Dévoilé en juillet 2018 et initialement prévu pour l’année suivante, Digimon Survive sera finalement repoussé à plusieurs reprises. C’est finalement le 29 juillet 2022, quatre ans et dix jours après son annonce, que le titre nous arrivait sur PC, PS4, Xbox et Switch. Une sortie sans fanfare, sans véritable communication d’ailleurs, qui a fait peur à beaucoup : à quoi s’attendre avec ce nouvel épisode si mystérieux ?
Sans plus de suspens, il s’agit d’un Visual Novel qui emprunte également au Tactical RPG. Une recette qui pourrait faire penser à celle de 13 Sentinels : Aegis Rim, à raison. Mais le titre de Bandai Namco, proposé une cinquantaine d’euros et entièrement traduit en français, parvient-il à approcher l’excellence de celui d’Atlus et Vanillaware ? Rien n’est moins sûr !
Conditions du test : Nous avons bouclé l’aventure en une quarantaine d’heures sur une PlayStation 4 Pro. Sur cette durée, nous avons eu le temps de nous intéresser à une bonne partie du contenu annexe.
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ToggleQuand manque de communication rime avec déception ?
On ne va pas se mentir, Digimon a toujours été associé à Pokémon, depuis le premier épisode de la série animée. Il s’agit de petites créatures mignonnes, contrôlées par de jeunes enfants qui vont les faire combattre et partir à l’aventure avec elles… Autant dire que la comparaison semble couler de source. Ce que ne démentira pas la période de sortie de ladite série animée, celle-ci débarquant peu après le raz-de-marée Pokémon, comme pour surfer sur cette vague aux allures de véritable tsunami dans l’industrie. Et à raison, quelque part, puisque la licence de Game Freak est désormais la plus rentable du monde. Quant à Digimon, il est loin derrière.
Ce qu’il faut retenir de ce constat, c’est que les choix de Bandai Namco, détenteur de la licence, en ce qui concerne les adaptations en jeu vidéo n’ont jamais vraiment été à la hauteur des attentes des fans. Puisque ceux-ci, ou du moins une bonne partie, attendent en vérité un Pokémon-like. Un RPG dans lequel ils pourraient capturer des créatures et partir à l’aventure avec. D’une certaine manière, c’est ce que proposaient Digimon Story : Cyber Sleuth et sa suite, sous-titrée Hacker’s Memory. Mais dans une moindre proportion, les deux titres cantonnant leur aventure à des environnements très limités, au level design couloir.
Digimon Survive est, quant à lui, un cas d’école. Présenté à l’origine comme un simple Tactical RPG permettant de capturer ses propres créatures et de les faire évoluer, il ne dévoila quasiment rien sur son contenu et son concept au fil des années, malgré les reports. Jusqu’à laisser présager une annulation pure et simple, puis une qualité déplorable. Évidemment, lorsqu’un éditeur ne communique pas autour d’un jeu, qu’il y ait de l’attente ou non, ça ne met personne en confiance. Dans le cas présent, malgré quelques images distillées sur quatre ans et quelques annonces de reports, le soit disant Tactical RPG ne nous a pas raconté grand-chose durant ce laps de temps.
Alors, coupons court à tout suspens, il s’agit bien sûr d’un Visual Novel proposant des phases de Tactical RPG. Mais là où cela risque de coincer avec le public occidental, pas vraiment client de ce genre d’expérience, c’est dans le ratio scénario / gameplay. Digimon Survive, c’est globalement 80% de parlotte, pour 20% d’action. Ce qui, dans le fond, n’est absolument pas un défaut, entendons-nous bien. Mais cela le coupe d’emblée d’une bonne partie des joueurs, pour qui le genre du Visual Novel n’est simplement pas adapté. Parce qu’il faut bien l’admettre, celui-ci demeure une véritable niche dans nos contrées, où ses représentants sont souvent mal vus.
Du Visual Novel pur jus ?
Dans Digimon Survive, le joueur incarne Takuma. Un jeune garçon parti en voyage scolaire avec les autres membres de sa classe dans un coin reculé de la campagne japonaise. Après nous avoir fait découvrir à son rythme chacun des personnages qui accompagneront le protagoniste dans cette longue aventure, le titre les fait disparaître dans une brume étrange, qui les propulse dans une autre dimension. Celle des Digimon, qui ne sont d’ailleurs pas nommés ainsi, puisque considérés comme des esprits malins dans le folklore de la région initialement visitée. Ce qui explique que les adolescents prennent peur en se voyant chacun attribué une créature mystique sortant de nulle part.
Visual Novel oblige, Digimon Survive parle beaucoup. La situation initiale met un long moment avant de se mettre convenablement en place. Les personnages mettent du temps avant de se dévoiler pleinement. Et il faudra patienter plusieurs heures avant d’accéder au gameplay. Autrement dit à la partie Tactical. Ce qui n’est pas une mauvaise chose, rappelons-le, mais peut néanmoins décourager de nombreux joueurs, pas forcément préparés à être autant spectateurs de l’histoire. Cela permet malgré tout de déterminer rapidement les qualités et les défauts de ce titre hybride : d’un côté son écriture étrangement adulte ; de l’autre ses personnages qui parlent trop pour ne rien dire, qui expliquent trop longuement des situations qui n’ont pas besoin de ça !
