Récemment entrée dans la sphère des RPG au tour par tour, avec l’excellent Yakuza : Like a Dragon en 2020, la série du Ryu Ga Gotoku Studio en a profité pour gagner drastiquement en popularité, un peu par surprise. Depuis, non seulement les sorties ont accéléré chez le développeur, avec l’arrivée de Lost Judgment, Like a Dragon Ishin et Like a Dragon Gaiden en moins de trois ans, mais bénéficient de surcroît d’une traduction salvatrice dans la plupart des langues européennes, avec en tête celle de Molière. Un vrai bonheur pour les amoureux francophones de cette franchise un peu particulière, longtemps qualifiée, à tort, de GTA à la nippone.
Cette année, point de spin-off dans un Japon féodal fantasmé, ou de baston de rue sans règle en temps réel, puisque le Ryu Ga Gotoku Studio nous offre, après un peu plus de trois longues années d’attente, une suite directe aux aventures de Ichiban Kasuga. Like a Dragon : Infinite Wealth, ou Yakuza 8, appelez-le comme vous le voulez, reprend là où l’opus de 2020 s’était arrêté, en récupérant sa formule à base de combats au tour par tour, d’exploration d’une vaste carte, de mini-jeux en pagaille, et bien sûr d’intrigue mi-sérieuse, mi-absurde. Le tout en proposant, c’est une première pour la franchise, un espace de jeu hors du Japon.
Très attendu, Like a Dragon : Infinite Wealth s’était déjà offert quelques heures à nous, à l’occasion d’une preview qui nous laissait quelques interrogations, mais surtout beaucoup d’enthousiasme. Aujourd’hui, l’heure du verdict a sonné. Cette aventure mouvementée au sein d’une île de Hawaï ensoleillée a-t-elle les épaules pour soutenir les lourdes attentes des fans de la franchise ? Et plus important encore, après la dissolution des deux plus grandes familles de yakuzas décrite dans Like a Dragon et le spin-off The Man Who Erased His Name, la série a-t-elle su renouveler son propos, sans faire honte à son héritage vieux d’une petite vingtaine d’années ?
Conditions de test : Nous avons reçu un accès à la version Xbox Series X du jeu, sur laquelle nous avons passé une grosse cinquantaine d’heures. Ce fut suffisant pour faire un bon tour d’horizon de ce que propose le titre, mais pas pour voir le bout de sa trame scénaristique. Ce test est garanti sans spoiler majeur.
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ToggleL’homme qui avait effacé son identité
Avec une série qui a étalé ses sorties sur une vingtaine d’années, comportant neuf épisodes principaux et au moins autant de spin-offs, il va sans dire qu’il n’est pas toujours évident de raccrocher les wagons pour les néophytes. Pire, même les fans de la première heure ont parfois du mal à se souvenir de personnages ou d’intrigues passés, tant la franchise cultive son amour des trames touffues. Ainsi, Yakuza 7, ou Like a Dragon, sonnait comme une bouffée d’air frais, en annonçant la clôture de l’arc du Dragon de Dojima, entamé sur PS2 en 2005, et l’arrivée d’un protagoniste inédit. De quoi permettre aux nouveaux venus de prendre plus aisément le train en marche.
Nonobstant, et malgré toute la bonne volonté du monde, il demeure un brin compliqué de se lancer dans cette nouvelle aventure qu’est Infinite Wealth sans avoir, au préalable, intégré quelques grandes lignes de l’histoire dépeinte précédemment. S’il est parfaitement possible de faire fi de ce que racontait la série entre son premier et son sixième opus, à condition d’avoir une bonne idée de qui est Kazuma Kiryu, l’appréciation de cette nouvelle aventure ne sera évidemment pas la même chez ceux qui connaissent très bien l’univers et ses protagonistes. D’autant que certains passages, certes rares, sont uniquement pensés comme des clins d’œil adressés aux fans de longue date.
Il n’est donc pas absolument nécessaire d’avoir bouclé l’intégralité de la franchise pour apprécier Like a Dragon : Infinite Wealth, néanmoins on ne peut que vous conseiller fortement de vous intéresser, a minima, au précédent volet numéroté. Parce que la découverte de Ichiban Kasuga, protagoniste des deux jeux, est, en plus d’une mémorable aventure, le commencement d’un tout nouvel arc scénaristique. Un arc qui se poursuit ici, d’abord timidement, dans des rues japonaises déjà connues, puis un peu plus vivement une fois notre héros envolé pour Hawaï où il ne tardera pas, suite à un concours de circonstances étranges, à tomber sur ce bon vieux Kiryu.
