Développé par les Français d’Asobo Studio, A Plague Tale: Innocence est d’abord un pari risqué pour les Bordelais qui proposent leur deuxième création originale après Fuel en 2009, un jeu de course en monde ouvert. Le risque est encore plus gros dans la mesure où il s’agit d’un jeu d’aventure narratif très linéaire et dirigiste. A une époque où les open-world, les jeux-service, et le mulitjoueur dominent, on imagine qu’il est difficile d’envisager un tel projet sans avoir l’envergure d’un Naughty Dog. Malgré tout, lors de nos nombreuses rencontres avec le titre, il n’a cessé de nous surprendre par ses nombreuses qualités. Finalement, cette singularité dans l’industrie actuelle pourrait lui être bien plus bénéfique. Après avoir terminé le jeu de bout en bout, nous vous donnons notre verdict.
Le test a été réalisé sur PC, nous ne nous prononcerons donc pas sur l’aspect technique des versions PS4/PS4 Pro et Xbox One/Xbox One X. De plus, nous ne ferons aucun spoil bien évidemment.
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Tout d’abord, qu’importe le ressenti que l’on a envers Plague Tale: Innoncence, on ne peut pas lui enlever son incroyable audace. A commencer par son intrigue qui nous plonge dans le sud-ouest de la France du XIVe siècle. Une époque particulièrement difficile de notre histoire avec les débuts de la guerre de Cent Ans, mais surtout les ravages de la peste noire. Le titre se réapproprie le fléau pour en faire notre plus effroyable ennemi d’autant qu’elle est incarné physiquement par les milliers de rats qui jonchent notre périple. C’est dans ce contexte très sombre que nous incarnons Amicia et Hugo, deux enfants de la maison noble des De Rune. Malgré le lien fraternel qui les unit, ils ne se connaissent presque pas à cause de la maladie étrange du jeune garçon qui l’isole du monde depuis sa naissance. Un drame va pourtant les rapprocher malgré-eux. Après une attaque de l’inquisition, qui recherche Hugo pour une raison inconnue, ils sont forcés de fuir le désastre. C’est donc par la perte de tous leurs êtres chers que notre aventure commence.
Avec le choix du genre, du lieu, du contexte historique, et des protagonistes, A Plague Tale: Innocence est un pari risqué mais extrêmement audacieux de la part de Asobo Studio.
Mettre en scène des protagonistes aussi jeunes dans un contexte aussi dur, il fallait oser. Et on ne parle seulement de l’aspect choquant d’un tel choix, mais également de la difficulté à rendre le tout crédible dans la narration. Les membres du studio Asobo y sont pourtant parvenus avec brio, l’évolution de la relation entre Amicia et Hugo est particulièrement prenante et touchante. La cruauté de l’environnement donne lieu à des séquences très fortes émotionnellement, toutefois le soft se permet aussi des moments de légèretés sans casser le rythme ou dédramatiser ce qu’il se passe. On ne s’étalera pas plus que ça sur les détails pour ne pas en dévoiler un maximum, mais sachez que les personnages secondaires sont également réussis, de même que les antagonistes bien qu’ils apparaissent peu de temps à l’écran si on fait les comptes. Tous sont d’ailleurs incarnés par des voix françaises qui jouent parfaitement justes. Dans un titre où la narration est très importante, avoir des doublages de qualité est un enjeu capital. Si vous êtes habitués aux grands films et séries en VF, vous devriez en reconnaître quelques unes comme Bernard Gabay (Robert Downey Jr) ou encore Feodor Atkine (Hugh Laurie dans Dr House entre autres).
En plus de nous prendre aux tripes grâce à ce duo attachant, le soft possède également une part de mystère qui prend forme petit à petit autour des rats. Globalement, l’univers reste très réaliste, nous sommes loin du médiéval-fantastique, toutefois il fait bien comprendre que la rigueur historique n’est pas ce qu’il recherche. On regrettera tout de même quelques zones d’ombre dans le lore que l’on aurait aimé plus développé tant il est intrigant. Plus qu’un jeu d’aventure, A Plague Tale: Innocence est un jeu narratif à contre courant de ce que l’on connaît déjà en la matière. Pas de choix multiples à la manière d’un titre Quantic Dream. Le côté ultra dirigiste est pleinement assumé pour nous faire vivre une expérience calibrée de A à Z. Cela fait du bien de revoir ce genre de choses dans le paysage vidéoludique actuel.