On pouvait penser, avant de lancer l’aventure, que le PEGI 12+ n’était là que pour prévenir de la violence toute relative des combats stratégiques. Pourtant, on découvre rapidement que c’est en réalité la partie scénaristique qui s’avère trop mature pour de jeunes enfants, qui auraient pu être tentés par le titre en raison de son aspect coloré et léger. Il est vrai que le Character Design réussi et la colorimétrie saturée laisse présager un jeu au pitch gentillet et aux personnages lisses. Quelle n’est pas la surprise du joueur non averti lorsqu’il découvre que Digimon Survive compte des morts, que ses protagonistes y vivent une angoisse pure allant crescendo ; en somme, que son aventure est une plongée lente et étonnante dans la folie !
Choix moraux et maturité au service de l’histoire
Nous éviterons tout spoil pour ne pas gâcher le plaisir des intéressés. Mais sachez néanmoins que l’écriture, et plus précisément l’évolution des personnages, est l’un des plus gros points forts de cette aventure. On ne peut qu’être choqué par la première mort, qui survient longtemps après que l’on ait assimilé le rôle de chacun des protagonistes, mais assez tôt dans l’aventure. Et cela suscite immédiatement l’apparition d’enjeux très sérieux, bien loin de ce à quoi nous avait habitué la licence jusque-là. Malgré ses thématiques intéressantes. Dommage que cela s’accompagne de dialogues parfois trop longs ou inintéressants, d’un déroulé des événements qui pue le remplissage par moments, ou de réactions un peu trop enfantines de la part des ennemis.
La partie visual novel laisse de nombreuses opportunités aux joueurs d’être acteurs dans le déroulé des dialogues ou de l’aventure. Cela passe d’abord par un système de choix, qui fait pencher une sorte de balance morale dans une direction, déterminant à terme de la fin que l’on obtiendra. Lesdits choix seront bien plus importants passé un certain stade de l’histoire, faisant grimper drastiquement la tension initiée lors du premier décès, de nombreuses heures plus tôt.
Régulièrement, le jeu nous laissera aussi libre de nos mouvements dans un espace prédéfini, afin que l’on aille parler aux différents personnages. L’occasion, par ailleurs, de ramasser quelques objets ou de combattre. Le petit point bonus, c’est qu’il est possible de sauvegarder à peu près quand on veut, même en pleine discussion. Notez par ailleurs que de nombreux dialogues sont doublés en japonais, et que la partie musicale est une réussite malgré le peu de morceaux, qui tournent un peu en rond.
De nombreux choix de dialogue ont une influence directe sur les affinités entre Takuma et ses camarades. Un moyen de nous contraindre à caresser ces derniers dans le sens du poil si l’on désire que leurs Digimon nous viennent en aide lors des combats, via un système d’assistance très classique mais fonctionnant bien. Il n’est pas toujours très facile de déterminer quelle réponse va plaire à nos interlocuteurs, parmi une liste contenant chaque fois trois choix. Par ailleurs, lesdits choix ne semblent pas toujours très pertinents et le déroulé des dialogues peut se révéler frustrant lorsqu’un personnage refuse de nous écouter ou d’aller dans notre sens. Cela ajoute cependant un certain challenge.
N’est pas Tactics Ogre qui veut
Jusque-là, malgré la relative déception que peut représenter le genre dominant du titre, à savoir le Visual Novel, nous n’avons finalement pas abordé beaucoup de défauts. Et c’est parce que la partie scénaristique est plutôt bien calibrée, malgré quelques écarts qui peuvent agacer, et plusieurs longueurs. Mais il est temps de traiter la partie Tactical RPG, et par la même occasion d’être moins tendre. Elle a beau représenter seulement 20% de ce que propose Digimon Survive, à la louche, elle demeure pourtant l’un de ses plus gros défauts. Tout semble être réuni pour nous faire passer un bon moment pourtant, avec cet aspect visuel daté mais joli, ces mécaniques classiques mais qui ont déjà fait leur preuve et ce grand nombre d’adversaires.
Seulement il en fallait plus pour que cette partie se révèle véritablement pertinente. À commencer par un véritable challenge, induit par un aspect stratégique un minimum poussé. Quelque chose qui fait cruellement défaut au titre, qui met l’emphase sur la force brute et la rapidité d’action plutôt que sur la réflexion. On ressent certes plusieurs pics de difficulté au cours du jeu, mais rien qui ne nécessite de réfléchir vraiment nos actions, notamment parce que le level design des arènes, chaque fois très petites, ne le permet pas. Par ailleurs, si l’on apprécie pouvoir faire évoluer nos créatures en combat, ce gain de puissance est tellement peu coûteux qu’on se retrouve à s’en servir tout le temps, même quand ce n’est pas nécessaire.
Il est possible de capturer de nombreuses créatures au cours de notre aventure, via un système de discussion qui fait beaucoup penser à celui de la série Shin Megami Tensei, notamment présent dans l’excellent Persona 5. Cependant, l’utilisation des Digimon acquis de cette manière n’est absolument pas avantageuse ou encouragée par le jeu, qui nous laisse trop souvent la possibilité de nous servir uniquement des créatures principales, que l’on pourrait décrire comme les starters de nos protagonistes. Notez aussi que les discussions sont beaucoup moins intéressantes et trop aléatoires, et donc qu’il est inutilement difficile d’obtenir de nouveaux monstres. Surtout les plus forts, évidemment, qui ont en plus moins de chances d’accepter de vous rejoindre.
Enfin, à plusieurs reprises nous sommes tombés sur des adversaires au niveau plus faible que celui de nos créatures, passant leur temps à tourner autour de la map pour nous éviter. Une fuite non dissimulée qui s’est révélée amusante en premier lieu… mais rapidement très frustrante, puisqu’il nous fallait chaque fois un temps fou pour les rattraper et les mettre au tapis. On attend un correctif à ce niveau, sans quoi il devient agaçant d’aller combattre lors des phases libres passé la vingtaine d’heures de jeu.
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