Voilà maintenant quatre années que Dustborn a été annoncé. D’abord prévu pour 2021, le jeu a souffert d’une très longue absence avant de revenir sur le devant de la scène l’année dernière et d’enchainer sa communication, notamment lors de notre dernier AG French Direct avec une interview exclusive, fort d’un soutien du nouveau label d’édition de Quantic Dream, Spotlight. Troisième jeu à intégrer ce dispositif du studio français après Under The Waves et Lysfanga: The Time Shift Warrior, Dustborn se présente comme un road-trip narratif au cœur d’une Amérique désunie dont les événements relatent la livraison d’un étrange paquet par une équipe de personnes pour la plupart « différentes » dans bien des sens. Nous avions déjà pu poser les mains sur le jeu il y a quelques semaines, le bilan demeurant positif mais encore mitigé. Prévue pour le 20 août prochain sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series X/S, que vaut réellement cette fable uchronique et mystérieuse ?
Conditions de test : Nous avons arpenté les terres florissantes ou désertiques de ces Etats-Unis fictifs durant environ 20h, le temps de terminer une partie complète en difficulté normale sur PlayStation 5. Bien que nous nous efforcerons de ne pas spoiler des éléments narratifs majeurs, il sera nécessaire par moments d’aborder des thèmes cruciaux pour la bonne compréhension de ce test.
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ToggleÇa Pax ou ça casse ?
Pour bien saisir tout ce qu’a à nous proposer le jeu de Red Thread Games, il nous faut commencer à planter le décor. Toutefois, il nous faut avouer qu’il est plutôt difficile de décrire le plus fidèlement possible l’histoire de Dustborn sans rentrer dans des détails narratifs susceptibles de vous gâcher certains éléments. Dans Dustborn, vous incarnez Pax, une trentenaire habitant la région Pacifica (dans l’Ouest de nos Etats-Unis actuels), contrainte de quitter sa terre (à laquelle elle n’est pas attachée) pour rejoindre le grand est direction la Nouvelle-Ecosse.
Grâce à plusieurs connaissances (nous y reviendrons), elle va devoir parcourir les terres désolées de la République américaine tenue d’une main de fer par Justice, une sorte de milice armée et autoritaire, mise en place suite à l’assassinat de la femme de JFK en 1963. Vous remarquez tout de suite que l’histoire que nous vivons se déroule dans un univers qualifié d’uchronique, c’est à dire prenant place dans une réalité alternative.
Effectivement, dans le monde de Dustborn, John Fitzgerald Kennedy a survécu à sa tentative d’assassinat mais pas sa femme, devenue en quelque sorte le symbole d’une rébellion et d’une tentative pour contrôler la foule avec la création de la milice armée. Mais à la mort de JFK, tout a dégénéré et tout est devenu extrêmement difficile pour les habitants du pays. Vient alors le moment dont tout le monde a au moins entendu parler dans le jeu, La Transmission. Un signal d’une intense portée a été émis depuis Lebanon, la ville géographiquement au centre du pays, pour tenter de maitriser davantage les populations.
Malheureusement, l’expérience n’a pas été concluante et certaines personnes ont réagi en développant des capacités particulières. Qualifiées d’anormales, ou Anomes dans le jeu, ces personnes sont capables d’agir sur la matière, sur les personnages par persuasion, par exemple en manipulant un langage socle, le protolangage. Pax, notre personnage principal, est capable de transformer les mots en armes, littéralement.
Une aventure interactive à la Quantic Dream
Avec en poche le mystérieux colis qu’elle a dû dérober avec son ex, Noam, sa meilleure amie Sai et leur nouveau « chef » Theo, le groupe s’élance donc sur les routes américaines à ses risques et périls pour rejoindre un El Dorado capable de leur faire tirer un trait définitif sur leur vie difficile au sein de Pacifica. Nous ne vous en dirons pas plus sur les raisons de la fuite de chacun des personnages pour ne pas gâcher le potentiel narratif du titre, mais le jeu reviendra très en largeur sur leurs motivations tout au long du récit.
