Succès extraordinaire de la scène indépendante, il n’y a qu’à voir le nombre d’avis positifs sur la plate-forme Steam pour s’en convaincre, Darkest Dungeon aurait pu en rester là, comme beaucoup de ses congénères. Néanmoins, ce n’était pas tout à fait dans les intentions de Red Hook, son développeur, bien décidé à retenter le coup avec une suite. Mais attention, pas n’importe quelle suite, puisque le sobrement intitulé Darkest Dungeon II n’a plus grand chose à voir avec l’original, remplaçant toute sa dimension Dungeon Crawler, au cœur de son expérience, par quelque chose de plus ouvert, dans tous les sens du terme. Mais surtout, ce nouvel opus embrasse avec plus d’aisance le Rogue-lite, genre que le premier survolait assez timidement.
Pour certains, ce changement de cap fut une véritable douche froide. Pour d’autres, il s’agissait d’une riche idée. Toujours est-il que Darkest Dungeon II aura, quoi qu’il arrive, fait bien moins de bruit que son prédécesseur, et ce malgré une ambition revue à la hausse. Ce qui ne l’a pas empêché, à priori, de se vendre convenablement sur PC, première version à avoir vu le jour, avant son arrivée cette semaine sur consoles de salon. Une arrivée que nous attendions, à titre personnel, de pied ferme, tant parce qu’elle sonnait l’occasion pour le titre de s’offrir à un plus large public, que parce que sa version Steam n’était pas, à, notre grand damne, capable de tourner convenablement sur notre vieux coucou… Mais l’attente valait-elle la peine ?
Conditions de test : Nous avons passé environ 20 heures sur la version Nintendo Switch du jeu, autant sur TV qu’en mode portable, et lui avons accordé deux heures supplémentaires sur Switch Lite.
Sommaire
ToggleLes rats dans les murs
Darkest Dungeon premier du nom a si bien fonctionné pour plusieurs raisons, parmi lesquelles on retiendra, avant toute chose, sa propension à faire naître l’addiction. Une qualité que l’on retrouve chez beaucoup de modestes expériences indépendantes lorgnant vers le Rogue-lite, à commencer par les emblématiques Faster than Light et Slay the Spire, que l’on pourrait ranger dans la même catégorie. Des titres complexes, à la boucle de gameplay pas particulièrement élaborée, mais tournant néanmoins autour de mécaniques punitives et de récompenses rares, parvenant à maintenir un fragile équilibre fait de frustration et de joie fugace.
À ceci s’ajoutait toute une mécanique de Team Building, qui n’était pas sans faire écho à des franchises telles que Pokémon ou Shin Megami Tensei, débouchant sur une dimension affective. On s’attachait, qu’on le veuille ou non, à nos éclaireurs, nos médecins de la peste, et autres petits soldats que nous envoyions au casse pipe dans des dédales de couloirs infestés de créatures mutantes et dangereuses, armés de quelques breloques et de bougies à l’efficacité douteuse. Là où l’on aurait pu craindre que l’aspect claustrophobe de ses lieux sombres mène à la redondance, Darkest Dungeon parvenait finalement à tirer sa force de ses cloisons.
Alors évidemment, quand le second épisode décide de se départir de tout ce qui pouvait le rattacher au Dungeon Crawler, on est en droit de se demander si l’ADN de l’opus original n’en est pas altéré. Chose à laquelle nous allons répondre de ce pas, en tranchant dans le vif : les deux jeux n’ont rien à voir ! Si ce n’est au niveau de leurs mécaniques de combat et de leur univers visuel. Tout ce qui gravite autour a été repensé, et n’a pas les mêmes intentions. Même la boucle de gameplay n’est plus la même, puisque l’exploration ne revêt plus la même importance, et surtout ne s’aborde plus du tout de la même manière dans cette suite.
Parce que Darkest Dungeon II est plus à concevoir comme un road trip en plein apocalypse, que comme une descente aux enfers dans des donjons. Lesdits donjons ont totalement disparu, au profit d’une progression par lieux d’intérêt, nous faisant passer par différents types d’événements qui reviennent en boucle, mais ne se règlent pas toujours de la même manière. Une recette qui fait beaucoup plus penser à ce que propose un Faster than Light, encore lui, avec sa liste de planètes, dans chaque nouveau niveau, nous amenant inévitablement à passer par différents combats, mais aussi des boutiques et des situations particulières.
Un genre de routine qui sied moins à Darkest Dungeon II qu’au jeu de Subset Games. D’abord parce que l’on trouve ici une dimension plus narrative, laissant moins la place à l’identification des joueurs envers leurs différents membres d’équipage. Chacun d’entre eux a quelque chose à raconter, qui se construira par la découverte de leur passé au travers de petites scénettes apparaissant en certains lieux, menant parfois à des combats. Une idée intéressante, il est vrai, ajoutant plus de lore à un univers finalement peu fourni, au premier regard, en histoires. Nonobstant, les questionnements induits par l’absence de véritable narration faisaient partie intégrante de la personnalité du premier.
