Des adaptations de romans anglais en jeu vidéo, c’est étonnamment assez courant. On ne compte plus les aventures de l’incroyable Sherlock Holmes à nous être parvenues, et ce sur tous les supports imaginables. Ce grand enquêteur reviendra même en 2021 avec Chapter One, un soft très prometteur qui nous proposera de vivre les premières heures de sa carrière. Dans un registre un peu différent, la prolifique Agatha Christie n’est pas en reste.
L’auteure a en effet eu droit à un paquet d’adaptations pour ses romans, quoique principalement sur PC, et a même inspiré l’ambitieux The Raven qui sortait en 2013. Plus récemment, en 2016, débarquait un certain Agatha Christie : The ABC Murders, relecture du livre éponyme, connu chez nous comme ABC contre Hercule Poirot. Notez qu’un jeu du même nom était déjà paru sur Nintendo DS sept ans plus tôt, mais n’était pas développé par la même équipe.
Après avoir réjouit les amoureux d’Agatha Christie sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, malgré quelques lacunes sur lesquelles nous reviendrons plus bas, The ABC Murders débarquait le 6 octobre sur nos Nintendo Switch. Comme d’habitude, il s’agit d’un portage bête et méchant de l’œuvre originale, qui eut embarqué la totalité du contenu supplémentaire disponible si tant est que Artefacts Studio en ait développé. Ce n’est toutefois pas le cas.
Conditions du test : Nous avons joué environ sept heures sur Nintendo Switch. D’abord sur un modèle classique, en mode TV, puis portable. Ensuite sur une Switch Lite, durant une petite heure. Nous n’avons rencontré aucun bug.
Adapter sans dénaturer
Ce n’est pas évident d’adapter l’univers d’un roman en jeu vidéo sans en dénaturer les composants, notamment les protagonistes, mais surtout l’intrigue. D’autant plus lorsque ledit roman a déjà connu des interprétations filmiques, puisqu’il peut être difficile de se soustraire de son aspect visuel en tant que développeur. En ce qui concerne Sherlock Holmes, le problème ne s’est jamais posé. Chaque nouvelle sortie chapeautée par Frogwares (du moins pour les plus récentes) pose un regard neuf sur l’enquêteur et son acolyte, tout en s’accrochant à une relecture plutôt fidèle de l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle.
Moins présente dans la pop-culture, et plus généralement moins citée que son collègue, Agatha Christie eut de fait droit à moins d’adaptations que Conan Doyle. Un constat qui est autant vrai pour le jeu vidéo que pour le cinéma. Ce que l’on retient tout particulièrement de l’auteure, en dehors de ses écrits évidemment, se situe plutôt à la télévision, avec la série Hercule Poirot mettant en avant l’incroyable David Suchet. Mais là encore, cette adaptation ne se contente pas de voler allègrement l’orientation artistique du célèbre programme TV.
Artefacts Studio est un développeur français assez peu connu, ayant principalement travaillé sur des titres plutôt obscures et des portages Switch avant de se pencher sur Agatha Christie : The ABC Murders. Mais il suffit de jeter un œil au site web de cette entreprise modeste pour comprendre qu’elle est composée de passionnés qui touchent leur bille en terme de connaissances artistiques et en coup de crayon. Notez d’ailleurs que le studio sortait il y a peu le sympathique Le Donjon de Naheulbeuk : L’amulette du Désordre.
Ainsi, le titre n’est pas pourvu d’un aspect graphique dément, pêchant avant tout par un retard certain vis-à-vis de ses homologues. Il jouit néanmoins d’une direction artistique léchée, qui rehausse grandement son intérêt visuel, principalement au niveau du character design, grâce à une influence pastelle qui fait mouche. Nous sommes donc face à une adaptation pure et dure du roman, plutôt que sur une relecture de la série TV, et c’est un premier point positif. Il est toutefois dommage que cela passe par de véritables limitations graphiques, notamment un sentiment de vide constant dans ses environnements.
Comme toute adaptation, c’est au niveau de son scénario et de la façon dont celui-ci est agencé que l’on attendait principalement The ABC Murders. Bien que quelques libertés soient prises pour rendre le tout plus digeste en tant que jeu vidéo, il demeure une trame plutôt bien construite, qui donne envie d’aller au bout des trois enquêtes qu’il faudra résoudre. Bien que l’on aurait peut-être préféré que le titre en dévoile plus sur ce fameux enquêteur Hercule Poirot, que l’on incarnera tout le long de l’aventure et qui reste peut-être trop imperméable pour le profane.
Faciliter la tâche au joueur
Agatha Christie : The ABC Murders n’est cependant pas exempt de défauts, au-delà de ses limitations graphiques. Et le premier d’entre tous se situe indubitablement au niveau de sa durée de vie. Fidèle au livre original, l’aventure ne comporte que trois enquêtes, qui ne se distinguent que par les victimes : derrière chacune d’entre elles se trouve le fameux tueur à l’ABC, laissant chaque fois un indice pour figurer de son passage. Seulement voilà, en prenant son temps il ne faudra qu’une poignée d’heures pour voir le bout du jeu, environ six à huit si vous ne vous pressez guère. Ce qui fait quand même un peu mal au portefeuille, sachant que cette version Switch est vendue une quarantaine d’euros.
Ce que The ABC Murders doit principalement à sa facilité exacerbée, que l’on qualifierait presque d’agaçante par moments puisqu’il est purement et simplement impossible de manquer un indice ou de rater un interrogatoire. En plus de nous prendre constamment par la main, à un point rarement vu même dans un jeu d’enquête, le titre de Artefacts Studio nous place devant une série d’énigmes peu imaginatives, que même un néophyte ne mettra guère de temps à déchiffrer. On fait tourner des objets sur eux-mêmes pour en découvrir les rouages, ce qui est une bonne idée quoique loin d’être neuve, mais il ne faut souvent qu’un regard pour comprendre où le titre veut nous emmener.
D’un autre coté, il reprend quelques unes des mécaniques qui font la force des récents Sherlock Holmes, notamment The Devil’s Daughter. Avec par exemple la possibilité (pour ne pas dire l’obligation) d’observer le comportement de nos interlocuteurs avant tout interrogatoire. Une riche idée qui, là encore, ne va pas au bout des choses : la facilité prend le dessus, puisqu’il suffit de passer notre loupe rapidement au dessus du personnage pour que celle-ci nous révèle les endroits à inspecter. Même constat lorsqu’il s’agit de récolter des indices sur le terrain, sur les différentes scènes de crimes.
Malheureusement, ces mécaniques un peu trop légères ne relèvent jamais le niveau, et la progression ne brille finalement qu’au travers de ce bon vieux Hercule et son caractère bien trempé. The ABC Murders n’a pas grand-chose de ludique, sur le long terme, puisqu’il répète les mêmes interactions en boucle sans jamais se renouveler ni opposer au joueur une véritable résistance. C’est dommage, puisqu’en dehors de cela l’adaptation est un franc succès sur tous les points, de l’écriture assez fine aux doublages purement géniaux.
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