Sai, la meilleure amie de Pax, est atteinte de Vitiligo et est capable d’utiliser sa force brute pour défoncer des portes par exemple, sans vouloir utiliser réellement ses capacités car celles-ci la transforment physiquement. Noam, est l’ex de Pax. En tant que personne non binaire, des indices nous permettront d’en connaître davantage mais nous ne saurons jamais réellement de quand date leur relation ni les raisons pour lesquelles les deux se sont séparés. Enfin, Theo, est un personnage non Anome et a été recruté par le Weave, une sorte d’organisation secrète anarchiste, pour transporter le colis mystérieux jusqu’en Nouvelle-Ecosse.
Notre petit groupe fera régulièrement la connaissance de personnages clés qui viendront compléter l’équipe de choc de nos Anomes et non Anomes, avec de nouvelles capacités à utiliser lors de combos en combat. Sans vous révéler le total de personnes qui prendront place dans leur magnifique bus pour ce road-trip singulier, nous nous sommes à maintes reprises demandé pourquoi tant avaient été ajoutées, diluant davantage un récit qui avait déjà du mal à se dynamiser.
Effectivement, une des choses qui pourra rebuter plus d’un joueur ou d’une joueuse, c’est la lenteur relative des événements qui se déroulent devant nos yeux. Avec une conclusion intervenant au bout de près de 20h de jeu, Dustborn prend clairement son temps, découpant son récit en une dizaine de chapitres (symbolisés par une couverture de comics), et en n’hésitant pas à multiplier les scènes de dialogues en groupe, pour prendre le pouls de chacun, négligeant finalement les phases de gameplay pur, entrecoupées trop souvent de mini-dialogues statiques avec une impossibilité totale d’accélérer ces derniers.
Il faudra d’ailleurs prendre le temps de suivre les dialogues, car en négliger certains affectera vos relations, en cas de non-dits notamment. Cependant, bien que l’objectif ici n’est pas de vouloir « passer rapidement » le minutieux et très qualitatif travail effectué par les équipes narratives, mais dans les faits, ce rythme forcément « lent » pourra rebuter, hormis les deux derniers chapitres qui sortent clairement et positivement du lot.
Cependant, certaines séquences clés seront juste abordées voire même survolées, surtout en fin d’aventure, et ne livreront pas toute leur substance, ou du moins pas autant qu’espéré. De quoi espérer une suite ou une préquelle notamment sur les origines de ce monde uchronique ou sur cette Transmission, puisqu’on aurait assurément préféré que tout soit résolu ici pour boucler la boucle.
Nous sommes les Dustborn
Avec les milices et autres groupes de riders énervés, il ne sera pas aisé de traverser le pays sans se faire repérer ni démasquer. En guise de couverture, l’équipe fraîchement créée décide de mettre au point un groupe de musique punk-rock, les Dustborn. Plusieurs séquences clés de l’aventure seront par conséquent tournées vers un jeu musical style Guitar Hero où il vous suffira d’appuyer sur les bonnes touches au bon moment pour faire grimper votre score et votre jauge de Hard Rock. Des séquences bienvenues, bien qu’il vous faudra être attentifs aux moments dédiés à la création de nouveaux morceaux sous peine de les louper et de devoir rejouer les mêmes lors des différents concerts.
Jeu lié intrinsèquement à l’ADN de Quantic Dream, Dustborn dispose de nombreux choix narratifs ou ludiques, vous permettant de choisir vous même l’aventure que vous décidez de vivre. Des choix de dialogue pour la plupart sans grande conséquence, mais il faudra tout de même garder à l’esprit que la plupart joueront sur vos relations avec les autres personnages, plusieurs d’entre eux disposant de trois fins différentes, sans toutefois modifier le chemin narratif menant à la conclusion générale. Pensez d’ailleurs à observer votre environnement pendant les dialogues, de nouvelles options pouvant se débloquer en tournant la caméra « libre », tandis que patienter et ne pas répondre sera parfois la meilleure option.
