1991, puis 1999. Deux dates inscrites dans le marbre. Deux années symboliques pour SNK qui a permis à sa licence Fatal Fury, née en 91, de grandir fièrement dans l’ombre de Street Fighter. Après avoir donné vie à une des saga les plus emblématiques de Capcom, Takashi Nishiyama imaginera Fatal Fury dont le premier opus sortira quelques mois après SF II. Avec cette nouvelle licence, le game designer souhaitait profiter d’une totale liberté créative. Il conçoit alors un jeu foncièrement différent. Dès les débuts du studio, en passant par les diverses licences de combat sous sa tutelle, les velléités narratives sont présentes. Elles se poursuivront jusqu’en 99 et Garou : Mark of the Wolves, l’opus venu clore une prolifique décennie. La narration, au même titre que le soin accordé au chara design, fait partie de l’identité de la franchise. Une singulière licence qui n’a cessé d’évoluer, quitte à prendre des risques, à l’instar de MOTW et de son casting quasi intégralement remanié.
Durant une décennie, plusieurs itérations se succèdent en rebattant un minimum les cartes, sans renier leur socle commun. Parce que Fatal Fury, c’est l’image d’une licence qui a tracé sa route en marge, avec quelques apparitions de visages emblématiques dans d’autres séries plus populaires. Les studios pouvaient ainsi prendre le temps de s’améliorer, de scruter la concurrence, et ce sans céder aux sirènes du grand public. Suite à la parution de MOTW, considéré par beaucoup comme le roi de la baston 2D, SNK fit faillite. Et il faudra plus de dix ans, via le retour de KOF et de Samurai Shodown, pour constater que l’entreprise a su renaître tel un phœnix. Fatal Fury ne pouvait pas rester terré dans les bas-fonds de South Town pendant que Mai et Terry s’amusent chez les rivaux. Le passé finit toujours par nous rattraper, c’est pourquoi les loups affamés reviennent en ville avec le mordant Fatal Fury: City of the Wolves.
Condition de test : nous avons joué sur PS5 durant une trentaine d’heures. Nous avons terminé le mode arcade avec l’intégralité du roster, atteint le New Game + avec un personnage dans le mode histoire baptisé EOST, sans oublier de tester les différents modes proposés par le jeu.
Sommaire
ToggleThe Company of Wolves
Les dernières années nous ont appris une chose concernant le jeu vidéo : tout devient possible, même l’absurde. Au moment de rédiger ce papier, nous sommes en avril 2025, soit 26 ans après Garou, la dernière itération de Fatal Fury. Le monde a bien changé depuis. SNK est maintenant sous l’égide des Émirats, Nishiyama avoua désirer Michael Jackson et Bruce Willis dans COTW – de quoi relativiser les guests atypiques que sont Cristiano Ronaldo et le DJ Salvatore Ganacci –, et les jeux de combat gagnent en popularité malgré une niche toujours trop restreinte pour renflouer suffisamment les caisses.
Autant dire que les attentes ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Ni les ambitions des studios, de toute évidence. Il faut voir les campagnes marketing, même des événements de boxe anglaise organisés au Riyadh Season en font la promo. Beaucoup d’efforts et d’argent qui ont sans doute permis à SNK d’inclure le premier Character Pass (incluant Andy Bogard, Ken, Joe Higashi, Chun-Li et Mr. Big) directement dans le jeu de base, sans frais supplémentaire – le jeu étant vendu 60 euros. Pour autant, Fatal Fury: City of the Wolves laisse parfois l’impression d’avoir délaissé certaines priorités pour le jeu, mais on aura l’occasion d’en reparler plus loin.
Avant tout, un peu de contexte s’impose. Si la popularité de Fatal Fury n’est pas du niveau de Street Fighter, encore moins depuis 20 ans, les fans de jeux de combat savent ce que représente la licence. Outre son parti pris narratif, duquel découle un premier opus cantonné à trois personnages jouables (les frères Bogard et Joe), contre huit chez Street Fighter II au lancement, c’est bien le gameplay se jouant sur deux lignes – premier plan et arrière-plan – qui frappait. Un choix singulier qui n’était pas sans rappeler les beat’em all de l’époque, mais qui sera mis de côté dans Garou. Une arène spécifique dans City of the Wolves, ainsi qu’un tuto dédié, nous donne un aperçu de la chose.
Les développeurs ont plusieurs fois répété vouloir faire de cet opus l’ultime épisode de la licence. Un mix entre les anciens Fatal Fury et Garou. L’occasion également pour les équipes de combler des zones d’ombres du lore, notamment des intrigues de personnages importants laissées en suspens. Parce que c’est bien l’écriture qui guide les jeux. Dans le sens où le chara design d’un combattant, ou la confection d’un roster, dépend des histoires racontées. Si Capcom a toujours impressionné par sa maîtrise du gameplay – Street Fighter et Vampire Savior/Darkstalkers sont de parfaits exemples –, SNK brillait davantage pour ses idées de gameplay, mais surtout grâce aux univers créés et aux personnages qui les habitent.
