En mars 2021, A Musical Story faisait l’objet d’un trailer d’annonce, nous dévoilant alors la base du premier travail de Glee-Cheese Studio, une petite équipe française. Réfléchi et repensé pendant plusieurs années, ce projet se présente comme un titre mêlant, comme son nom l’indique, narration et rythme.
Charles Bardin, co-compositeur et game designer du titre, accompagné de Alexandre Rey, nous avait confié lors du précédent AG French Direct la volonté de raconter une histoire tout en remettant la musique, son écoute et son apprentissage au centre d’un gameplay trop souvent dicté, dans les jeux de rythme, par les signaux visuels affichés à l’écran.
Disponible sur toutes les plateformes actuelles imaginables, au prix de 14,99€ sur consoles et PC, et à celui de 4,99€ sur mobiles, tout le monde peut alors s’essayer à cette expérience originale sur le papier, et vivre une aventure prête à nous faire bouger la tête. Le résultat s’accorde-t-il bien avec la volonté des développeurs ? Réponse ci-dessous.
Conditions de test : Nous avons joué un peu plus de 5 heures à la version 1.0 de A Musical Story, afin de terminer l’histoire et de compléter le chapitre bonus. Le test contient quelques spoilers.
Sommaire
ToggleMémoires d’un musicien rêveur
Le pitch de A Musical Story se construit dans les années 70 autour de Gabriel, un guitariste amnésique allongé dans un lit d’hôpital, luttant pour retrouver sa mémoire. Et ce qui va la stimuler, vous l’avez déjà compris, c’est la musique. L’artiste va donc revivre le road trip destiné à l’amener à Pinewood, festival hautement primé dans lequel il rêve de jouer.
Cet objectif fou, partagé avec un batteur et un claviériste, est raconté sous la forme de chapitres, dont les premiers dépeignent notamment un quotidien rendu aliénant par le boulot d’usine de Gabriel, le poussant justement à se lancer dans la musique, sa passion de toujours, ainsi que sa rencontre avec ses deux compagnons de route, ou celle avec Amelia, une chanteuse à la voix envoûtante.
Il est toutefois difficile de parler d’un jeu narratif sans trop en dire sur le scénario, retenez donc que l’on suit petit à petit, au fil d’événements marquants, les aventures sur les routes de notre groupe, et qu’elles ne se constituent pas toujours de lignes droites.
Ces événements nous sont retranscrits sous la forme de chapitres, au sein desquels il va être demandé de reproduire une séquence de notes indiquées à l’écran, le tout en rythme avec la musique en cours. Jusque-là, on devine un titre se rapprochant d’un Guitar Hero, d’un Taiko no Tatsujin ou encore d’un Kingdom Hearts: Melody of Memory, pour ne citer qu’eux, auxquels on pense lorsqu’on parle de jeux de rythme plus ou moins récents.
Des créations qui partagent le même point commun : leur gameplay. Au-delà le principe bien connu de presser les bonnes touches au bon tempo, il s’articule davantage autour de signaux visuels que sonores. En d’autres termes, sans son, on pourrait continuer à percevoir où et quand appuyer.
Sauf que A Musical Story ne se place pas tout à fait au sein de cette famille et ressemble plutôt à un Rythm Paradise dans son approche. Comme énoncé précédemment, le titre de Glee-Cheese, sans s’affranchir totalement des marqueurs surgissant à l’écran, renforce la place de l’écoute dans le gameplay, pour notre plus grand plaisir.
Get that feeling
Chaque musique fait donc l’objet d’un chapitre découpé en plusieurs strates. Chaque strate forme un cercle et se déroule en trois temps. On entend d’abord l’instrument qui vient s’ajouter à la piste en cours, puis on voit se dessiner sur un cercle des ronds fléchés indiquant sur quel côté de la manette appuyer, dans le but de reproduire les notes de cet instrument.
Au passage, si les gâchettes sont les plus adéquates, la DualSense est littéralement coupée en deux, où tous les boutons de son côté gauche joue les notes de gauche, et inversement concernant la partie droite.
Enfin, à la fin de ce deuxième temps, c’est à nous de presser les boutons avec le bon timing, mais sans indication visuelle, outre celle montrant les notes à appuyer. Seul notre sens du rythme nous permet d’appréhender la reproduction de la strate. Et afin de passer à la séquence suivante, et donc, de faire évoluer le morceau, il est nécessaire de réussir parfaitement celle en cours.
Cela nous oblige donc à nous concentrer sur le son, ce qui nous plonge au plus près de la musique et nous fait ressentir tout ce qu’elle a à nous offrir. On se prend alors très rapidement à jouer consciencieusement avec un vrai sentiment de satisfaction à la clé en cas de réussite.
Cependant, à la moindre erreur, la boucle redémarre lorsqu’elle arrive à son terme. Heureusement, se louper procure rarement de la frustration dans la mesure où ces cycles restent mélodieux et redémarrent tout en fluidité.
Autre détail assez agréable, c’est que l’on se rend compte qu’une erreur ne massacrera pas le morceau. Hormis une croix sur la note ratée, on entend simplement un petit bruit de note de guitare loupée histoire de signaler notre échec.
Si les premiers chapitres sont très courts et proposent peu de strates, plus on avance dans le road trip, plus on fait face à des morceaux plus longs, plus complexes au niveau de la rythmique et des repères, qui deviennent parfois asynchrones vis-à-vis du métronome.
