Dire que Pokémon déçoit depuis quelques années, c’est un doux euphémisme. On notera bien entendu les versions Violet et Ecarlate, dont la technique est catastrophique et la proposition, bien que s’écartant de ses habitudes via un open world, trop enfantine. Mais c’est finalement depuis la Nintendo 3DS que la franchise de Game Freak part en sucette. Il y avait du bon à retirer de Pokémon X et Y, et la génération Soleil et Lune ne manquait pas d’intérêt sur le plan stratégique ou graphique. Néanmoins, on venait de faire un pas de géant vers une affligeante facilité, couplée d’une orientation encore plus mièvre que de coutume.
Cette longue déception aura poussé de nombreux petits créateurs à prendre les armes, et à se lancer corps et âme dans le développement de leurs propres Pokémon-like. Avec certains ratés, comme le pourtant très prometteur Monster Crown, mais aussi quelques pépites comme Nexomon : Extinction et Temtem. Mais rien qui puisse se targuer de rivaliser avec les productions de Game Freak sur le plan de l’ambition ou de la qualité. Même constat du côté des entreprises plus conséquentes, comme avec Konami et son Digimon Story Cyber Sleuth. Quant à Square Enix et Dragon Quest Monster Joker, on attend encore le troisième volet. Reste Shin Megami, mais on tape dans un registre un brin différent…
Pourtant, il se pourrait bien qu’ait lieu, cette année, un grand bouleversement dans la force, provoqué par Cassette Beasts, un projet indépendant ne cherchant pas à copier-coller bêtement la recette Pokémon, contrairement à la majeure partie de ses congénères. Développé par Bytten Studio, composé de deux personnes qu’ont ponctuellement rejoint plusieurs artistes, et édité par Raw Fury, le titre se paye plusieurs luxes : une parution sur PC et sur consoles, une apparition sur le Game Pass dès sa sortie, un nombre de features indécent, un style visuel bien à lui, ou encore du multijoueur. A-t-on trouvé un solide concurrent à la série de Game Freak ? Ça se pourrait.
Conditions de test : Nous avons passé près de 25h sur la version Nintendo Switch, ce qui fut suffisant pour voir le bout de l’aventure principale et entreprendre un certain nombre de quêtes annexes, mais pas pour boucler tout ce qui compose le post-game. Par la suite, nous avons aussi lancé le jeu sur Xbox Series X, via le Game Pass, pour vérifier si la technique tenait mieux la route. Ce test est garanti sans spoiler majeur.
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ToggleDe touche personnelle à identité remarquable
Ce qui différencie, en premier lieu, Cassette Beasts de la majeure partie des Pokémon-like indépendants, c’est son enrobage. Le titre de Bytten Studio ne manque pas de charme sur le plan visuel, mais surtout, il offre un cadre et un concept différents à la capture de monstres. Le joueur n’endosse plus le rôle d’un simple dresseur, mais il se transforme lui-même en diverses créatures, qu’il aura au préalable enregistrées sur des cassettes analogiques. Objets que les plus jeunes d’entre vous n’ont jamais connus. Cela participe d’une part à l’ambiance assez rétro du projet, tout en lui conférant, vous l’aurez compris, une identité inimitable. Premier bon point.
Une identité que Cassette Beasts se forge dans le pixel apparent, avec 120 créatures aux designs résolument old school, et diablement efficaces, ne laissant à aucun moment la désagréable impression de s’être inspiré de Pokémon. Malgré les propositions intéressantes de Nexomon ou de Coromon, par exemple, force est de reconnaître que les artistes en charge des créatures manquaient parfois d’inspiration, et allaient piocher, consciemment ou non, dans ce qu’a pu faire Game Freak. Ici, ce n’est jamais le cas, et le résultat est par ailleurs particulièrement convaincant. De surcroît, Cassette Beasts s’étoffe de très nombreuses créatures fusionnées, sur lesquelles nous reviendrons.
Cette singularité, le projet de Bytten Studio la creuse jusqu’à sa bande sonore, une franche réussite, mais aussi son scénario qui n’a rien à voir avec tout ce que l’on a pu connaître dans le genre. Ici, vous incarnez un personnage que vous façonnerez vous-même, via un éditeur assez complet (mais limité par l’aspect rétro), s’éveillant au bord de l’eau, sur une plage. Vous apprendrez vite que, comme beaucoup d’autres malchanceux issus d’époques et de pays variables, vous avez atterri sur une île dont personne n’a jamais réussi à s’évader, infestée de surcroît de nombreuses et dangereuses créatures. Pour les combattre et survivre, la seule solution est d’en enregistrer sur des cassettes analogiques, servant ensuite à se transformer.
