C’est presque devenu un running gag au fil des années, Bloodborne, à l’heure actuelle toujours exclusif à la PlayStation 4, fait régulièrement l’objet de nombreux rêves quant à une suite, à un remake ou encore à un portage, afin notamment d’élargir son public. Alors quand Lies of P s’est dévoilé pour la toute première fois en 2021, il fut impossible de ne pas y avoir un descendant spirituel au titre de From Software et Japan Studio.
Et pour cause, qu’il s’agisse des visuels, du ton sombre et, depuis que le public a pu s’y essayer, de son gameplay, quasiment tout nous rappelle Yharnam et les horreurs qui s’y cachent. Ainsi, en souhaitant proposer leur Souls-like maison, comment en vouloir à Round8 Studio et Neowiz Games de s’inspirer d’une référence absolue du genre ? D’autres titres se sont évidemment essayés à reprendre la formule plus globale des Souls, parfois avec de la réussite, parfois beaucoup moins. Nioh, The Surge, Thymesia, Mortal Shell ou encore Steelrising pour ne citer qu’eux, les expériences diffèrent, mais chacun a pu apporter sa proposition.
Celle des développeurs coréens consiste à adapter librement l’univers de Pinocchio dans une version sombre et glauque. La question est donc de savoir si Lies of P arrive non seulement à nous livrer une expérience Souls-like satisfaisante mais, aussi, de constater s’il parvient ou non à suffisamment s’émanciper de son modèle japonais. En marge de sa sortie le 19 septembre prochain sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S, nous avons bataillé férocement afin de tenter d’y répondre.
Conditions de test : Nous avons joué à la version 1.001.000 de Lies of P sur PlayStation 5 durant 40 heures. Ce temps nous a permis de ratisser le plus possible toutes les zones du jeu, d’effectuer un maximum de quêtes et activités annexes, de récupérer une bonne partie des collectibles et d’atteindre le niveau 86, le tout avec un build centré sur la Mobilité et les armes lourdes. Deux des trois fins ont été vues, et deux heures supplémentaires ont été effectuées en New Game +.
Sommaire
ToggleUn pantin dans la ville
Blotti au fin fond d’un wagon de la gare centrale de Krat, la marionnette de Gepetto, que nous appellerons P (le nom « Pinocchio » n’étant utilisé à aucun moment du jeu), s’éveille et s’apprête à prendre les armes au beau milieu de ce qui ressemble à une post-apocalypse. D’autres marionnettes peuplent les environs, mais croyez bien qu’elles se révèlent rapidement hostiles. Avec Gemini en notre compagnie, qui va littéralement pouvoir éclairer notre lanterne, direction l’hôtel Krat afin de comprendre la situation.
D’entrée de jeu, on peut choisir entre trois styles de combat, Equilibre, Dextérité ou Force. En gros, le choix effectué conditionne l’arme dont on hérite ainsi que la distribution initiale de nos points d’attribut entre Vitalité, Vigueur, Capacité, Mobilité, Technique, et Progression. Une fois le pré-build déterminé, on ressent les premières sensations face aux ennemis. Et si comme d’habitude dans ce genre de jeu, le menu fretin se gère assez bien, on n’échappe pas à la mort violente quasi obligatoire au bout de quelques minutes.
Et il faut bien avouer qu’en peu de temps, on doit digérer pas mal d’informations de gameplay. Le premier gros ennemi peut alors paraître rude, mais une fois qu’on prend un peu le pli, on parvient à avancer, non sans fébrilité. Et petit à petit, on parcourt les premières rues de Krat, sous l’ambiance de mort qui se confirme mètre après mètre. Les débris occupent l’espace libre, les cadavres ensanglantés jonchent le sol, et les seuls pantins actifs, toujours pris de cette pulsion meurtrière, sont prêts à nous offrir le même sort. Pour couronner le tout, un premier boss nous attend à la fin de ces 2-3 premières heures prenant finalement la forme d’un prologue.
Une fois arrivé à l’Hôtel Krat, on comprend via une cinématique que les pantins ont subi ce qu’on appelle la Frénésie des Marionnettes, une sorte d’Ordre 66 inopiné qui a causé la mort de la plupart des humains, ainsi que la dévastation de Krat, cette ville jadis ô combien radieuse par ses prouesses technologiques et les nombreuses attractions qu’elle concevait pour les habitants et les voyageurs. Sophia, la petite voix jusqu’ici sous forme de papillon bleu, dévoile sa véritable forme et nous explique que ce cher Gepetto, actuellement isolé et en danger, peut nous clarifier davantage la situation et surtout comment la régler.