Terry Bogard, Geese Howard et Mai Shiranui étaient, et sont toujours, des personnages marquants de l’industrie, précisément des jeux de combat (en témoigne leur présence en guest dans Tekken 7 pour Geese, SF 6 et DOA pour Mai, SF 6 et Super Smash Bros. Ultimate pour Terry). L’écriture joua autant son rôle que les visuels. Or, l’apanage d’un personnage réussi, peu importe l’œuvre, c’est la cohérence et la pertinence entre écriture et chara design. Nishiyama a toujours voulu raconter une histoire avec des personnages attachants, ce qu’il n’avait pas pu faire au sein de Capcom.
Gare aux loups
Quand Garou sort, il embarque avec lui un casting inédit, dont le seul personnage issu des jeux précédents est Terry Bogard. La prise de risque est sérieuse. Les fans de la première heure se sont attachés à des combattants qu’ils ne reverront plus (pas de DLC à l’époque). Heureusement, les jeux de combat dépendent davantage du gameplay. Sur ce terrain-là, SNK avait pris du galon. Le gameplay suffisait à laver l’affront. En réalité, il n’y eut pas vraiment d’affront. Le changement de nom annonçait la couleur, tandis que le casting n’avait pas à rougir de ses aînés.
Après la mort Geese, son père, Rock Howard fut éduqué par Terry qui lui enseigna par la même occasion plusieurs de ses techniques. Visage volontairement bishonen, bien moins charismatique que son père ou son mentor, Rock devait pourtant porter le poids d’un héritage : celui de son père, malgré la haine qu’il lui porte. Mais Rock devait également porter un opus sur ses épaules. À en croire les avis dithyrambiques de la presse et des joueurs, ce fut une réussite au moins critique. Un nouveau protagoniste s’est élevé et s’est imposé. Revoir un Fatal Fury/Garou faisait donc sens. L’attente fut longue, et cette fois Fatal Fury comme Garou sont mis en avant. Des meutes réunis en une seule et unique.
N’y allons pas par quatre chemins. City of the Wolves honore la franchise. Nous y reviendrons, mais la narration n’a pas perdu de sa place. Visuellement, nous sommes sur un jeu bien plus abouti encore que le dernier KOF. Cela dit, les environnements montrent des PNJ parfois moches avec des morphologies un peu bizarres. Casting et décors ne subissent pas cet écueil, les divers stages ne laissent pas indifférent. La direction artistique inspirée par les comics fait son effet, même si l’on peut regretter la finesse d’un Garou aux teintes moins saturées et aux effets visuels moins présents. COTW reste joli et dans l’air du temps. N’oublions pas les deux décennies écoulées. En 2025, la folie de l’expérimentation n’est plus à la mode, des standards, esthétiques et de gameplay, régissent, pour ne pas dire uniformisent, les jeux de combat et l’industrie en général.
Au moins, la question du gameplay devrait rassurer le plus grand nombre. La profondeur est bien là. Les anciens seront en terrain connu malgré des variations, et les fondamentaux perdurent. C’est autant la vision Fatal Fury (les épisodes normaux comme les Real Bout) que celle de Garou qui transparaît. À ce titre, les novices (de jeu de combat surtout) seront peut-être noyés face aux nombreuses mécaniques à mémoriser. Les tutos ont beau être présents, un léger manque de clarté, voire une traduction imprécise dans certains cas, empêche le titre de totalement convaincre sur ce point précis. Des efforts sont notables, par le biais de l’entraînement libre plutôt complet en termes d’options, entre autres.
Fatal Fury : City of the Wolves essaie d’être accueillant et accessible, plus qu’un Garou. Ne serait-ce que par le mapping des touches avec les raccourcis gâchette. En revanche, il faudra toujours une aisance pour les manipulations afin d‘enchaîner de violents combos. Les touches sont universelles et les commandes simplifiées offrent des combos faciles et sans effort. Bourrer quelques boutons permettra d’avoir l’impression d’envoyer du lourd. En contrepartie, oubliez l’expression personnelle. Annuler un coup spécial n’est, par exemple, plus possible. Ainsi, la difficulté relève plutôt de la charge cognitive à gérer et les joueurs qui se donnent davantage les moyens sont récompensés.