Cette suite manque alors un peu de saveur, en comparaison, cherchant trop à cadrer son expérience et ce qu’elle doit raconter, quand les joueurs du premier volet étaient plutôt habitués à se créer leurs propres histoires, par dessus lesquelles la voix du narrateur (de retour ici) venait ajouter un peu de matière et d’immersion. L’univers demeure toutefois la grande force de Darkest Dungeon II, notamment parce que celui-ci nous fera passer par différents biomes qui ne racontent pas la chute du monde de la même manière. Dans les débuts, on est constamment en train de se demander ce qui a bien pu se passer, et l’on n’obtient, finalement, jamais vraiment de réponse claire.
Hormis l’univers et le système de combat, Darkest Dungeon II conserve aussi l’âpreté et la difficulté de son prédécesseur. Ce second volet est tout aussi difficile d’accès que le précédent jeu de Red Hook, et demandera un temps d’adaptation et d’investissement conséquent à tout nouveau joueur désireux d’apprécier l’expérience. Parce qu’il faut dire ce qui est, en s’orientant définitivement vers le Rogue-lite, avec ce que cela implique de recommencement perpétuel, Darkest Dungeon II s’offre un regain de frustration, d’autant qu’il ne se départit jamais de l’étiquette punitive lui collant à la peau. Faut-il vous décourager pour autant ? Loin s’en faut !
Les montagnes hallucinées
Parce que si nous n’avons pas été forcément très positifs jusque là, ce n’était finalement que pour écrémer les joueurs téméraires et tenaces. Les autres peuvent, de toute façon, passer leur chemin. Se lancer dans l’un ou dans l’autre des jeux de Red Hook ne serait que perte de temps pour eux, dans la mesure où ils nécessitent un investissement personnel conséquent. Vous ne viendrez pas à bout de Darkest Dungeon II en quelques heures. Et si certaines runs vous offriront de merveilleuses récompenses, tant émotionnelles que tangibles, la plupart vous fera plutôt chavirer vers la frustration et la haine. L’équilibrage est en partie en cause, mais on ne saurait finalement le blâmer, puisque l’on relance chaque fois une nouvelle run avec joie.
Dans Darkest Dungeon II, il vous faut monter une équipe de quatre avant de prendre la route, en choisissant parmi les classes disponibles, que l’on débloque au fil du jeu. Première modification vis-à-vis du premier opus, les mercenaires que l’on engage seront toujours les mêmes. Le brigand, par exemple, ne changera pas d’une run à l’autre. Dismas, de son petit nom, aura donc la même histoire à nous raconter, progressant au fil de nos parties, et il ne possédera aucune spécificité particulière de l’une à l’autre. Ce qui est plutôt un bon point, dans le sens où, dans une mesure différente du premier volet, on s’attache à ces personnages. Cette absence de changement est aussi un bon moyen de nous permettre d’appréhender plus aisément les aléas des parties.
Parce que cette suite ne se départit nullement des afflictions qui peuvent tomber sur nos personnages en cas de stress intense. Afflictions qui sont, là encore, traitées différemment ici, et peuvent désormais toucher plusieurs mercenaires à la fois. Car le titre intègre un aspect plus social, vous proposant régulièrement de choisir la manière de faire de l’un ou l’autre de vos compagnons, ce qui peut autant le rapprocher d’un ou plusieurs de ses congénères, que l’en éloigner. Dans le premier cas, passé un certain stade vous obtiendrez des bonus, et dans l’autre, tout le contraire. Une riche idée, à l’exécution assez limpide. Et cela tombe bien, car le reste l’est un peu moins.
En effet, le seul véritable reproche que l’on pourrait asséner à Darkest Dungeon II, en dehors de sa difficulté mal dosée, c’est finalement l’aspect assez opaque de ses mécaniques. Le titre nous balance, comme le premier, un wiki imbuvable expliquant en détail l’intégralité de sa proposition, sans lequel on serait absolument perdu. L’ennui, c’est donc qu’aucun véritable tutoriel ne nous accompagne en début de partie, ou simplement une run type pour nous montrer le fonctionnement du jeu et de ses nombreuses mécaniques. On est donc rapidement dérouté si l’on ne prend pas le temps de lire certains détails, et la profusion d’informations peut parfois plus nous perdre qu’autre chose.
Darkest Dungeon II est un titre riche, ça il en a bien conscience. Et il ne fait pas grand chose pour nous aider à comprendre sa proposition et à l’intégrer. C’est en cela qu’il faut du temps et un investissement personnel pour s’y lancer dans les bonnes conditions. Ce qui est d’autant plus valable sur la version consoles. Puisqu’une seconde fois, Red Hook a choisi de ne pas insérer de pointeur pour remplacer la souris de la version PC, pour préférer attribuer des touches à tous les menus et interactions. Sur le principe, on comprend ce choix, mais dans la pratique, cela rend l’expérience encore moins digeste, car on est sans cesse en train de se demander, dans un premier temps, quelle touche utiliser, bien que tout soit indiqué quelque part sur l’écran.