On représente donc le seul espoir de toute une ville, et avec ce prologue écoulé, le moins que l’on puisse dire c’est que l’on a pu prendre la température de ce que veut nous proposer Lies of P dans les grandes lignes. Des lignes que l’on a cependant l’impression d’avoir déjà lu, et ce hub, symbolisé par l’hôtel Krat, ou encore Sophia en elle-même, ne sont que deux des innombrables similitudes que partage le titre coréen avec Bloodborne, mais pas que.
Un Bloodborne version Chat Gepetto…
Croyez-le bien, nous aimerions beaucoup éviter le plus possible de dresser des parallèles entre Lies of P et l’exclusivité PlayStation de From Software/Japan Studio, mais il va être difficile de faire autrement. Bien sûr, il existe des incontournables de la recette. Les Stargazers ici prennent la place des lanternes (ou feux de camp), que l’on utilise notamment pour se téléporter et qui remettent au maximum notre vie ainsi que nos fioles de santé (ici des accumulateurs de pulsations) au prix de la résurrection de tous les ennemis de la zone.
Nous avons également l’Ergo, remplaçant les échos de sang (ou les âmes), une énergie formidable à l’origine des marionnettes et de la technologie omniprésente dans Krat. On en récupère en tuant des ennemis, ou sous forme de fragments à ramasser ça et là. Cet Ergo sert à la fois de monnaie dans les différents magasins du jeu, mais il incarne surtout la ressource nécessaire pour améliorer P. Une montée de niveau effectuée… auprès de la fameuse Sophia, naturellement, comme la poupée du Rêve du Chasseur, avec une quantité d’Ergo requise qui augmente à chaque niveau pris.
Mais à l’instar de ce que le public a pu ressentir lors des premiers trailers, même le look global du jeu fait écho avec certains environnements de Bloodborne. Et ce bien que l’on soit plus près d’un Paris de la Belle Epoque, pour la ville de Krat, que sur un style architectural gothique. Les similitudes visuelles se poursuivent parfois jusqu’à la structure de la progression, avec le passage dans les égouts, le village en pleine forêt un peu délabré aux airs également empruntés à Resident Evil 4, ou encore la visite d’une cathédrale.
Nos armes, améliorables chez une femme nommée Eugénie à l’hôtel Krat, grimpent de niveau grâce à des pierres de forge lune, et les armes spéciales, acquises auprès d’un PNJ particulier, se renforcent quant à elles avec des pierres de forge lune sombre, tiens tiens. Ces pierres peuvent d’ailleurs être récupérées auprès de bêtes fuyantes papillons rouges, en les tuant avant qu’ils ne disparaissent, ou bien chez la marionnette marchande du hub, Polendina, pour peu qu’on lui ramène des précieuses perles de mineur boîtes d’approvisionnement. Bon, là, l’inspiration provient aussi un peu d’Elden Ring, on vous l’accorde. Dans la même famille, P dispose également d’amulettes, permettant de booster sa vie, ses dégâts, sa défense ou encore la résistance à des altérations d’état.
Notre pantin jouit aussi de l’usage d’une prothèse à son bras gauche, appelée Bras de légion. Chaque prothèse apporte en combat une sorte de coup secondaire. Poser des mines, attirer un ennemi à soi, lancer une décharge d’électricité, d’acide ou de flammes, le bras fournit un complément appréciable à l’arme principale. Nous sommes d’ailleurs en mesure de les améliorer et d’étoffer notre collection en récupérant des calibres et jointures de légion au cours de notre exploration. Cette fois on lorgne gentiment du côté de Sekiro ; Shadows die Twice et ses outils de prothèse.
Sachez que la liste pourrait continuer encore au fil de bien d’autres paragraphes, et nous aurons largement l’occasion de refaire des comparaisons plus bas, mais le propos ici est surtout de souligner un constat simple. On ne peut passer à côté de cette sensation de menu maxi best of d’éléments aperçus du côté des productions From Software, auquel on aurait ajouté la couche de peinture Dark Pinocchio, mais peut-être sans la science de la montée en puissance, du grandiose, et de la maîtrise de son sujet propre au studio japonais.
