Sorti pour la première fois en 2010 sur Xbox 360, Deadly Premonition ne fit à l’époque pas sensation. Il faut dire que cet étrange Survival Horror aux aspects d’enquête criminelle manquait cruellement de finition. Ce qui se traduit en jeu par une réalisation on ne peut plus datée. Trois ans plus tard, la PlayStation 3 et le PC l’accueillent à leur tour dans une édition Director’s Cut qui ne change pas grand-chose au constat initial.
Alors quand en septembre 2019 Rising Star Games annonce une suite, sous-titrée A Blessing in Disguise, et sort dans la foulée le premier volet sur Nintendo Switch, la planète jeu vidéo ne peut s’empêcher de s’interroger sur les raisons de ce retour. Le Survival Horror de Swery65 avait-il plus à offrir que ce qu’il laissait paraître il y a dix ans ? Penchons nous ensemble sur sa plus récente version, Deadly Preminition Origins, afin de répondre à cette question épineuse.
Conditions du test : Nous avons joué un peu plus de quinze heures à cette version Switch, principalement en mode portable. Au cours de notre partie, nous avons pu constater plusieurs ralentissements sévères, mais aussi des bugs, dont certains nous ont carrément contraint à relancer le jeu.
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ToggleL’œuvre d’un artiste incompris
À l’instar d’un certain Goichi Suda, plus connu sous le pseudonyme de Suda51, Hidetaka Suehiro, qui aime à se faire appeler Swery65, est avant tout un artiste du jeu vidéo. Un homme qui a sa propre vision, aussi étrange soit-elle, cherchant à la dispenser au travers de plusieurs œuvres arborant de manière indélébile sa marque de fabrique. Parmi elles, peu sont connues du public occidental. On retiendra néanmoins des titres comme D4, sur Xbox One, Lord of Arcana sur PSP, et prochainement l’intrigant The Good Life.
Non content d’être un amoureux du jeu vidéo, dont il rejoint l’industrie peu après avoir terminé des études artistiques, Swery65 est aussi un amateur de cinéma, à n’en point douter. En effet, beaucoup ont fait la comparaison après y avoir joué car elle tombe sous le sens, Deadly Premonition pourrait être interprété comme une adaptation de la série et du film Twin Peaks de David Lynch. Une œuvre qui a marqué beaucoup de monde dans les années 90, élargi les codes du feuilleton télévisé, et permis à son créateur d’asseoir un peu plus son image de génie du septième art.
En ce qui concerne Deadly Premonition, Hidetaka Suehiro est à la fois scénariste, designer, et directeur de projet. Trois casquettes pas si distinctes, qui ont permis à ce créateur de modeler à son image le jeu de Access Games. Une image que certains trouveront géniale, tandis que d’autres y verront une véritable hérésie. Là encore, le parallèle est vite fait avec Goichi Suda, dont les jeux sont chaque fois reçus à bras ouverts par les amoureux d’expériences nippones étranges, mais sortent dans l’indifférence générale du grand public.
Enfin, tout comme la série Twin Peaks, dont il s’inspire de manière évidente, Deadly Premonition a étonnamment rencontré un certain succès longtemps après sa sortie. Il est même devenu culte dans certains milieux, ce qu’il doit sans conteste à son ambiance indéfinissable, son scénario captivant, et ses personnages caricaturaux aux doublages souvent sans vie. En d’autres termes, il doit son succès à ses inspirations et sa mise en scène plus qu’à sa qualité, ce que ne démentira, j’en suis certain, aucun joueur ayant posé les mains sur cette œuvre inégale.
Quels défauts sont excusables ?
Deadly Premonition Origins est un vulgaire portage de l’édition Director’s Cut de 2013, déjà dépassée techniquement en son temps. Ce qui peut paraître aberrant, en un sens, puisque cette même édition a reçu un accueil critique mitigé, en bonne partie dû à sa réalisation obsolète et son gameplay mal calibré. Et il est vrai qu’y poser les mains sur Nintendo Switch, sept ans plus tard, n’est pas chose aisée, puisqu’il faut commencer par faire abstraction de sa réalisation, et prendre son mal en patience lorsque ses défauts de jouabilité apparaissent comme trop évidents.
