Lorsque l’on parle de Beyond Good & Evil, il y a de grandes chances de faire resurgir un souvenir impérissable pour celles et ceux qui ont découvert, en 2003, une aventure singulière. Une forte identité venant du fameux concepteur Michel Ancel qui, en 1999 et à la sortie d’un Rayman 2, avait souhaité se démarquer des productions de l’époque. En avait résulté alors un très grand succès d’estime contrairement à des ventes, elles, bien plus décevantes.
Malgré cela, Beyond Good & Evil n’était pas censé s’arrêter là puisque le spectre d’un deuxième épisode a plané des années durant. Abordé avant même que « BGE » ne sorte, ce projet a navigué dans le brouillard complet au point de ne faire l’objet d’une première présentation officielle que bien plus tard, sur la scène de l’E3 2017, avant de disparaître à nouveau. Aujourd’hui encore, et Ancel hors du coup depuis 2020, le deuxième opus questionne et inquiète, bien qu’il soit toujours en vie dixit Ubisoft.
Alors au moment de célébrer la vingtième année du jeu original, Virtuos et Ubisoft Montpellier ont planché sur Beyond Good & Evil 20th Anniversary Edition, un titre voulu comme étant la meilleure version du jeu en y apportant améliorations graphiques, contenu bonus et autres ajustements. Disponible depuis le 25 juin sur toutes les plateformes, replongeons-nous dans ce mythe et mesurons ensemble la plus-value de sa remastérisation.
Conditions de test : Nous avons joué à la version 1.001.000 de Beyond Good & Evil 20th Anniversary Edition sur PS5 durant 12 heures, le temps de finir le jeu à 100%. Un peu plus d’une heure supplémentaire a permis de parcourir entièrement la galerie anniversaire.
Sommaire
ToggleJade, un phare dans la nuit
Beaucoup ressentiront des frissons durant l’introduction culte de ce Beyond Good & Evil 20th Anniversary Edition. Sur Hyllis, planète du Système 4, une jeune femme nommée Jade, gérante d’un orphelinat sur une île où se dresse un phare, est en pleine méditation. Soudain, elle est alertée par l’attaque des DomZ, une race alien hostile. En repoussant l’invasion avec l’aide de son oncle Pey’j, elle se retrouve « connectée » avec l’un d’entre eux et assiste à une vision. Tout se passe très vite, mais le calme finit par revenir.
D’emblée, le jeu passe en quelques secondes d’un tout premier aperçu reposant vers un ton plutôt sombre. Il en profite également pour désigner très nettement la menace que nous devrons craindre tout du long. Dans le même temps, il nous fait brièvement tester son système de combat. Cette intro haletante pose alors les premières pierres de ce que Michel Ancel a souhaité proposer avec BGE : une histoire bien plus marquée par la narration et qui s’écarte un peu du côté cartoon innocent de Rayman.
Peu de temps après, un besoin d’argent se fait ressentir, et c’est là que Jade va revenir à sa principale activité, le journalisme. Comme toute bonne reportrice, elle va devoir se servir de son appareil pour prendre en photo des animaux, des créatures, des humains hybrides, ou bien de la végétation. Partager ces données de recherche lui donnera à chaque fois une somme variable de crédits. Cette activité restera le fil rouge de l’aventure, mais un plus gros poisson est en jeu.
Une sombre vérité semble cachée à un peuple déjà réprimé par les Sections Alphas, un groupe de mercenaires mené par le général Kehck, en échange de leur protection. Un climat assez tendu règne alors sur la cité. Son activité de journaliste va amener Jade à toucher du bout des doigts un sombre complot menaçant Hyllis toute entière. En rejoignant le réseau IRIS, elle va même œuvrer pour le révéler au grand jour. La désinformation est une arme, mais accessoirement l’information aussi, et la jeune femme compte bien s’en servir pour le bien commun.
Pour l’époque, l’histoire était ambitieuse, le propos assez marginal, en s’étirant même jusqu’à la proposition ludique. Beyond Good & Evil est un jeu d’action-aventure, ce qui veut tout et rien dire aujourd’hui, mais disons qu’il est très grossièrement similaire à un Zelda traditionnel dans une version allégée. En réalité, la comparaison tient surtout du côté de la structure de ses donjons et leur résolution, entre énigmes et combat de boss au bout de l’exploration. Mais BGE est bien plus que ça.
