Un vent de panique a soufflé à l’arrivée de la sortie de Kena: Bridge of Spirits. Lui qui a tant séduit par ses présentations, qui a émerveillé à chaque apparition malgré le fait qu’il soit le premier jeu d’un studio indépendant assez petit, il a commencé à faire naître la crainte lorsque la communication autour du titre s’est subitement stoppée, après des reports qui s’enchainaient. De quoi être inquiet ? De quoi tirer à boulets rouges sur un projet à coup de prémonitions de downgrade ou de vice caché, comme un certain AAA de l’année dernière ? Des craintes légitimes, du moins certaines, qui sont balayées d’un coup de bâton manette en main, où la magie de Kena: Bridge of Spirits opère sans nul doute.
Conditions de test : Nous avons testé le jeu sur PS5 le jour de la sortie durant une douzaine d’heures, dont 10 rien que pour terminer l’aventure.
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Rien n’était gagné avec Kena. Dès sa première apparition, l’étiquette de « jeu vidéo Pixar » lui a collé à la peau à tel point qu’on se demandait si l’on n’était pas en train de se faire avoir par la mignonne trogne des Rot, ces petits esprits noirs qui nous suivent partout, en craignant qu’aucun « jeu complet » ne se cache derrière. Après 12 heures passées en compagnie de Kena et ses adorables compagnons (durée de vie pouvant être poussée à la vingtaine d’heures en prenant son temps), on pousse un heureux soupir en affirmant que Kena: Bridge of Spirits est bien un jeu d’aventure à part entière, et pas des moindres.
A la manière d’un Spiritfarer, pour ne citer que lui en tant que jeu récent, le titre centre son récit sur le passage des esprits du monde des vivants à celui des morts, et comme pour le jeu de Thunder Lotus Games, il le fait toujours avec une grande pudeur. Notre jeune héroïne, Kena, a pour but d’atteindre une montagne sacrée pour une raison que l’on vous laissera découvrir, et croisera en chemin des âmes coincées dans ce monde, vivant autrefois dans le village au pied de la montagne. La corruption gangrène la nature dans le même temps, et c’est en guidant ces âmes esseulées et en découvrant leur histoire que l’on pourra purifier ce qui nous entoure.
Si Kena croisera bien des PNJ humains (ou plutôt, esprits) lors de sa quête, tous ayant leur propre histoire, elle fera surtout la route avec les craquants Rot, des esprits que l’on pourra contrôler façon Pikmin afin de nous aider à remplir diverses tâches. En plus de nous faire fondre à chaque apparition, ces petits êtres sont donc bien utiles et peuvent être récoltés un peu partout dans le monde, offrant alors une chasse aux collectibles amusante. Et quand ce n’est pas des Rot que l’on trouve, ce sont des chapeaux que l’on peut affubler à nos compagnons pour les rendre encore plus mignons, et diversifier un peu la troupe qui nous suit.
Dépaysement garanti
L’exploration est très souvent gratifiante dans Kena: Bridge of Spirits. Moins fermé que ce qu’il en a l’air, sans pour autant être un monde ouvert, le titre récompense chaque détour par une petite curiosité à trouver ici, de nouveaux puzzles, ou même des défis à accomplir selon des règles spécifiques. On se perd donc avec grande satisfaction dans les différents recoins du jeu, qui ne manquent parfois pas de nous stupéfier grâce à la direction artistique soignée du jeu.
Kena n’est pas une claque de tous les instants et n’est sans doute pas le plus beau titre que vous verrez en 2021, mais il reste un régal pour les yeux. On en profite d’autant plus grâce à l’absence quasi-permanent de HUD qui permet de ne pas polluer le tableau. C’est doux, c’est coloré, c’est pittoresque même, et si certaines textures peu flatteuses viennent parfois gâcher le tableau, on a vite le réflexe de sortir le mode Photo pour capturer les plus beaux environnements. Mode Photo qui est d’ailleurs assez complet, avec pas mal d’options pour mettre en scène les personnages. De quoi s’y perdre pendant plusieurs minutes pour les apprentis photographes.
Le titre comble un peu ses quelques carences techniques en mode Résolution, mais on lui préférera largement le mode Performance qui affiche un rendu très similaire, avec un 60 fps qui ne fait jamais défaut. Une petite dose de clipping n’est jamais très loin non plus, mais les multiples reports ont visiblement bien profité au jeu, car nous n’avons croisé qu’un seul petit bug mineur (nos Rot étaient bloqués en déplaçant un objet du décor, ce qui a été corrigé avec une simple recharge au même endroit). Alors oui, il est assez triste de féliciter un titre en 2021 pour son absence de problèmes de ce genre, mais pour un studio indé avec un projet d’une si grande ambition, on tire notre chapeau de Rot.
