14 ans de Yakuza, ça fait un sacré bout, l’âge de passer le brevet à vrai dire. Si avant Judgment la série a su proposer au fil des années de nombreux spin-offs plus ou moins sympathiques (Yakuza of the Dead, Fist of the North Star), le titre qui nous intéresse aujourd’hui est peut-être celui qui est tombé le plus près du nid. Même décor, même époque, en attendant Yakuza 7, la Team Ryo Ga Gotoku a cependant préféré changer de point de vue. Pas de panique, nos mafieux en costard sont toujours au rendez-vous.
Le héros en revanche est cette fois-ci un détective, ancien avocat, mais qui conserve pourtant des caractéristiques propres à la série : il a le don pour s’attirer des ennuis et sait quand il faut se taire et faire parler les poings. Judgment saura-t-il rendre justice à son grand frère ? C’est l’heure du verdict.
Sommaire
ToggleDéclaration liminaire
Intitulé Judge Eyes dans sa version originale et sorti au pays du soleil levant en décembre 2018, Judgment comme on l’appelle par chez nous nous parvient avec 6 petits mois de retard. Rien à voir avec Pierre Taki qui a pris, malgré lui, la poudre d’escampette. Non, on le doit à une véritable révolution dans la série : le jeu est intégralement traduit en français et propose en plus du doublage japonais, un doublage anglais. Malgré quelques coquilles de ci de là, cet apport est une bénédiction pour qui souhaite découvrir les Yakuza mais ne maîtrise pas la langue de Shakespeare (ou a fortiori le japonais pour les puristes absolus).
On reste sceptique en revanche sur la volonté de conserver les particules dans la localisation. Certes, les amateurs d’animés et des fansubs ne seront pas surpris de lire des -san -sensei et autre aniki mais pour le néophyte, bah ça veut rien dire. Néanmoins, cela relève du détail et SEGA a réalisé ici un travail de qualité que l’on ne peut que saluer. On espère que les nombreux autres jeux que SEGA éditait jusqu’ici qu’en anglais et japonais suivront le mouvement (coucou Persona 5 The Royal).
More than meets the Judge Eye
Maintenant que tout le monde peut comprendre de quoi il en retourne, la séance est enfin ouverte. Judgment nous place dans la peau de Takayuki Yagami (interprété par Takuya Kimura), un ex-avocat reconverti en détective. Exit les costards serrés, bonjour la veste en cuir et le jean délavé : Tak est un cool kid de 35 ans. A l’instar de Kiryu Kazuma, le héros de la série principale, Takayuki apparaît d’abord sous les traits d’un énorme cliché de film : cheveux en bataille, la clope au bec et appartement qui cumule les fonctions de bureau, de chambre et de cuisine (avec option vaisselle qui s’empile).
Et si la fameuse tragic backstory de rigueur est bel et bien présente, il faut bien avouer que Takayuki est un héros auquel on s’attache très rapidement. Que ça soit dans les animations, la fidélité des traits et des expressions du visage dont Yakuza peut se vanter depuis ses débuts, tout est réuni pour faire de notre héros un personnage que l’on aime suivre et contrôler. Qui plus est, il existe hors des limites du jeu : le bonhomme a tout de même 35 ans et à cet âge-la, on a déjà bien vécu. On rencontrera donc des anciens amis ou rivaux, des ex-petites copines ou simplement d’anciens collègues de bureau qui semblent tous connaître notre avatar mieux que nous.
Car avant d’être détective, Yagami-san était avocat. 3 ans avant le début des événements narrés en jeu, il avait réussi à acquitter son client accusé de meurtre. Malheureusement, à peine sorti de cellule, celui-ci tue sa petite amie et incendie son appartement. Rongé par la culpabilité, l’avocat au grand coeur abandonne le barreau et le gel pour cheveux et devient donc détective privé. Revenu à notre époque, une sombre affaire de tueur en série chamboule la vie des habitants de Kamurocho (un quartier fictif inspiré de Kabukicho à Tokyo et aire de jeu de la plupart des Yakuza).
