PlatinumGames fait partie de ces studios qui ont su trouvé une recette caractéristique, l’ont sublimé à travers ses plus grandes pépites (Bayonetta, Metal Gear Rising: Revengeance, NieR Automata) tout en l’accommodant légèrement à chaque fois. En bref, on sait à peu près ce que l’on aura dans notre assiette lorsque l’on commande chez eux. Si c’est ce qui nous fait revenir dans un restaurant, c’est aussi ce qui peut nous lasser et nous donner envie d’aller voir ailleurs.
Peut-être un peu soucieux de rester pris au piège d’un genre, tout en entrevoyant un filon à exploiter, les développeurs japonais ont souhaité explorer un autre univers. Produire des titres solo à l’action survitaminée – comme ils ont eu l’habitude de créer jusqu’ici – ne suffit plus, il faut des expériences plus longues, et garder les joueuses et joueurs sur la durée. La porte du jeu-service est alors poussée et Babylon’s Fall, annoncé en 2018 et à destination de la PS4, PS5 et du PC, ouvre le chemin de ce nouveau modèle adopté par PlatinumGames.
Notre aperçu du titre rédigé durant la beta du mois de novembre 2021 s’était soldé sur une note plutôt inquiète, mais depuis, plusieurs mois se sont écoulés. De quoi rendre le jeu final meilleur à sa sortie ? Rien n’est moins sûr.
Conditions de test : Nous avons joué à la saison 1 de Babylon’s Fall durant un peu plus de 30 heures sur PlayStation 5, le temps d’accomplir toutes les quêtes scénarisées et de découvrir une bonne partie du contenu post-game disponible au lancement. Notez que ce test se base sur la version précédant la mise à jour 1.0.1.
Sommaire
ToggleLe laissez-passer A38 !
Au démarrage, PlatinumGames ne ne se moque pas de nous et nous propose déjà un boss à affronter : arriver à lancer le jeu. Passage obligatoire, l’association à votre compte Square Enix Account ouvre une entrée en matière assez agaçante tant il peut être embêtant d’avoir à se plonger dans les mails et les codes de vérification avant même de commencer à jouer.
Dans le cas où l’on a joint avec succès les informations requises, ce n’est pour autant pas terminé puisqu’on nous envoie directement sur les pages d’actualité du jeu où figurent promotions et objets à retrouver dans la boutique, nouveautés du titre, réseaux sociaux, le tout sans aucune indication quant à une nouvelle partie, sauf un cadre écrit en japonais qui, si l’on traduit, veut dire « voir les détails ». C’est finalement en appuyant sur la touche rond que l’on arrive à trouver l’écran invitant à créer un nouveau personnage.
À la reconquête de la Ziggurat
Après avoir réussi l’examen de passage, on peut enfin choisir son personnage, appelé Sentinelle, parmi trois classes différentes : Huysien, à la fois agile et agressive, Agavien, davantage lourde et en première ligne, et Géléilionien, plutôt en retrait et destinée à affaiblir l’ennemi. Nous avons opté pour la première à l’occasion de ce test, bien que l’on se rende compte qu’au final, le choix ne paraisse pas déterminant. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir.
S’en suit une création de personnage tout ce qu’il y a de plus générique, où il est possible de changer sexe, couleur de peau, coiffure, pilosité et traits via une palette de possibilités relativement limitée. Plutôt regrettable de ne pas pouvoir mieux bichonner et s’approprier un avatar avec qui on va passer des dizaines d’heures. Tout du moins, dans le cas où l’on ne serait pas satisfait du résultat après coup, sachez qu’il est possible de le repersonnaliser dans un second temps au hub social une fois atteint.
Avant cela, et à la validation du personnage, une cinématique se lance où l’on découvre un peu ce qu’il en est de cette Nouvelle Babylone au sein de laquelle on s’apprête à plonger. Une étrange cérémonie a lieu où des humains, triés sur le volet, reçoivent un Coffre de Gédéon, un dispositif placé sur leur dos. Réputée pour être douloureuse, seuls les survivants à ce supplice font office d’élus et se révèlent dignes d’être des Sentinelles, des protecteurs du peuple face au danger représenté par les Gallus.
Ces êtres émanent de la Ziggurat, cette gigantesque tour construite jadis pour bénéficier directement du savoir divin, et la défendent contre l’Empire, désireux de reprendre le contrôle de la Nouvelle Babylone. Le rôle de notre personnage se révèlera plus important que les autres Sentinelles puisqu’à l’issue du tutoriel nous familiarisant avec les contrôles, il parvient à maîtriser précocement son Coffre de Gédéon et à l’utiliser contre un puissant Gallu. Grâce aux boyaux de Gédéon, ces filaments qui sortent directement de notre dos, il peut se servir des armes fantômes et ainsi vaincre l’être divin.
