Les jeux de plateforme reprennent du poil de la bête ces dernières années, et ce n’est pas pour nous déplaire. Après les excellentissimes It Takes Two en 2021 et Astro Bot tout récemment, Le Vaillant Petit Page (ou The Plucky Squire en VO) a su attirer l’œil d’un public sensible à ce genre de productions vidéoludiques depuis sa toute première présentation lors d’un Devolver Digital en 2022.
Après un temps de silence et un report, le titre de All Possible Futures s’est livré à nous le 17 septembre dernier sur PC, PlayStation 5, Xbox Series X/S et Nintendo Switch. Nous avions pu poser les mains sur le jeu il y a de cela quelques semaines avec un premier ressenti extrêmement positif, mais est-il parvenu à convaincre sur la longueur ?
Conditions de test : Nous avons dégommé du gobelin et tourné les pages du roman Le Vaillant Petit Page pendant environ 8h30 sur PlayStation 5, le temps nécessaire pour terminer l’histoire et obtenir quasiment tous les collectibles et trophées du jeu.
Sommaire
ToggleUne féérie qui tient ses promesses
Plantons le décor. Il était une fois un jeune héros prénommé Laïus. Véritable héros dans le Royaume de Mojo et figure emblématique du courage et de l’obstination à toute épreuve, Laïus se trouve en réalité être le personnage principal d’une série de livres pour enfants, Le Vaillant Petit Page, au succès retentissant. La découverte de sa véritable condition, sa relation avec ses amis mais aussi ses ennemis et toute l’incarnation de l’imagination débordante du créateur de ce petit personnage à la tunique rosée sont au cœur des tribulations de cette nouvelle pépite signée Devolver.
Vous le comprenez à la lecture de ces premières lignes, Le Vaillant Petit Page charme par son univers, ses personnages, mais aussi, vous le verrez ensuite, par sa mise en scène et sa direction artistique, très enfantine, très colorée aussi, mais brillamment choisie et réfléchie. Si nous avons choisi de démarrer cette critique par un constat aussi positif, c’est parce qu’en réalité, peu de choses nous ont véritablement déçu durant nos sessions de jeu sur cette production des Britanniques de All Possible Futures, un jeune studio co-créé par James Turner et Jonathan Biddle.
Sans vous glisser trop de détails sur ce qui vous attend dans les épopées assez courtes de notre héros à l’épée affûtée (comptez 7 à 8h en ligne droite et un peu plus de 10h si vous récoltez tous les collectibles et trophées), il vous faut savoir que comme tout bon livre d’aventure, notre jeune héros sera dans de beaux draps assez tôt dans l’histoire. Car qui dit héros dit aussi méchant, et Laïus le sait bien. Habitué à triompher sans vergogne contre le vile Ragecuite (notez le jeu de mot, signe de l’excellente localisation française du jeu, nous y reviendrons), Laïus ne voit pas venir le danger d’une « métamagie » démoniaque.
Alors que Ragecuite s’empare de cette magie mystérieuse et s’apprête à l’utiliser au sommet de la Tour du Tome, ce dernier va bouleverser le destin si fidèlement tracé de notre héros et plonger le Royaume de Mojo dans des ténèbres assourdissantes, en provoquant l’expulsion de Laïus de son propre monde et donc du livre, pour en faire son livre et devenir pour une fois le héros. Tout d’abord perdu dans le monde réel, sur un véritable bureau d’enfant modélisé en 3D, Laïus va alors enchaîner les allers-retours entre ces deux mondes en utilisant les outils trouvés à l’extérieur du livre pour tenter d’arrêter les agissements de son pire ennemi.
Le Héros se transforme en paria
Tel est le postulat dans Le Vaillant Petit Page. Armé de sa fidèle épée et accompagné par ses plus fervents amis Violette et Crash, Laïus va donc tenter de libérer le Royaume de Mojo de la mainmise de Ragecuite et amenuir définitivement son emprise sur son monde, grâce aux conseils de Barbelune, une espèce de Merlin l’enchanteur mais en version « cool Raoul » et de Barbelunette (sa version miniature). Au programme, énigmes en tout genres, mini-jeux très inspirés mais aussi combats fréquents (mais moins inspirés) contre des gobelins et autres créatures ramenées par Ragecuite dans les deux mondes, pour semer la zizanie et freiner notre héros.