En effet, quelqu’un semble s’attaquer à une famille de yakuza du Kansai, le clan des Kyorei, et prend un malin plaisir à énucléer certains de ses membres. Trois pour être exact. Takayuki est alors engagé par son ancien cabinet d’avocats pour enquêter sur l’affaire et tenter de disculper le capitaine Hamura, un des gros bonnets du clan Tojo, bien connu des fans de la série. Ah, et le patriarche de la famille Matsugane, dont Hamura fait partie, est également le père adoptif de Takayuki. Vous suivez ?
Je suis quasiment sûr que nous avons affaire à un serial-killer
A partir de là, le jeu se scindera en deux parties : la trame principale qui consistera à résoudre cette série de meurtres abjectes et qui lorgne du côté du film noir et les séquences en ville qui laisse le joueur libre de ses mouvements et qui tend à offrir des instants beaucoup plus légers si ce n’est totalement burlesques. Tout pareil que Yakuza en fait. On ne divulgachera évidemment pas l’histoire mais sachez déjà que le premier chapitre n’est pas du tout représentatif du jeu : long, mal rythmé, sans réels enjeux et carrément linéaire alors qu’on enchaîne les allers retours, parvenir au bout de ces 3 ou 4 heures (selon votre rythme) est une tannée.
Prenez ça comme un long tutoriel qui enchaîne sans réelles convictions les mécaniques inédites de Judgment, puisque si notre héros reste un maître du kung-fu, il est avant tout doté d’une logique implacable. Il a même l’acolyte qui va avec, seulement il ne s’appelle pas Robin.
Entre deux balades en ville, vous devrez donc enquêter sur les différentes scènes de crime pour trouver des indices. En l’état, celles-ci se présentent comme de courtes séquences à la première personne ou à l’aide d’un drone où il faudra zoomer sur différents éléments importants, un peu à la manière d’un Ace Attorney ou d’un Danganronpa. Parfois, il faudra prendre en filature un PNJ. Dans ces phases, il est nécessaire ne pas perdre de vue votre cible tout en restant suffisamment discret, au risque de voir grimper une jauge de méfiance.
Dieu merci, ces passages se font généralement suffisamment courts et peu nombreux et servent plus à reposer le joueur et à instaurer une ambiance qu’à le mettre à l’épreuve. Une ambiance que la bande originale parvient à maintenir d’un bout à l’autre de l’aventure. Et il y en a pour tous les goûts : jazz, rock qui tâche, électro dansant et même la petite mélodie ridicule qui va bien. Mention spéciale au thème de combat qui s’adapte à notre posture et accompagne avec brio les mouvements de notre protagoniste.
Il y a toujours quelque chose à faire d’amusant dans Judgment, quelle que soit son humeur.
Enfin, de temps à autre, il sera nécessaire de faire ressortir le sportif en vous lors de courses poursuites. Que vous soyez le chasseur ou le chassé, ces séquences ne sont ni plus ni moins qu’un enchaînement de QTE tandis que votre avatar court en suivant un rail invisible. Pas bien compliqué non plus, puisque les boutons affichés ne sont pas aléatoires (sauter par-dessus un obstacle sera toujours triangle, escalader un muret, rond, etc.), ces cinématiques interactives maîtrisent toutefois le sens de la mise en scène, notamment lors de la quête principale.
On se souvient par exemple avec émotion d’une séquence de fuite en skate alors que l’on est poursuivi par des voitures de bandits armés jusqu’aux dents. Là où d’autres licences auraient fait monter la pression, Judgment préfère quant à lui la relâcher en alternant tricks improbables et autres visages déformés, dans la plus pure tradition de la série. Un truc dont seuls les Japonais ont le secret en somme.
30 millions d’amis
C’est d’ailleurs toute cette absurdité et cette démesure orientale qui ressort lorsque l’on prend le temps de se perdre en ville entre deux missions. Yakuza est en effet connu pour multiplier, parfois jusqu’à en faire trop, les activités annexes. Côté mini-jeux, on trouvera du base-ball, des fléchettes, du shogi, du mahjong, du poker, du blackjack, du flipper et même des courses de drones. Les salles d’arcades sont remplies de jeux SEGA, d’un pastiche de House of the Dead à des classiques du genre comme Puyo Puyo ou Space Harrier. Les passionnés d’arcade pourront même jouer pour la première fois sur console à Motor Raid ou (re)découvrir Fighting Vipers.
