Comme tout grand jeu, Persona 5 aura fait naître un bon nombre de progénitures illégitimes, empruntant des mécaniques ici et là du jeu d’Atlus afin de les transformer, de les améliorer, ou tout simplement de les singer quand l’inspiration n’était pas là. Même après avoir terminé Eternights, on ne saurait pas trop où ranger le jeu du studio Sai dans tout cela, tant sa proposition est atypique sur le papier. En voulant mêler jeu d’action type hack’n slash à un dating-sim sur fond de fin de monde avec des jeunes adultes, Eternights tente un mélange des genres pas comme les autres qui s’appuie néanmoins sur le squelette d’un Persona, le système de combat et la richesse en moins. Et c’est peut-être parce qu’il n’ose pas trop s’écarter de cette formule qu’il se perd un peu en chemin.
Conditions de test : Nous avons joué à Eternights durant environ 8 heures, le temps de terminer l’aventure principale. Nous avons alterné entre le mode Normal et le mode Facile.
Sommaire
TogglePréférez votre libido plutôt que de jouer les héros
Même lorsque l’apocalypse est à nos portes, l’important, c’est d’assurer son date. C’est ce que l’on retiendra surtout de l’intrigue principale d’Eternights, qui confronte notre protagoniste muet à une fin du monde un peu particulière lorsqu’une drogue anti-âge transforme tout le monde en monstres dignes de Silent Hill (leur design est sympathique), avec en toile de fond une lutte entre deux divinités. Et ça tombe mal, puisque notre avatar venait tout juste de s’inscrire sur Tinder tout en prévoyant d’aller au concert de sa pop-star préférée en compagnie de son insupportable meilleur ami. Les choses se compliquent encore plus lorsqu’une mystérieuse ennemie vient amputer notre héros de son bras, jusqu’à ce que celui-ci repousse sous la forme d’une arme grâce à l’une des deux déesses. Vous voilà maintenant en quête de sauver le monde avant que l’infection ne touche toute la population, et heureusement, vous aller rencontrer quelques cœurs à prendre en chemin.
Un pitch loufoque qui ne sait jamais sur quel pied danser. On pourrait penser que ce mélange des tons est volontaire avec des instants légers entrecoupés de séquences cruelles et difficiles pour mieux nous choquer, mais en dehors de l’introduction, cela ne fonctionne que rarement. Difficile de prendre au sérieux une séquence larmoyante sur la difficulté d’être une célébrité quand elle est tout de suite désamorcée par une grosse scène fan-service, qui aurait pu faire rire, mais qui contrebalance de manière trop importante le ton instauré par la précédente situation. La gradation, Eternights ne connaît pas.
Et des fois, ça marche. Le jeu possède parfois un timing comique assez évident avec des blagues qui fonctionnent bien, notamment parce que le titre nous laisse maître de nos choix durant les dialogues. Des choix qui se résument souvent à dire la même chose, mais certaines propositions sortent du lot et peuvent arracher un franc rire. La traduction française (à l’écrit seulement) aide aussi à nous faire ressentir cela, et on soulignera l’effort d’en proposer une dans un jeu à si petit budget, et ce malgré quelques coquilles.
Le pire des rencards
Qu’on ne s’y trompe pas pour autant : Eternights joue mal les équilibristes et va parfois tomber dans la beauferie, pour rester poli. En représentant des jeunes adultes perdus au milieu d’une apocalypse, on peut comprendre l’envie du studio de vouloir tourner le tout autour de la romance et du plaisir de la chair. Après tout, quitte a assister à l’apocalypse, autant se faire plaisir. Mais en dehors de quelques répliques bien senties, l’écriture est lourde, surtout passé l’effet de surprise.
