Longtemps classé parmi les jeux les plus marquants de l’histoire du média, ayant participé à la création de ce que l’on appellera par la suite le Survival Horror, Alone in the Dark finit pourtant par se faire sauvagement retirer ses lettres de noblesse. Ce qu’il doit, d’une part, à un reboot sous-titré The New Nightmare s’éloignant pas mal de la recette initiale et n’ayant pas fait l’unanimité. Mais, surtout, à un second reboot lancé en 2008 et reniant absolument tout l’héritage de cette franchise bien de chez nous, en s’orientant volontiers vers l’action et le grand spectacle, au détriment d’une ambiance horrifique aux abonnées absentes. On n’abordera pas le cas épineux de Illumination paru en 2015…
Puisque, comme le veut l’adage, jamais deux sans trois, voici que cette année débarque une nouvelle tentative de relecture de ce chef d’œuvre presque oublié qu’était Alone in the Dark premier du nom. Un projet ambitieux, présenté comme un remake du jeu original et développé par Pieces Interactive, sous la houlette de THQ Nordic, filiale d’un Embracer Group très peu en vogue ces derniers temps. Monsieur Frédérick Raynal a par ailleurs été consulté afin que cette nouvelle itération s’éloigne le moins possible de sa vision originelle d’artiste, tout en lui offrant un mince casting d’acteurs appréciés. De belles intentions qui ne débouchent malheureusement pas sur le nouvel âge d’or de Alone in the Dark…
Conditions de test : Nous avons passé environ vingt heures sur la version Xbox Series X du jeu, ce qui nous a permis de le boucler à deux reprises, avec chacun des deux protagonistes. Cet article est garanti sans spoiler majeur.
Sommaire
ToggleDétective en devenir
Tout débute sur les routes d’une Louisiane ensoleillée, à bord d’une automobile contenant au volant le détective Edward Carnby, et à sa droite Emily Hartwood. La jeune femme, savourant une cigarette, expose alors en quelques phrases le fil rouge du jeu : la folie dévorante de Jeremy Hartwood, son oncle, interné au Manoir Derceto, un genre d’asile d’aliénés. Nous apprenons rapidement, en arrivant sur les lieux, que non content d’être devenu dingue, l’homme aurait aussi disparu, ce qui ne semble par ailleurs inquiéter personne alentour. Ce qui est sûr, c’est que quelque chose se trame dans les parages, mais ni Carnby ni Hartwood ne sont capables de mettre le doigt dessus pour le moment.
La bonne nouvelle, c’est que ce grand manoir a de bonnes chances de leur livrer toutes les réponses qu’ils désirent trouver. La mauvaise, c’est que le personnel et les internés semblent à contrario bien décidés à leur mettre des bâtons dans les roues, ne serait-ce qu’en éludant toutes leurs questions, et en laissant planer un voile de mystère autour de l’emplacement de Jeremy. L’ambiance est étrange, et est d’ailleurs l’une des grandes forces de ce Alone in the Dark. Il la doit autant à cette mince mais réussie galerie de personnages (dont on conseille autant le doublage en VF qu’en VO) qu’à son cadre. L’époque, se situant il y a une centaine d’années, joue aussi un rôle dans cette appréciation, soutenue par un cachet visuel qui fonctionne bien, mais surtout par une bande sonore absolument divine, nous accompagnant tout le long de l’aventure sans jamais agacer… Du moins quand aucun bug ne s’invite à la fête.
Le titre est plutôt agréable à l’œil, bien que sa technique soit datée, et que certains artifices nous fassent un brin sortir de son aventure, notamment des murs « invisibles » qu’il aurait mieux valu éviter. Entre ça, et le jeu d’acteur assez étrange, mais plutôt réussi, nos premières impressions sur Alone in the Dark étaient bonnes. Pas excellentes, mais bonnes, et c’était déjà pas mal après la purge qu’était le volet de 2008, sans parler de celui de 2015. D’autant que le titre fait la part belle à l’ambiance et à l’enquête, s’embarquant résolument sur une voie digne du Survival Horror à l’ancienne, avec ses énigmes dans tous les coins, notamment nécessaires à l’obtention de clés. Le jeu original n’est jamais bien loin, et d’une certaine manière ceux qu’il a inspiré non plus.
