De tous les jeux indépendants qui ont marqué l’année 2024, Balatro est assurément celui qui a fait le plus de bruit. D’abord grâce à une généreuse réception critique, absolument unanime, bien que les médias francophones soient souvent passé à côté (et nous ne faisons pas exception). Ensuite grâce à un compteur de ventes surprenant, qui a atteint très rapidement les deux millions de copies écoulées, un chiffre assez incroyable pour une expérience de cette envergure. Enfin, en se diversifiant, et en optant pour des collaborations avec de nombreuses franchises appréciées telles que Stardew Valley ou Cyberpunk 2077, le tout absolument gratuitement. Sur le papier, Balatro c’est donc un sans faute, généreux et vendu peu cher par dessus le marché.
À l’annonce de sa nomination aux (ridicules) Games Awards, dans la catégorie très restreinte des jeux de l’année, nous avons été pris d’une curiosité que seule une vraie prise en mains pouvait assouvir, et avons ainsi investi dans la version Steam du titre de LocalThunk. Un investissement de faible importance, puisque Balatro est vendu peu cher, en plus d’être régulièrement en promotion sur la plateforme de Valve, et qu’on ne regrette d’aucune façon. Même si, il faut l’avouer, les dires autour de l’accoutumance née de ses mécaniques de jeu très bien huilées étaient entièrement fondés. Maintenant, reste à savoir s’il peut effectivement prétendre au titre de jeu de l’année, ce que nous allons tâcher de vérifier au travers de ces quelques lignes.
Conditions de test : Nous avons passé une petite trentaine d’heures sur la version Steam du titre, que nous avons principalement expérimenté au combo clavier/souris. Ce fut suffisant pour faire un bon tour de ce que la version de base propose, sans nous intéresser toutefois aux différentes collaborations dont jouit le jeu.
Première approche
Ce qui frappe en premier lieu lorsqu’on découvre Balatro, c’est son aspect visuel. Le titre de LocalThunk est un jeu de carte à la sauce Rogue-Lite. Or, plutôt que de chercher à se créer son propre univers, façon Slay the Spire, ou à surfer sur une vague ressemblance avec des jeux fantaisistes tels que Magic ou Yu-Gi-Oh! par exemple (comme le faisait bien Cardpocalypse), il reprend l’imagerie très sobre du jeu de poker. Un choix de design qui ne joue, au départ, pas particulièrement en sa faveur, lui conférant de loin un aspect assez austère, voire rudimentaire. Loin des standards du jeu de carte virtuel que représentent Hearthstone ou Legends of Runneterra par exemple. Heureusement, sa simplicité n’a d’égale que sa profondeur.
Parce qu’on découvre très vite que Balatro pioche en réalité bien dans l’imagerie du Trading Card Game (ou jeu de carte à collectionner pour les non anglophones), avec ses cartes Joker uniques parmi une liste variée de 150, ou encore ses différents effets visuels à appliquer à nos bouts de carton virtuels. On retrouve même un système de Boosters, renfermant une certaine quantité de cartes ou de bonus à débloquer pour notre run en cours, rappelant évidemment ce que proposent les ténors du genre en version physique (et même en dématérialisé chez Yu-Gi-Oh! Master Duel ou Pokémon TCG Pocket). Un bon point, qui constitue le premier d’une longue liste d’arguments en la faveur de l’addiction.
Balatro est facile à prendre en main, au combo clavier/souris tout du moins, et son concept est simple comme bonjour en premier lieu : marquer des points en sortant des mains de poker. Chaque manche est l’occasion de rehausser le nombre de points requis. Toutes les trois manches, on a même droit à un genre de boss, qui nous impose une règle handicapante. Pour marquer plus de points, il va falloir investir judicieusement dans la boutique, en cartes nouvelles, jokers et bonus divers. Les premières s’ajoutent à notre collection, augmentant (ou non) nos chances de former certaines mains de poker ; les seconds offrent des bonus faisant gonfler (ou non) notre nombre de points ; et les derniers peuvent aller du bonus permanent (uniquement pour la run en cours) au coup de pouce ponctuel.
Une mécanique affreusement bien huilée, qui nous récompense de petits effets visuels agréables à l’œil et de petits bruitages reconnaissables lorsqu’on marque un gros score, ou que l’on remporte une manche. Tout marche très bien, et même si le tutoriel est relativement expéditif, on comprend rapidement comment faire pour gonfler assez aisément son nombre de points, et démettre sans trop de mal les premiers « boss » qui nous barrent la route. Mais bien sûr, comme tout Rogue-Lite qui se respecte, Balatro s’arme rapidement d’un challenge assez conséquent, menant inévitablement à de nombreux Game Over.
