Depuis sa première présentation officielle en 2018, Ad Infinitum a su montrer que le genre du jeu d’horreur psychologique avait encore de beaux jours devant lui. Pas simplement un jeu à faire peur, la production des allemands d’Hekate s’attèle plutôt à vous filer les frissons et à vous faire réfléchir et réagir sur des thèmes lourds, à la fois politiques, familiaux mais aussi militaires, puisque tout tourne autour du désastre de la Première Guerre Mondiale.
Un tableau lourd de sens, chargé en histoire avec, en point d’orgue, les traumatismes psychiques et physiques ressentis par les victimes de ces tragiques moments de notre Histoire, les soldats. Edité par Nacon, Ad Infinitum sort ce 14 septembre sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series X|S au prix de 39,99€. A savoir qu’une Nightmare Version est également disponible pour 49,99€, regroupant l’artbook et la bande-son officiels. Alors, vision cauchemardesque ou réel rêve éveillé ?
Conditions de test : Nous avons plongé au coeur de nos peurs les plus sombres pendant près de 11h sur PlayStation 5, le temps d’effectuer deux parties aux choix complètement différents. Pour ne pas vous gâcher les différents ressorts scénaristiques de l’aventure, ce test est garanti sans spoiler majeur.
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La Grande Guerre. Des millions de morts, des esprits torturés et des familles déchirées. Dans Ad Infinitum, vous incarnez Paul Von Schmitt, un jeune soldat allemand, envoyé malgré lui sur le champ de bataille et catapulté au rang de lieutenant dès ses 18 ans, pour suivre à ses dépens les traces de son illustre et vénéré grand-père militaire. Envoyé au front seulement quelques temps après son frère ainé Johannes, les deux jeunes hommes vont subir des traumatismes divers jusqu’à ce qu’un avis de décès soit proclamé pour la fratrie.
Sans réellement savoir pourquoi, vous vous réveillez seul au milieu du manoir familial, semblant comme abandonné, quoi que finalement peut-être pas tant que cela. Vous entendez des voix et quelqu’un ou quelque chose semble vous observer. Sur ce manoir semble peser l’ombre de votre grand-père à la carrière exemplaire mais au comportement tyrannique avec sa famille, une âme qui semble encore hanter les lieux. Qu’est-il réellement arrivé à votre frère ? Pourquoi êtes-vous de retour ici ? Qui allume la musique ou fait claquer des portes ? Que se cache-t-il au grenier ? Êtes-vous vraiment mort ? Tant de questions qui seront résolues au fil de l’aventure.
Dans ce manoir sombre et angoissant, où semblent circuler des entités, vous allez devoir fouiller, trouver des indices, des lettres, des souvenirs, pour vous rappeler votre histoire ainsi que celle de vos proches, et vous allez voir que ce n’est pas tout rose. Car si au premier abord le titre des allemands d’Hekate nous semble être une représentation dure mais réaliste de cette époque révolue, il faut être conscient qu’au fil des heures, Ad Infinitum se tournera vers ce que l’on pourrait caractériser d’horreur psychologique mais surtout surnaturelle. En effet, en multipliant les apparitions de créatures abominables mais aussi les tableaux surréalistes, difficile de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, dans une logique de naufrage inéluctable dans la folie.
Mais c’est aussi l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la famille de Paul. De son géniteur, Karl, dont le rêve de prendre la relève de son père s’est consumé lorsqu’il fut atteint d’une polio foudroyante, et qui enverra ses deux fils mener la guerre pour faire honneur aux Von Schmitt, en passant par Madeleine, sa mère, dévouée corps et âme à ses fils mais qui tombera peu à peu dans la folie quand elle apprendra leur disparition. Tout le développement de ces personnages se fait de manière discrète et à la fois puissante, en passant quasi exclusivement par la démonstration de situations, la lecture de lettres et documents (certains même à voix haute et en français je vous prie).
