Généralement, il n’est pas simple de mettre les mots juste sur certaines émotions, ni même de bien les retranscrire à travers une œuvre, encore moins lorsqu’il est question du deuil. Ce dernier thème ainsi que d’autres traitant de sujets graves sont finalement assez peu représentés dans le médium vidéoludique, qui a pourtant tous les outils pour les aborder de la manière la plus cathartique possible.
Heureusement, l’émergence des studios et jeux indépendants a permis l’éclosion d’un certain nombre de titres qui n’ont pas peur de se frotter à ces sujets-là, notamment That Dragon, Cancer, et le jeu dont nous allons parler aujourd’hui, Last Day of June. Developpé par Ovosonico – à qui l’on doit Murasaki Baby sorti en 2014, Last Day of June centre sa narration autour d’une simple question : « Jusqu’où iriez-vous pour sauver l’être aimé ? ». C’est cette interrogation qui va hanter le personnage principal, qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour sauver l’élue de son cœur d’un funeste destin.
Sommaire
ToggleUn jour sans fin
Les premières secondes du titre nous présentent rapidement Carl et June, un couple immédiatement attachant et touchant de sincérité – voire presque naïf, magnifiquement servi par un décor et une musique idyllique. Alors que June remet un cadeau à sa moitié, le ciel pluvieux les oblige à interrompre ce paisible rendez-vous pour se réfugier dans leur voiture et rentrer chez eux. Malheureusement, un accident vient ternir ce tableau parfait, entraînant la mort de June et le handicap de Carl. Désormais seul sur son fauteuil roulant, ce dernier a perdu toute la joie qui l’animait jusqu’au jour où il lui sera mystérieusement possible de revivre le dernier jour avant que June ne décède, ou plus précisément la dernière heure avant le drame. A l’aide de ce pouvoir, Carl va tenter de réécrire le passé pour sauver la vie de sa dulcinée, mais rien n’est jamais simple lorsqu’il est question de voyage dans le temps…
Dans Last Day of June, la possibilité de modifier le temps n’est en réalité pas complètement liée aux actions de Carl lui-même, mais à celles de son entourage. Il va pouvoir revivre la dernière heure avant la mort de June à travers les yeux de ses voisins, et tenter de moduler leurs actions afin de changer le destin. En résumé, on passe plus de temps dans la peau des autres personnages que dans celle de Carl. Si on peut penser qu’ils ne sont que de simples outils permettant de sauver June, on s’attache très vite à chacun d’eux, chacun ayant sa propre petite histoire, ce qui permet de ressentir de l’empathie pour ces personnages pourtant secondaires.
Last Day of June ne raconte pas seulement l’histoire de Carl et June, mais aussi celle de leur entourage.
Grâce aux bulles de souvenirs que l’on peut récupérer dans le village, on découvre l’histoire de chacun sous forme d’images assez parlantes et touchantes. Le petit garçon par exemple, que l’on voit tout d’abord comme un enfant turbulent, ne cherche qu’un compagnon de jeu pour rompre avec la solitude, tout comme la meilleure amie du couple, qui cache son chagrin amoureux depuis l’enfance. Finalement, même si notre objectif premier ne change jamais, la découverte de ces personnages peut devenir un véritable moteur pour le joueur, bien que la collecte de souvenirs ne soit pas très longue.
L’effet papillon
En prenant le contrôle de quatre personnages au total, à savoir l’enfant, la meilleure amie, le chasseur et le vieil homme, vous serez amenés à résoudre des puzzles temporels assez simples, mais néanmoins satisfaisants car la solution de chacun semble vous amenez un peu plus vers la survie de June. Prendre un objet avec un personnage en particulier peut avoir des conséquences sur l’histoire d’un autre personnage, et il va falloir trouver la bonne combinaison afin que les événements liés à la tragédie s’effacent les uns après les autres. Par conséquent, revivre la même journée encore et encore avec le même personnage est une chose assez courante dans Last Day of June. De plus, à chaque fin de journée, Carl revit perpétuellement la mort de sa femme, sous forme de cinématiques que l’on ne peut pas passer.
Recommencer la même journée et revoir les mêmes scènes déplaira aux plus impatients, mais cela reste essentiel pour comprendre ce que ressent Carl.