Sauf que, autant reproduite soit-elle, si cette recette, qui a fait ses preuves, s’intègre correctement à l’ensemble, doit-on véritablement blâmer les développeurs ou sanctionner le jeu ? La question peut diviser mais de notre côté il est compliqué d’y accorder un jugement pleinement positif ou négatif notamment car, heureusement, Lies of P apporte dans cette grande soupe quelques ingrédients à lui.
… Qui tente de tirer ses propres ficelles…
Sans pour autant parler de premières mondiales, le titre comporte des mécaniques vouées à lui donner sa propre personnalité. Si on peut effectivement améliorer P via la traditionnelle montée de niveau ou des amulettes, c’est en se tournant vers l’Organe-P que la fraîcheur se fait ressentir. Accessible à la fin du deuxième environnement, l’Organe-P permet de débloquer des passifs grâce à du Quartz, une ressource extrêmement précieuse, souvent récoltée après avoir battu un boss ou un ennemi notable, ou bien dans des lieux secrets.
Ces passifs se répartissent dans quatre familles, Attaque, Survie, Capacité et Objet. Augmenter la quantité d’Ergo récupérée en tuant un ennemi, diminuer la consommation d’endurance pour telle action, ou encore augmenter la durée d’étourdissement d’un ennemi, il y en a pour tous les goûts. Et pour englober ces passifs, il existe également des sphères représentant des effets de synergie. Dans la Phase 1 de l’Organe-P, autrement dit le premier groupe d’améliorations, deux passifs suffisent à débloquer un effet de synergie. Par exemple, deux quartz incrustés dans la sphère « Accumulateurs de pulsation augmentés » nous octroie tout simplement une fiole de santé supplémentaire, de manière permanente.
Et plus on injecte du quartz, plus on active de nouvelles Phases, et plus la quantité de quartz (et donc de passifs, vous suivez) est requise pour activer un effet de synergie, jusqu’à quatre pour ceux proposés en Phase 5. De plus, les quartz injectés au sein d’un même effet de synergie ne peuvent pas être de la même famille. Des choix doivent donc être faits et on passe du temps à mesurer le pour et le contre de notre décision, en sachant que tout ne peut pas être rempli lors de sa première partie. Des dizaines de possibilités nous permettent donc d’affiner notre build déjà constitué par nos points d’attribut et par notre style d’armes. Nous faisons donc face à un système particulièrement intéressant qui change sans aucun doute la donne en étant bien utilisé.
L’assemblage d’armes qui en découle, autre feature très intéressante et similaire aux Cendres de Guerre de Elden Ring, offre la possibilité de personnaliser assez librement sa manière de combattre. Si elle n’a pas été abordée dans la partie précédente, c’est parce qu’elle n’est pas ici « bêtement » reprise à l’identique de son modèle. Dans Lies of P, une arme est composée de deux parties : sa lame et sa poignée. C’est la première qui contient les stats de dégâts, et la seconde qui va définir le fameux scaling, cette mécanique qui renforce les dégâts d’une arme en fonction de l’attribut avec laquelle elle et nous cultivons une affinité, allant de la note D à A, A représentant le bonus le plus avantageux.
En d’autres termes, une lame lourde et puissante regroupe toutes les chances de briller avec l’attribut Mobilité. Cette lame a donc intérêt à être assemblée avec une poignée B voire A afin d’en tirer profit au maximum, si toutefois l’attribut Mobilité de P est lui-même particulièrement élevé. En plus de cela, il existe des manivelles destinées à altérer les poignées. Comprenez par là que, par exemple, une poignée notée C en Mobilité et C en Technique peut bénéficier d’un focus de valeur B sur l’un ou l’autre des attributs via une manivelle de… Mobilité ou de Technique, en sachant que l’attribut restant, lui, rétrograde de C à D.
À l’exception des armes spéciales, chaque lame s’accompagne de sa poignée de base, mais il peut arriver que, par le jeu de l’assemblage ou de l’altération, on trouve des combinaisons plus avantageuses. Si l’assemblage se pratique sans limite, ce n’est en revanche pas le cas de l’altération où les manivelles font l’objet d’un stock limité tout au long de l’aventure. Le plus amusant dans tout cela reste que, selon l’assemblage effectué, le moveset se voit impacté, et donc le changement se voit aussi visuellement, et pas uniquement au niveau des stats.
