus la patte du cinéaste, en plus de jouir de la présence de Chow Yun-fat. Du fait d’avoir incarné plusieurs personnages avec tous cette même affiliation martiale dans le maniement des flingues, l’acteur appuie les ambitions des studios. C’est avant tout un condensé de la filmographie du cinéaste. L’approche de l’action n’aurait clairement pas dépareillée dans un Devil May Cry. Tandis que Max Payne, plus narratif, va vraiment se servir de ces codes, et de bien d’autres, pour se construire une identité propre, baignant surtout dans le film noir.
Le Syndicat du crime
Fort de ses expériences techniques et de sa maîtrise des scènes de gunfight dans Hard Boiled, John Woo a semble-t-il voulu insuffler toute cette folie et créativité dans Stranglehold. Probablement avec le désir de rendre l’expérience plus viscérale et concrète pour des spectateurs maintenant joueurs. Tout fan s’est déjà imaginé dans la peau de Chow Yun-fat sur grand écran, voilà que c’est maintenant possible, toute proportion gardée, de l’incarner, de mettre en scène ses propres séquences d’action. Après la sortie de Psi-Ops : The Mindgate Conspiracy, Midway souhaitait mettre sur pied un titre basé sur une licence existante, mais pas nécessairement vidéoludique.
Une mise en relation avec John Woo sera rapidement faite. Il faut dire que ce dernier avait co-crée les studios Tyger Hill Entertainment dès 2003. Stranglehold, deviendra alors le premier jeu du studio, en plus d’inaugurer l’Unreal Engine 3 pour Midway. En choisissant d’offrir une suite à son film mettant en scène le personnage de Tequila Yuen, Woo signale tout de suite ses intentions. Présenter un jeu vidéo survolté et capable de procurer autant de jouissance dans le gameplay que son film pouvait en offrir visuellement. L’équipe de développement d’une cinquantaine d’individus a dû se farcir la filmographie du cinéaste afin d’en saisir l’essence, de comprendre comment imiter son style cinématographique. Il en ressortira la nécessité de se concentrer sur la précision et la fluidité des mouvements du héros, ainsi que sur la réalisation d’environnements destructibles.
Au vu du travail colossal à effectuer, sachant en plus que l’Unreal Engine 3 était encore en développement à cette période, les développeurs ont dû redoubler d’effort, jusqu’à opérer des modifications sur le moteur du jeu. Il en résulte le Massive D, une technologie permettant de détruire presque intégralement des décors. On notera aussi l’usage de dommages localisés, dans le but d’avoir des ennemis qui réagissent différemment en fonction de la zone touchée. Ceci cristallise une signature du cinéaste qui abuse des ralentis pour accentuer l’expression de douleurs des victimes. Stranglehold contient aussi des publicité sur des produits réels. En cause, un partenariat entre l’éditeur et une agence publicitaire. Cependant, cela rapproche un peu plus le jeu du film dont il fait suite. Midway serait aussi responsable du mode multijoueur qu’il aurait imposé, empiétant sur le temps de travail alloué à la campagne solo. À titre informatif, selon les dires du directeur marketing européen, les coûts de productions s’élèveraient à 30 millions de dollars.
The killer
Jeu de tir, Stranglehold nous glisse dans la peau du flic aux méthodes musclées, Tequila Yuen. Durant l’aventure qui se divise en sept chapitres, vous devrez combattre des gangsters de Hong-Kong à Chicago. Linéaire et basique dans sa structure, le jeu entretient une parenté évidente avec les Beat’Em All. Avec des niveaux où il faudra terrasser des hordes d’ennemis et quelques boss en usant de vos skills et en multipliant les morts stylées. Pour vous aider, vous disposez d’un panel de mouvements dérivés de ceux des films, à base de rebonds sur les murs, slide sur des rambardes, glissades en tout genre. Il est même possible de se balancer sur des lustres. Bien sûr diverses armes viendront enrichir le tout. Ces situations vont systématiquement enclencher un effet Bullet-Time. L’importance de ce dernier est tel que le game design a été entièrement basé autour de cette mécanique.
La richesse visuelle des environnements renvoie à certains lieux iconiques des films de John Woo, mais ils brillent surtout par le nombre d’éléments destructibles qui les composent. Qui plus est, en plus de vos skills normaux vous débloquerez quatre compétences au fil de l’aventure. L’une permet de se soigner, une autre donne accès à un tir de précision, tandis que les deux dernières sont plus offensives. La première servira de mode furie, vous octroyant munitions illimitées et invisibilité passagère afin d’exploser les ennemis et le décors à votre guise. La seconde, un mouvement signature des films, l’attaque tournoyante. Ultime recours qui éliminera tous les ennemis aux alentours.
Bien que l’expérience proposée soit plutôt courte, avec son système de notation en fin de niveau et ses modes de difficulté, le soft invite à la rejouabilité. Malheureusement, l’envie d’y retourner n’est pas aussi présente que dans d’autres titres structurés de la même manière. La faute à un manque de contenu pertinent à débloquer et d’un gameplay qui aurait pu être encore plus approfondi. Si l’expérience est véritablement grisante et fidèle aux films de John Woo, c’est aussi grâce au soin apporté aux animations et à la classe légendaire de notre héros. Mais pour l’heure, d’un point de vue technique les possibilités d’action dans les jeux sont bien plus grandes, c’est pourquoi nous nous sommes mis à rêver d’un nouvel opus dans la lignée de Stranglehold.
Pourquoi on aimerait un retour ?
Un retour mais pas forcément une suite, encore moins un remake. Ce que nous voulons c’est un autre jeu imprégné à ce point du style de John Woo, avec un Chow Yun-fat comme personnage jouable évidemment. Le soft a permit de boucler la boucle d’influence avec Max Payne et en l’absence de ce dernier depuis un long moment, on veut un nouveau porte étendard de l’action gonflée au Bullet-Time. On veut une sorte de Stranglehold qui assumerait pleinement sa parenté au Beat’Em All. Pourquoi pas emprunter quelques éléments d’un DMC afin de garantir une expérience ambitieuse et bien plus riche en possibilités de gameplay ?
Sur les consoles d’aujourd’hui, il est totalement possible d’avoir des environnements plus vastes, encore mieux agencés et qui multiplieraient les interactions avec le décors. Sans parler de la partie destruction qui pourrait prendre une tout autre ampleur. De même que la mise en scène si marquée du jeu. L’évolution graphique depuis 15 ans rapprocherait un peu plus l’expérience de celle au cinéma. On aimerait une œuvre calibrée pour l’époque, avec de profondes mécaniques de gameplay. Nul doute qu’au vu des ambitions et intentions initiales de John Woo, le jeu est arrivé trop tôt. Et ce malgré une expérience convaincante à l’époque.
Mais à l’instar d’un Max Payne 3, si on le compare à ses prédécesseurs, un nouveau jeu inspiré par le cinéma de John Woo pourrait prendre une autre dimension et, peut-être, sérieusement titiller les sensations transmises par les films. Au fond, c’est bien un croisement entre Stranglehold, DMC et My Friend Pedro qui se dessine dans nos têtes. De cette manière la dimension addictive, qui manque un peu au titre de Midway, a moyen d’être présente. Même l’approche opérée par Sifu, en la remaniant, pourrait avoir du sens dans une expérience du genre. Il y a des inspirations à prendre çà et là. Puis, il y a techniquement peu de jeux qui construisent leur game design autour d’un effet comme le Bullet-Time. Par conséquent, les sensations véhiculées par cette mécanique sont difficilement trouvables à l’heure actuelle. Or, en terme ludique, on tient pourtant une mécanique des plus jouissives.
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