Heureusement, le titre peut compter sur une esthétique travaillée, dont les inspirations vont pêle-mêle de Silent Hill – ou L’échelle de Jacob – à Twin Peaks, en passant par Le Silence des Agneaux. En faisant le choix de surmonter son aspect technique, dont les défauts seraient trop longs à énumérer – notons tout de même des ralentissements réguliers, un environnement extérieur infâme, des animations raides et une caméra perfectible – on s’octroie le droit de profiter d’une expérience à la mise en scène léchée, quoique parfois risible.
Reste malheureusement le problème du gameplay. Pourtant, là encore les inspirations ne manquent pas, avec du Grand Theft Auto coté ouverture de son espace de jeu, ou encore Resident Evil 4 pour son système de visée. Rien à faire, la conduite des véhicules est imbuvable, les déplacements de notre héros sont rigides, les combats mous et sans aucun challenge. Reste un système de faim et de fatigue dont il est difficile de percevoir l’utilité, n’apportant aucun véritable attrait à ce jeu qui manque cruellement d’un aspect ludique.
Enfin, son scénario est porté par l’agent Francis York Morgan – que l’on assimilera à l’agent Cooper – dont on se prend vite d’amitié malgré une interprétation sans âme. L’ambiance à la Twin Peaks fait beaucoup, ajoutant même un certain charme contemplatif à des dialogues souvent vides de sens, ou aux références qui pleuvent par dizaines. Cela étant dit, l’écriture n’a pas été mise de coté dans la réalisation de Deadly Premonition, et cela se ressent dans sa manière d’aborder certains personnages, tandis que d’autres sont de véritables stéréotypes.
Une œuvre intéressante mais inachevée
Le résultat, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est une enquête que l’on suit de bout en bout sans jamais ressentir le désir de lâcher la manette, bien que de nombreux passages se révèlent excessivement frustrants. Notamment dans leur gestion complètement aléatoire des checkpoints : tantôt ils se situent juste avant une scène difficile, tantôt un niveau n’en contient qu’un seul, diablement mal placé de surcroît. Cela laisse un sentiment d’inachevé, qui rejoint de toute évidence l’impression engendrée par l’aspect technique global du soft.
Abordant la plupart du temps son scénario sur un ton léger, ce que vient appuyer ses quelques mélodies plutôt réussies, le titre se rappelle parfois, soudainement, qu’il est vendu comme un Survival Horror. Ces passages, s’ils ne manquent pas d’intérêt via leur mise en scène parfois glaçante, ont une fâcheuse tendance à nous contraindre à des environnements exigus auxquels la caméra peine généralement à s’adapter. L’occasion de faire face, par ailleurs, à un level design qui, à l’inverse du scénario et de nombreux clichés au cours de l’aventure, n’est pas inspiré.
D’autres moments ne sont simplement pas pensés au préalable pour le jeu vidéo, reprenant à leur compte des scènes oppressantes de films à suspens, en délaissant complètement le gameplay. Lorsque le tueur à l’impair – véritable Nemesis hérité de Resident Evil – nous tombe dessus, c’est chaque fois prétexte à une série de QTE plus agaçants que stressants. Idem, lorsqu’il faudra lui échapper, le titre nous contraint à tourner le joystick gauche pour courir, et à appuyer sur une touche d’action pour passer les obstacles. Alors qu’une simple course poursuite conservant la jouabilité habituelle aurait très bien fonctionné.
Reste un univers qui, à défaut d’être riche et beau, offre nombre de personnalités intéressantes à découvrir. Au travers du scénario pour commencer – que l’on bouclera en douze à quinze heures – ou de la quarantaine de quêtes annexes à l’inspiration inégale. La carte a d’ailleurs le bon goût de nous indiquer où se trouvent les habitants à qui l’on peut adresser la parole, ce qui évite de déambuler trop longtemps sur des routes de campagne immondes ou dans une ville sans vie, au volant d’un véhicule au gameplay inadapté.
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