Pour le fun, nous avons placé une lame massive sur une poignée d’épée orientée escrime, altérée en Mobilité pour l’occasion, et P donnait des coups d’estoc avec cet énorme bout de ferraille. Et bien au-delà le sourire que nous inspire ce non-sens ergonomique, il n’empêche que nous tapions presque aussi fort qu’avec la poignée de base de cette lame, tout en effectuant des mouvements plus rapides et avec un poids plus léger pour l’inventaire. Et à cela s’ajoutent les arts de fable, dont nous reparlerons un peu plus bas. Ces techniques prennent la forme d’attaques spéciales ou de boosts temporaires.
À chaque lame et chaque poignée son art de fable. Donc lorsque l’on assemble ces deux parties, cette technique constitue un élément supplémentaire à prendre en compte dans le cadre d’une potentielle synergie. En bref, ces features et leur articulation, bien qu’elles n’offrent pas autant de profondeur que les Cendres de Guerre de Elden Ring, apportent avec plaisir de la flexibilité au gameplay, et devraient au moins occuper un peu les afficionados du theorycrafting, cette pratique qui consiste à chercher et trouver les meilleures optimisations de build. Ils apprécieront également la possibilité de tester leurs expériences sur les marionnettes punching-ball placées juste à côté de l’atelier d’Eugénie.
… Aussi fines soient-elles
D’autres petites spécificités liées au contenu de Lies of P sont à noter, peut-être plus discrètes, mais pas forcément inutiles. Vous ne le savez que trop bien si vous avez déjà joué à un jeu du genre : perdre ses âmes ou ses runes dans une arène de boss s’avère un peu délicat, en prenant souvent des dégâts gratuitement durant la tentative d’après juste parce qu’on ne veut pas les perdre définitivement.
Ici, si l’on meurt face à un boss, notre Ergo de mort nous attend sagement à l’entrée de l’arène. Encore mieux, au bout de deux morts consécutives, et ce où que ce soit, notre Ergo peut toujours être récupéré. Simplement, sa quantité aura été divisée par deux. Le titre coréen essaye donc de proposer une alternative un peu moins vache, bien que prendre des coups tandis que notre Ergo de mort n’est toujours pas récupéré fait baisser notre montant total.
Mais parmi les spécificités les plus ludiques, il s’agit très certainement des coups de téléphone d’Arlecchino. À divers endroits de Krat et ses alentours, ce petit filou nous pose des énigmes, et nous donne le choix entre deux réponses. Opter pour la bonne réponse nous octroie une clé de la trinité. L’accès à de mystérieuses salles s’offre alors à nous, dans lesquelles de jolies récompenses nous attendent. En cas de mauvaise réponse, eh bien… disons qu’il vaut mieux ne pas se retrouver dans cette situation.
Autre occasion de se creuser un peu les méninges, les messages secrets déchiffrés par Venigni. Ce PNJ, que l’on finit par accueillir à l’Hôtel au cours de l’histoire, décode pour nous des pistes menant à des trésors disséminés un peu partout. L’exercice nous demande alors de nous fier à la photo et à sa description, histoire de savoir où aller et même quoi faire, car il nécessite parfois d’effectuer une action particulière pour récupérer le pactole. Rassurez-vous, qu’il s’agisse des énigmes ou de ces chasses au trésor, rien n’est vraiment compliqué. Ce sont donc des activités assez agréables à faire qui marquent un petit temps de pause entre deux séries de tuerie, avec une récompense à la clé. Que demander de plus ?
Du côté des petits coups de pouce fournis par le jeu lors des combats, le cube en fait partie. Loin d’être autant déterminant que l’Organe-P ou l’assemblage d’armes, cet objet permet d’utiliser des pierres à souhaits, récupérables auprès d’un autre PNJ de l’Hôtel Krat, Giangio. Ces pierres donnent des avantages temporaires à P, comme la régénération progressive des PV, ou de la jauge de légion, mais aussi aux spectres. Les spectres représentent l’équivalent des invocations croisées dans les jeux From Software et ne peuvent être appelés qu’en marge de la plupart des combats de boss, afin de nous filer un coup de main.
