Premier titre des Espagnols de Nomada Studio et édité par Devolver Digital qui s’est forgé une réputation de punk du JV, GRIS est pourtant à l’opposé des pixels baveux et des néons fluos des autres productions Devolver. En parvenant à séduire le grand public dès son premier trailer, véritable délice visuel, on attendait finalement pas plus de GRIS d’être ce qu’il nous montrait : une baffe artistique.
Mais à l’inverse de Cuphead qui a refroidi une frange des joueurs peu enclins à mourir en boucle pour découvrir in fine des boss aussi costauds qu’ils sont bien animés, GRIS est un voyage où la mort n’existe pas, ou tout du moins où l’équipe a renoncé volontairement à son existence. Mais ce choix de gameplay, et de narration, ne signifie pas pour autant que l’on va seulement parcourir un tableau à l’aquarelle en ne faisant que s’émerveiller : non, sous ses faux airs de walking simulator, GRIS est aussi un jeu de plates-formes et de réflexion sincère capable de narrer une histoire par delà les mots et qui, tel le peintre, dilue ses couleurs pour atteindre la teinte idéale.
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ToggleLa Petite Robe Noire
Dix secondes, c’est à peu près le temps qu’il aura fallu à GRIS avant de réussir à me faire lâcher une larme. Une courte cinématique d’introduction met en scène notre héroïne, dont elle tire du titre son nom, qui va rapidement perdre sa voix. Conséquence fatidique : son monde s’écroule, littéralement, et nous voilà désormais contraint à errer sans but dans un néant constitué de différentes teintes de gris. Le silence.
Sans transition, on découvre alors que la cinématique n’était pas là que pour faire joli : c’est le jeu. Le temps pour le joueur, et la jeune fille, de se remettre de leurs émotions et voilà que les premières notes de musique parviennent à nos oreilles. La caméra dézoome, affiche au loin une envolée d’oiseaux qu’on croirait de papiers et l’on continue de frissonner.
Le plus petit détail compte, qu’il soit auditif, visuel ou mécanique.
Les premières minutes de GRIS sont parmi les plus belles qu’il m’ait été donné de jouer, me rappelant le genre de sensations que j’ai pu ressentir devant l’introduction d’Ori & the Blind Forest. Mais même si celui-ci reste une référence en terme purement graphique (mais pas que), GRIS le surpasse néanmoins en embrassant totalement l’idée que l’on peut se faire d’un court métrage animé interactif. Faites l’expérience : diffusez un passage du jeu sans commentaire à une personne qui ne sait pas à quoi s’attendre et il y a de grandes chances pour qu’elle pense être devant un film.
Si cela paraît pourtant évident, GRIS n’est pas seulement une réussite graphique : c’est peut-être le plus beau jeu qui existe. Ne vous fiez pas uniquement aux images, il faut le voir en mouvement pour en être pleinement convaincu. Quand ce n’est pas le clapotis de l’eau qui révèle une plate-forme invisible, ce sont les feuilles d’un arbre qui apparaissent et disparaissent comme un voile qui s’envolerait d’un fil à linge. Et tout cela on le doit notamment à Conrad Roset, le directeur créatif. S’inspirant d’un de ses maîtres, Moebius, GRIS nous offre comme cadre à ce spectacle surréaliste des décors aussi variés que lourds de sens.
L’art et la manière
Rappelant de l’aveu du designer les ruines d’un Shadow of the Colossus, les environnements que l’on parcourra se renouvelleront autant que les mécaniques de game design. Plutôt classique, on ne peut par exemple dans un premier temps que courir et sauter, chaque chapitre du jeu apportera sa petite nouveauté : ici on pourra planer pour rejoindre des plates-formes auparavant inatteignables, et là, la gravité s’inversera pour compliquer un puzzle. Et ce toujours dans un même but : retrouver des étoiles octroyant de nouveaux pouvoirs en plus de reformer une constellation dans le ciel. Mais en gardant une trame qui se boucle en 3 petites heures, GRIS parvient déjà à ne jamais lasser, ensuite à proposer suffisamment d’idées pas toujours originales mais suffisamment maîtrisées pour conserver ce flow d’émerveillement.
Chaque plan large est vécu comme une récompense.
Evidemment, c’est dans sa forme qu’il nous sidère. Au début du jeu par exemple, le vent repoussera notre avatar et l’on devra s’abriter pour atteindre notre objectif. Mais dans GRIS, ce n’est pas juste un courant d’air contraignant : ce sont des notes d’orgues, réveillant quelques doux souvenirs d’Interstellar, qui remplacent la mélodie pour nous souffler en arrière révélant au passage une énième animation superbement réalisée. Un véritable spectacle sons et lumières où ce que l’on entend agit sur ce que l’on voit et inversement : chaque pas sur une constellation étant une note de piano qui apparaît sur la partition. Un travail d’orfèvre réalisé par le collectif Berlinist, dont le nom est un indice révélant leurs origines barcelonaises, pour qui GRIS est le premier projet vidéoludique.
La voix du cœur
Etant donné sa faible durée de vie, que l’on pourra rallonger quelque peu en cherchant des secrets planqués au bord du chemin qu’on nous a tracé, il serait tentant de venir à bout du jeu en une seule session. Si je peux vous donner un conseil : savourez GRIS. Espacez les sessions, rêvez-en, laissez le vous imprégner. Car si chaque plan large est vécu comme une récompense, ils se dégustent en se laissant envahir par ses émotions, en prenant le temps de se rendre compte de ce qu’on tient entre les mains : une perle. Qui plus est, son propos, que je ne vous dévoilerai volontairement pas, s’inscrit dans cette démarche temporelle.
Et c’est d’ailleurs grâce à sa narration que GRIS réussit à être un véritable jeu vidéo et pas seulement un film interactif. Ce que l’on fait représente l’état d’esprit de notre héroïne, que l’on soit occupé à tout casser ou en train de se noyer dans les abysses. Et vous l’aurez peut-être déjà compris : ce que l’on voit aussi. Si le jeu débute dans un monde monochrome, l’objectif principal sera de récupérer des couleurs qui viendront se cumuler pour reconstruire le monde que l’on parcourt, réinventant au passage certains lieux que l’on aurait déjà visités. Comme si la force physique d’un personnage de RPG qui augmente au fil des niveaux était remplacée par la force du cœur, celle qui permet d’observer le monde par différents prismes selon notre humeur, un peu à la manière des peintres qui possèdent des périodes associées à des couleurs. Et contrairement à d’autres jeux qui véhiculent leurs idées de manière plus ou moins obscure, GRIS a le bon goût d’être suffisamment clair tout en laissant notre imaginaire faire la part des choses.
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