C’est d’ailleurs uniquement là que le jeu se renouvelle : dans notre propension à nous calquer sur les différents tempo, dans l’apprentissage des morceaux. Car, concernant les pures mécaniques de jeu, on ne voit rien de nouveau après les premiers chapitres.
Reproduire la note de gauche, celle de droite, voire les deux en même temps, en rajoutant parfois l’obligation de les maintenir jusqu’à ce qu’elles clignotent, voici l’intégralité des actions demandées par le titre. Tout repose donc sur leur positionnement et leur répétition sur le cercle. Davantage de variété aurait été bienvenu histoire de renforcer l’impression de jouer nous-mêmes d’un instrument.
« One, two, three… »
Glee-Cheese opte donc pour un minimalisme favorisant le feeling sans pour autant délaisser l’accessibilité puisque A Musical Story propose un système d’aide. À force de manquer des notes au sein d’une boucle, un point lumineux va commencer à suivre le tempo et nous indiquer visuellement le timing de pression des boutons.
Totalement désactivable auprès des personnes en quête de challenge, cette aide est actionnée par défaut en mode auto, et intervient donc qu’en cas de pépin. Il est également possible de la laisser de manière permanente, afin de permettre aux personnes peu à l’aise avec les rythmiques d’avancer et de profiter pleinement de l’histoire quoi qu’il arrive.
Sachez néanmoins que jouer constamment avec l’aide empêche la possibilité de décrocher l’étoile à la fin d’un morceau. Celle-ci s’obtient en réussissant parfaitement et du premier coup chaque strate d’un chapitre.
En d’autres termes, à la moindre erreur, il faut tout recommencer, et si les premiers chapitres se rejouent rapidement, recommencer un titre composé de 10 strates en raison d’une toute petite erreur à la 9e peut légèrement frustrer, mais l’on y retourne rapidement, tel un morceau que l’on s’entraîne à réaliser parfaitement quand on pratique la musique.
Débloquer toutes les étoiles nous donne l’accès à un niveau bonus au clin d’œil très touchant, et parvient à nous faire rester plus longtemps sur un jeu qui en a bien besoin, car celui-ci se termine très rapidement, soit environ 2 heures de jeu.
Maintenant, bien qu’il soit plaisant de jouer ce chapitre faisant office de fin alternative, il serait exagéré de dire que la chasse aux étoiles vaut largement le coup. On aurait aimé que ce niveau bonus soit un peu plus ambitieux et ouvre les vannes pour un bouquet final mettant notre sens du rythme à rude épreuve.
Sauf que, même si on peut déplorer un manque de contenu ou de challenge, n’oublions pas que la vocation première de A Musical Story est de raconter une histoire, et non pas d’être joué en powerplay avec un tapis Dance Dance en mode Enfer sur Terre. Donc le focus s’effectue sur l’expérience sensorielle, et non pas une éventuelle démonstration de skill, et il faut reconnaître que ça fonctionne très bien ainsi.
Back to the ’70s
Nous l’avons dit, le titre se passe durant les années 70, et il transpire d’influences liées à cette époque et ses alentours. Le premier détail frappant concerne directement le design de Gabriel, où l’on ne peut nier la similitude à un certain Jimi Hendrix, (sans compter le trophée platine nommé « Voodoo Child »).
La palette de genres musicaux y passe aussi, bien évidemment, en partant du rock pour en visiter les sous-genres, comme le soft rock ou le rock progressif, on se diriger vers quelque chose plus proche du blues, avec des sonorités toujours bien groovy. Ces univers impliquent une belle brochette d’instruments, et s’inscrivent parfaitement dans la narration.
On s’imagine dans un vieux bar sentant la cigarette et l’alcool lorsque le blues retentit avec sa guitare électrique, sa batterie et sa guitare basse. Les pauses routières plus tranquilles entre amis sont un peu plus portés par le mélodica, l’idylle entre Gabriel et Amelia amène un tempo plus léger et fait intervenir le vibraphone et le piano à travers une ballade mémorable. Enfin les moments où Gabriel se trouve dans un état hallucinatoire après avoir fumé, les synthétiseurs et une utilisation davantage dissonante des instruments prendront le pas.
Et c’est ici que la grande force de A Musical Story réside : tout le road trip nous est conté sans l’aide d’aucun dialogue, uniquement via l’usage et la variation des instruments et des tempo. On participe donc à un voyage musical véritablement délicieux, riche, varié, tout en croyant à son histoire captivante du début à la fin.
Un autre détail esthétique appuie cet hommage aux grandes heures de la musique en mettant en scène chacune des strates jouées de sorte à représenter l’image d’un vinyle. Les boucles dessinent un cercle et on perçoit en son centre les quelques indices visuels traitant l’histoire que l’on découvre au fil des strates et dévoilée en son entièreté à la fin du chapitre. Un clin d’œil que les fans du support apprécieront sans aucun doute.
Impossible de ne pas mentionner non plus la direction artistique fait main très réussie. Renforçant quelque peu le caractère onirique de l’histoire, suggéré par le fait que Gabriel tente de se remémorer peu à peu les étapes des dernières semaines qu’il a vécues, le style graphique séduit par ses dessins vibrants et colorés, symboles d’une époque charnière de la musique et du sentiment de liberté qu’elle a pu – et peut encore – procurer.
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