Sauf que la petite particularité de ces pierres à souhaits réside dans la manière de les obtenir. Seuls les fruits de l’Arbre pièce d’or, accessible au cours de l’aventure, nous donne accès à ces pierres. Et ces fruits poussent en temps réel toutes les 10 minutes, en sachant qu’au bout de 8 fruits, l’arbre n’en fait plus pousser. Il faut alors retourner régulièrement auprès de l’arbre afin de perpétuer la pousse des fruits. On a connu plus excitant.
Bien qu’il existe des moyens d’accélérer la récolte, si on ne joue pas particulièrement avec les spectres et que l’on préfère en découdre par nos propres moyens, plus de 50% des pierres s’avèrent inutiles. Même celles qui concernent P ne sont au final pas plus avantageuses que ça. En souhaitant se la jouer solo, on ne fait donc pas face à la meilleure des mécaniques, au point de s’en passer assez facilement et sans trop de regrets.
En revanche, si l’on souhaite redistribuer ses points d’attribut, son quartz ou encore la manière dont on a fait évoluer nos bras de Légion, auprès d’une statue du chapitre VI, ramasser les fruits devient tout de suite essentiel, surtout que leur nombre requis augmente au fil des reroll.
« Ainsi font, font, font… »
Le jeu propose une autre chasse sympathique avec des collectibles à récupérer, et plus précisément des disques de musique. Souvent offerts en récompense de quête, écouter ces disques à l’hôtel Krat fait grimper notre Humanité. L’Humanité ressemble un peu à une jauge invisible de morale, qui transforme ou non P selon le taux d’Humanité que l’on arbore. On a donc tout intérêt à les trouver si notre but est de faire grimper cette jauge au maximum afin que P devienne petit à petit un garçon.
Morale, humanité, vous dites ? Eh oui, car puisqu’il s’agit d’une réadaptation de Pinocchio, de pantin à humain, il n’y a qu’une frontière ténue. Une frontière que l’on peut traverser notamment grâce au mensonge. Après tout, cette pirouette rhétorique fait partie intégrante de ce qui caractérise notre héros, en plus d’être tout bonnement compris dans le titre du jeu.
Du coup, oui, il va falloir mentir dans Lies of P. Tout du moins, si l’on veut s’affranchir de notre condition de marionnette docile, froide et obéissante, c’est un exercice par lequel nous devons passer. La fin du prologue nous initie d’ailleurs à cette mécanique de choix, bien que celui effectué à ce moment-là soit obligatoire. Mentir s’offre donc régulièrement comme solution au cours des quêtes annexes et autres dialogues avec les PNJ.
Plus que simplement œuvrer dans le mensonge, P va en réalité être confronté à devoir choisir entre protéger ou être complaisant avec autrui, ou bien ne pas hésiter à utiliser l’arme souvent violente de la vérité. Dire ce que les autres veulent entendre leur fait souvent du bien, et c’est majoritairement via ce chemin que l’on sera récompensé en Humanité. En fonctionnant ainsi, et à moins de la jouer roleplay au cas par cas, le système de moralité est donc, presque à la manière d’un Mass Effect, cousu de fil blanc et il suffit d’opter continuellement pour le mensonge si l’on souhaite un maximum d’Humanité.
Quoi qu’il en soit, plus l’on ment, plus l’on remarque des effets sur P. Cela passe par l’animation de gain d’Humanité en elle-même, où au début on nous informe que notre personnage sent ses ressorts qui s’activent, puis à force de se transformer, on nous dit plutôt qu’il ressent une chaleur. En l’absence d’une jauge ou d’un curseur, ce changement de phrase permet donc de nous indiquer différents stades d’évolution d’Humanité.
De plus, en fonction de certains choix-clés, la transformation de P se traduit même physiquement. Ses cheveux vont notamment pousser et, petit à petit, on parvient carrément à entendre P respirer, haleter, voire souffrir au fil des combats, alors qu’au tout départ c’est le mutisme absolu. Un détail agréable qui rend concrète cette mécanique de morale.