Ne tournons pas autour du pot : Infinite Wealth est dans la droite lignée de ce à quoi nous a habitués le studio Ryu Ga Gotoku en termes de scénario et de mise en scène. Le premier est donc passionnant, ne lésine pas sur les rebondissements forts, parvenant à arracher tantôt un rire, tantôt une larme. Après le final de Like a Dragon Gaiden, riche en émotions, cet épisode va encore plus loin, et fait autant de mal que de bien. Une chose est sûre, il bouleverse le fan de la première heure. Quant à la mise en scène, comme toujours elle oscille entre le très bon, avec des passages dynamiques et des jeux de caméra intéressants, et le très plat, avec des séquences de dialogue qui se contentent du strict minimum.
Comme chaque nouvelle itération de la franchise, Like a Dragon : Infinite Wealth surprend, avec une galerie de personnages très réussie, et une intrigue qui ne dévoile ses secrets qu’au compte- gouttes. Cela étant dit, il ne plaira pas toujours à tout le monde, dans la mesure où la narration tient un rôle prépondérant. Sur la première dizaine d’heures de jeu, il n’est pas rare que l’on puisse poser la manette plusieurs longues minutes pour suivre cinématiques ou dialogues. Un détail qui ne posera aucun problème aux habitués, que l’on biberonne aux ambitions cinématographiques depuis 2005, mais qui peut parfaitement décontenancer ceux qui venaient sans trop savoir où ils mettaient les pieds. Enfin, rien de nouveau sous le soleil dans un sens.
Un billet pour les îles
Il va sans dire qu’après une quantité tout à fait remarquable d’excellents jeux se démarquant avant tout pour leur trame, les craintes autour du scénario de ce nouvel opus demeuraient marginales, pour ne pas dire absentes. Ce qui inquiétait le plus, finalement, c’était tout le reste, à commencer par sa nouvelle carte. Hawaï aurait pu changer drastiquement les choses pour la franchise. Pourtant, manette en mains, on se sent comme à la maison : la construction de la ville est très proche de ce que l’on connaît, avec des commerces justement disséminés sur la map, un paquet de coffres et de babioles à récupérer un peu partout, et bien sûr quelques points d’intérêt particuliers, tels que des donjons.
Néanmoins, si l’on peut affirmer sans se mouiller que cet espace de jeu est une franche réussite, malgré une technique perfectible qui ne flatte jamais la rétine et quelques soucis visuels sur lesquels nous reviendrons plus tard, il demeure un détail auquel nous n’avions pas pensé. Cette map, en s’occidentalisant, perd aux yeux du public européen une grande partie de son potentiel de dépaysement. Alors certes, cela reste Hawaï, avec son soleil au beau fixe (quoique le titre propose par moments quelques changements de météo bienvenus), et une plage de sable fin à perte de vue. Mais comparé aux ruelles japonaises très typiques, on est finalement beaucoup plus proche d’un décor que l’on trouverait à deux pas de chez nous.
Entendons-nous bien, nous n’allons pas pénaliser Like a Dragon : Infinite Wealth pour son changement d’environnement, loin s’en faut. D’autant que ce bol d’air frais lui réussit plutôt bien, et parvient à proposer une ambiance différente qui démarque cet opus du précédent et a toutes les chances de faire plaisir aux fans, qui ont un peu trop arpenté les mêmes pavés au cours des vingt dernières années. Pavés que, de toute façon, ils reverront au cours du jeu, d’ailleurs. La seule chose que l’on regrette finalement, c’est un petit manque d’excentricité. Quelque chose qui aurait pu rendre ce nouveau décor encore plus mémorable, et surtout le placer au même niveau en termes de dépaysement pour le joueur occidental, que Kamurocho ou Yokohama. Enfin, on chipote.
Dragon incognito
L’autre point qui pouvait inquiéter, c’est bien sûr tout le système de combat qui finissait malgré des qualités indéniables par tourner un peu en rond dans Yakuza 7. Autrement dit, par créer un effet de redondance qui poussait presque à éviter les affrontements. Chose qu’il était vivement déconseillé de faire d’ailleurs, puisque le titre n’était pas tendre passé un certain stade, et pouvait même nécessiter du grind en fin de partie. Infinite Wealth reprend pratiquement trait pour trait le même système, l’étoffant par moments de petites règles nouvelles, lui faisant gagner en profondeur. Mais surtout, il est désormais possible de déplacer manuellement ses combattants dans une petite zone en forme de cercle.