Heureusement, la progression dans les runs est beaucoup plus compréhensible. On débute donc l’aventure avec quatre combattants, qui montent dans une calèche de fortune, dont il faudra surveiller l’état des roues et de la lanterne. Les différents aléas de la route pourront en effet finir par briser votre véhicule, ce qui mène à un combat le temps de réparer les dégâts. Ces aléas pourront aussi faire baisser votre niveau de lumière ce qui, comme dans le premier opus, est synonyme de difficulté accrue, mais aussi de butin plus intéressant. Pour le reste, on entre dans du Rogue-lite assez classique, avec ce que cela implique d’aléatoire.
S’il est possible de diriger notre calèche sur la route, cela n’a finalement que peu d’incidence sur ce qui va nous arriver, puisque cela ne permet que de récupérer quelques piécettes ou objets de soin. Du moins jusqu’à ce que l’on arrive à des intersections, annonçant clairement la couleur de ce qui nous attend. Vous ne serez jamais surpris à ce niveau, puisque lorsque votre véhicule s’arrête pour vous laisser le temps de choisir votre route, le jeu vous indique quel type de point d’intérêt vous trouverez à chaque embranchement. Ce qui ne signifie pas qu’aucune embuscade ne pourra vous attendre en chemin, mais vous permet néanmoins de planifier vos actions et votre progression.
Une descente dans le Maelstrom
Darkest Dungeon II peut se targuer de plusieurs forces indéniables, outre son univers, à commencer par un sentiment de progression globale qui permet à chacune de ses runs de revêtir un certain intérêt. On peut bien perdre à des lieues de l’engeance finale à abattre, le jeu nous récompensera néanmoins en bougies, qui représentent une monnaie universelle à dépenser dans différentes améliorations pour les runs à venir. Ainsi, dans un premier temps on s’affairera à débloquer chacune des classes disponibles pour pouvoir varier les plaisirs d’une partie à l’autre, puis on commencera à s’intéresser aux différents bonus permettant de se faciliter (un peu) la vie.
À ce niveau, le jeu de Red Hook est à rapprocher de ce que proposait l’excellent Hades. Comparaison qui pourrait s’arrêter là, mais nous semble tout aussi pertinente dès lors que l’on aborde l’aspect addictif de la proposition de Darkest Dungeon II. Celui-ci est autant dû à ce sentiment de progression que nous venons d’aborder, qu’à des combats qui gagnent en intérêt à mesure que l’on progresse dans les runs et que l’on comprend les différentes mécaniques tournant autour. Qu’il est bon de rouler sur les équipes adverses après avoir réalisé une série de bons choix et équipé les bonnes breloques !
On pourrait néanmoins reprocher un certain manque de rythme à l’ensemble, qui peut parfois se révéler un brin soporifique. Une run peut durer entre 1h et 1h30, en moyenne, et les combats traînent parfois en longueur. Heureusement, ceux-ci sont plutôt bien habillés, tant visuellement que musicalement, ce qui est autant valable pour le restant du jeu d’ailleurs. Faisant le choix de la 3D pour ses décors et ses personnages, tout en conservant un plan 2D en combat, Darkest Dungeon II pourra revêtir moins de charme aux yeux de ceux qui ont profondément aimé le premier opus. Mais ne vous y trompez pas, il demeure vraiment agréable à regarder.
Dommage que la version Switch manque d’optimisation, d’ailleurs, ce qui s’est traduit pendant nos parties par un crash, différents petits lags, et un bug assez sévère nous ayant purement et simplement empêché de poursuivre notre run. Des problèmes mineurs, dans un sens, qui ne sont pas survenus souvent, mais qu’on espère néanmoins voir disparaître avec de futures mises à jour. Rappelons que nous avons reçu cette version console en avance, et il est tout à fait possible qu’un patch day one soit prévu pour atténuer ou faire disparaître les derniers points noirs techniques. Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser que, sur PS5, le titre doit bien mieux tourner. Cependant, la Switch conserve l’avantage du tactile en mode portable, remplaçant avec brio la souris qui manque tant sur TV.
Enfin, il est à noter que la perte d’un membre d’équipage est moins punitive dans cette suite que dans le Darkest Dungeon original. Pas parce que l’on s’en sort mieux, avec une équipe réduite, loin s’en faut. Perdre un compagnon sera, en toutes circonstances, source de frustration et le début d’une descente aux enfers, menant très régulièrement au Game Over tant redouté. Néanmoins, si vous parvenez à atteindre la fin d’un biome, vous vous arrêterez dans une auberge qui vous permettra de récupérer, mais aussi d’enrôler de nouvelles têtes pour remplacer ceux tombés au combat. Ainsi, non seulement les compositions sont nombreuses et fascinantes, mais en plus elles pourront changer du tout au tout en cours de run.
Cet article peut contenir des liens affiliés