Une aventure prenante aux multiples idées…
Ici, la progression est concrètement rythmée par la récupération de perles. Des cousines des piles d’énergie de Jak and Daxter en somme, pour situer un repère temporellement proche. Ces perles nous permettent d’upgrader l’hovercraft, notre moyen de transport principal, ce qui nous donne la possibilité de rejoindre de plus en plus de destinations. Les améliorations ne s’arrêtent pas là puisqu’on peut aussi augmenter la vie de Jade en trouvant des modules, ou bien en les achetant dans divers points de vente, présents un peu partout et contenant également des objets de soin.
Des combats, des énigmes, du pilotage de véhicule, des upgrades, une carte parcourable assez librement, ça fait déjà pas mal, mais le titre ne s’arrête pas là. À ceci s’ajoutent des séquences de plateformes, des passages d’infiltration, des courses d’hovercraft et divers mini-jeux. Sans aucun conteste, BGE était déjà très ambitieux en voulant proposer de la variété afin de ne jamais ressentir la lassitude et de susciter le sentiment de vivre quelque chose d’unique. Et lorsque l’on connait l’histoire autour du développement de Beyond Good & Evil 2, plus que chaotique, jouer à ce remaster révèle alors quelque chose de frappant : la propension qu’a eu Michel Ancel à partir dans tous les sens et à voir très grand pour ses jeux ne date pas du deuxième épisode.
Une grosse poignée de développeurs n’avaient pas souhaité le suivre sur BGE à l’époque, et ceux encore à ses côtés ont parfois, pour les plus proches d’entre eux, tempéré ou recadré les ambitions du monégasque, en possession d’un budget de 10 millions d’euros. Cette impression de vouloir apporter beaucoup d’éléments au sein de l’aventure se ressent en jouant, au point de sentir le rythme s’accélérer considérablement vers le dernier quart du jeu, comme s’il fallait bien à un moment donné boucler l’affaire. Un sentiment conforté par les faits : il avait été notamment question de pouvoir voyager entre différentes planètes et de les explorer. De nombreuses idées jamais vraiment poussées à fond, c’est aussi une impression qui se dégage via le gameplay, si l’on se penche dessus en détail.
D’abord par le système de combat, accessible à toutes et tous avec un bouton d’attaque et un d’esquive, mais évidemment très peu profond en conséquence. Un constat transposable aux boss, dont certains peuvent être éliminés en moins de deux minutes une fois les patterns saisis. BGE intègre aussi une mécanique d’interaction entre Jade et son acolyte. Il a le mérite de construire par le gameplay une certaine complicité avec le partenaire. Néanmoins, cela consiste surtout concrètement à appuyer sur un bouton pour déclencher une super attaque, que ce soit pour aider en combat ou pour progresser durant l’exploration. Notons quand même le choix de pouvoir partager ses upgrades de vie ou non avec ce même partenaire, une fonctionnalité plutôt originale.
Du côté de la plateforme, Jade peut s’accrocher, marcher doucement le long d’une corniche, sauter, mais c’est tout. Et les sauts sont par ailleurs automatiques, ce qui ne risque pas de nous faire ressentir quelque danger que ce soit. L’infiltration, si elle fonctionne plutôt bien la plupart du temps et accentue clairement avec brio le côté reportrice d’investigation, elle souffre parfois de manque de précision ou de feedback clair pour savoir quand avancer. Et à part progresser accroupi, il n’y a pas vraiment de possibilités de diversion.
… dans un univers tout aussi diversifié
Bref, on le répète, BGE est une aventure un peu trop ambitieuse, mais chaque moment se vit tout de même avec plaisir en restant immergé dans une histoire prenante. Et si la magie a pu opérer, c’est donc par une somme de partis pris permis par le côté artisanal qu’une équipe de 30 personnes implique. Une façon de travailler qui touche aussi particulièrement le côté artistique du jeu. Parmi les personnes accompagnant Michel Ancel, certaines étaient particulièrement investies et en étroite collaboration avec lui sur la vision globale du jeu. C’est le cas de Christophe Héral.
Et si l’effervescence d’idées concrétisée de manière résolument artisanale devait être symbolisée par quelqu’un d’autre que le concepteur monégasque, ce serait très certainement par ce musicien montpelliérain. Son travail, à l’image des nombreuses directions dans lesquelles a pu partir le jeu, se révéle donc plutôt éclectique. Rien qu’au niveau des sons et accompagné de Yoan Fanise, Héral s’était servi de bruits en frottant des choux, en tapant des pastèques ou sur des boîtes de raviolis pour composer les cris de créatures. Cela donne une idée du côté expérimental du travail effectué.