Vous pouvez évidemment éviter de faire de votre personnage un pervers sans aucune délicatesse, et encore, mais le fait que cela soit souvent une option devient vite lassant. Comprenez-nous bien : parler de relations charnelles durant 8 heures ou presque, mais Eternights n’a rien à dire sur le sujet, et c’est difficile après des jeux comme Catherine, Persona, ou même Haven, pour citer un frenchie. Ces relations arrivent souvent comme un cheveu sur la soupe avec des héroïnes (et un personnage masculin) qui tombent amoureux du protagoniste pour on ne sait quelle raison, si ce n’est qu’il est le seul disponible (car on écarte le meilleur ami encore plus agaçant). Et c’est tout particulièrement problématique quand le jeu veut se targuer de présenter des mécaniques de dating-sim.
C’est en réalité là qu’il tient le plus de Persona étant donné qu’il faut voir ces relations comme celles avec les Confidents dans la série d’Atlus. On est vraiment sur le même modèle, avec un rang qui va augmenter au fur et à mesure des « dates », et c’est un bien grand mot, et qui va ainsi débloquer de nouvelles compétences et bonus pour notre héros en combat. Bien entendu, durant ces rendez-vous, vous aurez des choix à faire mais c’est là que l’on se rend compte que rien n’a vraiment d’importance dans la manière dont vous vous comporterez.
Vous pouvez être le type le plus insistant de la Terre, celui qui n’hésitera pas à dire qu’il veut chercher des magazines porno ou transformer sa main magique en tentacule, et vous parviendrez quand même à conquérir le cœur de l’heureux ou de l’heureuse élue. La seule différence viendra des dialogues à débloquer qui peuvent nous en dire un peu plus sur les personnages en cas de « bonne réponse », ou des points de personnalité parmi 4 traits principaux (type « Confiance », « Expression »), mais c’est tout. D’autant plus que vous pouvez la jouer Casanova en étant en couple avec les 4 personnages disponibles, sans que cela ait une conséquence car un seul vrai choix comptera à la fin, à condition d’avoir maximisé les rangs de chaque relation avant.
Faux airs de visual novel
D’un côté, tant mieux, cela nous évite de devoir recommencer le jeu 4 fois pour découvrir des alternatives, qui ne sont de toute façon pas très marquantes. Et puis, cela permet aussi de découvrir plus facilement les somptueux artworks 2D façon anime. Lors de son annonce, on aurait pu croire que Eternights allait aussi puiser du côté du visual novel à cause de cela, mais on était loin de la réalité. Ces artworks ne sont absolument pas nombreux dans le jeu, et pire, ils ne sont pas vraiment bien répartis entre les personnages. Yuna, la pop-star et héroïne de départ, va être grandement avantagée sur ce terrain tandis que Yohann, le garçon du groupe, et Sia, l’intello de la bande, seront complétement délaissés. Même chose pour les cinématiques en anime, qui peuvent se compter sur le doigt d’une main. Si vous avez vu des trailers du jeu, vous avez presque tout vu.
On soupçonnerait d’ailleurs presque le studio d’avoir casé tous ces éléments très rapidement dans les deux premiers actes afin de bien faire voir le jeu dans sa démo, étant donné que ces éléments se rarifient dans les actes suivants. Ce qui est dommage car les modèles 2D des personnages sont très réussis. On aurait aimé avoir plus de ces artworks en jeu façon visual novel, mais le manque de budget peut sans doute excuser cela. En revanche, on ne comprend pas le choix de ne pas avoir utiliser ces modèles pour les bulles de dialogues. A la place, on se retrouve avec les modèles 3D bien moins séduisants, qui ont parfois l’allure de VTubers. Que le jeu ne soit pas un foudre de guerre, on le comprend et on l’accepte assez vite (rappelons qu’il est surtout géré par une seule personne, donc chapeau à elle), mais ce choix laisse perplexe.
Vous l’aurez compris, si vous jouez à Eternights pour son aspect dating sim, vous risquez de faire face à une jolie déconvenue. Pourtant, son casting reste attachant et il est bien aidé par des doublages réussis. Alors oui, on met de côté le héros et son compère, même si ce dernier a droit à son propre arc et à une histoire qui le fait évoluer, mais les personnages à séduire sont tous réussis malgré leur archétypique leur colle à la peau. Ce qui nous fait parfois oublier le manque de profondeur des mécaniques de relation, dans un jeu qui met pourtant l’emphase sur ce sujet.
