Le J-RPG est un genre bien représenté au sein du catalogue vidéoludique contemporain, quoique l’Europe soit malheureusement dédaignée par légion de ses émissaires. Partant du principe que nombre de ses représentants disposent d’un scénario peu abouti, Galapagos RPG s’attelle depuis plusieurs années à la créations de titres qui ont pour ambition de corriger cette erreur. Néanmoins, ce petit studio japonais méconnu (tout particulièrement sur le vieux continent) dispose de moyens restreints. Un constat qui laisse entrevoir, avant même d’y avoir touché, les limitations de Death end re;Quest, titre intrigant qui tient autant de l’expérience narrative que du jeu de rôle nippon.
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Death end re;Quest part d’une idée simple, qui rappellera beaucoup de souvenirs aux fanatiques du manga Sword Art Online (dont l’adaptation Hollow Realization débarque par ailleurs sur Switch dans les prochaines semaines). Bien qu’il mette une bonne heure à le préciser, Shina, héroïne ayant perdu la mémoire, évolue dans un jeu vidéo nommé World’s Odyssey, qu’elle a par ailleurs participé à concevoir elle-même. L’ennui, c’est que la jeune femme a en réalité disparu depuis près d’une année entière, et est incapable de se rappeler ce qu’il lui est arrivé au cours de cette douzaine de mois, ni où se trouve son corps. Par ailleurs, une fois ses souvenirs retrouvés, Shina n’a pas la possibilité de sortir de cet univers VR par l’utilisation d’un simple bouton log-out. Son ami Arata, qui a trouvé le moyen de communiquer avec elle depuis le monde réel, va alors lui instiguer l’idée de terminer le jeu dans lequel elle est coincée. Un objectif qui va se révéler bien plus complexe qu’il n’y paraît, puisque le programme est complètement buggé, au point que les PNJ ont changé de comportement, en devenant parfois plus humains que nature, ou tout le contraire. Idem, le monde a connu des changements drastiques.
Jouant sur deux tableaux à la fois, celui de la réalité et celui du jeu vidéo World’s Odyssey, Death end re;Quest parvient à instaurer un véritable climat de stress et d’angoisse au cours de son aventure truffée de rebondissements. Les premières heures passées à faire évoluer Shina dans ce monde virtuel et à suivre la vie mouvementée d’Arata sont légères et appréciables ; bien qu’il faille à minima cinq heures à l’aventure pour décoller réellement, ce qui peut se révéler pénible si tant est que l’on accroche plus à la partie RPG qu’aux dialogues. Et ces derniers seront nombreux au cours de la quête vers le boss de fin. La narration tient en effet une place maîtresse dans le titre. Oubliez les cinématiques grandioses d’un Final Fantasy XV, ou le dynamisme des phases de parlotte d’un Phoenix Wright : Ace Attorney. Ici les très nombreuses discussions se dérouleront toujours de la même manière : écran fixe, personnages remuant paresseusement les lèvres, et rien d’autre sur quoi se concentrer qu’une enfilade de caractères. Autant le dire tout de suite, si vous n’accrochez pas aux aventures narratives habituellement, vous n’allez pas y parvenir non plus avec celle-ci. D’autant que pour ne rien arranger le titre de Galapagos RPG n’a pas été traduit depuis l’anglais, c’était à prévoir.
Les dialogues sont très nombreux, et se révèlent plutôt austères : écran fixe, personnages qui bougent paresseusement les lèvres… et c’est tout…
Pour autant, ce J-RPG narratif regorge de bonnes idées, avec en premier lieu un système de combat au tour par tour, tout à fait excellent et original. Trois héroïnes se donnent la réplique sur un terrain en forme de cercle, chacune disposant de capacités très différentes. Il sera possible de leur assigner trois actions par tour. Ceci fait, après leur troisième action (si tant est qu’elles se tiennent dans l’axe d’un ennemi, et à distance suffisante pour le toucher) elles effectueront un dernier coup spécial (ne consommant aucun point de magie) expulsant leur(s) adversaire(s) loin sur le terrain. L’idée étant de s’arranger pour que chaque action offensive permette d’envoyer les monstres visés contre les parois de l’arène, ou à une autre héroïne. Il sera ainsi possible de se faire des passes, ce qui se révèle particulièrement efficace. Ainsi, bien que les combats sont parfois très longs (certains boss prendront entre une demi-heure et une heure pour tomber, ce qui est assez pénible sur le long terme), il arrivera qu’avec la bonne combinaison on parvienne à venir à bout de grand nombre d’ennemis en peu de temps.
Le système de combat est original et plutôt bien pensé ; par ailleurs il récompense les combos les plus longs par des dégâts plus élevés.
Par ailleurs, chaque arène n’est pas sans réserver quelques surprises au joueur. Des dalles apparaissent en effet aléatoirement, et auront pour effet, si l’on marche dessus, de faire perdre quelques points de vie. Cela permet aussi de faire monter une jauge de corruption qui, lorsqu’elle atteint la barre des 80 %, offre la possibilité de changer de forme. Au cours de ces phases, les héroïnes ont droit à de toutes nouvelles tenues, plus dévêtues les unes que les autres. Mais surtout, plusieurs de leurs statistiques sont boostées à fond. De quoi augmenter drastiquement les dégâts infligés aux adversaires, mais aussi sa propre résistance aux chocs. Attention toutefois, car atteindre les 100 % de corruption signifie une mort sans appel. Et bien entendu, cette petite jauge très pratique sera à double tranchant, puisque chaque coup porté par un ennemi la fera monter de quelques dixièmes. Au joueur de déterminer quel est le meilleur timing pour faire grimper en flèche sa corruption. Pour finir, il arrive un moment dans le jeu où il devient possible d’aider les héroïnes, dans la peau de Arata, en plaçant des dalles piégées notamment, ce qui est plutôt grisant.
