Né d’un Kickstarter lancé début 2016 avec succès par le studio Witching Hour Studios, Masquerada : Songs and Shadows s’était déjà doté d’une sortie sur PC l’année dernière, sans pour autant faire grand bruit. Ce RPG tactique en 2,5D isométrique nous revient le 8 août sur PlayStation 4 et le 23 août sur Xbox One, l’occasion pour le plus grand nombre de découvrir son univers baroque et son esthétique vénitienne qui en charmeront plus d’un, malgré quelques imperfections qui risqueront de faire grincer quelques dents. Retour sur une aventure pleine de couleurs et d’interrogations.
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ToggleDe capes et d’épées
On dit souvent que les premiers instants d’une œuvre, que cela soit un film, un livre ou un jeu vidéo, sont les plus cruciaux, ceux qui forgeront votre opinion et vous feront plonger ou non dans l’univers qui vous est proposé. Masquerada : Songs and Shadows l’a bien compris, et la première heure du jeu est sans aucun doute la plus importante. En plongeant le joueur directement au cœur de l’action et d’une civilisation en proie à une guerre civile complexe, le jeu est au premier abord assez déboussolant. Dans ce prologue, vous incarnez Cyrus Gavar, un révolutionnaire qui est sur le point de renverser la Città del Ombre, une ville divisée au bord de l’implosion.
Malgré une conviction sans faille, Cyrus échouera, pour faire basculer la narration cinq ans plus tard, en prenant le contrôle de son petit frère, Cicéro. N’ayant pas voulu participer à la vendetta de son aîné, Cicéro est perçu par certains comme un traître, mais aussi comme un lâche, puisqu’en dépit de ses désaccords avec Cyrus, il n’a jamais rien fait pour le stopper. Cette position complexe l’a poussé à fuir le continent, mais une affaire de disparitions va l’amener de nouveau à fouler la terre de la Città, malgré sa situation des plus compliquées…
En soi, ce prologue est réussi dans la mesure où il parvient à accrocher le joueur de manière efficace, mais il risque malgré tout de diviser. L’univers de Masquerada est extrêmement travaillé, magnifiquement représenté par une esthétique élégante, où chaque décor possède un aspect aquarelle agréable, même s’il ne faut pas trop s’attarder sur les détails de chaque pixel composant cette toile. S’il est construit avec brio, le lore du jeu reste exigeant.
Dès l’arrivée de Cicéro à la Città et pendant tout le jeu, le joueur est abreuvé, voire inondé d’informations sur les règles qui régissent la ville, sur le fonctionnement de la société et de ses différentes castes. Ces éclaircissements prennent la forme d’un codex, comme dans de nombreux RPG, où tout ce qu’il y a à savoir est raconté par Cicéro, en y rajoutant ses propres pensées, histoire de rendre ces informations un peu moins froides. L’écriture et la narration de ces textes sont tout à fait remarquables et intéressantes, et pour les joueurs prenant la peine de tout lire, l’univers particulièrement riche de Masquerada n’en sera que plus plaisant.
Cependant, il faut aussi comprendre que devant l’amoncellement d’informations, certains risquent d’être complètement déboussolés, surtout dans les premières heures de jeu. Si les développeurs ont su dépeindre une intrigue relativement captivante dans les enjeux qu’elle propose, ils ont pris le risque de confondre « compliqué » et « complexe ». Le véritable point négatif à accorder, même s’il ne reste qu’une affaire de goût, se situerait au niveau des diverses appellations, des différents noms propres que le jeu met en avant.
Dit comme cela, on peut avoir l’impression que ce n’est pas grand chose, mais pour la compréhension d’un univers et son adhésion, cela peut vite être capital. Le joueur doit rapidement décrypter plusieurs éléments tels que les Maschere, les Ispettore, le Valencio, les Dimenticatis, les Burratis, le temps compté en Cantiques etc. Perdu ? C’est malheureusement normal. Les sonorités qui composent ces noms se répètent et il est facile de s’y perdre. Il faudra que le joueur s’investisse pleinement dans l’aventure et dans les nombreuses notes pour comprendre toutes les subtilités de l’intrigue.
Bas les masques !
Le récit est en revanche le point fort du jeu, et récompense pleinement ceux ayant fait l’effort de comprendre les rouages et l’histoire de la Città del Ombre. S’étalant sur une dizaine d’heures environ, il prend tout d’abord des allures d’enquête policière assez banale, mais va vite se teinter d’un aspect mystique et surtout politique. Les différentes factions qui dirigent la société forment une mosaïque nuancée, où chaque guilde semble renfermer de sombres secrets, même les plus avenantes en apparence. La découverte du fonctionnement de la cité est bien amenée et la narration comporte peu de temps morts, au risque de sacrifier une ouverture sur le monde, puisque l’aventure reste complètement linéaire. Pas d’embranchements scénaristiques en vue, ni même de quêtes annexes, l’histoire se concentre sur l’essentiel.
