Si l’on ne compte plus les adaptations de comics en jeu vidéo, on peut facilement énumérer les réussites ou les propositions, certes imparfaites, mais qui ne déméritaient pas. Tous les projets ne peuvent évidemment pas se permettre d’avoir le savoir-faire, les moyens techniques et/ou financiers suffisants pour garantir une œuvre solide. Toutes les équipes n’ont pas les armes pour représenter fièrement les univers qu’ils empruntent. Tous ne sont pas aptes à pondre un Marvel’s Spider-Man ou un Batman Arkham, certains n’ont pas d’autres choix que de se contenter d’exprimer, de transmettre, leur passion avec le plus de sincérité possible.
Ce qui ne se fait pas toujours avec talent. C’était le cas avec Spawn : Armageddon, à qui nous avons consacré une chronique, et qui, en dépit de ses bonnes intentions et idées, ne réussissait pas totalement à convaincre sur la dimension ludique. Ni à rendre justice à son protagoniste. Le mois dernier, c’est un autre affilié de l’Enfer qui s’offrait une adaptation. Développé par Upstream Arcade (West of Dead) et édité par Good Sheperd Entertainment, Hellboy : Web of Wyrd semblait armé pour réussir le pari d’adapter efficacement le héros créé par Mike Mignola. Phases de combat lorgnant vers le Beat’Em All, scénario original, appui du créateur lui-même et esthétique calquée sur son style de dessin, l’annonce avait de quoi ravir.
Et pour cause. Comics influent et au style singulier, Hellboy s’était vu adapté avec réussite au cinéma par Guillermo Del Toro, à deux reprises, en 2004 puis en 2008. Prouvant le potentiel cross-média de l’œuvre. De surcroît, le gameplay offert par NetherRealm dans Injustice 2, où apparaissait le rejeton de l’Enfer, donnait à voir un personnage capable de convaincre dans l’action. Pourtant, une fois lancé, et après avoir parcouru Web of Wyrd, une question demeure : Les développeurs ont-ils pris la peine de jouer à leur soft pour s’assurer de ses qualités ?
Condition de test : Nous avons joué durant 10 heures sur Xbox Series, suffisant pour voir le bout de cet Enfer.
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ToggleLes Germes de la destruction
Membre du Bureau de Recherche et de Défense contre le Paranormal (B.P.R.D), Hellboy doit enquêter sur la disparition d’un agent dans la dimension mystérieuse du Wyrd. Une dimension parallèle dans laquelle tout semble invraisemblable et capable de s’émanciper des lois de la physique connu. Ici, le scénario proposé s’insère dans la chronologie de la franchise sans pour autant en desservir la continuité, ou mettre à mal la cohérence globale. Une enquête qui va contraindre notre héros à dégommer du monstre pour obtenir des réponses.
Hellboy : Web of Wyrd nous invite, avant chaque excursion dans un biome, à arpenter un hub principal, la Maison Papillon, depuis lequel il sera possible de converser et améliorer son équipement, voire en changer. Le tout reste limité cela dit. En outre, terminer un niveau ou mourir fera avancer l’intrigue, et amènera de nouveaux dialogues à découvrir entre deux missions. Cependant, le scénario n’est pas très engageant et souffre malheureusement d’une narration peu accueillante. Le choix du Rogue-lite nous semble discutable pour cette adaptation.
Il est tout à fait possible de raconter une bonne histoire dans ce genre vidéoludique, cependant compte tenu de l’enquête à résoudre et de l’expérience de jeu proposé par Web of Wyrd, cela pose des problèmes. L’aspect enquête devient factice, la faute à la recherche de collectables inintéressante et censés apporter des informations. La mort ne pointe pas facilement le bout de son nez non plus, sauf quand le jeu se ligue contre vous. Quant à la narration, elle privilégie les scènes en images fixes pour se raconter, ce qui part d’une bonne intention. Le souci étant que les scènes ne sont pas percutantes.
Leur mise en scène ne permet pas non plus de retranscrire l’imagerie comics que l’on était en droit d’attendre dans Hellboy : Web of Wyrd. Par conséquent, l’intrigue peut facilement devenir secondaire pour le joueur ou la joueuse, pris dans les successions de combat. De surcroit les PNJ avec qui on discute dans la Maison Papillon n’auront pas grand-chose de passionnant à dire en fin de compte. De fait, on prend l’habitude d’interagir avec eux à chaque retour de missions, mais de façon mécanique et un peu désintéressée.
L’Appel des ténèbres
La seule réelle satisfaction se trouve du côté des performances de doublages, particulièrement Hellboy. Doublé par l’acteur Lance Reddick (présent dans la franchise John Wick au cinéma, ainsi que dans Payday 2, entre autres), le jeu de l’acteur rend parfaitement justice au héros et à son caractère, sans oublier de balancer quelques phrases bien senties. Cette réappropriation lui permet de se détacher des autres incarnations, toutes aussi convaincantes, tout en amenant une touche personnelle.
Si l’on ajoute la partie musicale, correcte sans être mémorable, il se dégage une petite ambiance appréciable et se mariant bien avec l’univers de la licence. Cela dit, c’est bien la patte graphique d’Hellboy : Web of Wyrd, empruntant au style de Mike Mignola, qui marque et impose une identité visuelle au soft. Le style de l’artiste est reconnaissable par son travail sur les ombres et sa simplicité. Un minimalisme dans les dessins qui vise l’efficacité et s’appuie sur un sens du cadre et de la mise en scène.
