Depuis son annonce en 2021, Enotria: The Last Song a traversé les années avec la tâche toujours aussi périlleuse de s’attaquer au genre du Souls-like. De plus, dans une année qui a vu débarquer le DLC Shadow of the Erdtree d’Elden Ring, il est toujours compliqué de passer après. Bien sûr, les moyens, les équipes et l’expérience ne sont pas les mêmes, puisque l’on parle ici d’un studio indépendant italien, nommé Jyamma Games. En tant que AA, il n’existe fatalement aucune prétention à se hisser au niveau de From Software, le maître du genre. Pour autant, la formule Souls reste intrinsèquement assez délicate à s’approprier, en plus de la nécessité d’y apporter sa propre touche. Ainsi, ce titre principalement inspiré du folklore italien, entre mythologies et Commedia dell’arte, parvient-il à attirer sur lui la lumière des projecteurs ?
Conditions de test : Nous avons joué 17 heures à Enotria: The Last Song sur PS5, dans sa version 1.003.000, puis 4 heures en version 1.004.000. Ce temps nous a permis de nous retrouver devant le boss ultime, de battre tous les boss optionnels et de compléter une bonne partie des quêtes annexes ainsi que le compendium. Notre build de personnage était centré sur la Force tout au long de l’aventure. Le test aborde le gameplay de certains combats de boss, et surtout les derniers, pour illustrer la question de l’équilibrage.
Sommaire
ToggleLe Canovaccio, théâtre de l’éternité
« Réveille-toi, Sans-Masque », tels sont les mots précédant l’éveil de notre avatar. Si elles résonneront très probablement dans le cœur des fans d’Elden Ring, et que ce ne sera pas la seule fois, ces paroles mettent en relief notre rôle au sein de l’univers d’Enotria: The Last Song. Le monde tout entier est plongé dans une pièce de théâtre infinie, appelée Canovaccio et remplie de comédiens jouant tous un rôle. Tous sauf le Sans-Masque.
Pris sous l’aile de Pulcinella, notre avatar va se mettre en marche pour s’attaquer aux différents Dramaturges et mettre fin à cette espèce d’illusion géante qui corrompt les esprits et fait s’abattre la folie. À travers plusieurs biomes, des rivages de Quinta aux mines de Gratia en passant par les décors typiquement méditerranéens de Falesia Magna, on va donc occire tout un tas d’ennemis et de boss. Fait étrange toutefois : la musique est plutôt absente des débats, ne se déclenchant que lors de boss et mini-boss, en recyclant souvent la même. Un manque qui fait mal lorsque l’on est habitué aux chœurs et aux envolées de cuivres épiques pris en intraveineuse.
Du côté de ce fameux folklore italien, dont on parle dès que l’on doit décrire le jeu, le titre de Jyamma Games brasse précisément et principalement autour de la Commedia dell’arte. Ce n’est cependant pas la seule inspiration puisque différentes mythologies répondent également présent. On pourrait penser à la romaine, mais celle-ci n’est quasiment pas évoquée. On assistera plutôt à quelques références aux légendes grecques, avec notamment des mentions à Énée de l’Illiade. On a également le droit à des récits tirés de la civilisation étrusque, un peuple pré-romain s’étant établi du IXe siècle au Ier siècle AEC.
Sous Unreal Engine, ces inspirations prennent vie de manière relativement agréable pour les yeux. Le moteur permettant facilement un rendu global très correct, le jeu propose de jolis panoramas même si parfois il vaut mieux plisser les yeux pour ne pas trop remarquer les remplissages et le manque de finesse visuelle. Les biomes et les ambiances restent variés mais il y a peu voire aucun effet waouh durant l’aventure.
Anime Oscure
Même si contempler les environs et s’imprégner de l’univers d’Enotria: The Last Song peut s’avérer plaisant, rappelons que l’on n’est pas là pour faire du tourisme. En bon Souls-like, les combats prennent une place absolument centrale dans l’expérience. Et ici, eh bien on reprend les bases solides bien connues du genre. Coups légers et lourds offensivement, esquives et parades défensivement, auxquels s’ajoutent des attaques magiques, les personnes habituées seront dans leurs chaussons.
Différents types d’armes sont bien entendu au programme, malgré une variété assez restreinte, en comptant dans l’arsenal des épées longues, des marteaux colossaux ou encore les armes d’hast. Les plus costaudes d’entre elles se révéleront par exemple très utiles pour déstabiliser les ennemis. Ceux-ci disposent en effet d’une jauge semblable au système de « poise » de la plupart des Souls-like, une barre invisible de posture. Une fois remplie, l’adversaire devient étourdi et se rend vulnérable à un coup de grâce, lequel fait particulièrement mal.
