Avec Furi, qui proposait un gameplay maîtrisé de bout en bout et une direction artistique à tomber, The Game Bakers s’était imposé comme un studio à suivre de très près. L’annonce de Haven a cependant pris tout le monde à contre-courant. Alors que l’on s’attendait à ce que le studio renouvelle l’expérience d’un jeu d’action, Haven prend le parti pris opposé et se veut être une proposition artistique bien différente, comme une bulle d’air et de tranquillité après un Furi trop frénétique. Et même si le style est à l’opposé du dernier succès du studio, The Game Bakers réussit visiblement tout ce qu’il entreprend.
Conditions de test : Nous avons pu jouer à Haven durant plus d’une douzaine d’heures, afin de compléter l’histoire et divers objectifs, le tout sur Xbox Series X avec le mode Performances activé.
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ToggleLa vie de couple passe avant l’aventure spatiale
Des histoires d’amour dans le jeu vidéo, on en connaît. Depuis les prémices du médium, l’amour a toujours été l’un des moteurs principaux de nombreux personnages, aboutissant alors à des romances cultes par dizaines, comme Yuna et Tidus de Final Fantasy X ou encore Nathan et Elena dans la série Uncharted. Cependant, l’aboutissement de cet amour a souvent été la quête de ces histoires, et peu de jeux racontent ce qu’est réellement la vie de couple, avec son quotidien et ses moments de rien qui rythment une vie en commun.
Et pour cause, le sujet est difficile a aborder et est loin du côté romanesque que beaucoup d’œuvres cherchent à raconter. Haven s’y risque pourtant et base même tout son concept là-dessus. Ne vous y trompez pas, même si le titre prend place dans un univers de science-fiction avec des amoureux en fuite sur une planète inconnue, le jeu de The Game Bakers met surtout en avant la vie « presque » banale de Yu et Kay, nos deux amants expatriés, entre les questionnements sur le repas du soir ou le nettoyage du siphon de la douche.
Ainsi, Haven est très verbeux et prend parfois des allures de visual novel, les longueurs en moins. Vous passerez la plupart du temps à regarder le couple vivre sa vie au sein du Nid, leur vaisseau qui leur sert maintenant de petit cocon douillet, à les écouter rire, se chamailler, se charmer ou encore s’ennuyer ensemble.
Mais nous, on ne s’ennuie pas pour autant, et quand bien même Haven ne disposerait pas de ce souffle épique que l’on pourrait retrouver dans d’autres œuvres similaires, Saga en tête, on reste captivé par la relation entre Yu et Kay durant la dizaine d’heures nécessaires pour voir le bout de l’aventure.
Des amoureux comme les autres
Tout cela, Haven le doit en grande partie aux doubleurs de Yu et Kay, tous les deux très bons, mais aussi à l’écriture irréprochable de ses deux personnages, qui est menée d’une main de maître par Pierre Corbinais, dont certains d’entre vous reconnaîtront le style si vous avez déjà joué au bouleversant Enterre-moi, mon amour. Jamais forcés, les dialogues sonnent tout le temps justes et sont naturels, à tel point que certaines situations dans la vie de couple de Yu et Kay trouveront forcément écho chez beaucoup de joueurs.
Le fait de participer à ces conversations via des choix contribue à l’immersion et à l’attachement que l’on noue avec notre duo, quand bien même ceux-ci n’ont aucune incidence sur le long terme. Le jeu n’hésite pas non plus à aller au bout de son idée en abordant la vie intime du couple, avec des scènes et des dialogues parfois crus, sans jamais être vulgaires, parfois suggestifs, sans être racoleurs.
Pour autant, rassurez-vous, même s’il est possible de jouer en coop pour intensifier l’expérience, il n’est absolument pas nécessaire d’avoir vécu la vie de couple pour nos deux héros résonnent en nous, qui sont tout aussi marquants par leur humour et leur fougue, ainsi que leurs doutes.
Car si les deux tourtereaux s’efforcent de vivre une vie normale, la réalité les rattrape bien souvent. On taira les raisons qui les ont poussés à s’enfuir seuls sur une planète isolée, a priori abandonnée, mais sachez que l’on prend aussi beaucoup de plaisir à découvrir le lore du jeu, distillé dans les discussions entre Yu et Kay ou dans les divers panoramas qui composent Source, l’étoile fragmentée qui accueille le couple.
Même lorsqu’il s’agit d’aborder la « macro-histoire », autrement dit le récit qui dépasse la vie de tous les jours de nos héros, le jeu se veut être intimiste. Si on apprécie l’idée, il faut bien avouer que cette partie manque légèrement de rebondissements, bien que ce ne soit pas le but recherché par le jeu.
La balade écolo
On aurait également apprécier plus de renouvellement dans les biomes de Source. Quand Yu et Kay ne bullent pas au sein du Nid, ils s’aventurent en effet dans les contrées fracturées de Source, qui finissent finalement par toutes se ressembler en dehors de quelques changements de couleurs. La flore est presque aux abonnées absentes, en dehors des arbres à fruits qui servent à récolter des ingrédients pour les cuisiner et se soigner.
