En 2020, lorsque l’on évoque le jeu de rôle futuriste, Cyberpunk 2077 nous vient immédiatement en tête. Pourtant, il y a encore quelques années, c’était un certain Deus Ex qui occupait cette place de choix dans l’imaginaire collectif. Sorti en l’an 2000 sur PC, avant de connaître une parution sur PlayStation 2, le titre de Warren Spector a déchaîné les passions avec son écriture intelligente et sa profondeur de gameplay révolutionnaire. Un véritable chef-d’œuvre.
Seulement comme souvent, sa suite, sortie quatre ans plus tard, était loin de lui arriver à la cheville. Sous-titrée Invisible War, celle-ci déçut notamment à cause de la disparition progressive de son aspect RPG, ou encore de son level design insipide, reposant sur des zones plus petites et dirigistes. Quatre ans d’attente pour une déception retentissante… on peut aisément comprendre qu’après cela, la licence de Eidos Interactive ait disparu du paysage vidéoludique pour un temps.
C’est finalement en 2011 qu’elle revient titiller l’imaginaire des amoureux de la science-fiction et du jeu de rôle sur PC, PlayStation 3 et Xbox 360, avec Deus Ex : Human Revolution. Un titre qui cristallise, sur le papier tout du moins, les espoirs les plus profonds des fanatiques du premier volet. Le tout autour d’un scénario faisant office de préquelle à l’univers dépeint en 2000. Le suspens n’a plus lieu d’être : le pari est amplement réussi.
Conditions du test : Il nous a fallu une trentaine d’heures pour faire le tour exhaustif de l’aventure sur la version PlayStation 3. Ne disposant pas du matériel nécessaire à la prise de captures sur ce support, les images utilisées dans cet article ne proviennent pas de notre session de jeu.
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ToggleUne immersion sensationnelle
Toujours produit par les équipes de Eidos, cette fois par le studio de Montréal, Deus Ex : Human Revolution aura pris quatre longues années avant d’être enfin terminé. Pendant ce temps, le développeur ainsi que l’éditeur, Square Enix, n’y sont pas allés de main morte pour faire monter la pression chez les joueurs, fans ou non, à grands coups de trailers en prises de vue réelles et de cinématiques en CGI alléchantes. Et on ne va pas se le cacher, la sauce a très bien pris, au point qu’en août 2011, quand il débarque enfin, d’énormes attentes reposent sur ses épaules.
Comme prévu, la première chose qui frappe lorsqu’on lance cette préquelle aux allures de reboot, c’est son aspect graphique. Deus Ex premier du nom réussissait le pari de fournir une réalisation technique au top, servie par des environnements riches et un level design fouillé. Mais en 2011, elle est bien loin l’époque de ce RPG de légende. Ainsi, et c’est l’une de ses plus grandes forces – si ce n’est la plus grande – Human Revolution axe son univers autour d’une direction artistique sombre, nocturne même, qui fait mouche, s’émancipant de l’aspect visuel de ses prédécesseurs.
Ce qui n’est nullement affaibli par sa plastique honnête, ses textures globalement léchées, et un travail sur les personnages – notamment leurs expressions faciales – tout à fait remarquable. Restent des animations encore perfectibles, mais aussi quelques rares ralentissements. Tous ces aspects viennent par ailleurs renforcer l’immersion dans ce monde taillé dans deux zones d’échelle moyenne, qui jouissent d’un level design bien pensé. Là où Invisible War souffrait de possibilités ridicules, l’opus de 2011 offre quant à lui une vaste liberté d’approche pour chaque situation.
Restent quelques points de détail que l’on aurait préféré éviter, à commencer par une IA décevante, qui se résume la plupart du temps à une banale agressivité irréfléchie. De quoi nuire aux gunfights, ou encore rendre l’infiltration moins percutante. Idem, les doublages en français sont convenables dans l’ensemble, mais il demeure quelques couacs. C’est malheureusement souvent le cas dans la langue de Molière. En dehors de ça, l’ambiance sonore est excellente, basée sur des morceaux futuristes qui parviennent à vivifier l’immersion déjà sensationnelle.