Un hack’n slash limité mais honnête
Mais quand vous ne serez pas occupés à assouvir vos pulsions, vous irez trancher quelques infectés dans plusieurs donjons. Le système de combats d’Eternights pourra diviser à cause de sa trop grande répétitivité, mais force est de constater qu’il offre de bonnes sensations, à défaut d’être technique. Le protagoniste dispose d’un combo de base qui vient se ponctuer par une attaque plus puissante s’il n’est pas interrompu, ainsi qu’un deuxième combo moins long mais plus efficace contre les boucliers. Une esquive déclenchée au bon moment active un ralenti à la Bayonnetta pour gérer un peu mieux le rythme. Chaque attaque ou esquive réussie permet de remplir une jauge donnant accès à une attaque élémentaire signature, pouvant être déclenchée par le héros ou par l’une des héroïnes présentes sur le terrain. Ce qui est utile pour briser les défenses de certains ennemis plus coriace, via une séquence de QTE qui consiste à n’appuyer que sur une seule touche.
Jamais spectaculaire, ce système peut tout de même procurer un bon ressenti, ce qui est malheureusement terni par une bande-son bien trop discrète (pour ne pas dire morne) et par l’endurance trop prononcée de certains monstres. En progressant dans les différentes relations, le moveset de notre héros va s’étoffer avec d’autres attaques spéciales qui vont offrir plus d’options, tandis que les personnages féminins agiront en tant que support pour lancer de la magie. Et c’est uniquement à cela qu’elles serviront étant donné que les monstres ne les prendront pas pour cibles. Elles ne vous viendront jamais en aide si vous ne le demandez pas. Un élément justifié par le scénario, mais qui fait un peu cache-misère.
On prend tout de même un certain plaisir lorsque l’on consomme le jeu à petite dose, avant que la boucle de gameplay ne devienne répétitive. Néanmoins, ce que l’on peut reconnaitre à Eternights, c’est qu’il fait tous les efforts du monde pour varier les situations. S’il ne propose que de peu de donjons avec même pas mal de recyclage pour les niveaux annexes, il tente de briser la monotonie qui pourrait s’installer dans les combats en nous proposant des puzzles au gameplay unique. D’une fresque à remettre dans le bon ordre à un jeu de rythme en passant par une énigme à base de mathématiques, le titre veut varier les approches et n’hésite jamais à introduire des systèmes qui ne serviront que pour une seule séquence. On pense notamment à un niveau d’infiltration en 2,5D ou encore à cette phase en moto qui est clairement inspirée par celle de Cloud et Jesse dans Final Fantasy VII. Ces phases ne sont pas toujours très précises ni hautement réussies, mais elles permettent d’offrir une petite respiration bienvenue entre deux combats.
Conclure avant la fin du monde
On retrouve également des mini-jeux propres à chaque personnage afin de nous faire gagner des points de compétences (avec encore une référence à FF7 et son jeu de squats), mais on laissera vite tomber cet aspect tant il est bien moins inspiré et peu utile. Même chose pour le mini-jeu de recherche d’objets, lorsque vos compagnons vous demandent d’aller trouver des vivres spécifiques dans trois lieux différents, faisant jouer votre mémoire. Deux ou trois fois, pourquoi pas, mais on se décourage bien vite en voyant le nombre effarant de ressources à aller chercher.
D’autant plus que votre temps est précieux dans Eternights. Chaque action, chaque date, chaque sortie en donjon vous coutera du temps, que ce soit une demi-journée ou une nuit. Le jeu met en place un calendrier qui fonctionne exactement de la même façon que dans Persona, même si cela est bien moins justifié ici. Vous avez alors X jours pour terminer le donjon du moment, le reste du temps étant alloué à draguer tout ce qui bouge. Ce temps est d’ailleurs largement suffisant pour séduire les 4 options si vous vous y prenez bien.
Cet article peut contenir des liens affiliés