Ce sentiment de redondance dans les décors est encore plus gênant lorsque l’on enchaîne les allers-retours entre les îlots, qui sont tout de même nombreux, et qui sont séparés par des écrans de chargement. Certes, sur Xbox Series X, ces écrans ne durant pas plus de deux secondes et cela permet d’admirer les magnifiques artworks de l’artiste Koyorin, mais le fait qu’ils soient systématiques rend l’exploration quelque peu hachée. Un transport rapide se débloque heureusement rapidement (selon certaines conditions), mais n’est utilisable que lorsque l’îlot en question est complétement nettoyé de la rouille.
La rouille, c’est cet élément rouge qui recouvre les plaines de Source et qui retourne la faune locale contre nous. En slidant dessus avec les bottes remplies d’énergies de nos héros, on peut alors la collecter et débarrasser la planète de ce fléau. Un raison de plus pour explorer plus en profondeur les îlots, même si on en a vite fait le tour. Cela permet alors de découvrir des petits objets secrets à ramener au Nid pour déverrouiller d’autres scènes, ce qui est en quelque sorte tout le but du jeu et la récompense que l’on préfère dans Haven.
Même en ne recherchant pas ces objets, se déplacer tout en douceur sur les plaines reste très agréable et rappellera à bien des égards les déplacements que l’on pouvait trouver dans Journey. L’exploration est également verticale, avec des courants d’ondes à prendre comme des rails pour littéralement voler, sans avoir peur de tomber puisque nos héros se rattrapent avec aisance, parfois à la manière de skateurs professionnels en n’oubliant pas les figures aériennes qui vont avec. Ce joli tableau est malheureusement terni par des contrôles imprécis, notamment lors des demi-tours et des instants où l’on se bloque dans le décor contre des rochers.
Source est à l’heure du pacifisme
Quand ils ne s’envoient pas en l’air, métaphoriquement et littéralement, Yu et Kay doivent aussi faire face aux animaux locaux corrompus par la rouille via des combats qui ressemblent à s’y méprendre à des affrontements de JRPG. Contrairement à ce que l’on peut croire aux premiers abords, il ne s’agit pas ici de combats en tour par tour, mais bien du temps réel. On contrôle les deux personnages en même temps, l’un avec la croix, l’autre avec les quatre boutons traditionnels, correspondant chacun à une action bien précise.
Celles-ci sont basiques, mais doivent être maintenues pendant quelques instants avant d’être relâchées pour que le personnage s’exécute. Il y a donc un certain sens du timing à avoir, notamment lorsque l’on veut tout d’abord assommer un ennemi avant de l’attaquer tout de suite après pour ne pas lui laisser le temps de se relever. A cela s’ajouter des attaques en duo, essentielles à maîtriser contre les adversaires solitaires et plus puissants. Le jeu présente donc un aspect de light-RPG agréable, que l’on retrouve aussi avec le craft d’objet de soin.
Même si le système reste épuré, le tout fonctionne bien, avec assez de rythme et d’impact pour qu’on ne rechigne pas à abandonner la balade pour pacifier quelques ennemis. Car il n’est pas question de tuer dans Haven. Lorsqu’une créature est à terre, il faut alors la nettoyer de sa rouille pour qu’elle quitte le champ de bataille. Jusqu’au bout, le jeu se veut être bienveillant comme ses personnages et ne tombe jamais dans ce que l’on appelle la dissonance ludo-narrative, qui crée un écart entre le récit et les actions demandées au joueur via le gameplay.
Par ailleurs, les personnages ne gagnent pas de niveaux ici. En réussissant des actions, ils augmentent leur symbiose en tant que couple, ce qui se résulte par de nouvelles actions à débloquer à deux. On note alors que cette jauge « d’expérience » (qui n’en n’est donc pas une) augmente plus vite lorsque l’on débloque des scènes banales entre Yu et Kay que lorsque l’on parvient à mettre à terre des créatures.
On remarque aussi cette volonté de mettre la symbiose du couple au centre du tout lorsque l’on lâche le pad, et qu’après un certain temps, notre couple s’enlace tendrement, ce qui a pour effet de régénérer leur santé. Ainsi, à travers un message aussi éculé que « l’amour rend plus fort », Haven fait tout pour nous le prouver directement via ses mécaniques de jeu, et ça marche.
Du réconfort jusque dans les oreilles
Enfin, comment terminer sans évoquer la bande-son du titre, composée par Danger qui avait déjà participé à Furi. Si le résultat se révèle être moins marquant que dans la dernière production du studio, elle reste de haute volée et accompagne parfaitement les aventures de Yu et Kay. On retiendra surtout le morceau d’introduction, 4:42 Still Free, qui met en valeur une aussi belle cinématique, là encore sublimée par le travail de Koyorin.
Dommage que le moteur du jeu ne lui rende pas autant justice. Ici, on évoquera simplement les modèles 3D, qui n’ont pas beaucoup bougés depuis Furi. Si l’émotion des personnages passe avant tout dans les portraits dessinés des personnages, on aurait aimé que les modèles 3D soient légèrement plus expressifs.
Et puisque l’on aborde la technique, même si l’on excuse les crashs (quatre fois en 10 heures, notamment lors de la scène finale) qui seront corrigés rapidement, on a pu noter quelques ralentissements, même en mode Performances. Espérons que tout cela soit vite retravaillé afin de ne pas ternir une expérience qui reste mémorable.
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