Bad Moon
Dans Fatal Fury, on peut réaliser des feintes et aussi interrompre l’animation de coups spécifiques (on parle de « brake »). En clair, cela signifie que l’on peut facilement interrompre l’attaque : soit pour rester safe si l’on touche en garde, soit pour enchaîner avec une seconde super, par exemple. Sans compter tout le mindgame qui en résulte. Offensivement comme défensivement, COTW est généreux et propose un système qui nous semble correctement équilibré pour ne pas trop uniformiser les affrontements. À prendre avec des pincettes, cela dit. Il faut bien plus d’heures et un minimum de connaissance sur le jeu pour vraiment se prononcer.
Ce qui est sûr, c’est qu’entre counter hit, wild punch – punir un coup durant ses frames de récupération –, la garde parfaite, la super garde et la possibilité de guard cancel, etc., il y a de quoi faire. Et ce ne sont là que les bases. Qui dit Fatal Fury/Garou dit feinte, coups spéciaux que l’on annule donc, et plusieurs options de sauts et sur les okizeme (option sur la relevée adversaire après mise au sol). Ce qui autrefois était connu sous l’acronyme T.O.P. devient le S.P.G. (Selective Potential Gear). Il s’agit d’une jauge (correspondant à un tiers de la barre de santé) que l’on choisit de placer au début, au milieu ou à la fin de sa jauge de vie. La ressource ne doit pas être négligée puisqu’elle met en lumière la nouvelle mécanique centrale de cet opus : le Rev System.
Pour éviter tout mal de tête, essayons de faire simple. Le Rev System (qui reprend peu ou prou une mécanique de Garou) dépend du S.P.G et apporte son lot d’améliorations (boost de dégâts et obtentions de coups spéciaux spécifiques tel que la Rev Blow et sa propriété « armor« ), en plus d’une ultime surpuissante. Si la mécanique lorgne davantage vers l’offense, plusieurs outils possède un versant défensif, c’est cas de la Rev Blow. Aussi, COTW s’affuble d’un système de surchauffe. Les coups spéciaux basiques n’étant soumis à aucun coût, choisir de les booster via le Rev System pour oppresser l’adversaire n’est viable qu’un temps. Abuser des bonnes choses amène la surchauffe, puis bloque le Rev System (les coups EX alimentent également la jauge de chaleur). Dans cet état, la garde se brise aussi plus vite. Attaquer permettra de réduire les risques de surchauffe.
Oui c’est compliqué sur le papier, mais en pratique ça l’est moins. En réalité, maîtriser toutes ses subtilités n’est pas obligatoire pour s’amuser. Le Rev System est peut-être complet, complexe aussi, mais il facilite beaucoup de choses. La crainte de se sentir dépasser est rapidement dissipée, de surcroît si vous n’êtes pas gênés par les touches modernes avec combos automatisés. Il va de soi que Fatal Fury : City of the Wolves ne dévoile pas toute sa profondeur et sa richesse au moins investi. Néanmoins, il y a main tendue. Il n’a jamais été aussi simple et grisant de profiter de la licence. Les oreilles ne sont pas délaissées non plus, l’inévitable jukebox regroupe une vaste sélections issus de la série.
Ciao Mai Mai
Question roster, difficile de bouder son plaisir. Avec 17 personnages jouables, on excède de peu le casting de Garou. De nombreux visages provenant de ce dernier reviennent, quand d’autres manquent. Pour compenser, SNK a rameuté davantage de noms présent dans Fatal Fury mais absents en 1999. Mai, par exemple, tandis qu’Andy, compagnon de la kunoichi et frère de Terry, sera le premier personnage jouable du Character Pass. Preuve de plus que les équipes créatives souhaitent réaliser l’épisode le plus complet de la franchise. Donc oui, le casting est très bon, que ce soit par le gameplay ou au travers du chara design. Comme souvent dans les jeux de combat, des fils ou des élèves, tel que Preecha, sont de la partie pour faire évoluer le lore.
En revanche, même si le récit se déroule peu de temps après les événements de Garou, on pourra regretter le manque d’effort sur la partie cosmétique. Des costumes supplémentaires n’étaient pas de trop, surtout que des personnages ont changé, quand d’autres pas. Comment en vouloir à SNK de préserver l’identité visuelle de ses créations ? On se consolera avec un éditeur de personnages, certes très (trop) limité, mais qui permet quelques variations de couleurs appréciables. Sachez que le soft cache quelques éléments à débloquer en jouant.
Les nouveaux venus convainquent, même Preecha qui reprend quelques coups de son maître. Pour nos deux guests importés de notre monde réel, force est de constater que Ganacci trouve curieusement bien sa place. Déjà parce qu’il bénéficie d’une présence scénaristique qui ne fait pas tâche, a fortiori au vu de ses liens affichés avec des personnages de la série. Ensuite, parce que le travail effectué par les développeurs se ressent. Chaque coup ou mouvement, jusqu’à la démarche atypique, provient des shows ou des clips du DJ. En résulte un combattant rigolo, de ceux que l’on apprécie voir dans les jeux de combats. Concernant Cristiano Ronaldo, le résultat laisse songeur.