Et c’est l’une des forces du titre, si vous ne fouillez pas, ne lisez pas ou n’écoutez pas les appels téléphoniques et autres réminiscences, vous ne parviendrez pas à saisir l’entièreté de l’expérience, tous les tenants et aboutissants, tout ce qui se déroule dans ce manoir sordide ou encore dans cet hôpital de fortune, un des plus glauques que nous ayons connu. Car il faut l’avouer, l’ambiance dans Ad Infinitum est inextricablement pesante, glauque, dépressive même, et magistralement dépeinte par l’évolution psychique de notre personnage en plein état de stress post-traumatique. Une partition parfaite des acteurs de doublage renforce cette impression d’oppression et de fuite vers l’avant menant tout droit à la folie.
Cours, Johannes ! Cours !
Au cours des différents chapitres composant votre aventure dans Ad Infinitum, vous allez subir un va-et-vient entre le manoir de votre famille, dans lequel se passent des choses pas très rassurantes, mais aussi le champ de bataille, celui de la Première Guerre Mondiale, avec en point d’orgue, l’affreuseté de la guerre : des corps mutilés jonchant le sol, des cris, des barbelés, au milieu d’explosions et autres rafales meurtrières. L’ambiance d’Ad Infinitum est définitivement exceptionnelle et nous permet de nous rendre compte de la dureté des événements subis par les militaires d’autrefois, tout du moins dans la première partie de l’aventure, celle-ci virant au psychologique et davantage onirique par la suite.
Ad Infinitum est en grande partie une aventure « passive », entendons par là qu’il n’y aura pas de gunfights à proprement parler, mais beaucoup de marche, de lecture de documents, d’infiltration (un certain type d’ennemis, la Faim, étant très sensible au bruit), d’énigmes aussi, faisant penser notamment à un certain In Sound Mind ou encore Layers of Fears. Et le parallèle avec le jeu de la Bloober Team ne s’arrête pas là, puisque vous aurez aussi droit, dans une moindre mesure, à des apparitions ou disparitions d’objets et autres silhouettes simplement en vous tournant ou en regardant dans une autre direction. De quoi rajouter au ressenti de peur psychologique, car on ne sait jamais vraiment ce qui nous attend dans ce manoir. C’est là que se jouera l’essentiel de l’avancée narrative de votre épopée.
Nous le disions, ne vous attendez pas à des scènes d’action intenses, mais plutôt à des scènes de fuite, où vous devrez vous cacher par exemple, tandis que les quelques affrontements directs avec vos peurs les plus profondes se feront par le biais de puzzles intelligents ou encore de QTE pas toujours très inspirés, clôturant les chapitres majeurs. Nous touchons-là l’un des premiers écueils de Ad Infinitum : en effet, à vouloir trop se concentrer sur l’aspect psychologique, il en oublie presque d’être un support ludique, et parvient à frustrer les joueurs et joueuses en n’allant pas au bout de certaines séquences que l’on aurait pourtant aimé vivre et ressentir.
Et bien que nous pensions que Ad Infinitum n’abuserait pas des jumpscares quand nous avons pu poser les mains dessus en juin dernier, il nous faut avouer que cela s’est plutôt accéléré dans la suite des chapitres composant notre virée en enfer, pour un résultat heureusement cohérent, toujours calculé et jamais inutilement utilisé pour nous flanquer la trouille. Mention spéciale au dernier chapitre, le meilleur selon nous. Et il faut l’avouer, des séquences intenses couplées à un sound design du tonnerre, on ne peut demander mieux. Chaque bruit, chaque son est réfléchi et calé pour vous faire frissonner, tandis que les thèmes principaux sauront se montrer discrets quand il le faut.
Mais Ad Infinitum, c’est aussi un jeu de choix, dans une certaine mesure. En effet, à certains moments clés du jeu, vous pourrez influer sur les événements en fonction de la manière dont vous vous mesurerez aux créatures issues de vos pires cauchemars (avec en tête de gondole le Chaos, la Rage et la Faim, trois antagonistes principaux, associés au Désespoir, la Douleur ou encore la Corruption, les trois boss de l’aventure). Attirerez-vous le positif, pour aider ces créatures à disparaître en paix ? Ou utiliserez-vous la force pour provoquer leur disparition sinistre ? En fonction de vos choix et actes, divers trophées seront débloqués tout d’abord, mais l’issue du jeu deviendra également drastiquement différente.