Outre ce rapport à l’Humanité, dans certaines situations, mentir ou être complaisant peut soit engendrer des conséquences davantage directes, comme éviter un combat, soit se traduire par une décision où le résultat en terme de « récompense » paraît moins évidente. Par exemple on a le choix entre soulager la douleur de quelqu’un quitte à ce que cette personne risque de mourir, ou bien la laisser vivre plus longtemps au prix d’une souffrance persistante. Là comme ça, on aurait une idée, mais en écoutant le discours du PNJ en question, c’est un peu plus compliqué que cela.
Un récit plus digeste
Et puis sans parler uniquement du mensonge, nos réponses influent souvent sur la récompense que l’on obtient à l’issue de la quête annexe ou du dialogue. On peut par exemple récupérer soit juste un fragment d’Ergo, soit ce même fragment accompagné cette fois d’un de ces fameux disques à écouter, ou bien encore d’une emote. Elles constituent, toujours sous le modèle From Software, la seule manière pour P de communiquer.
Elles s’avèrent modérément utiles, face aux bonnes personnes et aux bons endroits, en nous octroyant à leur tour un peu d’Humanité. Mais en l’absence d’un mode multijoueur, elles vont fatalement moins impacter l’esprit des joueurs que dans les productions du studio japonais, surtout si on ne peut pas non plus écrire des messages pré-remplis. Tout de même, et à de très rares occasions, certaines d’entre elles permettent de faire avancer des quêtes.
D’ailleurs, saluons la simplification du déroulé des quêtes et des dialogues. Là où dans un Elden Ring ou un Bloodborne on peut complètement passer à côté d’une histoire annexe entière, Lies of P prend le parti de nous guider via des icônes dans le menu de téléportation entre les Stargazers, afin de ne rien louper. Avec tel visage ou tel objet affiché, on sait alors tout de suite à qui parler ou quoi chercher, et près de quel Stargazer chercher. Le côté naturel et hasardeux des rencontres se perd indéniablement mais on évite à l’inverse pas mal la frustration et la déception d’être passé à côté d’une récompense ou d’une information importante.
Et ce serait dommage de louper les interactions avec Venigni et son accent italien à couper au couteau, ou bien celles en compagnie de la douce Sophia ou d’Eugénie, la spécialiste en armement qui se sent redevable vis-à-vis d’un héros énigmatique. L’Hôtel Krat est donc le théâtre de dialogues où les uns et les autres finissent par se dévoiler. On dispose toujours de couches de lore sur les objets et équipements que l’on ramasse, avec en plus de cela des notes à lire, dont certaines dessinent même dans notre esprit les contours du boss de la zone que l’on s’apprête à rencontrer.
Ainsi, avec plus de blabla, plus de contexte et moins d’informations cryptiques, Lies of P utilise un modèle de narration plus conventionnel, ce qui rend l’histoire davantage accessible que ses inspirations. Cependant, la thématique du mensonge tombe parfois un peu du ciel lorsqu’on entend les grands discours de certains antagonistes. On pense notamment à une certaine famille que nous vous laissons découvrir.
Un gameplay nerveux, brutal…
Bon mais ce gameplay alors ? Pourquoi arrive-t-il si tardivement dans le déroulé de ce test, bien qu’il y ait déjà eu quelques mentions de ses mécaniques plus haut ? Sans doute parce qu’il s’agit d’une des meilleures parties de Lies of P, celle qui concentre tout le sel de l’expérience Souls-like. Face à la désolation ayant investi la ville de Krat, ainsi que la grande menace représentée par les marionnettes et autres créatures sanguinaires, le gentil garçon si cher à Gepetto devient vite méconnaissable lorsqu’il s’agit de faire le ménage.
Avec un arsenal de plus d’une trentaine d’armes et poignées, P dispose de bien des manières de faire régner le calme dans les rues. De la petite dague à l’immense clé anglaise en passant par la subtile rapière ou encore le marteau électrique, les styles de combats diffèrent. Evidemment, plus l’arme pèse son poids, plus elle offre de puissance, mais plus l’inventaire de P s’alourdit et la consommation d’endurance nécessaire à chaque coup s’amplifie.
Et si le feeling des coups n’est pas aussi optimal que dans un From Software, notamment sur les armes davantage légères, les coups lourds et puissants offrent quand même son lot de jubilation, surtout lorsqu’ils s’accompagnent de l’animation d’écrasement au sol de l’ennemi. Nous avons d’ailleurs surtout joué avec cette configuration, tout en essayant à côté, et de temps en temps, les différents types d’armes que l’on a pu collecter.