Ces possibilités finales s’entremêleront tout au long du récit par la présence à l’écran de logos mettant en avant telle ou telle voie, avec des détails donnés dans un menu dédié. Une habile façon de diriger les joueurs et joueuses mais qui déçoit toutefois avec l’impossibilité de connaître à l’avance les conséquences d’un choix et d’ainsi influencer sur la voie que l’on voudrait mettre en avant.
Un récapitulatif final fait d’ailleurs mention de la voie dans laquelle le personnage en question s’est engagé émotionnellement suite à vos choix durant le récit, mais n’espérez pas une sorte de New Game + ou de sélection de chapitre pour modifier certains éléments du récit, cela n’existe tout simplement pas. Rejouer l’intégralité d’une aventure assez longue pour espérer obtenir une fin différente pourrait donc être un peu rébarbatif d’autant plus qu’aucune génération procédurale ne modifiera votre parcours en cours de route (hormis les variations scriptées et bienvenues qui dynamisent enfin l’ensemble). Ajoutons à cela que seules les trois voies de Pax permettent d’obtenir un trophée et non celle des autres membres du groupe.
Le poids des mots qui pèsent
Quand on a dit tout ça, on pense avoir saisi une grande proportion de ce qu’est Dustborn, mais en réalité, cela est inexact à juste titre. Nous l’avons dit, Pax peut affronter les gens qui s’opposent à elle en utilisant ses Vocas, des mots qui provoqueront des réactions différentes en fonction de l’intention voulue. De quelques uns au début de l’aventure à près d’une dizaine en fin de parcours, ces Vocas vous permettent de combiner vos actes avec ceux de vos amis. On regrettera cependant la traduction incomplète de ces actions, toujours en anglais à l’écran (sûrement plus pour l’esthétique que par « oubli »).
Mais pour pouvoir les utiliser, vous devrez recharger ces mots en tapant vos ennemis à l’aide d’une batte remise par un personnage clé de l’aventure, Ziggy. Cette arme, que vous pourrez améliorer en ramassant des morceaux de robots partout sur la route, vous permet d’obtenir de nouvelles capacités comme lancer votre batte, la faire rebondir sur des ennemis, récupérer plus rapidement vos compétences etc. Une double-mécanique bienvenue permettant les variations d’approche en combat. D’autant plus que vous pourrez également utiliser des combos se rechargeant automatiquement, sous la forme de QTE qui s’affichent à l’écran et qui infligeront des dégâts critiques à vos ennemis.
Nous l’avons vu, il vous faudra apprendre de nouveaux Vocas ; cela se fait par le biais d’échos, des traces de cette mystérieuse Transmission des années 2000, qui polluent l’espace et qui « contaminent » les gens qui s’y retrouvent confrontés en ajoutant de la désinformation et une sorte de « folie » à leurs pensées et paroles. Pax est la seule à pouvoir éliminer ces échos (et donc sauver les personnes concernées) en aspirant ceux-ci grâce à son ME-EM, un appareil qu’elle utilisait étant enfant lorsqu’elle tentait d’apprivoiser ses pouvoirs. L’occasion de rajouter un mini-jeu dans le jeu lui-même jusqu’à une séquence très forte en fin d’aventure.
Une sorte de métaphore de l’importance de nos paroles de nos jours, des mots que l’on utilise, qui peuvent soit blesser, soit flatter ou au contraire totalement briser ou influencer. Les développeurs ont clairement réussi cet aspect central du jeu, nous permettant de choisir les mots que l’on souhaite utiliser dans certaines opportunités, et nous mettant face à nos propres choix dans une situation donnée, hormis face aux robots, insensibles à ces stimulations.
La fragilité d’un groupe
Des mots qui pourront faire le bien ou le mal même à l’intérieur de notre groupe, bien qu’utiliser ses Vocas entre Anomes n’est pas forcément la priorité, ni bienvenu. Pour résoudre la plupart des mésententes ou quiproquos qui se révèleront dans votre groupe, une bonne vieille discussion sera la plupart du temps nécessaire. Et il faut le dire ce n’est pas la force de Pax, incarnée par Dominique Tipper, qui exprime d’ailleurs en didascalies ses émotions auprès de quelqu’un qu’elle appelle « crevette », mais dont on découvrira tous les secrets bien plus tard.