À ce niveau d’ailleurs, Alone in the Dark est une réussite. Ses énigmes, bien que se renouvelant trop peu au cours de sa petite dizaine d’heures, sont plutôt bien faites, et demanderont régulièrement au joueur de retourner fouiller dans les documents acquis au fil de sa progression. Rien ne lui est bêtement donné, du moins passé la première heure, servant surtout à expliquer la manière de procéder. On vous conseille d’ailleurs de jouer sans l’aide, qui gâche pas mal le plaisir, si vous êtes un habitué du genre. Le tout impose de facto un rythme assez lent, mou, mais aussi saccadé, puisque le Manoir Derceto ne sera pas le seul lieu que l’on visitera au cours de nos pérégrinations. Or, malheureusement, dès lors que l’on s’en éloigne, les choses commencent à décliner durablement en termes de qualité.
La couleur venue d’ailleurs
Parce qu’une fois que l’on met les pieds en dehors de ce bel espace de jeu qu’est le Manoir Derceto, on se rend assurément compte que quelque chose cloche. Ce qui commence avec des ralentissements réguliers, des saccades à l’écran qui deviennent vite très agaçantes, et quelques bugs qu’on aurait préféré éviter, commençant par de récurrents problèmes de son. Mais surtout, le premier combat du jeu est une véritable déception, qui sera suivie par d’autres, dès que des ennemis seront dans les parages. D’une part parce que le bestiaire est parfaitement oubliable, et ne s’offre pas de véritable boss au cours de l’aventure, excepté à sa toute fin. Mais surtout parce que le gameplay accompagnant les joutes est un ratage quasi complet.
Les intentions sont louables. Le développeur confère au joueur une arme à feu, suivie d’autres au cours de l’aventure, et les balles sont présentes en nombre limité. Pour pallier à ce problème, les deux protagonistes pourront s’équiper de bouts de bois et autres pioches, trouvables dans les décors et se brisant rapidement. Il leur sera aussi possible de balancer quelques bouteilles ou briques à la face de leurs poursuivants. Ce qui, sur le papier, n’est pas bête. Malheureusement, non seulement le tout est d’une mollesse affligeante, mais n’offre par ailleurs aucune sensation. Le feeling des armes est absent, et on ne ressent aucun des coups portés au corps à corps. Mais surtout la caméra est l’ennemi principal du joueur…
Malheureusement, ce constat n’est que le premier d’une longue liste, puisque le jeu regorge de bugs et de problèmes en tous genres. Au point que nous avons retardé au maximum l’écriture de ce test, dans l’espoir de voir débarquer une mise à jour salvatrice… qui arrivera peut-être à la sortie, bien qu’on doute sérieusement que celle-ci corrige tout ce qui ne va pas. En tout et pour tout, nous avons subit deux crashs, plusieurs freezes, des ralentissements extrêmement réguliers (et encore plus dans certaines zones ou lorsque des ennemis se joignent à la fête), de gros problèmes de son avec un décalage quasi systématique entre le moment où l’on use d’une arme à feu et le bruit de la détonation… La liste est longue, et ne s’arrête pas là. À côté de cela, le jeu en lui-même souffre aussi de quelques problèmes freinant énormément son appréciation.
Les jeux de l’esprit
Il est possible de choisir son personnage, entre Emily et Edward, en arrivant au Manoir Derceto. Ce qui pousse à deux progressions globalement similaires, mais aux interactions sociales différentes. Par exemple, si les deux protagonistes sont assez mal reçus, en premier lieu, lorsque vous choisissez d’incarner le détective, la discussion sera beaucoup plus douce si vous préférez la jeune femme. Une bonne idée, qui permet d’explorer plus profondément l’histoire ainsi que la psyché des personnages habitant cet endroit étrange en réalisant deux parties, ce qui ne vous demandera pas plus de vingt heures. D’autant que la mise en scène est assez bonne, bien que l’on ressente souvent une économie de moyens, sensation qui plane sur l’ensemble de cette production, et ne lui fait évidemment pas honneur.