Signalons ensuite quelques particularités notables insérées dans l’exploration. D’abord, nous avons les brèches de combat. Ces glyphes rouges, une fois touchés, lancent un combat obligatoire contre des ennemis ou un mini-boss optionnel, au terme duquel on débloque un passage menant à un trésor. Ensuite, il en existe aussi des blancs qui, quant à eux, font apparaître temporairement des plateformes menant là aussi régulièrement à des coffres ou récompenses intéressantes. Si l’on apprécie particulièrement cette mécanique, elle rappelle aussi que la plateforme ne constitue pas l’aspect le plus excitant de la recette. De plus, présente très tôt et à de nombreuses reprises, la feature s’éclipse assez rapidement pour revenir quelques rares fois supplémentaires.
En ce qui concerne cette fois les classiques du genre, pas mal d’éléments répondent à l’appel. Les nœuds de réalité, les « feux de camps » du jeu, sont là pour nous reposer et nous téléporter, en échange de la réapparition des ennemis vaincus. On passe d’ailleurs beaucoup de temps à ces points de sauvegarde car c’est ici que l’on pourra bien sûr monter de niveau en distribuant la Memoria obtenue durant nos combats et l’injecter dans de la force, de la défense, ou encore de l’endurance.
C’est aussi auprès de ces nœuds que se trouvent toutes les modifications liées au build de notre personnage. Outre les stats classiques donc, on dispose de masques, modifiant le visuel de l’avatar tout en conférant des effets passifs ou actifs. Si on en récupère automatiquement sur les boss ou mini-boss, les masques des ennemis un peu plus mineurs nécessitent de regrouper un certain nombre de fragments avant d’être recréés. On en obtient plus ou moins en les tuant, ce qui « oblige » à les farmer si on les désire, sans savoir sur quoi l’on va tomber comme effet. Sympathique sur le papier mais certains types d’ennemis demandent d’y passer de longues minutes à ne faire que ça.
Ce n’est pas tout, notre avatar peut être équipé d’aspects. Ces médailles fonctionnent pour la plupart sur un système de bonus/malus influençant les stats de force, de points de vie et ainsi de suite, mentionnées juste avant. Un bon moyen de pousser davantage le build de base ou, au contraire, de compenser un peu notre faiblesse dans une stat délaissée. Et on ne s’arrête pas là, un arbre de compétences divisé en quatre branches permet de débloquer des compétences à insérer parmi les six slots disponibles dès le début de l’aventure.
En échange de points que l’on obtient au fur et à mesure du jeu, ces compétences, elles aussi passives ou sous conditions, représentent des atouts supplémentaires à la conception de notre build. Grosse cerise sur le gâteau, le temps que l’on peut d’ailleurs passer à faire et défaire ce build est bien réduit grâce à la possibilité d’enregistrer trois configurations différentes. Une idée que l’on ne peut que saluer.
Chi va piano…
Toutes ces fonctionnalités de gameplay citées sonnent comme un écho classique aux jeux du genre, sauf qu’au bout de quelques heures, on a l’impression d’assister à une version relativement douce de la formule. Reprenons l’exemple de la jauge de déstabilisation. Au sein d’une bonne partie des Souls-like, cette barre est plus ou moins masquée et, en général, elle redescend si l’on arrête de frapper notre adversaire. Ici, non seulement elle est clairement visible au-dessus sa tête mais, en plus, elle ne redescend jamais. Il est en conséquence plus simple d’étourdir, et donc d’infliger de lourds dégâts aux ennemis, y compris aux boss.
Autre exemple, les fameuses compétences débloquées via les arbres dédiés. Parmi ces compétences, un ennemi peut être blessé à chaque coup que l’on reçoit, notre défense physique augmente en infligeant des dégâts avec notre arme, etc. Même si l’on ne dispose « que » de six slots, et qu’il faut forcément faire des choix lorsque l’on en a déverrouillé plusieurs dizaines, il est possible très tôt de bénéficier d’aides non négligeables en optant pour une combinaison judicieuse, allégeant l’appréhension des affrontements.
Globalement, ce léger sentiment de main tenue se sent aussi au cours de la progression globale. Pulcinella, apparaissant régulièrement à des points clés de chaque zone, nous rappelle nos objectifs et nous indique où nous rendre après avoir battu un boss principal. On le retrouve de toute façon au sein du hub, représenté par le théâtre que l’on atteint au bout de quelques heures, et où l’on trouvera par ailleurs le seul marchand du jeu. Au sujet du déroulé de la plupart des quêtes secondaires, même constat sur le guidage. Hormis quelques exceptions, on comprend généralement quoi faire, quand ce n’est pas notre compendium qui nous glisse parfois des « allez parler à untel pour en savoir plus ».
