Derrière les AAA logiquement acteurs de la très bonne santé économique d’Electronic Arts, se cachent des créations plus originales, plus excitantes, sentant bon l’ouvrage indé. Tout récemment, nous avons pu nous émerveiller devant It Takes Two, ou encore participer au voyage introspectif de Sea of Solitude en 2019, via la branche EA Originals. Encore un peu plus tôt, en 2018, le mignon et poignant Fe faisait son apparition, développé par le studio Zoink Games.
Si le studio n’en était pas à ses débuts, en ayant conçu également des jeux comme Flipping Death, Zombie Vikings ou encore Ghost Giant, il s’agissait tout du moins de la première collaboration entre l’équipe suédoise et l’éditeur américain. Un tandem renouvelé par la suite afin de donner jour à Lost in Random, un titre orienté action-aventure qui mise notamment son univers et son gameplay sur la thématique du hasard. Si notre aperçu du jeu a révélé les prémisses d’une épopée très prometteuse, il est temps d’estimer s’il parvient à maintenir ces bonnes impressions tout au long de l’expérience qu’il propose.
Conditions de test : Nous avons joué environ 20 heures à la version PlayStation 5 de Lost in Random, le temps de finir l’histoire principale et d’accomplir la quasi-entièreté des quêtes secondaires.
Sommaire
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Au royaume d’Aléa, les citoyens vivaient un quotidien largement influencé par le lancer de dés. Ils écoulaient alors des jours incertains mais palpitants, où le destin de chacun pouvait à tout moment basculer et être influé par le hasard. Mais un jour, une reine tyrannique vint chambouler les règles, et s’autoproclama seule décideuse du sort de tout un peuple.
À l’âge de douze ans, chaque enfant se voit lancer le Dé noir de la reine, et la face obtenue régit alors la voie vers laquelle il se tournera pour le restant de ses jours. Obtenir un six a pour conséquence de devoir rejoindre la Reine dans son palais en Sixtopie. Un sort que connait une jeune fille du nom de Impaire.
Profondément attristée et désireuse de ne pas laisser cette injustice se produire, sa petite sœur, Paire, se met alors en tête d’aller chercher son aînée pour l’extirper des griffes de la Reine et de Mamie Fortune, son bras droit responsable des enfants « recrutés ». C’est alors que débute votre aventure, aux commandes de Paire et en quête de fuir Unibourg.
La ville natale de la jeune fille constitue une sorte de prologue de Lost in Random, où le joueur peut se familiariser avec les déplacements ainsi que la maniabilité de la fronde, arme utile pour, entre autres fonctions que nous verrons plus tard, actionner des interrupteurs.
Après une fuite réussie et un atterrissage imprévu au sein de la Vallée au mille dés, Paire va faire la connaissance d’un précieux compagnon à six faces : Décisse. Grâce à lui, elle va pouvoir franchir les différents secteurs qui la sépare de sa sœur retenue à Sixtopie et se battre contre les sbires de la Reine censés barrer sa route.
Jeu de mains, jeu malin
Le cœur de l’expérience offerte par Lost in Random réside sans aucun doute dans ses mécaniques de gameplay. Basées sur un système de cartes, les phases de combat se déroulent en deux temps, entre temps réel et stratégie. Quelque soit l’affrontement, Paire doit d’abord se concentrer sur les cristaux bleus renfermant de la Dénergie, ancrés sur les ennemis, en les décrochant avec sa fronde. Ensuite, une fois cette énergie tombée au sol, vous pouvez envoyer Décisse la ramasser, ou bien passer à côté avec lui, afin d’activer aléatoirement une par une les cartes en votre possession.
À partir d’une carte disponible ou dès lors que votre main est pleine, c’est le moment de jeter Décisse, histoire de figer le temps et de passer aux choses sérieuses. Suivant le résultat obtenu, vous disposez du nombre de points correspondant à dépenser en choisissant les cartes à jouer dans votre main. C’est ensuite à vous de voir, selon les cartes piochées, le nombre de points accordé et la situation, ce que vous allez jouer. Et pour se défaire des ennemis, les possibilités sont assez nombreuses. Plutôt à distance avec l’arc, ingénieuse en comptant sur des pièges, ou encore tête baissée en usant de l’épée, de la lance ou du marteau, à vous de choisir la meilleure approche.
Cela dit, Paire est dans un premier temps limitée à jouer le faible nombre de cartes imposé par le début de l’aventure. Ce n’est qu’au bout de 16 cartes que vous serez en mesure de commencer à constituer votre propre deck de 15 cartes, accessibles aléatoirement en combat. Sur un total de plus de 70 cartes, doublons et triplons compris, répartis en 4 catégories : Défense, Dégâts, Danger et Triche, les combinaisons s’étoffent largement au fur et à mesure de l’avancée du jeu.