L’occasion de relater ici le travail extraordinaire des différents acteurs et actrices qui ont prêté leurs traits et/ou leurs voix aux personnages du récit, tous convaincants à défaut d’être mémorables. On rappelle ici le nombre important de personnages qui vont venir joncher notre parcours, certains complètement anecdotiques, pas correctement intégrés ni même utiles au demeurant hormis pendant quelques séquences clés. Mais il semble finalement que le jeu se recentre et tourne uniquement autour d’une question centrale : comment le noyau de nos 4 échappés s’adapte aux nouveaux venus et les tensions que cela peut causer.
Un groupe fragile donc, et très très inclusif. Nous mettons un point d’arrêt ici : Dustborn fait la part belle à l’inclusivité sous toutes ses formes, qu’elle soit de sexe, de genre, de couleur ou d’handicap, tout notre groupe constitue une part de cette « différence » et est mis en avant avec toutes ses particularités quelles qu’elles soient. Avis donc aux sensibles à ce sujet (d’un sens comme de l’autre), Dustborn pourrait donc vous surprendre. Parenthèse terminée.
Pour renforcer vos liens de groupe, plusieurs feux de camps seront mis en avant durant le récit, l’occasion de prendre des nouvelles, essayer de nouvelles chansons mais aussi offrir des cadeaux ramassés en chemin, pour améliorer vos relations avec les autres membres. Pas d’effet de jauge de bonne ou mauvaise relation cependant, vos choix et actes agiront sur leur voie en fin de parcours. On aurait aimé une meilleure compréhension de l’état de nos relations d’ailleurs en passant. Des cadeaux qui auraient aussi mérité un meilleur traitement, au cours de conversations autres que celles du groupe, mais qui sont sous-utilisés ici.
Pas aussi réussi techniquement qu’espéré
Venons-en à l’aspect qui pourrait davantage décevoir ici, la partie technique. Bien que la partie artistique au sens global du terme soit une réussite, l’aspect technique, lui, a quelques fois montré des signes de faiblesse. Lenteurs de chargement par moments, textures un peu baveuses (notamment dans le désert), le tout très surprenant pour un jeu couloir aux zones assez peu étendues et tournant ici sur PlayStation 5. Mais le plus surprenant ici vient surtout des erreurs de traduction, des oublis même, et surtout des nombreuses fautes d’orthographe retrouvées çà et là. On s’y accommode bien évidemment, mais cela est surprenant et peut légèrement gêner dans un jeu aussi narratif et « littéraire » que Dustborn.
D’autant plus qu’aucun doublage audio en français ne sera présent, donc avis aux allergiques de la VO (qui est au demeurant très qualitative, on le rappelle). Nous avons brièvement abordé la patte artistique du jeu, qui alterne entre moments incroyables et d’autres un peu plus déceptifs. Prenant le parti d’une esthétique tournée vers le cartoon, ou la BD plus exactement, Dustborn dispose d’une réelle et belle distinction par rapport à ses concurrents, jusqu’à la représentation de bulles carrées jaunes comme dans une BD, vos avancées dans le récit étant par ailleurs représentées dans un comics en fin de chapitre retraçant vos choix et le pourcentage de choix similaires chez les autres joueurs et joueuses.
Une esthétique très comics, que l’on retrouve partout, que ce soit dans le gameplay ou dans la narration, et qui donne assurément une bonne gueule à l’ensemble. Toutefois, bien que les lieux traversés soient assez variés et plutôt colorés même par moments, certains semblent relativement « vides », surtout en intérieur, ne rendant pas grâce à ce que l’on vient de dire. Ces intérieurs qui seront, en plus, davantage touchés par les bugs de collision et autres textures imparfaites, les seuls vrais bugs de ce Dustborn, qui ne nous aura gratifié que d’un crash et d’un bug de script en près de 20h, et ce bien avant le patch day one qui profitera au grand public à sa sortie.
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