Si dans les faits on s’y retrouve ici, précisément dans les ombrages, une fois le vernis gratté on découvre le pot aux roses. La direction artistique semble prouver qu’il y a confusion entre « simpliste » et « simplicité ». Il en va de même pour le level design peu inspiré de Web of Wyrd. L’un comme l’autre ne font que recycler à outrance, du copier-coller afin de cacher une évidente pauvreté. Flagrant manque d’ambition se contentant d’apposer le filtre « Mignola » sans chercher à proposer plus.
Les niveaux ne brillent déjà pas dans leur construction qu’en plus ils se ressemblent tous, sans exception. Hormis la colorimétrie dominante et les arrière-plans qui apportent de timides variations pour donner l’illusion. Ce qui ne trompe pas longtemps. D’un lieu à un autre, ou simplement d’un segment de niveau à un autre, il y a systématiquement cette désagréable sensation d’arpenter les mêmes couloirs, pousser les mêmes portes. Puis arriver dans une arène de combat, affronter un bestiaire lui aussi avare en diversité, et recommencer.
L’Homme tordu
Par définition le Rogue-lite se veut répétitif. Le défi pour les développeurs étant d’essayer de réduire cette aspect inévitable du genre via diverses astuces de game design. Hellboy : Web of Wyrd se troue dans cet exercice. Parce qu’en plus des points négatifs précédemment relevés, les combats n’arrangent pas l’expérience. Au contraire même. Eux-aussi sont d’une absurde répétitivité. Sans être non plus catastrophiques, on voit clairement le potentiel réel du gameplay, l’exécution est tout bonnement ratée.
Généralement, vous aurez une ou plusieurs grosses créatures à éliminer au milieu d’un groupe de chair à canon quasi inoffensif. Ces derniers succomberont au moindre coup ou disparaîtront une fois les gros monstres éliminés. Ce schéma va composer l’essentiel des combats, en dehors des boss qui ponctuent les niveaux, sans vraiment convaincre eux non plus. Hellboy : Web of Wyrd accuse un gameplay approximatif et trop frustrant, tout aussi imprécis que brouillon. Des idées se chevauchent sans grande réflexion derrière.
Prise en main immédiate et ne demandant pas d’apprentissage, on apprécie de distribuer de la mandale ou tirer au flingue. Des pseudos combos peuvent d’ailleurs être réalisés en alternant corps-à-corps et arme à feu, pour un résultat assez punchy il est vrai, mais vite ennuyant. Si l’arme de poing peut s’améliorer ou être remplacée par une autre, comme un fusil à pompe par exemple, la palette de coups n’évoluera pas. Dans Web of Wyrd, aucun combat n’est réellement transcendant ni plaisant à jouer.
Le coup surpuissant d’Hellboy, capable d’envoyer l’ennemi valser dans le décor, ainsi que les quelques éliminations pouvant se déclencher offrent quand même une petite dose de satisfaction. Et ce, malgré des effets visuels foutraques. En outre, en terme de profondeur de gameplay, le soft ne propose rien pour redonner du souffle à l’ensemble. Le fait de pouvoir lancer des rochers n’est pas au point, au même titre que la parade et l’esquive. Latence de l’action pour le premier ou propriété évasive discutable pour le second, il faut ajouter les soucis de caméra récurrents et énervants.
Le Cercueil enchaîné
A la fois trop proche du personnage, mais aussi capable de rendre l’action à l’écran peu lisible, la caméra est presque un ennemi à part entière. Il en résulte des affrontements parfois cauchemardesques. Web of Wyrd nous met des bâtons dans les roues comme pour amener un challenge qui ne devrait pas se bâtir sur cette logique. Si l’on meurt, c’est plus souvent à cause du jeu lui-même que de notre faiblesse. Conditions qui compliquent l’investissement personnel.
C’est à un point où les effets de ralentis, lors d’une esquive réussie au dernier moment, ont plutôt tendance à nous mettre en mauvaise posture. Même problématique lors d’une garde parfaite. L’animation à l’écran laisse penser que l’on peut contrer, ce qui récompenserait logiquement notre sens du timing, sauf que non. Ce n’était pas permis dans notre partie. Les emprunts de mécaniques sont malheureusement trop maladroits dans leur implémentation pour qu’Hellboy : Web of Wyrd convainque.
Le comble étant que, bien que pertinent et totalement justifié, le choix d’un héros peu agile et plutôt lourd à manier n’est pas pour nous arranger dans de telles conditions. Une errance qui rejoint l’échec de la dimension Rogue-lite. En effet, nous ne l’avons pas mentionné, mais les améliorations que l’on peut récupérer dans un niveau (augmentation de puissance, davantage de bouclier, munitions, etc.) ne sont pas aussi bien amenées qu’espérer et on les perd systématiquement une fois mort, ou lorsque le niveau est terminé.
Seulement ceux achetés dans le hub pourront se garder définitivement. C’est regrettable de se retrouver face à un titre comme Hellboy : Web of Wyrd, à qui il manque à la fois peu et beaucoup pour atteindre le potentiel apparent. Mais la premier mission annonce la couleur. Fort heureusement l’aventure ne s’éternise pas, mais c’est déjà trop. Le pire étant que même un patch costaud aura bien du mal à sortir Hellboy de l’Enfer dans lequel il se trouve actuellement.
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