L’aventure va donc ainsi alterner entre phases en 2D au sein même du livre (avec par moments une vibe façon anciens Zelda) et phases en 3D dans le monde réel, des phases un peu moins inspirées au niveau du gameplay. Peut-être par peur de perdre les plus jeunes joueurs et joueuses avec des mécaniques plus diversifiées ? Un enchaînement de séquences plutôt bien rythmé (tout comme l’aventure qui ne possède pas de temps mort, et proposera même quelques rebondissements), rendu possible par des transitions invisibles entre les deux mondes, et grâce à la présence de portails verts (et parfois cachés) utilisables lors de séquences malheureusement un peu trop scriptées.
Notre petit personnage se verra par ailleurs doté de fabuleux pouvoirs, lui permettant d’agir physiquement sur le livre et son contenu, en refermant partiellement des pages (faisant glisser des éléments présents à l’intérieur), ou encore en retournant plusieurs pages en arrière trouver l’objet, le mot ou encore la prochaine zone à explorer. Une mécanique que l’on aurait aimé davantage utilisée tant nous avons trouvé cela ingénieux. Des pouvoirs que Laïus va pouvoir collecter dans le monde en 3D, après s’être confronté à des phases d’infiltration auprès d’affreux cafards, ou encore des séquences mémorables, y compris en 2D au sein même de l’univers en 3D, avec une nouvelle fois une multitude de situations diverses.
Pour se tirer de toutes les situations, notre Petit Page va donc utiliser plusieurs mouvements assez simples et classiques comme le saut, l’esquive par la roulade, une attaque simple, une attaque sautée et une attaque tournoyante, ces deux dernières s’octroyant par l’achat de ces capacités dans une boutique in-game ; cette boutique portée par Martina est présente plusieurs fois par chapitre et vous permet, moyennant des ampoules que vous pourrez trouver absolument partout en tapant sur les arbres, les buissons, ou encore les ennemis, d’obtenir des attaques supplémentaires facultatives et donc, par la même occasion, pas si utiles que cela.
Un conte défait ?
Bien que nous ayons joué le jeu et nous sommes équipés de ces mouvements alternatifs, il est vrai que l’on touche là l’un des rares écueils du jeu, sa simplicité à toute épreuve. Les combats que l’on appellera « courants » sont très fréquents et souvent peu inspirés, ne nécessitant pour la plupart que de brefs coups bien placés et des roulades si nécessaire pour triompher. Il aurait été plaisant d’y ajouter une certaine dose de challenge par moments (bien qu’elle soit présente sur certains boss), a fortiori dans la mesure où l’on parle ici du mode aventure, dit mode classique, et non du mode histoire, affichant encore moins de challenge. D’autant plus que seule l’épée sera utilisée dans 90% des cas, hormis quelques séquences bien trouvées que nous nous réservons de divulguer.
Effectivement, bien que le jeu soit d’abord tourné vers un public plutôt jeune, Le Vaillant Petit Page aurait été fort inspiré de proposer quelques mécaniques plus complexes pour les joueurs et joueuses les plus aguerris tant au niveau des combats que de certaines énigmes, histoire de contenter tout le monde. Nul doute que cela pourra en décevoir certains, d’autant plus que le jeu nous prend par la main à chaque instant et ne laisse guère la place à l’exploration en roulant droit sur des rails ; la faute à une action assez hachée dans l’ensemble, très fréquemment entrecoupée de cinématiques ou dialogues expliquant chaque situation. Rassurant pour une partie de la communauté de joueurs et joueuses, mais assurément frustrant pour une autre partie non négligeable.
Cependant, il nous faut nuancer ce constat en insistant sur le fait que Le Vaillant Petit Page demeure un jeu d’aventure réalisé par une petite équipe qui a, semble t-il, préféré ne pas concentrer ses efforts sur des mécaniques de combat certes un poil en dessous ludiquement parlant, mais plutôt sur les trouvailles de gameplay qui se renouvelle sans cesse, et la beauté de l’univers traversé, toutes proportions gardées, puisque le jeu n’égale pas (et n’en a pas la prétention) un certain It Takes Two ou encore du récent Astro Bot dans la finesse de son gameplay et le renouvellement constant des situations traversées.
Passées ces quelques lignes plutôt en demi-teinte sur un aspect finalement assez accessoire du jeu, reste une proposition fort plaisante et enchanteresse sur tout ce qu’il nous propose, notamment concernant sa double-lecture assez fine (sur des thèmes liés intrinsèquement comme la liberté d’expression ou encore le libre arbitre) mais aussi sur sa mise en scène calibrée et dynamique qui ne donne tout simplement pas envie de lâcher la manette de sitôt.