L’écriture mise en valeur
Autre grande force de ce troisième volet, son scénario ne manque pas de rebondissements, et bénéficie d’une écriture intelligente. Un vrai délice pour les amoureux de science-fiction, qui retrouveront là des références à un paquet d’œuvres cinématographiques ou littéraires, notamment Blade Runner ou Ghost in the Shell, en partie via le prisme fort bien amené du transhumanisme et de ses dérives. Dommage qu’il manque encore un petit grain de folie à la Philip K. Dick pour rendre le tout exceptionnel, mais on ne va pas se plaindre pour si peu.
Chef de la sécurité dans l’une des plus grandes firmes de robotique et « augmentations » humaines – comprenez membres ou puces cybernétiques – Adam Jensen est gravement blessé à la suite d’une attaque terroriste ayant fait de nombreux morts, notamment sa fiancée. Espérant lui sauver la vie, et probablement s’offrir les talents d’un augmenté, le directeur de Sarif Industries le fait opérer sur le champ pour lui implanter du matériel d’une technologie militaire dernier cri. Six mois plus tard, Adam est sur pieds et reprend le travail, bien décidé à tirer profit de ses nouvelles capacités.
Ce qu’il ne sait pas, néanmoins, c’est qu’il va rapidement être amené à en apprendre plus sur ses agresseurs, qui n’en étaient visiblement pas à leur coup d’essai, et continuent de sévir. S’en suit une trame savoureuse qui avance au rythme des différentes missions, et s’étoffe d’une multitude de documents textuels à glaner çà et là au cours de l’aventure. On notera un travail d’orfèvre sur la mise en scène, qui passe par des dialogues diablement bien écrits, et des cinématiques malheureusement un poil décevantes en terme de technique.
Restent des dialogues à choix multiples qui offrent au joueur un véritable sentiment d’implication dans la trame, bien que l’on aurait aimé que leurs impacts soient plus palpables. Quant au contenu annexe, à défaut d’être abondant comme chez de nombreux RPG du genre, il ne se perd pas en quêtes inutiles, et est toujours fort bien amené. Une qualité qui a tendance à se perdre. Enfin, un petit mot sur le final de cette aventure qui pourra décevoir par son aspect un poil superficiel, mais offre néanmoins une belle porte ouverte à une suite éventuelle : Mankind Divided.
Un gameplay millimétré
Le cœur du jeu n’a pas non plus été délaissé. Deus Ex : Human Revolution est donc un First Person Shooter fort bien conçu, quoique peut-être un brin lent vis-à-vis des références de sa génération. Par ailleurs, il se veut plutôt réaliste, ce qui n’est finalement un poil éméché que par son IA décevante. Mais au-delà de son aspect shooter réussi, et d’aucun dirait jouissif à condition de suivre la voie de l’action, c’est surtout toute sa partie jeu de rôle qui a subi un traitement de faveur. Et c’est très bien ainsi, car elle constitue l’un des plus grands intérêts de ce troisième épisode.
Si notre cher Adam débute l’aventure avec suffisamment d’augmentations pour abattre sans peine la majeure partie des humains qu’il s’apprête à rencontrer, il n’en demeure pas moins plutôt frêle. Un détail qui nous fera privilégier l’approche à la sauce infiltration, ce que permet, comme indiqué plus haut, son excellent level design. Mais surtout, il pourra se doter d’améliorations pour ses membres cybernétiques, et même s’en faire poser de nouveaux, de quoi lui conférer tout un tas de capacités surhumaines dont l’utilité se révèle au fil de l’histoire.
À ce niveau, on peut aisément dire que la progression est un véritable modèle dans le genre, avec une montée en puissance particulièrement jouissive et un arbre de compétences lisible qui ne part pas dans tous les sens. Notons cependant qu’une partie d’une trentaine d’heures permet à elle seule de récupérer la totalité – ou pas loin – des améliorations et augmentations disponibles. Ainsi, contrairement à pas mal de jeux du genre, il n’y a pas vraiment d’intérêt à revenir sur le titre une fois celui-ci terminé. Si ce n’est, éventuellement, pour aborder les missions sous un autre angle.
Enfin, quelques détails étaient peut-être encore perfectibles, comme l’utilisation assez frustrante de la barre d’énergie, ou bien quelques choix manquants dans les dialogues interactifs. De quoi laisser par moments une certaine impression de dirigisme. Les combats contre les boss ne sont par ailleurs pas très mémorables. Reste une difficulté générale assez faible, notamment due au fait que la jauge de vie se régénère toute seule. On conseillera donc aux joueurs aguerris de démarrer le titre avec le mode de difficulté le plus élevé.
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