Avec les moyens du bord
Si son scénario se révèle abouti et captivant, même sur le long terme, Death end re;Quest accuse toutefois un grand nombre de limitations, probablement explicables par le manque de moyens du studio Galapagos RPG. L’absence de véritable mise en scène, pour commencer, est un grand frein à l’immersion. Le titre est en effet constitué à plus de cinquante pour cent de lignes de texte, qui ne seront mises en valeur que par une bande originale peu inspirée, et des doublages un peu exagérés. À ce niveau toutefois, on saluera la présence, en plus des voix anglaises, des originales en japonais. Néanmoins, il arrive un moment où même le plus intéressant des dialogues finit par devenir pénible, et nombre de Visual Novel en ont fait les frais. Ce J-RPG n’y échappe pas. Du haut de sa quarantaine (voire cinquantaine) d’heures de jeu, il souffrira trop souvent de lenteurs dues à sa propension au bavardage parfois forcé. Il arrivera en effet que l’on ait l’impression que les personnages parlent pour ne rien dire. Reste que, globalement, le développeur a essayé de les rendre vivants et attachants, et ça marche, le plus souvent. Évidemment, cela passe par des discussions parfois fastidieuses.
Au-delà de ça, le titre accuse le coup d’un cruel manque de moyens en proposant, lors des phases où l’on contrôle directement Shina, des décors vides, et rarement jolis. Par ailleurs, ces derniers sont très inégaux. En dépit de leur aspect technique daté, certains environnements ont été ostensiblement plus travaillés que les autres. Cela n’empêche pas l’ensemble de rester loin en deçà de ce que l’on est en droit d’attendre d’une production de cette trempe. Idem, on sent un gros manque d’effort du côté des objets, coffres et points d’intérêts, signalés en jeu par de grosses icônes plutôt laides. Couplé à un level design franchement paresseux, malgré la présence de niveaux se voulant labyrinthiques, on obtient une technique et des environnements qui laissent clairement à désirer. Et c’est vraiment dommage puisque, à côté de ça, le titre fait preuve d’éclairs de génie sur le terrain du character design. Par ailleurs, l’univers a de quoi séduire au premier regard, avec une carte globale sublime.
Death end re;Quest dispose malheureusement d’un level design à s’arracher les yeux, et d’environnements vides à en pleurer.
Concept assez insolite s’il en est, pourtant plutôt connu et apprécié des amateurs d‘étrangetés nippones, celui de Death end re;Quest déroutera de nombreux joueurs n’étant pas habitué à pareille propension à la punition. Se présentant plus ou moins comme le jeu aux centaines de morts, il fera sourire au premier regard. Il est vrai que son design global, et tout particulièrement celui de ses héroïnes, détonne complètement avec cette idée de gameplay saugrenue. Pourtant, en y regardant de plus près, cela colle complètement avec l’esprit global de son univers. Au-delà de son aspect visuel mignon (en dehors de quelques monstres effrayants), le titre de Galapagos RPG nous plonge dans une fiction sombre, tellement même que c’en est parfois déroutant. Malheureusement, bien que cela soit amusant lors des quinze premières heures de jeu de rendre l’âme pour un rien, en ayant simplement fait un mauvais choix par exemple, il arrive un moment dans l’aventure où l’on se met à redouter ces Game Over austères (le plus souvent accompagnés par un simple écran noir et quelques lignes de texte). Pour empêcher de perdre bêtement des dizaines d’heures de jeu, le titre permet bien sûr de sauvegarder au cours de la plupart des dialogues.
Une œuvre narrative aboutie ?
Œuvre étrange s’il en est, Death end re;Quest a de quoi surprendre lors de ses premières heures de jeu. Le titre nous plonge sans préliminaires dans un univers vidéoludique très mature, où l’héroïne se fait tuer d’une manière atroce, avant de passer à un écran noir, puis de nous placer dans la peau d’une Shina amnésique. Difficile de comprendre au premier coup d’œil où Galapagos RPG veut en venir. En somme, c’est quelque part une excellente chose, puisque l’on ne cessera d’être surpris au cours de cette longue aventure. Mais c’est aussi la première d’une longue liste de facilités scénaristiques, voire d’incohérences totales, qui pavent l’intégralité du scénario, pourtant excellent sur le long terme. Par ailleurs, difficile d’être pleinement conquis par les différents personnages qui composent le casting de ce J-RPG.
Une chose est sûre, malgré l’austérité de sa mise en scène (pour ne pas dire son absence), le titre en a dans le ventre coté scénario.
Shina est l’archétype de la jeune fille facilement influençable, qui a une tendance au gémissement presque insupportable à la longue (très japonais si l’on peut dire). Quant à ses compagnons d’armes, la rejoignant au fur et à mesure, il en va de même : chaque fois de véritables clichés. Arata est quant à lui un poil plus abouti, mais tombe tout de même dans les travers des facilités d’écriture habituelles. En ce qui concerne les personnages issus du monde réel, tout comme lui, peu sont vraiment à retenir. Au final, le titre se perd un peu, comme s’il avait été pensé de prime abord pour être un jeu pleinement mature, mais que les développeurs étaient revenus sur leur décision au dernier moment pour lui permettre de convenir à un public un poil plus jeune (qui ne touchera de toute façon jamais au titre dans nos contrées).
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