Musicalement, l’introduction (encore elle) montre dès le départ que l’on va voyager, avec des sonorités très douces et relaxantes puis une progression vers quelque chose de bien plus épique pour finalement terminer sur un ton davantage mélancolique. Une envie de proposer une bande-son solide qui s’exprime largement au fil de l’aventure de manière créative et diversifiée, avec par exemple le fameux Garage Mammago, versant allègrement dans l’inspiration reggae, ou l’entrainant « Salud Juanito! », une envolée flamenco qui reste dans la tête.
Le voyage continue avec la musique accompagnant notre visite de l’Akuda Bar de la cité d’Hyllis, constituée en partie à l’aide d’une amie bulgare d’Héral dont les mots avaient été enregistrés au téléphone pour donner une identité Europe de l’Est. Enfin, certaines courses en hovercraft s’exécutent sur le rythme effréné d’un morceau où Patrice Héral, le frère, hurle en multipliant en totale improvisation moult onomatopées. Clairement, quasi aucune piste de la bande-son ne ressemblait à une autre et sa réussite concerne autant les moments relaxants ou amusants que les situations sombres et inquiétantes.
Et quand on apprend qu’avec ce remaster, pas moins de 15 de ses compositions ont été réenregistrés afin de les apprécier encore plus, c’est un vrai bonheur pour les oreilles. Signalons par ailleurs que la bande-son est enfin commercialisée via un double vinyle prévu pour septembre. Elle est également disponible à l’écoute sur les diverses plateformes musicales grâce au label Ubisoft Music.
Le jeu affiche donc un panel de sonorités et d’ambiances soulignant aussi le côté voyageur et touche-à-tout du musicien, de quoi mettre en valeur, aussi, la diversité de l’univers d’Hyllis. Plusieurs races cohabitent entre elles et mêler aussi bien les visuels et le travail audio ensemble renforce l’immersion dans cet univers pluriel. L’occasion de rappeler qu’avec un tel mélange, il en ressort surtout de la richesse culturelle. Rappelons quand même que pour un jeu de 2003, des stéréotypes négatifs demeurent véhiculés via des personnages et autres références, ce qu’Ubisoft reconnait via un message au lancement du jeu. On pourrait penser par exemple à l’assistant virtuel Secundo ou aux rhinos gérants du garage Mammago.
Les bienfaits d’un remaster satisfaisant
Bien sûr, la musique est loin d’être le seul champ de travail de Beyond Good & Evil 20th Anniversary Edition. L’effort le plus évident concerne les graphismes. Remaster oblige, ne vous attendez pas à une transformation drastique. Toutefois, le « avant-après » s’illustre nettement. La végétation est plus fournie, les textures sont plus nettes et plus travaillées. Quant aux modèles des personnages, ils sont légèrement plus détaillés, avec un meilleur rendu de leur peau ainsi que du tissu de leurs vêtements.
Les cheveux de Jade sont aussi mieux dessinés et ne sont plus uniquement un bloc de polygones noirs. Par ces petits détails, les personnages, déjà bien écrits et très justement doublés à l’époque gagnent alors un soupçon de personnalité et de présence à l’écran. On reste quand même toujours agacé de l’annonce du général Kehck ou des « Carlson et Peeters !! » de Double H, que l’on entend des dizaines de fois durant l’aventure.
Avec le recul, on fait également légèrement la moue devant la performance d’Emma de Caunes pour Jade qui, s’il était appréciable à l’époque de voir une célébrité aussi investie dans son travail, dénote encore régulièrement au milieu des autres.
Un bel effort a été réalisé également au niveau des ombres et des éclairages. Déjà présent en 2003, le cycle jour/nuit redessine donc encore mieux les différents paysages d’Hyllis. Profitant d’une lumière plus réaliste et de meilleurs reflets, la cité gagne en crédibilité. Idem concernant les intérieurs comme les bases des Sections Alpha ou les grottes. Au sein de ces dernières, on a pu remarquer que la couleur des champignons lumineux présents à certains endroits se reflète désormais sur les parois et sur nos héros. Le genre de détail que l’on apprécie.
Tout cela se savoure d’ailleurs en 4K 60fps désormais, de quoi profiter en plus de l’aventure en toute fluidité. On a quand même pu noter deux ou trois gros ralentissements, à des moments où l’action s’excitait particulièrement. Une partie des joueurs a même rencontré des crashs du jeu, ce qui n’a pas été le cas de notre côté.