Cette base de données recense également tout le lore autour d’Enotria: The Last Song. Comme dans un Souls, des bouts de phrase accompagnent chaque pièce d’équipement, arme, ou outil mais, de surcroît, des histoires racontées un peu plus en détail sont répertoriées par thème. Hélas, concernant le background des ennemis, il faut en battre X quantité pour en savoir plus à leur sujet, ce qui n’est pas vraiment la meilleure idée. Sinon, bien souvent, il suffit de « ramasser » des lueurs bleues ici et là afin d’en apprendre plus sur les lieux.
Oui, nous mettons « ramasser » entre guillemets car l’équipe de développement a eu la brillante idée de rendre automatique la récupération des objets au sol. Il suffit simplement de marcher dessus pour les collecter. Un détail, certes, mais s’épargner une pression de bouton à chaque fois est très appréciable.
Mais, selon nous, ce qui représente LE meilleur exemple du fait que le titre se veut particulièrement généreux avec nous reste la gestion des fioles de santé. On démarre classiquement avec un nombre de 5, et on peut récupérer dans le décor des recharges supplémentaires ainsi que des amplificateurs améliorant la quantité de PV rendue.
Le truc, c’est qu’au bout de 5 heures, sans avoir encore dépassé le premier gros biome (sur 3) et grâce à un masque précis obtenu automatiquement, on peut déjà atteindre un total de 10 fioles et d’un +8 en termes de qualité de soin. Autant dire qu’on peut disposer d’un matelas de soin très confortable si l’on est un minimum assidu du côté de l’exploration, et notamment des chemins alternatifs.
… va sano ?
Et c’est bien là un des problèmes notables d’Enotria: The Last Song : son dosage. Quoi de plus intéressant que de proposer une formule Souls-like plus adoucie pour accueillir les plus réfractaires ? Oui, sauf qu’un jeu comme Another Crab’s Treasure, par exemple, exprime sans ambiguïté sa volonté nette de se rendre accessible à un public élargi. Ici, on a un peu plus l’impression que cette sensation de simplicité découle plutôt de choix de design déséquilibrant la globalité de l’expérience.
Les fioles en font partie, mais reparlons une énième fois de la barre de déstabilisation. Le fait que cette barre ne redescende jamais ne nous pousse à aucun moment à effectuer des assauts soutenus. Pire, le fait que la réalisation d’une parade parfaite remplisse cette barre de déstabilisation encourage quelque part la prudence. Et bien que cela reste tout de même en pratique un mouvement pas forcément évident à placer, signalons justement qu’il est ici plutôt permissif, et ne nécessite pas toujours un timing exemplaire.
Alors un gameplay défensif peut tout à fait être voulu et il n’y a certainement pas de mauvaise manière de gagner, mais lorsque le boss optionnel le plus redoutable du jeu s’avère battable en faisant quasi uniquement des parades parfaites sur des jets de projectiles de sa part, on se demande quand même si cela est bien volontaire. D’autres choix, qui facilitent l’expérience, cassent aussi un peu la progression.
Il est possible d’améliorer masques, armes et attaques magiques avec de la Memoria et des matériaux bien précis, les faisant prendre un niveau de plus à chaque fois. Sachez alors que, juste avant d’atteindre la qualité +10, synonyme de niveau max, tous les niveaux de chaque arme sont « remboursables ». Autrement dit, vous récupérez les matériaux investis. Ce n’est pas le cas de la Memoria qu’il faudra gagner à nouveau, d’accord, mais la prise de risque dans l’évolution des équipements se voit réduite. Si nous avons trouvé cela avantageux, d’autres y verront plutôt le côté « cheaté » de la chose.
Pour peu que l’on soit suffisamment habitué au genre, on passe une grande partie de notre aventure à avancer sans avoir à recommencer incessamment. En tant que Souls-like, il nous a manqué ces avertissements induits, ces murs pris dans la figure, qui nous rappellent que nous ne sommes pas grand-chose dans cet univers et que la vigilance doit être maintenue. Que bien apprendre les patterns d’un boss est quasi-obligatoire pour en venir à bout. Alors, bien sûr, la notion de difficulté varie énormément selon les profils. Simplement, on a vu plus exigeant, plus punitif et donc, plus grisant. Et qu’on se le dise, ces sensations font à notre sens partie du package.