Une fois le calme revenu dans la cité, nous voilà fin prêt à travailler pour l’Empire sous les ordres de Dame Sophia, accompagné de Gallagher et Sylvi, les deux autres Sentinelles ayant survécu au rite de passage ainsi que de Lycus, un garçon atteint d’une maladie causée par le Soleil Bleu surplombant la Nouvelle Babylone. On accède alors pour la première fois au QG des Sentinelles, faisant office de hub social du jeu où l’on peut se balader un peu, faire quelques emplettes, mais surtout, lancer des quêtes via l’un des deux tableaux présents.
Des rivières de Babylone aux chutes du Niagara
Le début de l’aventure Babylon’s Fall passe par la progression au sein du scénario suivant un cheminement assez simple : on accède à une enceinte de la Ziggurat, correspondant à un type d’environnement, puis on progresse à travers ses étages. Chaque étage correspond à une quête au cours de laquelle on part d’un point A jusqu’à un point B, tout en sortant victorieux des combats obligatoires qui interviennent sur la route et qui sont appelés « chapitres ».
On nous adresse d’ailleurs à la fin de ceux-ci un grade, correspondant à la somme des points que représentent toutes les actions effectuées en combat ainsi que le temps passé à combattre, allant du Pierre au Platine pur. Enfin, au dernier étage de presque chaque environnement, un boss garde l’accès à l’enceinte suivante.
Voici ce qui définit le rythme de l’entièreté de la dimension scénaristique du jeu. 95% des missions sont constituées de cette manière, avec des dialogues tous plus inintéressants les uns que les autres mettant en scène les personnages présents au QG mais aussi les versions invisibles de Sylvi, Gallagher et Lycus. Autrement dit, ces derniers nous accompagnent sur chaque mission mais n’apparaissent pas à l’écran puisqu’en cas de coop avec d’autres joueurs, il y aurait un problème de visibilité. Seulement voilà, on a plus l’impression d’incarner Jeanne d’Arc qu’autre chose et ça décrédibilise la narration.
Remarquez, ce n’est pas la seule façon de le faire puisque, assez souvent, au début ou à la fin de la mission, on assiste à des cinématiques sous forme de peintures storyboardées. Censées faire un pont entre vos escapades, et ajouter de l’enjeu, l’effet tombe à l’eau dans la mesure où, entre chaque quête, on revient au hub social. Cela donne lieu à des moments plutôt drôles lorsqu’il y a une situation urgente à la fin d’une mission, tandis que les héros se trouvent presque au sommet de la tour, et qu’on redébarque posément au QG en attendant de lancer la suite.
Ces cinématiques storyboardées font également un peu office de poussière sous le tapis d’un point de vue visuel. Oui, on sent que l’équipe de développement a souhaité faire briller le « Brushwork Filter » cette sorte de peinture à l’huile médiévale mais, non, ça ne marche pas vraiment. Alors on s’en contente lors de ces cutscenes peintes, mais dès que l’on passe en jeu, hormis quelques panoramas, ou que l’on visualise de véritables cinématiques animées, le sentiment de parfois jouer à un jeu de l’ère PS3 nous habite, en témoigne certains angles de designs comme celui de Sylvi. Sans exagérer, Bayonetta, sorti en 2009 et justement développé par PlatinumGames, est capable de nous offrir à quelques reprises davantage de charme que Babylon’s Fall.
On pourrait considérer tout ça comme du chipotage et, à la place, faire fi de cette volonté de se prendre au sérieux avec une histoire qui se veut originale, aux enjeux désamorcés à cause d’un rythme cocasse perturbé par des missions qui se déroulent inlassablement de la même façon, quel que soit le but derrière. Et visuellement, après tout, on voit bien naître encore de nos jours des productions pas forcément à la pointe qui savent malgré tout proposer une expérience satisfaisante. Alors admettons que, pour un jeu-service, un focus raté sur l’histoire et une esthétique datée ne méritent pas d’être trop considérés, et que l’essentiel se passe manette en main.
Platinum’s Fall
Nous l’avons un peu abordé au début de ce test, PlatinumGames a su au fil des années nous faire l’étalage de son savoir-faire en matière de beat’em up avec un rendu jouissif, dynamique voire brutal comme dans Metal Gear Rising: Revengeance. Forcément, à l’annonce de Babylon’s Fall, l’une des garanties que le studio japonais semblait pouvoir offrir, c’est au niveau de son système de combat.
Son cœur réside dans l’utilisation des quatre armes possibles sortant de votre dos. Deux sont assignées aux touches carré et triangle, où l’une donne des coups standards, et l’autre des frappes plus puissantes, et les deux autres, appelées « armes fantômes » sont réservées aux gâchettes L2 et R2. Ce qui est intéressant, c’est que ces deux duos sont indépendants l’un de l’autre.