Par exemple, si les premières impressions sur le visuel sont bonnes, notamment parce que la cinématique d’introduction est très agréable à l’œil, certains décors sont à contrario dénués de toute âme. On pense par exemple à un port teinté de brume, particulièrement quelconque. Mais aussi, là où le jeu promet des interactions sociales différentes, nous n’avons finalement droit qu’à des cinématiques et quelques ponctuels, courts et bateaux dialogues annexes. Pas de quoi hurler au génie. Mais ce qui frappe le plus, une fois l’aventure terminée (et cet atroce boss de fin terrassé), c’est l’absence d’horreur. Alone in the Dark premier du nom n’était pas un jeu vraiment effrayant, mais il mettait en place une ambiance pesante. Or, ici, malgré l’agacement provoqué par les combats qu’on préférerait éviter, on ne ressent jamais vraiment ce genre de sentiment.
Si le jeu semble essayer sincèrement de nous faire sursauter dans les débuts, avec des ennemis cachés dans les coins ou nous tombant dessus avec un bruit sec, cela ne marche jamais. Pire, puisque tout est scripté, quiconque connaît un minimum le genre du Survival Horror verra les grossières cordelettes reliant les événements entre eux, devinant l’arrivée d’ennemis censés effrayer. Ce qui est dommage, puisque même un Alan Wake premier du nom, manquant lui aussi beaucoup de subtilité à ce niveau, parvenait à installer un sentiment d’oppression, il y a de cela quatorze ans. On se doute que le manque d’expérience du studio, ayant principalement bossé sur Titan Quest (un Hack’n Slash très recommandable, du reste) joue un rôle majeur dans cet état de fait.
D’autant que Alone in the Dark tombe dans quelques pièges bêtes et méchants, comme la phase de poursuite mettant en scène un monstre invulnérable pouvant vous tuer en un coup. Un poncif du genre, créant par la même l’une des séquences les plus désagréables du jeu, tant sur le plan ludique que musical, la bande sonore se mettant à faire absolument n’importe quoi à ce moment. Ajoutez à cela le design ridicule de l’ennemi concerné… C’est dommage, puisque l’histoire ne parvient pas non plus à rehausser le niveau. On apprécie assurément la prestation de Jodie Comer et David Harbour, incarnant respectivement Emily et Edward, et d’une manière générale l’écriture des dialogues est une réussite. Mais là encore on devine rapidement où va la trame, qui ne surprendra jamais vraiment, malgré quelques rebondissements sympathiques.
Un été dans l’Ouest
L’attente autour de Alone in the Dark était assez immense. Les fans de la franchise de Frédérick Raynal en ont gros, et ce remake / reboot portait de lourds espoirs sur ses minces épaules de projet double A. Malheureusement, vous l’aurez compris, le titre souffre de nombreux écueils, et on ne doute pas que peu de joueurs y trouveront leur compte. Ce qui est dommage, parce que tout n’est pas à jeter. On parlait de la délectable ambiance façon années 20 plus tôt, transpirant l’alcool et puant la cigarette. Mais il y a aussi un genre de théâtre de l’étrange se jouant au sein du Manoir Derceto, nous donnant, malgré une histoire convenue, fort envie d’aller jusqu’à son terme, et nous aidant à nous attacher aux différents personnages.
Bien que le jeu ne surprenne jamais vraiment, les bonnes intentions des développeurs se voient comme le nez au milieu de la figure. Et c’est d’autant plus difficile, d’un point de vue de testeur, de devoir mettre une note à un projet comme celui-ci, dans la mesure où l’on y ressent à chaque instant la passion des hommes et des femmes impliqués. Mais aussi parce que, à titre plus personnel, nous avons passé un bon moment en compagnie des deux protagonistes, et regrettons amèrement le constat global que nous sommes obligés de porter sur cette aventure imparfaite. Parce qu’on devine aisément un bon jeu, caché derrière tous les problèmes cités plus tôt. Il ne lui suffirait que de se départir de ses très nombreux problèmes techniques, et de revoir sa copie pour tout ce qui touche aux combats, pour glaner deux points de plus sur la note finale. En l’état, malheureusement, il ne saurait être chaudement recommandé…
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