Ce qui fait la force des jeux From Software, c’est ce sentiment que nous avons mérité notre victoire. Que celle-ci découle d’une progression personnelle, de l’exécution d’une mémoire musculaire, et non pas en grande partie d’une superposition de mécaniques avantageuses. On se dit qu’à un moment Jyamma Games va finir par le comprendre, et c’est le cas. Cependant, le studio l’applique avec une maladresse sans nom, et plante le dernier clou du cercueil de l’équilibrage durant la toute dernière ligne droite.
Des trous dans le script
Devant le boss final et après une run sans trop d’accrocs, celui-ci nous rappelle où l’on a mis les pieds. Bien plus redoutable que le reste des boss et mini-boss, il marque alors le point de décollage d’une courbe de progression plutôt rectiligne jusque-là. Cependant, il y a bien pire que lui. Le « true last boss » amène ladite courbe au niveau de la stratosphère. Vous vous rappelez de toutes ces petites compétences, masques et autres aspects qui ont façonné votre manière de jouer ? Et bien le boss décide ni plus ni moins de tout vous retirer dès le départ du combat, ne vous laissant que vos armes, vos fioles et vos consommables pour vous en sortir. Même les attaques magiques disparaissent, rendant complètement obsolète tout build construit autour.
Le problème c’est que, dans le même temps, le boss dispose d’un panel d’attaques au rythme absolument délirant. Tout y est : attaques de zone, projectiles qui vous traquent pendant plusieurs secondes, harcèlement au corps-à-corps grâce à une charge, altération d’état réduisant notre défense ou encore téléportation. Ajoutez à cela sa faculté de régénérer complètement sa barre de vie (à quoi l’on ne peut rien faire), et l’on obtient probablement l’un des boss les plus injustes du genre. Et c’est quelqu’un qui a vécu Malenia (sévère mais juste) et la Marionnette sans nom de Lies of P qui vous le dit.
Attention, il n’est évidemment pas invincible, mais la vingtaine d’heures qui nous a conduit jusqu’ici nous donne l’impression qu’elle ne nous a jamais préparé à un tel moment, frôlant l’inutilité. À la fois du point de vue du build, mais aussi en rapport aux réflexes que nous avons pris (ou pas), que l’on doit tous deux remettre totalement en cause le temps d’un ultime affrontement. Alors vous auriez certainement envie de dire qu’il s’agit du true last boss, et que sa confrontation est optionnelle.
Et bien oui et non puisque son apparition survient à la suite d’un choix à effectuer à la fin du jeu. En d’autres termes, pour certaines et certains, le dénouement de l’aventure et l’apparition des crédits n’interviendront qu’après sa mort. Puis, de toute façon, il existe même avant un ou deux boss dont la configuration est telle que notre réussite dépend des 10-15 premières secondes du combat, d’une déroutante agressivité.
Ce souci de gestion de la courbe de difficulté n’est malheureusement pas l’unique problème d’Enotria: The Last Song. La manière de récupérer le lore du jeu, et dont nous avons parlé plus haut, multiplie beaucoup les allers-retours menu-jeu pour ne lire souvent que quelques mots. La mécanique Pierre-Papier-Ciseaux, basée sur quatre altérations d’état que sont Fatuo, Vis, Gratia et Malanno manque de clarté au bout de l’aventure. Et même si elles apportent un petit plus, leur maîtrise est surtout réservée aux builds favorisant les stats élémentaires.
La traduction française affiche aussi pâle figure, entre approximations et retranscriptions trop littérales, comme « jeter » au lieu de « annuler ». Elle apporte même beaucoup de confusion en parlant par exemple d’un côté des « traits de masque », et de l’autre, des « lignes ». Elle signifient pourtant la même chose en désignant en réalité les attaques magiques. Sauf que tant que l’on n’a pas fait le rapprochement, on passe à côté de bon nombre d’effets de masque et de compétences par incompréhension de leurs conditions de déclenchement ou de leurs effets.
Enfin, la technique reste peut-être celle qui souffre le plus. Quelques chutes de framerate au milieu d’endroits chargés, de la Memoria perdue en mourant devenue irrécupérable car coincée dans le décor, des crashs, des dialogues bloqués ne nécessitant rien d’autre que le redémarrage du jeu, les coquilles pullulent. Aussi, pas mal de PNJ rencontrés n’émettaient aucun son, sans savoir s’il s’agissait d’un bug ou si tout simplement ces personnages n’avaient juste pas fait l’objet d’un doublage. Et on vous dit tout cela après déjà plusieurs patchs d’appliqués. Les soucis devraient cependant continuer à disparaître peu à peu, ce que l’on espère.
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