Précisément, les armes fantômes peuvent frapper en même temps que vos attaques classiques, ou bien lorsque l’on fait le tour de l’ennemi et même quand on se retrouve au sol. De plus, il est possible de charger les armes fantômes afin d’asséner un coup encore plus dévastateur. Attention, à chaque action effectuée avec elles, on consomme, comme lors d’une esquive, une partie de votre jauge de points d’esprit (PE), laquelle se remplit en portant des coups avec les armes classiques.
Il y a donc une certaine gestion de vos mouvements en faisant attention à l’évolution de cette barre, ce qui peut rendre, sur le papier, les combats quelque peu stratégiques. On apprécie également la présence de l’esquive parfaite, un des signes distinctifs des systèmes de combat de PlatinumGames, remplissant elle aussi la jauge de PE à son exécution, et on salue les quelques artifices visuels sympathiques lors des affrontements. Les effets de particules et de lumière nous font oublier l’espace d’une poignée de secondes les carences graphiques du titre.
Malheureusement, on déchante dès lors que la composante RPG jeu-service rentre en jeu. Votre personnage dispose d’un niveau de puissance, qui correspond à la moyenne des niveaux d’équipement que l’on attribue sur chaque partie du corps, tête, bras, corps et jambes, ainsi que les armes installées sur le Coffre de Gédéon. Chaque quête affiche un niveau de puissance conseillé pour la terminer.
Si au début ces quêtes s’enchaînent assez bien sans avoir particulièrement à farmer, l’équilibrage est mis en difficulté en rencontrant le premier boss. Dans le cas où ces combats s’effectuent en solo, on fait face à de véritables sacs à PV pour pas grand-chose. On dispose de cinq potions et de cinq réanimations par tentative, ce qui souvent est bien suffisant lorsque l’on est au même niveau que la quête, mais ces affrontements-là traînent en longueur, et ce accompagné par des musiques épiques qui peinent cependant à nous faire ressentir une espèce d’intensité. Ce constat s’appuie fermement à chaque nouvel environnement et surtout au boss de la zone, au point de nous contraindre à passer la frontière de la coopération. Et là, l’équilibrage vole en éclat.
Plus on est de fous, moins on subit
Jouable jusqu’à quatre, Babylon’s Fall devient un autre jeu à plusieurs, pas forcément pour le meilleur, hélas. Au même niveau d’une quête et au complet, il est bien plus aisé de la terminer. Pire, à partir de cinq ou dix niveaux au-dessus, on roule littéralement sur les mobs et les sous-boss, en martelant boutons et gâchettes. Avoir choisi tel ou tel classe n’a même plus vraiment de sens finalement.
À l’inverse, ce système de puissance dévoile aussi ses limites si l’on accuse un retard d’au moins dix niveaux par rapport à celui requis pour une mission. On se fait alors one shot et on inflige littéralement zéro dégât peu importe l’ennemi, que l’on maîtrise parfaitement son attirail ou non. Alors certes, ce sont des lois inhérentes à ce type de progression, rencontrées dans les autres productions du genre, mais ce n’est pas pour autant qu’elles ne demeurent pas frustrantes à travers celles qui ont du mal à les doser.
Dès lors, que l’on utilise des armes à distance, que l’on dispose de tel ou tel combo d’équipement ou qu’on se batte de telle ou telle manière : tout ce qui pouvait suggérer des subtilités liées au système de combat se noie face au diktat du niveau de puissance. Et aussi utile peut être la coopération pour finir au mieux et au plus vite les quêtes, ce qui pouvait donner lieu dans les combats solo à de jolis effets visuels se transforme à plusieurs en une bouillie où l’action perd inévitablement en visibilité. Elle n’est par ailleurs coopération que de nom car elle peut se dérouler le plus souvent de manière complètement individuelle.
Les combats se lancent à l’instant où quiconque franchit la zone de déclenchement, peu importe si l’un des joueurs se trouve loin derrière. Et celui-ci doit parcourir tout le chemin qui le sépare du champ de bataille afin de rejoindre les hostilités.
La création d’une synergie en combinant les différents profils de combattant et élaborer des stratégies aurait pu rattraper le coup et donner du piment à l’ensemble, mais personne ne prendra cette peine puisque l’on a quasiment plus besoin de se préoccuper de ce qui nous entoure, pas même de nos coéquipiers, à l’exception de leur réanimation en cas de trépas. Si toutefois la mission s’est bien passée, on peut distribuer un like à vos compagnons, souvent en récompense d’une pénibilité atténuée grâce à leur présence.