Amicia la frondeuse
On le disait, A Plague Tale: Innocence est ressenti comme un jeu narratif, cependant, contrairement à de nombreux titres du genre, il n’oublie pas d’avoir un gameplay plaisant (ou même d’en avoir un tout court). Il n’est pas seulement contemplatif parce que l’on vit chaque moment manette en main dans la peau d’Amicia et de son petit frère. On a aussi un système de jeu sans trop de fioritures à la Uncharted, et sans QTE. On oscille d’abord entre les phases d’infiltration où l’on doit échapper aux soldats de l’inquisition, et entre les puzzles afin de traverser les nombreuses étendues de rats. La lumière est la seule chose qui peut les tenir à distance si bien qu’il faut souvent trouver des subterfuges pour les traverser. Par la suite, nous aurons même affaire aux deux, ce qui complexifie la chose. En bref, on peut dire que le gameplay grandit en même temps que les héros. On pourra reprocher au titre des éléments qu’ils n’exploitent qu’une ou deux fois, mais on lui pardonne volontiers grâce à un renouvellement constant des mécaniques de jeu. Il faut dire aussi que la durée de vie (15 heures environ) et le caractère linéaire du jeu ne laisse pas une grande marge de manœuvre à ce niveau-là.
La fronde d’Amicia est un bon exemple, au début elle n’est qu’un outil pour distraire les gardes ou détruire des éléments du décors, mais très vite la jeune fille est obligée de s’en servir comme une arme de mort. L’autre point majeur est l’alchimie, elle peut lancer différentes préparations aux effets multiples (allumer un feu, faire enlever le casque d’un garde…). Au fur et à mesure, on apprend de nouvelles recettes qui laissent place à de nouvelles possibilités. C’est d’ailleurs un bon moyen de nous motiver à l’exploration des environnements qui recèlent de nombreux éléments pour les concoctions, mais aussi des ressources pour améliorer l’équipement de la grande sœur. Périodiquement, on tombe sur des ateliers où il est possible d’améliorer la fronde, la taille des sacs à munitions, et l’efficacité de certaines potions entre autres.
Le gameplay de A Plague Tale: Innoncence est au service de la narration et pas l’inverse, il se démarque ainsi de nombreux jeux narratifs qui sont souvent trop contemplatifs.
Rarement un gameplay aura servi à autant accentuer une narration. Pour illustrer ces propos sans trop en dévoiler, lors des débuts, on ressent véritablement le stress et la peur aux côtés d’Amicia. Les moments où elle doit compter sur son frère pour ouvrir une porte afin d’échapper à des poursuivants dans les premières phases de jeu sont poignants par exemple. D’autres personnages interviennent également en jeu même si cela n’a rien d’extraordinaire en matière de gameplay pur. Le tour de force de A Plague Tale: Innocence est d’habiller les événements marquants, les liens avec les personnages, et tout simplement le voyage des deux enfants avec un système de jeu qui implique le joueur pour lui faire vivre ce dangereux périple au plus près.
Une toile de maître interactive
Ce titre qualifie globalement notre ressenti quant à la qualité visuelle du titre qui est tout simplement grandiose. Le studio bordelais a misé sur sa proximité avec la région du sud-ouest, et ses inspirations de nombreux grands peintres de l’histoire, pour nous offrir une succession de plans magnifiques. Chaque début de chapitre (mais pas que) est l’occasion d’admirer un nouveau panorama, qu’il soit chaleureux comme un vieux moulin perdu en forêt, ou lugubre comme un champ de bataille jonché de cadavres. La direction artistique fabuleuse rend ces décors moyenâgeux parfaitement authentiques. Le studio se permet même des atmosphères un peu plus originales dans le domaine du glauque et du gore. Par contre, rien n’est laissé au hasard, il n’y a aucune violence visuelle gratuite, ou qui ne vient pas appuyer un instant saisissant.
A Plague Tale: Innocence est irréprochable en ce qui concerne sa direction artistique et sa bande-son.
Techniquement, il y a peu de choses à lui reprocher même si l’on remarque quelques animation perfectibles, notamment les animations faciales assez rigides. En revanche, les 5 000 rats qui pullulent sur notre écran est une prouesse que l’on remarque assez facilement. Ils possèdent chacun leur IA ce qui donne un comportement de meute assez particulier, comme un fluide vivant qui s’écoule autour de nous. Le tout est très optimisé sur PC et aucun ralentissement n’est a signaler. Si vous possédez une carte Nvidia, vous pourrez profiter d’une Nvidia Ancel pour prendre de jolies clichés à défaut d’un mode photo absent sur PS4 et Xbox One, ce qui est bien dommage (malheureusement, il n’était pas prévu pour ça d’après les développeurs).
Bien que l’on ait déjà eu l’occasion de juger de la qualité de son travail sur des titres comme Alone In the Dark, Remember Me ou encore Vampyr, Olivier Derivière signe sûrement ici l’une de ses plus grandes réussites. On avait déjà eu l’occasion d’écouter des morceaux à la volée (grâce à ce qu’il postait sur son Soundcloud), mais entendre ces morceaux en jeu donne une toute autre dimension à l’écoute. Comme pour la narration, la musique est calibrée pour appuyer d’avantage les étapes d’Amicia et d’Hugo. Le sound-design est aussi à saluer avec de petits détails qui font leur effet. Comme lorsqu’Amicia se rapproche d’un garde, on entend sa respiration s’accélérer, et des percussions qui vont crescendo. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
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