Le soft aime à jouer avec l’aspect contre-intuitif de cette transformation, allant jusqu’à nous faire rencontrer des personnages se questionnant profondément sur cette mécanique fondamentale et son origine. Bien que le déroulé de l’histoire et son aboutissement ne soient pas excessivement originaux, quant à eux, on salue malgré tout le parti pris intéressant, et les nombreuses bonnes idées imaginées par les développeurs, qui enrobent ce monde d’un mystère très appréciable. Clairement pas le plus gros point fort de Cassette Beasts, donc, mais une qualité qui supplante complètement ce que propose Pokémon depuis… eh bien certainement depuis toujours à vrai dire. Et ce malgré une mise en scène sans fioriture.
Y’en a qu’ont essayé, ils ont eu des problèmes
Là où l’on attend le plus un Pokémon-like, c’est souvent sur son système de combat. Et il faut reconnaître qu’en plus d’être bien habillés, toujours dans le thème de la cassette analogique, les affrontements sont d’une richesse qu’on a rarement atteinte, si ce n’est jamais dans le genre. Pour commencer, il va vous falloir revoir entièrement votre table des types, qui n’a rien en commun avec les séries de Game Freak, Atlus ou Square Enix. Les interactions et affinités sont beaucoup plus réfléchies et punitives, avec une logique axée entièrement sur la physique et la chimie. Et il y a même du changement de type en plein combat, sous l’impulsion de certaines capacités.
Par exemple, un monstre du type Plastique se transformera en type Poison s’il est aspergé de flammes. La raison ? Eh bien avec la chaleur, sa surface commence à fondre, dégageant des vapeurs toxiques. Et c’est comme ça pour beaucoup d’autres. Une façon de réfléchir complètement nouvelle, une logique intelligente et compréhensible qui amène un aspect stratégique très poussé, et ce malgré le fait que les créatures de base sont monotypes. D’autant qu’il est possible de cumuler les afflictions, les malus, mais aussi les bonus, approfondissant le champ des possibles. La richesse de son système de combat est la plus grande force de Cassette Beasts, à n’en point douter.
Dommage, alors, que les affrontements soient un brin mous, du moins comparés aux standards actuels. Bien que l’on s’habitue vite. Un petit défaut nettement compensé par la qualité desdits combats, qui permettent des combinaisons jubilatoires, pouvant par ailleurs rapidement se retourner contre nous au moindre mauvais calcul. Parce que Cassette Beasts n’est pas un jeu facile. On se fait rapidement punir par l’adversaire en cas d’attaque irréfléchie. Les développeurs ont d’ailleurs cru bon d’afficher l’efficacité de vos attaques sur les créatures adverses, via un code couleur. On aurait aimé que ce soit paramétrable.
Ce qui l’est, en revanche, et c’est un excellent point (prends-en de la graine, Game Freak), c’est tout le challenge. En effet, Cassette Beasts nous fait commencer notre aventure dans une difficulté moyenne, qu’il sera possible de modifier intelligemment dans le menu pause. Et si je dis intelligemment, c’est parce qu’il ne se contente pas de proposer bêtement du Facile, Normal et Difficile. À la place, il permet d’une part de modifier le niveau de l’IA, ce qui se traduit par une intelligence en combat plus ou moins élevée, mais aussi d’adapter le niveau adverse. Autrement dit, le titre vous demande si vous aimez le Grind plutôt que de vous l’imposer. Très bien vu !
À noter que vous n’êtes jamais seul, puisque vous serez toujours accompagné par un ami que vous contrôlez, ce qui double les possibilités. À deux, il est par exemple possible de jouer sur le changement de type de l’une de vos créatures en se servant de l’attaque de la seconde. Ou d’engendrer un changement de type chez l’adversaire pour le punir dans le même tour. C’est aussi utile pour l’une des mécaniques les plus importantes du jeu, à savoir la fusion. Rien de bien compliqué à comprendre, il est simplement possible d’assembler deux créatures sur le terrain pour en créer une nouvelle, éphémère, conservant les types des deux matériaux utilisés, et gagnant en puissance et en PV. Astucieux.
Le plus déroutant dans son système de combat demeure la disparition du système de PP à la Pokémon, remplacé par des PA (points d’action). Ce que cela change, c’est que vos capacités coûtent un certain nombre de points, et que vous n’en gagnez, en temps normal, que deux à chaque début de tour. Ainsi, l’aspect stratégique pousse jusqu’à nous imposer un choix intelligent dans les attaques à apprendre à nos créatures, et de la temporisation. Ce n’est pas intuitif, il faut le reconnaître, mais cela ajoute encore une surcouche de réflexion bienvenue. Ce qui laisse à penser que la communauté de stratégie Pokémon, notamment active sur Showdown, va se faire une joie d’expérimenter sur Cassette Beasts, qui n’a rien à envier aux productions de Game Freak à ce niveau.