Ce choix sert efficacement le récit, et donne aux aventures de Cicéro et son groupe un aspect contre-la-montre, l’histoire étant par ailleurs agrémentée de quelques twists. En plus de cela, certains sujets évoqués par le jeu font directement écho à notre histoire et à notre société, notamment lorsqu’il est question d’acceptation, d’homosexualité, de religions et de lutte des classes. Ces éléments, jamais gratuits, servent à mettre en place un univers cohérent, qui se laisse découvrir au fil des heures. Des cinématiques sous forme de cases de BD illustrent certains passages du récit, et même s’ils manquent de détails, l’effort est tout de même plaisant.
Si Masquerada met l’accent sur son intrigue, il n’en oublie pas pour autant le développement de ses personnages. Composé de cinq membres dont Cicéro, notre groupe de héros se révèle être particulièrement attachant, chacun possédant son importance et sa personnalité. A ce titre, Kalden, le grand costaud qui fait office de soigneur pour l’équipe semble être celui qui marquera le plus, avec son lourd passé et ses secrets touchants, qui tireront aisément la larme à l’œil. Les autres ne sont pas en reste, ni même Cicéro, qui même s’il est au départ l’archétype du héros classique, va rapidement évaluer et faire apparaître ses faiblesses et ses blessures qui font de lui un personnage charismatique.
Quand la magie s’en mêle…
En dépit de cela, Masquerada n’arrive jamais à maîtriser complètement son gameplay qui pêche malheureusement sur de nombreux points. Se présentant comme un RPG tactique à la Baldur’s Gate ou Dragon Age, il penche davantage sur l’action que sur la réflexion. A l’aide de quatre capacités spéciales, Cicéro et les autres personnages peuvent déchaîner les éléments du feu, de la terre, de l’air et de l’eau grâce à leurs Mascheras, des masques infusés de magie. En plus de ces habilités, chaque masque possède une attaque ultime, qu’il est possible de déclencher après un certain stade. Les adeptes du vent pourront par exemple foudroyer les ennemis, tandis que les pratiquants du feu pourront faire pleuvoir des météores sur le champ de bataille.
Ces capacités entraînent un gros problème de lisibilité de l’action, qui est très brouillonne. Lors de joutes confrontant une poignée d’alliés et d’adversaires, cela ne pose pas vraiment de problème, mais le jeu met souvent en scène des batailles où le nombre de participants est relativement élevé, causant un chaos visuel très difficile à suivre couplé à une chute de framerate parfois gênante sur PlayStation 4. Heureusement, une pause tactique est présente, ce qui se révélera indispensable lors de ces combats et contre les boss, vous permettant de gérer au mieux les capacités de votre petit groupe.
Il faut dire que sans utiliser cette fonctionnalité, il ne faudra pas beaucoup compter sur vos compagnons. L’IA de ces derniers est aux abonnés absents, malgré la possibilité de la paramétrer – au niveau de la fréquence d’utilisation des compétences, ce qui résultera trop souvent par leur mort. Masquerada ne possède pourtant pas une difficulté véritablement importante, mais les game over seront nombreux pour ceux ne faisant pas attention à ranimer les compagnons, qui tombent beaucoup trop vite. Finalement, les combats ne sont pas des plus passionnants, et finissent vite par se ressembler, malgré quelques boss intéressants. On notera quelques subtilités, comme les différentes « stances » du personnage : Sicario, Pavisierre et Musicita, qui donnent une approche différente des combats et surtout plus d’importance dans les déplacements du personnage.
La caractéristique la plus singulière serait sûrement celle des « Tags », qui orientent l’utilisation des compétences. Par exemple, si Cicéro applique un Tag d’air à un ennemi via l’une de ses compétences, et que Kalden utilise un Tag d’eau sur ce même ennemi, les mouvements de ce dernier seront réduits pendant un court laps de temps. Les combinaisons des différents éléments apportent donc un aspect tactique important, avec plusieurs effets à tester bien utiles. Il reste cependant difficile de s’intéresser pleinement à l’action, tant elle peut paraître redondante à certains moments et confuse à d’autres. Le manque de profondeur de ces batailles se fait ressentir sur la longueur, d’autant plus que le jeu ne propose pas d’éléments caractéristiques du genre RPG, comme la montée en niveau ou la gestion de l’équipement.
A Song of Ice and Fire
Si le gameplay ne réussit pas à donner du relief à Masquerada, l’ambiance sonore du titre y parvient admirablement. Véritable opéra collant parfaitement à l’esthétique baroque du jeu, l’OST nous offre quelques thèmes mémorables, teintés de mélancolie et d’envolées lyriques. Il n’est pas rare d’avoir simplement envie de poser la manette pour écouter ces morceaux d’orfèvres, à l’image de la musique du menu principal, qui met directement le joueur dans l’ambiance de la Città.
Niveau sonore, le casting vocal ne démérite pas non plus. Il faut souligner le talent remarquable de Matthew Mercer qui double Cicéro, mais aussi d’autres doubleurs bien connus du monde vidéoludique tels que Jenna Hale (Mass Effect) ou Rick Wasserman (Starcraft 2, Batman Arkham) qui incarne ici Kalden. Tous les dialogues étant doublés, on ne peut qu’apprécier le talent de ces acteurs, qui parviennent à insuffler de la vie à tous ces personnages haut en couleur.
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