Le doigt dans l’engrenage
Et bien sûr, c’est là un autre des points qui mènent à passer beaucoup de temps sur le titre sans trop s’en rendre compte. Ce que l’on pourrait grossièrement rapprocher d’une addiction, pour faire plaisir à ceux qui usent et abusent du vocabulaire des stupéfiants pour parler de Balatro. Chaque Game Over nous laisse sur l’impression qu’on aurait pu faire mieux, alors on est facilement tenté de relancer une nouvelle run, même si l’on était initialement venu pour une session courte. Tous ces chiffres qui gravitent autour de notre compteur de score n’y sont pas étrangers, et on retrouve des mécaniques qui fonctionnent à merveille chez les jeux d’argent. Le genre dont les casinos raffolent. À ceci s’ajoute une mécanique de prise de risques : il est possible de sauter les adversaires simples, ce qui confère un bonus alléchant, comme la gratuité de tous les items lors de notre prochain passage en boutique. Mais attention, car il peut arriver que l’on y perde, bien évidemment.
Chaque main de poker offre un nombre défini de jetons, qu’il sera possible de faire gonfler en achetant certains bonus ou jokers en boutique. Mais à ces jetons s’ajoute un multiplicateur, qu’il est là aussi possible de faire grimper de différentes façons. Toute stratégie gagnante consiste donc à viser un gros multiplicateur sur une grosse quantité de jetons, tout en valorisant les mains de poker qui ressortent le plus souvent. Et Balatro ne manque pas de mettre l’emphase sur ces chiffres tant convoités, en prenant son temps pour calculer notre score à chaque tour, ou en faisant naître des flammes autour lorsque ledit score s’annonce impressionnant. C’est finalement grâce à son aspect austère que Balatro parvient à rendre ses différents effets visuels et sonores aussi impactant, ce qui représente un véritable tour de force.
Maintenant, reste encore à déterminer dans quelle mesure le titre peut nous tenir éveillés sur la durée, puisqu’il s’agit d’un Rogue-Lite, autrement dit un titre dans lequel le Game Over a une place prépondérante. On touche ici à une autre des grosses forces du titre, qui ne choisit pas la voie de l’originalité, mais plutôt d’un classicisme efficace, laissant un sentiment d’accomplissement comparable à celui ressenti chez un Hades (ou plus récemment [REDACTED]). S’il n’est pas question de faire grimper quelque statistique ou de s’acheter des armes pour progresser plus facilement ici, on gagne néanmoins régulièrement l’accès à un nouveau type de Joker, ou à une nouvelle mécanique spéciale régissant nos runs.
Ce qui tombe plutôt bien, puisqu’au delà du fait que ces nouveautés donnent assurément envie de relancer une run pour en découvrir les effets, le challenge de Balatro n’est pas à prendre à la légère, et quelques bonus ne seront pas de trop pour en voir le bout. Certains caps de points sont assez significatifs, et jouer habilement sur nos différents jokers, sur les mains de poker à sortir, et sur les cartes à acquérir sera indispensable pour les surmonter. Par ailleurs, l’aléatoire joue aussi un certain rôle dans chaque run, que ce soit au niveau des items disponibles en boutique, à la fin de chaque manche, ou des boss à affronter, parmi une liste assez conséquente. Certains détruisent des cartes dans votre main ou les placent face cachée, d’autres vous empêchent de vous défausser, une mécanique à laquelle on s’habitue très vite au vu de son efficacité certaine.
Nous avons plutôt bien établi que Balatro était un jeu riche et fascinant, mais il ne faudrait pas pour autant passer à côté de ses quelques défauts. À notre sens, pour commencer, la maniabilité à la manette est assez catastrophique, et on ne saurait que trop recommander la version PC (qui nécessite une configuration ridiculement faible) plutôt que les éditions consoles. Et si nous n’avons pas pu nous y essayer, nous imaginons néanmoins que les moutures mobiles du titre doivent être assez adaptées à son style. Souris et tactile, même combat finalement. Reste une bande son qui tourne un peu en rond, avec un thème qu’on nous sert à plusieurs sauces, jusqu’à indigestion, malgré une qualité certes notable. On aurait aimé un peu de diversité à ce niveau.
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