En effet, durant nos deux parties, nous avons effectué des choix complètement opposés, pour un résultat vraiment différent, pouvant faire varier la conclusion de votre aventure de quelques minutes à près d’un quart d’heure si vous tombez sur la « bonne » ou la « mauvaise » fin. Nous n’avons pu en explorer que deux et à l’heure actuelle, nous ne savons pas s’il y en a d’autres, le jeu devenant redondant dès sa seconde run. Un choix malin de la part des développeurs, et permettant d’en apprendre énormément plus en fonction de votre fin obtenue.
Ave Magnificus
Pour vous aider à vous tirer de situations délicates, vous aurez à votre guise la possibilité d’utiliser une hache, pour casser des barrières de bois bloquant des passages, un masque à gaz, pour traverser des zones enfumées (provoquant un sentiment accru d’enfermement à cause du souffle de votre personnage mais aussi de la buée sur les verres du masque), d’une lampe à dynamo, pratique pour vous retrouver nez à nez avec un monstre qui adore le noir complet, mais aussi d’une pince tenaille pour couper les barbelés dans un ordre précis sous peine de vous embourber. Des utilisations très connotées, renforçant le sentiment d’un jeu en ligne droite, surtout dans les zones de guerre, trop couloir.
Pour autant, le gameplay est fluide, très intuitif et ne vous prendra pas des heures à être maitrisé. Courir, vous baisser, utiliser l’arme, ouvrir une porte, lire un document ou déclencher une action se fait de manière simple pour toujours plus d’immersion. Par ailleurs, nous n’avons à ce stade pas abordé la durée de vie de ce titre aux références bien senties. Comptez environ 7 à 8h pour une première run, pouvant descendre jusqu’à 4 à 5h si vous rejouez selon d’autres choix. Une durée de vie un poil décevante, nous aurions aimé vivre davantage de scènes marquantes, Ad Infinitum en disposant toutefois de quelques unes mémorables.
A noter que vous aurez également affaire à diverses énigmes, pour la plupart très bien trouvées, inspirées et pas si évidentes que cela, à base de déductions, codes et autres manipulations, et avis aux amateurs de spiritisme, vous allez être servis. Les collectionneurs ne seront par ailleurs pas en reste puisqu’il vous sera possible de récolter plus d’une cinquantaine de médailles de soldats tombés pour la patrie, de tous pays (bien que l’Allemagne et la France soient sur-représentées), dont une bonne partie plutôt bien cachées. L’occasion de renforcer un réalisme déjà poussé à son paroxysme en proposant moult appareils, véhicules et armes directement modélisés à partir de vrais objets d’époque, un travail de titan qui se ressent en jeu.
Malheureusement, et il nous faut l’aborder aussi, Ad Infinitum ne s’est pas montré sous son meilleur jour durant l’intégralité de nos sessions. En effet, alors que le moteur graphique parvient à nous délivrer des scènes d’une infinie justesse (tranchées défoncées, serre luxuriante etc.), nous avons pu nous heurter à une structure un peu anguleuse par moments, avec beaucoup de chemins fermés, renforçant une fois de plus cet aspect jeu-couloir. Malgré tout, Ad Infinitum nous laisse admirer par moments de somptueux éclairages fins, élégants et tout à fait cohérents, associés à des effets volumétriques (fumées, brouillards, pluie) de toute beauté. L’Unreal Engine 4 fait encore des merveilles, du moins sur PlayStation 5.
A noter par ailleurs que la DualSense n’est pas tant exploitée que cela, voire pas assez à notre goût, tandis que quelques bugs ont été au rendez-vous, bugs que l’on espère résolus au lancement du titre. Nous avons par exemple dû coexister avec des scripts audios se répétant en boucle dans la centrale électrique, tandis que dans le dernier chapitre, des objectifs de quêtes ne se mettaient plus à jour, nous forçant à redémarrer le chapitre en question et à se débrouiller pour ne pas valider un certain objectif d’une manière précise. Une patience que n’auront pas tous les joueurs et joueuses cependant, alors gare à la fausse route sur ce point.
Il est en effet surprenant de trouver encore ce genre de bugs après 8 années de développement plutôt chaotique, tandis que le reste de l’expérience est plutôt propre, proposant même du 60 FPS la plupart du temps très stable, pour un confort manette en mains non négligeable.
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