Logiquement, cet effet de répétition et de boucle temporelle pourra en gêner certains, ce qui est facilement concevable. Cependant, ce choix de gameplay et de répétitions est totalement en phase avec ce que le jeu véhicule, et il permet une identification avec Carl encore plus poussée. Si zapper la cinématique de l’accident était possible, si ne pas refaire entièrement une journée avec un personnage était aussi simple qu’un claquement de doigt, le message transmis au joueur serait totalement effacé. Tout comme le joueur, Carl n’a pas envie de revivre encore la même scène – pour d’autres raisons certes, et tout comme lui, il est frustré par chaque tentative ratée de modifier le destin et la perspective de devoir encore recommencer le puzzle. Cet aspect cyclique est construit pour une raison, si bien qu’il est difficile de le voir comme un véritable défaut si ce n’est pour les joueurs les plus impatients, puisqu’il sert les propos du jeu. Souligner la répétitivité inhérente au gameplay est nécessaire, mais la blâmer serait probablement une erreur.
Une toile de maître
Vous l’aurez compris, Last Day of June est une œuvre construite autour de plusieurs thèmes complexes comme l’amour, la perte, mais aussi la fatalité. La construction du jeu et son gameplay ne sont pas les seuls éléments à retranscrire ces thèmes, car ils sont habilement aidés par une direction artistique du plus bel effet. Nous passerons rapidement sur la technique, qui n’a pas à rougir des autres walking-simulators du même genre, mais qui peut parfois souffrir d’un léger clipping jamais dérangeant ou de temps de chargement parfois longuets. Là où Last Day of June se démarque vraiment, c’est par les choix esthétiques qu’il met en avant. Avec son style à mi-chemin entre de l’aquarelle et du pastel, le jeu enveloppe le joueur dans un cocon de couleurs chaudes parfaitement agréable, teinté d’un coucher de soleil soulignant l’éclairage très soigné. Tout cela est accompagné d’une bande-son bien choisie, si ce n’est quelques morceaux un peu plus énergiques qui pourront surprendre face à la relative tranquillité du soft.
L’esthétique du titre transcende l’aspect technique pour aboutir à un résultat unique et chatoyant.
Les personnages profitent aussi d’un design original, sans yeux ni bouche, comme si les développeurs voulaient que l’émotion ne se transmette qu’à travers les gestes et les actions, sans recourir à d’autres artifices qui iraient vers le tire-larmes. D’ailleurs, aucun mot n’est présent durant les trois heures nécessaires pour parcourir le jeu, puisque les personnages ne s’expriment que par le biais de sons étouffés, de soupirs et de grognements minimalistes, certainement dans la même volonté qu’évoquée précédemment, celle de véhiculer un sentiment de la manière la plus basique et sincère possible.
Conclusion test Last Day of June
Parler de Last Day of June sans évoquer sa fin n’est pas chose aisée, tant elle fait partie intégrante de l’expérience. Nous ne l’évoquerons donc pas ici, si ce n’est pour dire qu’elle illustre les propos du jeu de façon irréprochable et permet de remettre les choses en perspective. L’histoire de Carl et June, en apparence idyllique, se révèle au fur et à mesure de l’aventure sous forme de souvenirs aux allures fantomatiques, illustrant que ce couple est avant tout humain et que la vie n’épargne personne. Last Day Of June est une expérience à digérer, imparfaite mais sincère, qui ne fera peut-être pas date et ne plaira pas à tout le monde, mais qui prouve que le jeu vidéo est capable de traiter de sujets complexes comme le deuil et la souffrance avec une justesse sans pareille. Ce sentiment n’est d’ailleurs jamais mieux expliqué que par le directeur créatif de Last Day of June, à qui nous laisserons le mot de la fin : « Les gens se sentent à l’aise en disant qu’ils n’aiment pas les jeux vidéo, sans jamais vraiment les essayer, mais ils ne disent jamais cela à propos des films, de la musique ou de l’art – il y a toujours quelque chose avec laquelle ils peuvent s’identifier. Je crois que les jeux peuvent être tout aussi universels et compatibles, et c’est ce que nous essayons de montrer avec ce projet. »
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