Une proposition solide sur bien des aspects
Outre le fait que notre petit héros va affronter des hordes de gobelins et créatures poisseuses durant ses péripéties, il fera la rencontre de divers personnages, certains faisant office de boss, et possédant tous un gameplay différent et bien identifié, qui pourra même faire sourire soit par l’absurdité des situations, soit par l’ingéniosité par laquelle cela nous est présenté. Amateurs de jeux de rythme ou même de jeux mobiles, vous serez surpris de découvrir certaines séquences.
Les friands de collectibles ne seront pas en reste puisqu’une soixantaine seront à retrouver, répartis en deux catégories : des petits oiseaux nommés Rouge-Bugs et des œuvres d’art, ces dernières prenant la forme d’un parchemin débloquant des artworks du développement du jeu. La plupart sont bien cachés, voire très bien pour certains, augmentant selon le profil du joueur ou de la joueuse la durée de vie pour obtenir le 100%. Des trophées spécifiques sont également disponibles pour des actions concrètes en jeu, la plupart du temps sur de la manipulation d’objets ou de mots, l’une des autres facettes du Vaillant Petit Page.
Effectivement, si le jeu a bénéficié d’une localisation complète dans notre langue, que ce soit écrite ou orale grâce au narrateur François Tavares qui fournit une partition parfaite de la lecture d’un livre de conte façon madeleine de Proust, c’est pour plaire aux plus jeunes mais c’est aussi et surtout pour permettre le travail des mots, l’une de ses principales caractéristiques.
Vous trouverez par exemple des énigmes vous demandant de placer un mot dans une phrase écrite sur le livre pour en changer le sens et donc modifier le décor autour de vous. Ainsi, la grotte sombre deviendra lumineuse, ou la nuit laissera place au jour, la forêt à la carrière de pierre, tandis que ce minuscule nénuphar viendra recouvrir toute la page par la suite etc. De multiples interactions sont possibles, dont certaines inattendues et octroyant de francs moments de sourire quand on essaye de jouer avec les mots.
D’autant plus que le titre se permet à de maintes reprises de briser le 4e mur avec son public, parfois en s’adressant à lui directement, parfois en commentant l’action d’un regard détaché qui fait mouche via la présence de jeux de mots et références à la pop culture très nombreux permettant une seconde lecture de l’action à l’écran ; nos personnages s’amusant d’ailleurs de certaines situations qui d’ordinaires auraient été banalisées dans un jeu vidéo lambda (la téléportation des personnages secondaires au bon endroit comme par magie en est un exemple). Une mise en abîme bienvenue et qui marche totalement avec l’univers décalé de certains endroits traversés ou certains personnages (mention spéciale aux habitants de la montagne, fadas de musique métal).
La musique, par ailleurs, est assez présente par moments, très féérique et enfantine dans l’ensemble, mais qui colle parfaitement à l’univers. Un univers que nous n’aurions aucun mal à retrouver dans nos magasins avec de réelles aventures commercialisées et autres produits de merchandising (comme le livre du jeu en lui-même, pourquoi pas), la licence pouvant jouer sur sa propre mise en abîme pour se retrouver dans un futur proche sur nos étagères. Justement, nous regrettons l’absence de version physique au lancement, celle-ci n’étant proposée que pour le printemps prochain, loupant ainsi les périodes de fêtes pourtant idéales pour ce genre de productions.
Parlons enfin un moment de l’aspect technique du jeu, qui ne nous a opposé aucun problème bloquant ni visuellement ni ludiquement parlant durant toute notre aventure sur PlayStation 5 (même si nous nous réservons pour les autres plateformes, non testées ici), si ce n’est un manque de précision pour placer les mots dans les phrases. On regrettera aussi le manque d’interactions avec la DualSense qui aurait pu proposer ici de réelles trouvailles ludiques. L’accessibilité est par ailleurs au centre des préoccupations du studio, en nous proposant un mode histoire encore simplifié, mais aussi des options pour rendre notre personnage invincible ou éliminant les ennemis d’un seul coup entre autre, tout comme la possibilité de passer certains mini-jeux plus compliqués via le menu pause, permettant même aux plus jeunes d’en profiter aisément. Encore un bon point pour le studio !
Cet article peut contenir des liens affiliés