Un détail qui ne paraît pas particulièrement important dit comme cela, pourtant, il marque une différence majeure en permettant au joueur de se sentir plus actif dans ces affrontements au tour par tour qui, jusque-là, ne produisaient cette impression qu’au moment de parer les attaques ennemies. Mais c’est aussi un moyen plutôt astucieux d’augmenter l’intérêt et l’efficacité de certaines capacités, notamment de zone, puisqu’il est désormais possible de se placer idéalement pour les lancer. Une petite révolution stratégique qui s’accompagne de quelques appréciables nouveautés, avec bien sûr des protagonistes inédits, tous plutôt sympathiques et possédant leurs caractéristiques propres, et l’arrivée dans le roster de ce cher Kiryu Kazuma. Et autant le dire tout de suite, le Dragon de Dojima ne sera pas de trop pour vous aider à voir le bout du titre.
Non seulement parce que celui-ci ne fait aucun cadeau aux joueurs passé la vingtaine d’heures, mais aussi parce que les combats de rue peuvent rapidement devenir complexes. Ainsi, la faculté spéciale du bien nommé job « Dragon de Dojima », exclusif à Kiryu et lui permettant de prendre trois postures différentes aux effets drastiquement opposés, est salvatrice. Bien sûr, il n’est pas question de se reposer exclusivement sur le célèbre ancien yakuza. Il va vous falloir tenir compte de votre équipement, acheter régulièrement de nouvelles pièces et armes, ou passer à l’atelier pour améliorer celles en votre possession. Sans cela, vous risquez de vous laisser vite submerger par des ennemis qui font parfois très mal et possèdent souvent des affinités élémentaires ou des capacités pensées pour infliger différents malus.
N’allez pas croire que le jeu est bêtement punitif, comme pouvait l’être un Ninja Gaiden sur Xbox. Loin s’en faut, heureusement. Néanmoins, si vous progressez un peu trop vite dans la trame, sans prendre le temps d’explorer tout ce que Hawaï peut offrir en termes d’activités, tout en profitant de ces apartés pour combattre quelques menus fretins, vous risquez à un moment de vous heurter à un mur de difficulté. À la manière d’un Xenoblade Chronicles X ou d’un Shin Megami Tensei 3, Like a Dragon : Infinite Wealth impose son rythme. Un rythme assez lent, qui laisse le temps à l’intrigue de s’installer, aux très nombreuses mécaniques et spécificités de gameplay de se détailler, et empêche les protagonistes de gagner en puissance trop vite.
Rep à ça, Game Freak
Et puis, de toute façon, le temps est une ressource impérative si vous souhaitez vous lancer dans cette aventure particulièrement touffue. L’histoire principale, à elle seule, devrait vous occuper une bonne cinquantaine d’heures, au minimum. Et c’est évidemment sans compter la quantité ahurissante de sous-intrigues et de systèmes supplémentaires, qui ne laissent jamais un mauvais goût de remplissage inutile en bouche. À l’exception peut-être des trop nombreuses babioles à dénicher absolument partout, et qui réapparaissent avec le temps… On a l’habitude que la série repousse les limites de ce qu’il est possible de proposer en termes de contenu, mais avec Infinite Wealth, on a un peu l’impression que le Ryu Ga Gotoku Studio s’est complètement lâché.
En plus de nouveaux jobs à faire évoluer, fonctionnant comme des classes dans un RPG plus traditionnel, on retrouve avec délice les bornes d’arcade (dont la sélection est une nouvelle fois plutôt bien sentie), fléchettes, Mah-jong, et autres mini-jeux. Ajoutez à cela un rallye photo, l’amélioration d’armes, de la natation, une application de rencontre et une autre pour se faire des amis, l’exploration de donjons ou encore quelques petits boulots à exercer, et vous obtenez là un contenu absolument dantesque. Il est même possible de jouer à deux, sur le même écran, à la version arcade de Virtua Fighter 3 à partir du menu principal, que demande le peuple ? Pourtant, nous sommes encore loin d’avoir tout abordé. Parce que Infinite Wealth ne propose pas un jeu dans le jeu, il en propose deux !
Le premier, c’est la conquête de la ligue Sujimon. Un genre de Pokémon-like entièrement scénarisé, et parfaitement accessoire, avec son propre système de combat, ses propres affinités élémentaires, et une galerie de plus de cent créatures à capturer. Et par créatures, on entend évidemment truands et autres rebuts de la société auxquels vous aurez, au préalable, refait la dentition. Cela fonctionne un peu comme Pokémon Go, avec des raids disséminés sur la map, permettant d’affronter différents Sujimon dont le degré de rareté varie. Mais on trouve aussi de nombreux dresseurs, classés par rang, déterminant leur niveau de puissance. À terme, il est question de démettre ce que l’on pourrait qualifier de champions de la ligue Suji… On se demande bien où ils sont allés chercher l’idée !