Si les armes citées précédemment répondent à la catégorie Dégâts, elles sont loin d’être les seules à attirer votre attention. En Défense, on trouve de quoi se soigner et former un bouclier. Les cartes Triche peuvent vous conférer des points supplémentaires à dépenser dans votre main, et d’autres diminuent de 1 le coût requis. Enfin, Danger recense des bombes, des canons et autres cartes susceptibles de vous prêter main forte en combat.
Bien entendu, les cartes les plus intéressantes disposent d’un coût plus élevé et c’est à vous de composer un jeu qui, dans la mesure du possible, puisse à la fois être performant tout en pouvant être joué avec un jet de dé suffisamment élevé. Et là encore, Paire restera d’abord cantonnée à tomber sur un 1 ou un 2, et ce n’est qu’en progressant dans l’histoire que les faces de Décisse se débloqueront petit à petit, et donc, que vos chances de pouvoir jouer une main plus coûteuse mais davantage efficace augmenteront.
On fait alors face à un système de combat très efficace, qui parvient à éviter la lassitude qu’un tel concept pouvait amener, en faisant rentrer justement le hasard dans la danse. Quand bien même le joueur a pu assembler à la perfection sa main, il dépendra toujours du résultat que fera Décisse et des cartes qui vont sortir. Notons par ailleurs la présence d’un mode Facile, ou Histoire, qui simplifie les affrontements, ce qui peut finir par être utile notamment contre les boss, même si ceux-ci restent assez classiques et que la difficulté globale hérite d’un bon dosage.
Une empreinte burtonienne délicieuse
Même si le gameplay forme l’un des plus gros atouts de Lost in Random, il est indéniable que son univers participe à l’émerveillement suscité chez le joueur. Théâtre d’une histoire relatée par le personnage du Narrateur à la manière d’un conte onirique, le Royaume d’Aléa s’avère aussi étrange qu’intrigant.
Dépeint sous une direction artistique très inspirée des œuvres de Tim Burton, l’Etrange Noël de monsieur Jack en tête, mais aussi légèrement du côté de Alice Madness Returns, Lost in Random nous envoûte dès les premières minutes. La musique grandiose de Blake Robinson, avec ses mélodies teintées d’innocence, de mélancolie ou d’inquiétude, ponctue cet enchantement avec brio.
Le choix d’identité graphique opéré par les développeurs donne tout son charme aux superbes environnements du jeu. Maisons en forme de théière, bâtiments à l’architecture tordue, structures de fortune, constructions et végétation légèrement difformes, le tout sous des tons fréquemment bleutés et violacés, la traversée du royaume au milieu de ces décors abstraits renforce l’aspect fantasmagorique de l’univers conçu par Zoink.
Le peuple d’Aléa bénéficie autant d’un tel traitement en faisant l’objet d’un character design des plus remarquables. Un effort appréciable tant le titre regorge de PNJ. Leur design très réussi semble sortir tout droit d’un rêve où se mélangent les apparences : tantôt humanoïdes, tantôt le résultat d’un croisement entre diverses espèces animales, souvent disproportionnés, les habitants oscillent entre le farfelu et le terrifiant.
Certains personnages reviennent bien entendu assez régulièrement et l’on en retient facilement certains tels que la Reine, froide et mystérieuse, Sombrenuit, une sorte de croque-mitaine, Bernard, dit « Bernie », un petit garçon assoiffé d’aventure, ou encore Voiloin, créature à trois yeux disposée à réparer Décisse sous réserve de points présents dans votre inventaire. Citons aussi l’incontournable Maximilien Dextre, un marchand au corps d’armoire toujours prêt à vous proposer à l’achat ses cartes de combat.
Ce dernier reste présent régulièrement aux quatre coins d’Aléa et représente votre source principale de cartes tout au long de votre aventure. Contre des pièces d’or, que vous obtiendrez en remportant des combats ou en cassant avec la fronde des cristaux dispersés dans les différentes villes du jeu, Maximilien se délestera volontiers de sa marchandise. Il n’hésitera pas non plus à faire parler sa fibre commerciale en vous proposant des broches, destinées à garder en mémoire une ou plusieurs cartes d’une main à l’autre en combat, octroyées au bout de certains paliers de dépense. N’hésitez donc pas à passer régulièrement le voir pour faire affaire.
Même les personnages les moins notables sont souvent prêts à entretenir la conversation avec Paire, et l’excellent doublage original nous immerge rapidement dans cette atmosphère si particulière proposée par Zoink, sans jamais en ressortir. À travers les six secteurs du jeu, vous croiserez de nombreux habitants qui, notamment, vous confieront au goutte à goutte des éléments de lore liés à l’histoire passée ou présente d’Aléa, lorsqu’ils ne feront pas simplement preuve de répliques bien écrites, versant assez fréquemment dans l’humour, hélas uniquement proposées en VO sous-titrée française.
