Simple démo technique présentée à l’E3 en 2011, Detroit: Become Human arrive sur nos consoles PlayStation dernière génération. Mais depuis cette époque, le jeu vidéo notamment narratif a connu de nombreux changements et évolutions. Du côté de Quantic, les choses ont également évolué. Entre deux, le studio a notamment produit le jeu Beyond: Two Souls, sûrement la production la plus discutable du studio. C’est donc après cinq années de production que l’on retrouve le studio guidé par David Cage autour de ce nouveau jeu : Detroit: Become Human. On invite d’ailleurs les personnes intéressées par l’histoire du studio à aller lire le dossier écrit pour l’occasion.
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ToggleDe la réussite robotique
Dès notre arrivée dans le menu principal, nous sommes immergés en plein 2038, un futur où les androïdes sont devenus quasiment similaires à nous, humains. Notre assistante personnelle, une androïde, nous demande alors de faire les différents réglages, nous permettant ainsi de débuter l’aventure. Dès lors, notre récit débutera par un premier chapitre où nous incarnerons Connor. Ce premier chapitre faisant office de tutoriel et d’introduction à l’univers du jeu, est exactement le même que l’on a découvert à l’occasion de la démo jouable, sortie il y a quelques semaines.
La première chose que l’on peut dire sur Detroit : Become Human est bien sa réussite technique. Visuellement déjà, où le moteur graphique impressionne à chaque instant et met à la peine nos PlayStation 4 les plus anciennes. En effet, on voit que le studio a peaufiné au maximum l’ensemble de la partie hardware afin de pouvoir faire honneur à la partie créative du titre. Le jeu retranscrit de façon très jolie cette vision d’une ville de Detroit futuriste. En plus de l’aspect visuel, c’est l’aspect sonore qui impressionne. Que ce soit sur la composition musicale, efficace, ou le sound design, le jeu épate notre ouïe. On peut également parler du doublage qui est de très bonne qualité que ce soit en anglais comme en français. Cela fait plaisir de voir qu’un vrai soin a été apporté au doublage, avec une vraie direction artistique pour proposer une œuvre cohérente, malgré le nombre de lignes de dialogue impressionnant du titre.
Pour appuyer le propos futuriste du titre, l’ensemble de l’interface a été pensé in-game comme en dehors du jeu comme étant compatible avec cette vision. L’ensemble est toujours lisible, notamment avec des affichages sur des décors ou en l’air, permettant d’être lisible à tout instant. Le fait par exemple d’incarner uniquement des androïdes permet au studio de mettre en place certains éléments qui seront par la suite utiles au gameplay telle que la vision dite « aigle » que l’on retrouve dans de nombreux jeux actuels. Par contre, et c’est là que le bat blesse par rapport à cet aspect, le fait d’aller jusqu’au bout de la démarche montre également un nombre impressionnant de murs invisibles. Et là où on nous annonçait un jeu plus ouvert et moins linéaire, on se retrouve la plupart du temps plutôt limité dans notre zone d’action. Si cela peut être logique en début de partie, étant donné que nos personnages sont programmés et donc droits dans leur bottes, cela se rélève par la suite de l’aventure comme une incohérence totale du jeu, nous donnant simplement l’impression que nous sommes limités dans notre avancée et nos mouvements.
Il est également important, lorsque l’on parle d’interface, d’évoquer l’élément majeur mis en place par le studio avec Detroit: Become Human : l’arborescence. En effet, à chaque fin de chapitre, vous aurez l’occasion de voir l’ensemble des interactions et des choix que vous aurez effectué. Véritable argument marketing autour du jeu, Quantic Dream au travers de cette arborescence dévoile en vérité l’ensemble du fonctionnement de son jeu. Voir les différents embranchements possibles est intéressant, mais on aurait également aimé qu’il ne soit dévoilé qu’à la fin de notre première partie afin d’avoir une véritable vue d’ensemble de l’impact de nos choix.
Les androïdes du bac à sable
Avec une grosse douzaine d’heures de jeu, Detroit: Become Human propose tout comme ses prédécesseurs une narration chorale entre trois personnages : Connor, l’assistant personnel du lieutenant Anderson, Kara, l’assistant aidant la petite Alice et Markus, assistant du fameux peintre Carl Manfred. Vous suivrez alternativement le destin de chacun des trois protagonistes au fil des différents chapitres. Seulement, premier bémol, l’histoire ne fait jamais réellement se croiser les différents personnages. C’est ce qui fait pourtant tout le plaisir d’un récit choral, la façon dont les histoires des différents personnages se mêlent et s’entremêlent, mais sur cet aspect là, le récit de David Cage ne propose finalement qu’une seule véritable séquence pendant la partie, avant de faire sa grande conclusion où l’action se déroule dans un même lieu.