Les combats se déroulent en trois contre trois, avec des équipes pouvant aller jusqu’à six truands, et se révèlent plutôt intéressants, étrangement stratégiques. Quant au système de progression de nos Sujimon, il est assez complet. Bien sûr, cet aspect du jeu, en plus d’être particulièrement chronophage, vous permettra d’accéder à des items rares, d’obtenir de grosses quantités de cash, et accessoirement de débloquer un job plutôt intéressant pour Ichiban Kasuga. Et je n’en reviens pas d’être en train d’écrire cela, mais Like a Dragon : Infinite Wealth est peut-être bien l’un des meilleurs Pokémon-like que nous ayons eu ces dernières années…
Second jeu dans le jeu, l’île Dondoko est plutôt à rapprocher d’un Animal Crossing ou d’un Disney Dreamlight Valley. Scénarisé lui aussi, ce mode vous propulse sur un territoire insulaire de bonne taille, pollué par de nombreux déchets, déversés par une bande de malfrats. Il sera question de nettoyer entièrement les lieux, de récupérer des ressources (bois, pierre, ou tout ce que vous trouverez parmi les détritus), crafter des meubles et bâtiments, et bien sûr de mettre en déroute les méchants pollueurs. Le tout pour permettre à l’île Dondoko d’accueillir à nouveau des visiteurs, en regagnant en propreté, puis en popularité.
Étrangement complet, là encore, ce mode a de quoi vous occuper un sacré moment, ne serait-ce qu’avec son potentiel de customisation absolument dément. On se prend vite au jeu du nettoyage, qui se fait à grands coups de batte de base-ball, idem pour la récupération de ressources ou la collecte d’insectes, poissons et autres items exclusifs à cette île. Seul regret, le système de combat en temps réel, là encore exclusif à ce mode spécifique, demeure perfectible. Les sensations sont fades et les affrontements brouillons… enfin difficile d’en vouloir au titre sur ce point, car même sans l’île Dondoko, il avait déjà un contenu gargantuesque.
Tout est dans la nuance
Comme pour le précédent volet, il est difficile de trouver des défauts à ce Like a Dragon : Infinite Wealth. Bien sûr, on pourrait lui reprocher quelques baisses de rythme, des allers-retours dispensables, une petite surcharge cognitive due à un très grand nombre de mécaniques différentes (vous aurez encore droit à des tutoriels au bout de trente heures de jeu), une bande-son oubliable ou encore quelques problèmes de caméra en combat… mais dans l’absolu, il demeure compliqué de ne pas qualifier ce nouvel opus de pure réussite sans avoir l’air de chipoter bêtement sur de menus détails parfaitement insignifiants, que les fans de la franchise ne verront de toute façon que du coin de l’œil. Chose que nous sommes bien obligés de faire, malgré tout…
Nous l’avions déjà abordé dans notre preview, l’aspect graphique de Infinite Wealth est nettement perfectible. Le moteur maison du Ryu Ga Gotoku Studio commence à sentir un peu fort le sapin. Ainsi, il n’est pas rare de remarquer des textures d’un autre âge, quelques détails qui font tâche, notamment une gestion pas toujours évidente des ombres et de la lumière, et bien sûr le sempiternel problème des PNJ identiques qui se trouvent parfois au même endroit. Un détail qui n’est pas aussi problématique que chez un Cyberpunk 2077 au lancement, mais qui peut malgré tout faire sortir le joueur de cette expérience pourtant très immersive. On notera aussi quelques chutes de framerate, des temps de chargement parfois longuets, ou des animations désuètes.
Il est donc grand temps que le Ryu Ga Gotoku Studio et SEGA investissent dans l’avenir, en cessant de développer pour la génération précédente qui se meurt à petit feu, pour se concentrer sur les machines actuelles. Mais surtout, en sortant de leur chapeau un moteur plus performant, ou en améliorant notablement celui qu’on nous sert depuis Yakuza 6. De toute façon, avec la densité de Like a Dragon : Infinite Wealth, les fans seront occupés un petit moment, donc inutile de se presser pour sortir le prochain opus. Enfin, comme disent les Américains, « don’t shoot the messenger ».
Pour finir, un détail nous a sauté aux yeux : la profusion de gens parlant japonais à Hawaï. Alors, d’accord, on nous explique via le scénario que la proximité de cette île paradisiaque en fait l’endroit idéal pour les vacances des nippons. Mais tout de même, il demeure étrange de voir débarquer des malfrats non asiatiques, aux dégaines d’ahuris, comprenant et parlant parfaitement la langue de l’archipel. Et si le sujet de la barrière de la langue est rapidement abordé dans les premières heures de jeu, et ponctuellement au cours de l’aventure, on a malgré tout l’impression tenace que ladite barrière n’est finalement qu’illusion, même si elle s’applique effectivement à plusieurs reprises. Bon, là, on a conscience de chipoter !
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