En cas de bobo, nous pouvons compter sur les accumulateurs de pulsation, brièvement évoqués à l’occasion de l’Organe-P. Si on les récupère toutes en touchant un Stargazer, il faut noter que, une fois à court de doses de santé lors d’un combat, frapper plusieurs fois ses adversaires permet de recharger doucement un accumulateur. Attention, pas plus d’une seule dose rechargeable, sinon ce serait trop facile. On remercie ce système faisant la part belle à la prise de risque car il permet parfois de faire durer des combats pourtant mal partis.
On doit d’ailleurs, et bien malheureusement, dédier à la caméra les quelques mauvaises passes de nos affrontements relevés. Dos à un mur, bon courage pour ne pas piquer une crise tandis que votre adversaire vous enchaîne sans que vous ayez la moindre idée de ce qu’il est en train de faire. Idem pour les coups qui tapent dans un mur, sur une rambarde ou encore dans un pilier, qui donne tout le loisir à l’assaillant de nous corriger.
Hormis ces nids de poule, combattre et avancer se révèle très plaisant surtout que, il faut bien le dire, le build lourd que nous avons constitué a pu nous préparer idéalement à l’une des mécaniques clé de Lies of P : la garde parfaite.
… Et gonflé au block
Une des grandes forces de Bloodborne résidait dans son système de parade, pas toujours évident à placer mais diablement rémunérateur avec la possibilité de répliquer via un coup de grâce. Dans Sekiro : Shadows die Twice, l’art de la parade transformait presque le titre en jeu de rythme. Et bien du côté du titre de Round8 Studio, réaliser des gardes parfaites est encouragé et participe à la nervosité des combats, et ce pour plusieurs raisons.
La première concerne les attaques furieuses des ennemis. Qu’il s’agisse d’un mob lambda ou d’un boss, nos assaillants disposent d’un coup fatal, dont la préparation se symbolise par une aura rouge les enveloppant. À partir de là, seule une garde parfaite peut contrer l’attaque. Ni l’esquive, ni la garde basique ne nous protège d’un tel coup, sauf si l’on est relativement éloigné de la zone d’effet.
Le souci, c’est que les armes accusent une jauge de durabilité. Et si donner des coups affecte cette durabilité, user de la garde aussi, et les armes légères disposent d’une durée de vie moins conséquente que les plus lourdes. Heureusement, on dispose d’un affûteur pour faire remonter la jauge de durabilité, sans quoi l’arme devient inutilisable en atteignant 0, mais c’est un temps où l’on est vulnérable. Moins durables et moins puissantes, les armes légères souffrent donc un peu de cette direction prise par le gameplay.
D’autant qu’en plus d’esquiver des attaques furieuses, la garde parfaite use aussi l’arme des adversaires. À force de réaliser des parades parfaites sur les coups portés par cette arme, celle-ci finit par se briser, émoussant significativement l’attaque de notre opposant. Et disons-le franchement, cela nous enlève une grosse épine du pied face à certains boss ultra agressifs, dont certains visent à être des demi-Malenia en herbe.
Enfin, les gardes parfaites participent à la montée d’une jauge invisible de stupéfaction de l’ennemi, autrement dit, son étourdissement. Dès lors qu’elle atteint son maximum, sa barre de vie est entourée de blanc, signe qu’il faut dégainer une attaque lourde chargée pour définitivement le rendre étourdi. En cas de succès, et en se plaçant près de notre opposant, on devient en mesure d’infliger un coup de grâce causant de lourds dégâts.
C’est là aussi que les arts de fable ont leur rôle à jouer, et particulièrement ceux infligeant un gros coup ou une série de coups, car ils participent à cet étourdissement, en plus de souvent balayer le terrain en cas de surnombre adverse. Alors bien sûr on peut esquiver à la place de jouer la parade et l’étourdissement, avec un équipement plus mobile permettant de consommer davantage d’endurance, mais nous avons le sentiment que les builds lourds sont légèrement favorisés.