Parmi les autres améliorations du remaster, on dispose d’une caméra un peu plus souple même si, tiens donc, elle rencontre des problèmes et fait un peu n’importe quoi dans des espaces confinés. Notons aussi l’ajout d’une sauvegarde automatique. Il est bien entendu toujours possible de sauvegarder manuellement grâce au Mdisk, mais la fonctionnalité est plus que bienvenue pour s’éviter des mauvaises surprises en quittant le jeu (ou en cas de crash, justement). Nous avons même droit à un support du cross-save entre toutes les plateformes, une habitude prise par Ubisoft depuis quelques années maintenant.
Enfin, des petits changements comme des contrôles améliorés, la possibilité de passer les cinématiques ou encore la réduction du temps de chargement font aussi du bien. Dommage que la navigation dans l’inventaire soit toujours aussi peu intuitive, surtout au premier abord. Pareil, la carte peut paraître un peu vieillotte à l’heure des plans en 3D avec accès indiqués entre les différents étages. Aussi, si vous désirez vous déplacer instantanément entre des lieux déjà visités, c’est raté. Cela dit, pour ce dernier point, c’est tout à fait compréhensible compte tenu de la construction du jeu et la map est loin d’être géante, de toute manière.
Un anniversaire riche en trésors du passé
De notre point de vue, et avec un peu d’étonnement, grâce au travail de remastérisation et même intrinsèquement : le jeu n’a donc finalement pas tant vieilli que ça. Et si une partie du public pouvait déjà se contenter de tout cela, Virtuos et Ubisoft Montpellier ont également pensé à ajouter du contenu supplémentaire. Evacuons le moins notable d’entre eux : un mode Speedrun a été intégré, de quoi vous prouver à quel point vous maîtrisez le jeu, en sachant que votre meilleur temps sera enregistré pour les sessions suivantes.
Les autres nouveautés sont directement liées au contenu in-game. Tout d’abord, Jade et Pey’j disposent de looks alternatifs, dont un skin Beyond Good & Evil 2. La reportrice a également le droit à une tenue rouge, qui correspond à l’un de ses premiers designs durant le développement. L’hovercraft peut lui aussi passer par la case relooking, et toutes ces apparences s’achètent auprès de quelques boutiques bien précises.
Ensuite, soulignons l’intégration de chasses au trésor supplémentaires. À un certain point de l’aventure, vous aurez la possibilité de jouer à un jeu de piste en récupérant une carte d’un lieu précis et un objet sur lequel se trouve un code. À vous de trouver et d’ouvrir le coffre correspondant. Et dedans, vous ne trouverez ni plus ni moins qu’un autre artefact et une autre carte, et ainsi de suite. Ces coffres contiennent aussi un Mdisk qui, au moment d’être lu, lance une vidéo affichant des visages familiers.
Vous l’aurez peut-être compris, il s’agit d’informations sur quelques personnages de Beyond Good & Evil 2. On rappelle que ce deuxième opus devrait faire office de préquelle à BGE. Et c’est une tendance qui semble inchangée si l’on tient compte de ces bouts de lore inédits intégrés dans ce remaster. Une toute nouvelle cinématique intervient même lorsque vous récupérez le contenu des quatre coffres. Ça reste maigre et posé un peu là comme ça, mais nous conseillons tout de même vivement de se lancer dans cette chasse, tant les nouvelles de BGE 2 sont rares et son développement inquiète.
Mais la véritable pépite concerne à n’en pas douter la galerie anniversaire de ce premier épisode. On nous donne accès à tout un tas de documents, dont des storyboards, concept arts et autres joyaux d’époque. De la phase de conception à celle de production en passant par des archives secrètes où l’on peut regarder des vidéos de niveaux laissés de côté, il y a de quoi se régaler. Le tout est à chaque fois daté pour se situer durant le développement, et toutes les pages sont accompagnées de quelques lignes de texte pour apporter des précisions.
Il s’agit aussi d’une nouvelle occasion de voir les différentes idées abandonnées, comme la possibilité pour Jade d’interagir avec le vent, la glace, le son ou la lumière, en plus de l’électricité. Alors certes on rêverait de bénéficier de telles reliques sur un format papier, mais si vous souhaitez visiter l’envers du décor et en apprendre plus sur le jeu, le passage dans cette galerie est obligatoire.
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