Tambour battant
On reste cependant quelque peu circonspect par les cinématiques du jeu, qui font basculer l’expérience en 25 fps le temps d’une scène. C’est certes beaucoup plus beau à l’écran (voire splendide), avec des modèles 3D encore plus réussis et plus détaillés, mais cela a tendance à casser quelque peu l’immersion. On comprend l’idée étant donné que les deux frères fondateurs d’Ember Lab viennent du milieu de l’animation, mais l’intégration n’est pas toujours heureuse.
C’est aussi le même problème en ce qui concerne plusieurs changements brutaux de musiques, mais c’est bien là tout le mal que l’on aura à dire de la bande-son et du mixage sonore, qui sont tous les deux parfaits le reste du temps. Les sonorités de Theophany avec de nombreux instruments à percussion participent grandement à l’immersion et à l’attachement que l’on peut avoir de l’expérience, tout en sachant également être plus douces quand il faut nous tirer quelques larmes, ou être plus épiques le temps d’un combat de boss à nous faire frissonner d’excitation.
Une question de courage
Car oui, Kena: Bridge of Spirits réussit aussi là où l’on ne l’attendait pas, à savoir dans sa dimension action. Le titre n’invente rien pour autant, avec un système simple qui permet à tout le monde de le prendre en main, tout en se montrant assez exigeant derrière pour combler celles et ceux qui souhaitent du challenge. En mode Normal, la mort arrive finalement assez rapidement pour peu que l’on prenne Kena comme un jeu d’action et d’aventure 3D traditionnel, et il faut vite maitriser les différents outils distillés tout au long de l’aventure pour s’en sortir.
Kena peut alors enchaîner quelques coups de bâton ou transformer ce dernier en arc, et à même accès à des bombes par la suite, avec un arbre de compétences très limité mais qui fait le job. Une petite influence Zelda évidente, qui est agrémentée de l’utilisation des Rot, qui viendront nous prêter main forte si le courage leur en dit. Plutôt peureux, ces esprits vous demanderont d’abord d’aller au front en premier avant de prendre courage et vous prêter main forte en allant distraire un ennemi ou en augmentant la puissance de vos attaques.
Il est alors possible d’effectuer un grand coup de massue avec leur aide, qui est particulièrement efficace, ou bien de les associer à une bombe afin que celle-ci ralentisse tout dans sa zone d’impact. Lorsqu’ils perturberont vos adversaires, c’est aussi le moment idéal pour viser les points faibles de ces derniers grâces à quelques flèches bien placées. Ils pourront aussi vous soigner mais d’une façon très limitée, renforçant ainsi le challenge des joutes. Bref, des alliés de poids, en plus d’être mignons. On vous a déjà dit qu’ils étaient mignons ? Franchement, ils le sont. Vraiment. Et ça mérite qu’on le répète.
KenAAA
Le titre ne réinvente rien mais fait les choses bien, même dans cette dimension que l’on pensait être la plus faible. Il brille d’autant plus lors des combats des boss, très bien mis en scène et offrant un sacré défi, surtout pour ce qui est du boss de fin, qui a droit à un combat aussi spectaculaire que difficile. Autant dire que toutes les bouilles de Rot du monde se suffiront pas à vous crisper à votre manette, mais le titre est suffisamment bien équilibré pour que l’on sache que c’est toujours de notre faute (et on évitera ici les comparaisons avec une certaine licence). Un défi qui peut encore se corser avec un mode Extrême à débloquer une fois le jeu terminé, pour les plus fous d’entre vous, qui veulent un peu de sang dans cette parenthèse censée être bucolique. On ne vous juge pas.
Avec toute cela, Kena brouille plus que jamais les limites et les attentes autour d’un jeu indé et des AAA plus « traditionnels ». S’il ne faut finalement qu’un bon week-end de temps de jeu pour le terminer, l’aventure reste dense et ludique à tous les instants, avec une réalisation et une mise en scène qui force le respect. On regrette seulement une structure qui se répète à chaque « morceau » d’aventure, avec toujours le même schéma des trois artefacts à ramasser avant de libérer un esprit. Une routine qui est cependant égayée par des puzzles toujours ingénieux et très accessibles, qui tirent parti de l’arsenal de Kena et des petits Rot.
Des imperfections qui ne gâchent rien
On aurait aimé qu’il en soit de même pour les phases de plateformes, qui ont parfois tendance à être imprécises. La punition n’est jamais très grave pour un saut manqué de quelques millimètres (alors qu’on jure avoir un mur invisible qui nous a poussé de la plateforme, mauvais joueur que l’on est), mais ce sont ces petits détails qui font que Kena: Bridge of Spirits manque peut-être la marche du jeu dont on se rappellera encore dans cinq ans. C’est peut-être aussi la faute à ses personnages trop en retrait (surtout Kena), ou son récit qui parvient à nous émouvoir sans nous marquer pour autant.
Et pourtant, même en enchainant les heures sur le titre sur une seule journée, et malgré quelques pics de frustration, c’est bien une grande dose de satisfaction qui nous envahit. Une satisfaction de voir que Kena: Bridge of Spirits est loin d’être le jeu vide que l’on aurait pu craindre, mais qu’il est surtout aussi beau qu’intéressant à jouer.
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