Aidé par le doublage et la partie visuelle du titre, on est tout de même immédiatement immergé dans la vie de ces protagonistes. La force de Detroit: Become Human est d’ailleurs la possibilité via les différents choix durant la partie de forger véritablement la personnalité de vos personnages. Ils pourront être ainsi plein d’humanité ou rester très froid. L’histoire ayant pour un des thèmes principaux la libération des machines, ce sera à vous de décider de la portée du mouvement, de son ampleur, de sa forme également. En cela, Quantic Dream permet une certaine liberté d’action… tout en forçant malgré tout le joueur à agir. On se retrouve avec peu de situations où l’inaction peut être un choix, ce qui est dommage car on voit ainsi les limites de l’écriture du titre.
Un autre problème en rapport avec les choix, est que bien entendu, si on se retrouve avec des choix pouvant paraître quelques peu inutiles, certains choix paraissant pour le coup important en début de partie ne sont tout simplement pas proposés au joueur. Par exemple, dans l’un des premiers chapitres du jeu, vous ferez face à un androïde dit « déviant ». On aurait pu penser que l’on aurait le choix entre le dénoncer, le cacher, voire même se battre avec lui, mais non, on vous fait clairement subir la situation que les développeurs voulaient. Cela aurait pu marcher dans un jeu où il n’y a pas de choix et où l’on suit simplement la trame, mais Detroit est un jeu où l’on prend des décisions. C’est vraiment dommage de se retrouver comme cela plusieurs fois à subir l’histoire au lieu de la créer, alors que c’est l’un des arguments principaux du jeu !
Mais malgré ces défauts, on se trouve à rentrer totalement dans l’aventure. On s’attache aux personnages qu’on a quelque part un peu décidé de créer à notre guise et si certaines ficelles narratives sont vraiment grosses, on se plaît à vivre ces aventures, comme si une série Netflix était interactive. Rarement un polar ne nous aura autant séduit, et on peut voir que la mise en scène soignée de Quantic Dream y est pour beaucoup. Multiplicité des points de vue, possibilité de changer d’angle de caméra, tout y est pour nous inclure au mieux dans la peau de ces androïdes. Mais comme on va vous en parler par la suite, la vision du futur de Detroit: Become Human n’est pas si folle qu’elle n’y paraît…
Asimov ! Je sais où tu te caches
Il nous avait vendu du rêve. David Cage revenait pour la première fois depuis The Nomad Soul dans un jeu véritablement futuriste. Mais en plus de vingt ans de carrière, l’aspect poisseux et cyberpunk des années 90 a cédé la place à une vision beaucoup plus lisse du futur. Les androïdes, s’ils possèdent une apparence très humaine, sont davantage inspirés par des œuvres plus contemporaines. On peut avoir par exemple en tête ce qui avait été fait du côté de l’excellente série suédoise Real Humans ou la série de HBO Westworld, tandis que l’ensemble de l’ajout de la technologie nous fait plutôt lorgner du côté de films tels que I, Robot, Minority Report ou encore bien entendu Blade Runner. Pour autant, si l’univers lorgne vers toute cette science-fiction robotique et cyberpunk, le jeu ne traite finalement qu’en surface des thèmes importants du genre, au point que l’on lira Detroit: Become Human comme un simple polar prenant place dans un univers futuriste.
En effet, la production de Quantic Dream a préféré axer son récit non pas sur les grandes thématiques de la science-fiction, mais sur celles qui lui sont chères. Utilisant le polar comme arme principale dont nous avons l’habitude, on retrouve également tout cet aspect religion qui est présent, mais cette fois au lieu d’être au centre de l’intrigue, il n’est qu’une simple facette comme une autre existant dans l’univers. C’est d’ailleurs l’un des soucis du titre, tout les aspects qui auraient pu faire de Detroit: Become Human une grande œuvre de science-fiction sont là, mais ne sont que traités en surface ou acquis comme étant une chose fataliste dans l’univers. C’est en effet dommage de ne pas avoir été jusqu’au bout, car certains points sont pour le coup plutôt réussis. Si on mentionne ici Asimov c’est car Detroit: Become Human respecte les règles de la robotique érigées par l’auteur, et le passage d’un androïde en tant que déviant, proposant d’ailleurs parmi les moments vraiment marquants du titre, est une vraie mise en application du dépassement de ces règles-ci.