Mais c’est bien évidemment en s’intéressant aux quêtes annexes que l’on peut mesurer à quel point les nénettes et les petits gars et de chez SEGA se sont fait plaisir. Il existe en tout et pour tout 50 PNJs avec qui l’on peut devenir ami, le plus souvent en résolvant leurs petits tracas mais vous aurez également la possibilité d’accepter des contrats supplémentaires en tant que détective privé.
Car qui dit trentenaire en pleine reconversion professionnelle dit mec fauché et le loyer ne va pas se payer tout seul, non non. Ces affaires vont amèneront pêle-mêle à démanteler un réseau de pervers, à retrouver un chat héritier d’une grande famille ou tout simplement à prendre la main dans le sac un mari infidèle. Les gens ayant joué aux Yakuza se sentiront comme à la maison en découvrant des situations plus rocambolesques les unes que les autres tandis que les petits nouveaux, s’ils ne baignent pas déjà dans la culture nippone, devront faire le grand saut.
Ici la règle, c’est de ne laisser personne sur le carreau.
Si chacun est libre de déguster comme il le souhaite Judgment, on recommandera cependant d’alterner entre la mission principale et les à-côtés afin de savourer pleinement toute la richesse du titre. C’est en effet là une des plus grandes forces de Yakuza et de ce spin-off : le talent qu’ont ses équipes pour mélanger les tons de manière aussi homogène dans une seule et même œuvre. C’est bien simple : il y a toujours quelque chose à faire d’amusant dans Judgment, quelle que soit son humeur.
Shinjuku de poing
C’est évident, on ne peut pas parler de Judgment sans énoncer Yakuza. Ça a du se voir. Même en s’évertuant à lister les nouveautés du titre, on en revient toujours aux fondements de ce qui fait de la série une licence aussi appréciée. On en n’a même pas encore parlé, mais même le système de combat est hérité de Yakuza. Certes, celui-ci est simplifié pour ne pas casser le rythme, mais les affrontements physiques restent pourtant une composante essentielle de l’expérience Judgment. Takayuki maîtrise deux styles de combat : celui du tigre et celui du héron. Dans les faits, la posture du tigre est favorable aux duels tandis que la posture du héron est plutôt réservée aux mêlées.
Les fans pourront se plaindre que le système de combat est bien moins profond qu’avant, mais c’est le but, et c’est une bonne chose. Ici la règle, c’est de ne laisser personne sur le carreau. Si on peut effectivement améliorer son personnage en accumulant de l’expérience et lui apprendre tout un tas de capacités (finish moves, combos plus rapides, passifs utiles lors des phases d’enquête, etc.), on se contentera la plupart du temps de masher carré et triangle de manière plus ou moins réfléchie pour parvenir à ses fins. Même en difficile, la majorité des adversaires ont la gentillesse de ne pas être des sacs à PV.
L’objectif de Judgment n’est clairement pas de reproduire Yakuza, mais plutôt d’offrir une vue alternative de cet univers, de perpétuer le propos de la saga en apposant tout un tas de nouveaux personnages. Le tout dans une expérience plus condensée, mais qui impose toutefois son rythme quand cela est nécessaire. Aujourd’hui, rien que la saga principale de Yakuza, ce sont 7 épisodes (en comptant le 0). Judgment, lui, c’est le seul (et pour l’instant le premier) et peut-être celui qui parle le plus.
On s’attendait peut-être un peu trop à participer aux dialogues du jeu en balançant des preuves à tout va (même si ça arrive, trop rarement) ou à participer activement aux procès (ce n’est pas le cas) alors qu’il arrive parfois qu’on lance le jeu comme on lance Netflix : pour regarder des types dans des bureaux tenter de démêler le vrai du faux pendant 20 minutes. On ne vous le cache pas, quelques tunnels de cinématiques nous ont rappelé les pires heures de Metal Gear Solid 4, mais tout comme lui, il n’en reste pas moins un grand jeu.
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