De plus, et ce quasiment à chaque fois, le joueur fera face à différents choix de dialogue au cours des discussions. Peu déterminants la plupart du temps, il arrive cependant en de rares occasions que répondre à côté vous fasse passer sous le nez une récompense ou le lancement d’une quête annexe. Car si l’objectif principal est de retrouver Impaire, Paire aura l’occasion de solutionner les problèmes de quelques personnes en détresse, ouvrant d’ailleurs l’opportunité d’explorer davantage les environnements du jeu, tous aussi réussis les uns que les autres.
Indé à plusieurs faces
Divisé en six secteurs afin de représenter chaque face d’un dé, le royaume abrite des villes bien distinctes possédant des particularités liées à leur chiffre. C’est donc avec habileté que l’on commence au sein de Unibourg, qui n’a pour unique fonction que de trier les déchets des autres districts, ou que l’on se retrouve ensuite à Doubleville où les habitants possèdent une double personnalité, changeante suivant l’issue du dé lancé par la Reine.
Le concept de cette ville se répercute alors jusqu’à un personnage comme Jared, qui abrite son alter ego Jored dans son dos, où même jusqu’au Maire, dont la part sombre, Eriam, dirige l’autre face de la ville située dans le ciel, telle un miroir du Doubleville d’origine.
Citons également le Troyaume, où trois héritiers d’un roi assassiné se disputent dans une guerre sans fin. Bref, vous l’aurez compris, la thématique du nombre et du hasard est omniprésente et s’imbrique parfaitement tant d’un point de vue ludique que technique, et ce en gardant constamment la même cohérence et le même soin.
La plupart des villes possèdent également des arènes de combat spéciales, basées sur une mécanique similaire à un jeu de l’oie. Dans ce cas de figure, éliminer les ennemis ne suffit plus, il est en même temps obligatoire de faire avancer un pion de case en case jusqu’au bout du plateau, en fonction des lancers effectués avec Décisse.
De plus, des cases spéciales ornent le parcours histoire d’ajouter un peu de piment : ennemi supplémentaire, oiseau qui transporte un trésor, bouclier de protection, les bonus/malus existants sont variés. Ces arènes spéciales, dont le concept se modifie légèrement à chaque fois, livre une autre façon d’appréhender les combats et renouvelle ponctuellement l’intérêt des phases d’affrontement.
Concrètement, Lost in Random nous sert une expérience fort agréable du début à la fin, mais aussi réussi soit-il, le titre du studio suédois compte, sous une autre face, quelques petites ombres au tableau. On regrettera par exemple qu’il soit nécessaire de bien fouiller chaque district avant de progresser dans le scénario, parce que le jeu d’aventure est construit pour être traversé du début à la fin, sans possibilité de se retourner via une éventuelle sélection de chapitre ou un système de voyage rapide.
Autre léger point noir, au cours de vos déplacements, il est parfois difficile de repérer où l’on se situe sur la map, en raison de l’absence d’un curseur représentant la position du joueur. Les allers-retours ne sont pas non plus légion, mais pour localiser précisément des objectifs de quête ou simplement pour se situer durant l’exploration, ce n’est pas toujours évident.
L’exploration, d’ailleurs, constitue un aspect un peu trop discret du titre. À part pour détruire les cristaux avec sa fronde, trouver les trappes à dé renfermant des pièces, ou pour ramasser les 10 pages de livre de conte disséminés aux quatre coins d’Aléa, on se contente de traverser d’un point A à un point B les différents environnements. Un symptôme d’une construction du jeu un poil trop classique,
Même constat pour les rares mystères que propose Lost in Random, Chaque secteur contient une énigme à résoudre, souvent afin de récupérer simplement une page de conte, et chacune d’entre elles se résout sans trop de problème. On aurait surtout aimé voir s’approfondir cette interaction hors combat entre Paire et Décisse, à plus forte raison au sein d’un tel univers où l’on imagine la présence d’étranges secrets protégés par des mécanismes ingénieux.
Enfin, on notera des petits soucis techniques, liés à la présence de clipping, d’absence imprévue d’éléments du décor ou encore de bugs de script. Par exemple, en revenant suffisamment en arrière dans la cité de Doubleville, la cinématique de présentation de ce secteur s’est rejoué. Restons malgré tout honnêtes, les légers hics rencontrés demeurent suffisamment anecdotiques pour noircir le tableau, mais Zoink n’était pas loin de nous sortir un double 6.
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