Une richesse surprenante
Cassette Beasts n’est pas vendu cher, puisque affiché à moins de vingt euros sur PC et sur consoles. Or, à ce prix, on s’attendait à un petit jeu sans prétention, plus proche du premier Nexomon que du dernier Pokémon en date. Que nenni ! Le titre de Bytten Studio a de nombreuses cordes à son arc, et articule par ailleurs son aventure autour d’un monde ouvert de taille respectable, au level design convaincant, aux nombreux secrets, et nécessitant l’utilisation de capacités empruntées aux monstres pour être exploré de fond en comble. De quoi pousser tout joueur à la capture (ou plutôt l’enregistrement) sans que celui-ci s’y sente bêtement contraint.
Enregistrement qui a sa mécanique propre, un peu différente de ce que l’on connaît dans le genre, poussant là encore à jouer intelligemment. Cassette Beasts, c’est aussi l’apprentissage de nouvelles compétences via des autocollants à récupérer dans son monde (ou à acheter) ; un système de ressources plutôt bien conçu, et raccord avec la volonté scénaristique ; un système d’expérience différent, qui fait grimper les niveaux de notre personnage indépendamment de nos créatures ; de l’évolution, comme chez Pokémon, mais en mieux ; du shiny qui s’accompagne d’un changement de type ; un système d’amitié avec nos compagnons de route, permettant l’utilisation de la fusion ; un cycle jour / nuit ; du voyage rapide…
Bref, le jeu de Bytten Studio est très complet, et même d’une richesse qui ne cesse de surprendre. Jusque dans ses dialogues, très bien traduits de surcroît, au même titre que les noms des créatures et des compétences. Une richesse qui pousse le vice jusqu’à une durée de vie très convenable, tournant autour de 20/25h pour voir le bout de l’histoire en ligne droite, et pouvant pousser jusqu’à la cinquantaine pour tout faire. Ses quêtes annexes ne sont pas toujours très captivantes, mais conservent du sens dans l’univers décrit par le jeu, et le post-game s’avère solide. Bref, non seulement vous ne payez pas cher, mais en plus vous en avez largement pour votre argent.
L’ombre au tableau
Malheureusement, sur Nintendo Switch le jeu semble constamment en souffrance. Nous avons subi de très réguliers lags et freezes, qui gangrènent l’ensemble de l’aventure, les combats et même les dialogues ou cinématiques, au point de rapidement faire naître une tenace impression que l’on joue à un titre non terminé. Heureusement, à ce niveau Cassette Beasts s’en sort beaucoup mieux sur Xbox Series X, et nous sommes en droit de penser qu’il en va de même sur PlayStation 5 et PC (à condition que votre configuration soit suffisante bien sûr). C’est dommage, car la Nintendo Switch se prête à merveille à ce type de jeu, grâce à sa portabilité.
Enfin, quel que soit le support, nous avons aussi fait face à de nombreux bugs. La plupart du temps bénins, mais parfois un peu plus problématiques. Comme les textures des arrières plans qui disparaissent en combat, et ce jusqu’à ce que l’on se décide à recharger notre sauvegarde. Plus surprenant, un bug nous a bloqués dans un donjon, en refermant la porte derrière nous comme si nous n’avions pas réussi l’énigme permettant de l’ouvrir en premier lieu. Il nous a alors fallu mettre KO une à une nos créatures pour pouvoir nous téléporter à l’infirmerie, le voyage rapide ne fonctionnant guère en ce lieu. Espérons que les développeurs soient à l’œuvre pour régler ce genre de problèmes.
On notera aussi qu’au cours de notre partie sur Nintendo Switch, nous avons souffert de quatre crash du jeu, nous renvoyant purement et simplement sur l’écran d’accueil de la console. Heureusement que Cassette Beasts possède une fonction de sauvegarde automatique… Alors effectivement, ça fait beaucoup, et on sent que cette mouture hybride est la plus à plaindre, ce qui demeure logique d’une certaine façon. Mais il reste contestable de faire le choix de sortir cette version dans cet état, même si on se doute que le problème vient probablement d’une volonté de l’éditeur plus que du développeur à ce niveau.
Pour finir, un petit mot sur le multijoueur, ou plutôt la coopération, peut-être la seule vraie déception hormis la technique. Parce que si le jeu annonce effectivement que l’on peut jouer à deux, en vérité, il s’agit de faire l’aventure ensemble, le second joueur revêtant les traits du compagnon de route qui ne vous quitte jamais en solo. L’idée n’est pas mauvaise en soi, mais manette en main ça n’apporte vraiment pas grand-chose. Par ailleurs, nous n’attendions clairement pas d’échange de cassettes vu le nombre de créatures disponibles, et le fait qu’il n’est pas compliqué de toutes les obtenir (hormis les pseudo-shiny), mais du combat en multi n’aurait pas été de trop. Bien sûr, les Pokémon-like indépendants qui proposent ce genre de features ne sont pas légion, et il serait illogique de tenir rigueur à Cassette Beasts pour cette absence.
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