Après la pluie vient la pluie
Profiter de la coopération demeure cependant une aubaine. Au lancement de Babylon’s Fall, quelques centaines de personnes seulement étaient actives, et heureusement que le cross-play avec les joueurs PC est supporté. De plus, les joueuses et joueurs ne s’intéressent absolument pas au scénario, une fois complété, et passent donc leur temps sur l’un des deux autres modes de jeu : Escarmouche et Eiège.
Les Escarmouches, rendues disponibles vers le dernier tiers du scénario, proposent ni plus ni moins la même chose que les quêtes principales, sans le scénario. La structure est identique, aucun objectif spécial ou variation ne vient nous informer que l’on joue à autre chose, à part peut-être la présence au compte-gouttes d’ennemis notoires, des adversaires plus résistants et plus dangereux susceptibles de délivrer de meilleures récompenses une fois terrassés.
Les Sièges, quant à eux, sont accessibles à la toute fin du scénario et se déclinent en trois catégories : Attaque, Traversée, et Défense. Les Traversées constituent la copie conforme des Escarmouches traditionnelles, tandis que les Attaques consistent à éradiquer quelques vagues d’ennemis sur une même zone, et que les Défenses nous demandent de protéger des chariots en repoussant ses adversaires.
Ces modes, tout aussi fades sur le papier que la trame principale, font office de carotte pour les joueurs en recherche d’intérêt endgame. Les quêtes de ces modes proposent des paliers de niveaux de puissance bien supérieurs, mais toujours de manière progressive, et offrent de meilleures récompenses.
Car oui, une des rares raisons de se coller à ces missions est de récupérer du stuff plus qualitatif. Répondant à un système de loot classique avec un concept de rareté allant de Commun à Divin, la progression de son personnage passe par le farm de ces équipements boostés le plus possible par des enchantements.
Ces bonus, incrustés sur les tenues et armes récupérées, apportent des avantages notables, comme la récupération de PV, des dégâts augmentés ou bien des résistances élémentales, activées sous certaines conditions en combat. Et plus l’équipement est rare, plus les enchantements sont nombreux et de qualité.
Mais à quoi bon vouloir consacrer du temps à des modes de jeu identiques à des quêtes de base déjà ennuyeuses, afin d’être plus fort pour participer à des versions supposément plus redoutables d’ennemis qu’une équipe au niveau, composée de quatre personnes, détruiront sans trop de peine ?
La réponse ne se situe, à ce jour, pas ailleurs que dans la complétion du traditionnel passe de combat. Découpé en plusieurs dizaines de paliers, il permet de récupérer, une fois sur deux, des éléments très majoritairement cosmétiques. La version « Or » du passe, payante, délivre quant à elle des rétributions supplémentaires et plus intéressantes à chaque palier.
On collecte les points nécessaires à la montée de ces paliers via la complétion de quêtes quotidiennes, hebdomadaires, saisonnières et de mini-objectifs appelés « Ordres », là aussi on ne peut plus classiques : tuer X ennemis, remplir X quêtes avec un rang parfait, etc.
Alors là aussi, à moins de souhaiter voir le bout du passe après avoir ciblé des cosmétiques jugés subjectivement indispensables, cette base du jeu-service reste maigre pour rester accroché au titre. Quelques coups d’épée dans l’eau supplémentaires apparaissent aussi en endgame.
La forge, dont on déverrouille petit à petit ses fonctionnalités, ne représente pas d’emblée une plus-value déterminante, à part peut-être pour alimenter les éclats de Coffre de Gédéon, où l’on dépense enfin ses points d’expérience dont on s’interroge tout au long du scénario sur leur utilité, et qui délivrent des avantages en combat. Sinon, on peut tout à fait consommer une grande quantité de ressources collectées en combat afin de fusionner des équipements, de les améliorer ou bien de les créer à partir de plans.
La boutique n’est intéressante que si l’on dispose de Garaz, une monnaie que l’on obtient uniquement via un passage à la caisse sur le store. Les conques, que l’on récupère au fil des missions, permettent d’acheter des plans, des emblèmes, des couleurs d’équipement. Seuls les signatums, tickets que l’on gagne à la fin des Sièges, confèrent, une fois échangés, quelques ressources pour la forge ainsi que des éclats de Coffre de Gédéon.
C’est aussi seulement au début de ce endgame qu’on nous introduit aux différents modes d’attaques assignables à chaque arme équipée : Standard, Technique et Puissance. Si le premier se veut explicite, Technique consiste à infliger davantage de dégâts en frappant avec un bon timing, et Puissance permet de charger plus longtemps des coups afin de les rendre encore plus puissants, en cas de PE suffisants. Enfin ce n’est pas les mouvements supplémentaires du Dynamis, relatifs aux interactions avec les Boyaux de Gédéon via la touche rond, qui sauveront cette Saison 1 lancée dans le chaos.
Cet article peut contenir des liens affiliés