Reste la garde classique qui, lorsqu’elle est réussie, délivre du regain de garde. Cette mécanique permet d’absorber les dégâts causés lors de la garde que l’on peut regagner sous forme de points de vie en touchant son adversaire. Mais attention, en possession d’un regain de garde, se faire toucher une nouvelle fois nous empêche de récupérer la vie temporairement perdue. On revient inévitablement à Bloodborne et son système équivalent.
Piégé par ses influences ?
Vous l’aurez compris, l’exigence demeure au rendez-vous, la balance bénéfice-risque des affrontements aussi. On se trouve parfois à un coup de tuer un boss et on se prend la mauvaise série d’attaques qui vient tout gâcher. À ce petit jeu, Lies of P transmet les mêmes sensations que ses inspirations. Excitation, crainte, rage, résilience, soulagement, on passe par toutes les émotions, mais sans l’intensité et la saveur particulière des jeux From Software.
On peut tourner la chose dans tous les sens, il n’y a encore aujourd’hui quasiment aucune production qui parvient à rendre aussi épique, aussi grandiose, aussi mémorable ses combats, son équilibrage, sa sensation de progression et de montée en puissance que ne le fait le studio japonais. Si nous avons procédé précédemment à un jeu rapide des sept différences, et que nous avons précisé que ça ne devait pas altérer outre mesure le jugement que l’on peut accorder au titre, il n’empêche qu’il ne peut s’assoir véritablement à la table de From Software.
Rien que l’exploration, résolument linéaire, nous donne un goût d’inachevé. Aucune véritable zone ni boss annexe n’est à noter, et à part les traditionnels recoins ou séquences de plateforme, les secrets ne sont pas légions. Lors de ces pas de côté, les codes du Souls-like répondent à nouveau présent. Des ennemis attendent bien souvent que l’on ramasse un de ces objets placés par exemple au bord d’une corniche pour nous faire tomber, et naviguer au-dessus le vide reste toujours aussi hasardeux, sans compter sur le fait que des assaillants peuvent être postés pour nous envoyer des projectiles à la figure, et que la mécanique de saut relève presque de la roulette russe.
Les boss, au design et aux patterns bien travaillés, ne nous marqueront sans doute jamais autant qu’un Ludwig, un Margit, une Malenia ni même un Père Gascoigne, alors que ce dernier correspond quand même à un boss de début de jeu. Et ce constat s’applique malgré l’effort d’un bestiaire varié, évolutif, dérangeant et hideux à souhait. Sans doute que cette difficulté à s’imposer mémorablement s’explique aussi au niveau des musiques ou de la DA, bien que l’un comme l’autre possède ses moments forts.
Les disques à écouter dans l’Hôtel Krat s’avèrent relativement agréables, la musique de l’Hôtel en elle-même nous reste dans la tête, et quelques chœurs placés ici et là au cours de musiques de boss fonctionnent. En revanche, il existe par exemple un joli morceau chanté en français, diffusé dans la rue Rosa Isabelle, qui finit par nous taper sur le système à mesure des allers-retours effectués en cas de morts régulières.
Côté décors, on peut simplement mentionner le downgrade subi par le jeu au fil des ans. Rien de bien scandaleux, mais sans quelques panoramas et plans sympathiques, sans un jeu de lumière et de reflet plutôt propre (notamment en intérieur avec l’Opéra) on pourrait ressentir un manque de finesse voire d’âme dans certains lieux. Nous avons aussi rencontré pas mal d’exemples d’ombres qui bégayaient légèrement, ainsi que du popping d’éléments de décors. Hormis ça, la copie s’avère tout à fait correcte, et le mode Performance tient la route au niveau de la fluidité d’action.
Mais mettons-nous bien d’accord une nouvelle fois, il n’est pas question ici de descendre Lies of P, loin de là. Simplement, en s’inspirant autant qu’il le fait des travaux de From Software, remettre en perspective la qualité de l’œuvre avec ses influences aide aussi à situer le jeu au niveau du marché, voire des attentes d’un public confirmé. Lies of P nous fait part de toute sa générosité, et il instaure clairement en nous un goût de reviens-y. Les plus conquis repartiront alors en New Game +, grâce auquel on peut pousser davantage les performances de P en débloquant la Phase 6 de l’Organe P, pour glaner les derniers collectibles, et pourquoi pas en voulant assister à la/aux fin(s) qu’il vous manque.
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