Mais en voulant inclure son récit dans le futur, Quantic Dream y a laissé quelques plumes pour ce qui est de cohérence dans son propre univers. En effet, si les robots sont devenus quelque chose de courant, les voitures automatiques sont par contre, elles, quasiment absentes. Quid également des téléviseurs qui semblent être les mêmes que ceux que l’on a depuis maintenant 20 ans. On a l’impression par moments que l’univers de 2038 dépeint par le jeu est en fait notre monde actuel auquel on aurait simplement rajouté des androïdes. Il est tout simplement impossible que la technologie et notre quotidien n’aient pas plus évolué sur l’ensemble des aspects de notre quotidien. C’est au point où l’on se retrouve en 2038 à faire à la main la vaisselle ou à écouter encore des vinyles… C’est dommage que Quantic Dream n’ait pas poussé plus loin sa vision du futur avec Detroit: Become Human, nous donnant de temps à autre l’impression de voir un jeu se déroulant à notre époque, les robots en plus.
Detroit: Become Human semble ainsi bégayer, et encore plus lorsqu’il essaie de traiter de certains thèmes plutôt sérieux. Il ne sait par exemple jamais se positionner clairement lorsqu’il aborde des thèmes politiques, et lorsqu’il essaie de parler d’esclavage via l’absence de droits des androïdes, le jeu part dans des clichés plutôt malvenus tels que le fait qu’ils soient tout le temps mal considérés par les humains, que des boutiques leur soient interdites. C’est simpliste au point où l’on se demande pourquoi mettre en avant la condition des robots comme objets comme s’ils étaient au début du XXe siècle aux États-Unis en tant que minorité racisée par les communautés blanches majoritaires. Il ne manquait plus qu’un bidonville de robots pour remplir le bingo !
Gameplay or not Gameplay, that is the question
Redevons sérieux pendant un instant pour parler du dernier aspect du jeu, son gameplay. Car oui, Detroit: Become Human est tout de même la meilleure forme d’expérience narrative qu’a pu proposer le studio. Véritable quintessence de sa formule, initiée à l’époque avec Fahrenheit. On retrouvera pour commencer les déplacements pour le coup classiques du jeu, mais la plus grosse partie de vos interactions manette-jeu sera bien entendu les actions que vous ferez avec le stick droit ou les différents boutons de la manette. Le jeu vous accompagne à tout moment pour vous dire quel mouvement effectuer et la réussite ou non d’une action pourra conduire à un choix. Il est difficile de voir par moments jusqu’où l’echec d’un QTE a une implication dans la suite de l’histoire, mais la plupart du temps, l’ensemble est cohérent et plutôt bien amené.
Si nous disons dans la plupart du temps, c’est car il y a toujours des aspects qui nous font grincer des dents. En effet, on se retrouvera comme dans toute production du studio avec une scène nous demandant d’effectuer des tâches du quotidien, chose non intéressante au possible, tandis que l’on retrouvera tout comme dans Heavy Rain un fameux passage où l’on devra crier le nom d’une personne en appuyant sur X. L’un des soucis de ce système de jeu est comme toujours le même : si l’on rate une action, notre personnage retourne dans sa position d’origine. C’est vraiment dommage que depuis Heavy Rain, aucune évolution n’ait été faite par rapport à cela, car dans la longueur, on peut sortir du jeu tout simplement.
Pour autant, Detroit: Become Human propose des nouveautés en matière de gameplay et on retrouve parmi les grandes nouveautés le nouveau système, hérité d’un certain Batman Arkham, de recherche d’indices et de retraçage d’action. Pour expliciter, vous devrez par moments chercher dans une vue à la première personne des indices, permettant d’expliquer le meurtre d’une personne. Une fois ces éléments retrouvés, vous vous retrouverez devant une timeline que vous remonterez afin de pouvoir créer votre théorie sur l’homicide commis. La mécanique est pour le coup plutôt efficace, et sera même utilisée différemment par la suite pour, par exemple, anticiper un parcours spécifique avec Markus. Il reste néanmoins dommage que le studio ne tente à aucun moment de véritablement renouveler sa formule. Surtout qu’en cinq années, le jeu vidéo narratif a pris un sacré bond en avant en matière de gameplay et de narration dans le gameplay, que ce soit du côté d’Oxenfree, de What Remains of Edith Finch ou encore le très récent The Council. Quantic Dream a les moyens et les capacités de renouveler totalement leur vision du jeu vidéo, ils ont juste à prendre le risque pour leur prochaine production !
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