L’absence de lore autour du personnage, le rendant inutilisable dans les modes arcade et EOST (le simili mode histoire), n’aide pas à son intégration. SNK a par ailleurs précisé qu’un futur patch ajoutera le contenu manquant du personnage, sauf qu’en l’état, des questions se posent. De plus, son gameplay oscille entre le bon et le mauvais. Actuellement, le personnage trouve son intérêt dans sa singularité, puisqu’il combat en usant de coups spécifiques au football, allant jusqu’à invoquer un ballon pour frapper son opposant. Le souci, c’est que le concept, pourtant prometteur, n’est pas correctement exploité. CR7 prend carrément le ballon des mains sur plusieurs mouvements. Un petit détail qui, pensions-nous, serait évité.
Espérons que l’intégration narrative soit à la hauteur, avec une application égale à celle du reste du casting. Si nous sommes dans des histoires typiques de jeu de combat, les développeurs n’ont pas lésiné sur l’écriture. Ils aiment leurs personnages et cela se ressent. Bien entendu, tous les récits ne se valent pas, mais aucun combattant n’est négligé. Le mode arcade permet de découvrir le roster (cela fait office de bon récapitulatif pour les nouveaux venus) et de profiter d’un ending sympathique. De son côté, le mode principal, EOST, approfondit quant à lui le lore et les personnages.
Take Me To South Town
EOST, c’est une sorte de mode de jeu sobrement scénarisée dans lequel on parcourt des points d’intérêt via un curseur sur la map de South Town. Des conversations parsèment cette mini-aventure, alors que le cœur du jeu se trouve dans les combats. Ces derniers peuvent se dérouler en trois vs un, avec des modificateurs de santé, de défense, etc., actifs, quand il n’y a pas des règles spécifiques. Plusieurs variantes existent, bien que l’ensemble demeure limité en comparaison des tours ou du mode invasion d’un Mortal Kombat 1. SNK ajoute une couche RPG peu intéressante ainsi que la possibilité d’obtenir des boosts pour rendre les oppositions moins déloyales.
Une fois l’aventure EOST terminée et une conclusion narrative apportée à l’intrigue du personnage joué, un New Game + se débloque. Cette fois-ci, on enchaîne de puissants adversaires jusqu’à atteindre le boss final. Entre le mode arcade et l’EOST, il y a de quoi passer un peu de temps sur le jeu, surtout si vous comptez tester tout le casting. Cependant, c’est loin d’être parfait. Sans avoir des attentes absurdes, le fait que l’entièreté de la narration passe par des dialogues sur fond d’image fixe fait mal à l’immersion.
Le doublage intégral permet de faire passer la pilule plus facilement, certes. Certains rétorqueront que Fatal Fury: City of the Wolves embrasse son parti pris comics, très bien. Sauf que n’importe quel comics a mieux à proposer et que pléthores de visual novels savent être plus engageants, parfois sans doublage. On aimerait pointer du doigt des soucis de budgets, mais difficile de voir autre chose qu’un problème de priorité. Autre souci majeur, la redondance des confrontations. Le manque de variété dans les conditions de combats joue pour beaucoup, mais on note également un défaut dans le roulement de personnages.
Dans le mode EOST, on combat trop souvent les mêmes têtes. Le soutien de faux combattants ne suffit pas, puisque ces créations artificielles se comptent sur les doigts d’une main. C’est vraiment regrettable, car il y avait bien mieux à faire. Pareil pour les récompenses peu présentes : cela diminue les shoots de dopamine et nous sommes moins incités à nous investir. Sans demander l’excès des jeux MK, Fatal Fury: City of the Wolves est presque à l’opposé. On pense ce que l’on veut de cette recette NetherRealm, mais elle fonctionne. Encore faut-il profiter d’une customisation permissive.
Pour le reste du contenu, c’est l’habituel mode online qui servira de crash test au jeu. Un échec sur ce terrain et les loups pourraient être chassés par les joueurs. Si l’on peut confirmer que les options sont pertinentes et complètes, impossible de s’exprimer sur la viabilité du rollback netcode et/ou du crossplay. En cause, l’absence de présence sur les serveurs, suivi d’une mise à jour qui rendit le jeu online inaccessible. SNK sait réagir vite et, compte tenu des ambitions du soft, précisément sur la scène compétitive, difficile de croire qu’aucun ajustement ne sera fait si des problèmes venait à apparaître. Notons la présence des clones, comme dans Tekken 8, ainsi que la possibilité de combattre par équipes de 3 joueurs (les combats restent en 1 vs 1).
Cet article peut contenir des liens affiliés