C’est peu de le dire, le J-RPG a le vent en poupe depuis la montée en puissance de Atlus, avec un Persona 5 qui n’a pas manqué de mettre toute la planète d’accord, avant même de s’offrir une édition Royal traduite dans toutes les langues européennes. Dans le milieu du jeu de rôle, les japonais ont leur marché bien à eux, qu’il semblait encore difficile d’exporter vingt ans dans le passé, mais dont les représentants pullulent désormais sur tous les supports. Or, nombreux sont ceux qui désirent profiter de l’aura chaleureuse du genre, en y allant parfois de leur concept ou univers original.
C’est le cas des petits gars de chez Arrowiz, une entreprise chinoise que vous ne connaissez probablement pas. Il faut dire que ce développeur n’est à l’origine que de cinq titres, dont trois pas particulièrement ambitieux et exclusivement destinés au marché des casques VR. Le quatrième ne vous parlera pas plus, puisqu’il s’agit d’un Visual Novel passé complètement inaperçu en Occident, pour lequel vous ne trouverez que très peu d’avis sur le net. Nous en arrivons à leur cinquième production, Mato Anomalies, un jeu de rôle fortement inspiré par ce qui se fait sur l’archipel, et qui aura, par chance, fait plus de bruit que les précédents essais du studio.
Et si je parle de chance, sachez bien que je pèse mes mots, puisqu’il s’agit d’une production ambitieuse, ne manquant pas de belles idées, malgré des moyens qui, cela saute aux yeux, sont très loin de rivaliser avec la force de frappe d’un Atlus justement. Ainsi, le ton est donné, Mato Anomalies s’annonce comme une énième tentative ratée de la part de Arrowiz pour se faire connaître, en s’essayant à un nouveau genre… quoique, à y regarder de plus près, il se pourrait bien que, ce coup-ci, le développeur chinois soit parvenu à trouver son équilibre, et ait ses chances de briller.
Conditions de test : Nous avons passé une quinzaine d’heures sur la version Nintendo Switch du jeu, grâce à un code fourni par l’éditeur. Ce ne fut pas suffisant pour voir le bout de l’aventure, mais nous a permis de faire un bon tour d’horizon des possibilités offertes par Mato Anomalies. Ce test est garanti sans spoiler majeur.
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Il y a certains noms que l’on n’invoque pas en vain, la faute à une aura colossale, et à une communauté de fans solide voire énervée. C’est le cas de Undertale. Et croyez-moi sur parole, j’aurais préféré éviter de parler de ce jeu de rôle indépendant dans cet article, pourtant, il me semblait difficile de faire l’impasse sur la production de Toby Fox pour aborder le cas Mato Anomalies. Pas qu’ils partagent énormément de choses, au-delà de leur genre primaire, c’est un fait indéniable. Néanmoins, il faut crever l’abcès : les deux jeux ne sont pas foncièrement beaux.
Alors avant qu’on me tombe dessus façon Kazuya Mishima dans Tekken 7, laissez-moi expliquer mon propos. Bien que Undertale jouisse d’un rendu en pixel art qui lui confère instantanément un charme fou, il faut reconnaître qu’il n’est, à aucun moment, joli. Comparé aux standards actuels du genre, même parmi la petite communauté qui s’entête à taper dans le old school pur et dur, comme les petits gars de Sabotage avec le très attendu Sea of Stars, le jeu de Toby Fox fait pâle figure. Charmant n’est pas toujours synonyme de beau, et vice-versa.
Or, concernant Mato Anomalies, j’en arrive exactement au même constat. Le jeu de Arrowiz rivalise d’idées intéressantes de design, et s’offre des personnages agréables à l’œil, ainsi qu’une ville très inspirée. Mais rien n’y fait, il n’est pas beau, souffre de multiples problèmes techniques, tels qu’un aliasing diablement prononcé ou des ralentissements très réguliers, du moins dans cette version Nintendo Switch. Ainsi, il demeure difficile de l’expliquer autrement : malgré son apparente laideur, et sa technique catastrophique, il conserve étrangement un certain charme. Un charme qui ne sauve malheureusement pas toujours l’austérité de ses dialogues hérités du Visual Novel, ou de son interface de manière générale.
En dépit de cet aspect plus que daté, qui nous fait parfois nous questionner sur le niveau de finalisation du projet, il se dégage là encore une certaine aura de Mato Anomalies. Un petit quelque chose qui nous pousse à rester sur son aventure pourtant molle, remplie de donjons nullement inspirés, et de dialogues un peu trop longs. Sa musique, pour commencer, est un pur délice, qui fait souvent penser à la bande-son d’un Blade Runner premier du nom. Quand elle ne se hisse pas au niveau d’excellentes productions japonaises, en s’asseyant dans cette sous-catégorie de morceaux qui servent d’ambiance, au lieu de l’accompagner. La nuance est fine, mais nécessaire.
Soul Hackers
Si j’ai par deux fois utilisé le nom Atlus plus haut dans cet article, ce n’est pas sans raison. En effet, et ça n’aura pas manqué de sauter aux yeux de ceux qui ont suivi avec attention la petite campagne de publicité de Mato Anomalies, les similitudes entre les productions du studio nippon, et le RPG signé Arrowiz semblent nombreuses. Combat au tour par tour, personnages stylisés qui évoquent beaucoup la bande dessinée japonaise, dialogues longuets au cœur de l’intrigue, et mélange assez généreux de couleurs… C’est vrai que sur le papier, tout ou presque semble être présent pour faire de Mato Anomalies un Persona au rabais. Ou plutôt, nous allons y revenir, un Soul Hackers du pauvre.
Vous l’avez peut-être vu passer, notamment parce que nous lui accordions un test dans nos colonnes, Soul Hackers 2 sortait l’an dernier sur tous les supports du marché, à l’exception étonnante de la Nintendo Switch. Console à la puissance limitée, sur laquelle nombre de portages se cassent les dents, comme ceux de XCOM 2 ou Cloudpunk. Des jeux autrement plus ambitieux, techniquement, que Mato Anomalies, certes. Enfin, peut-être faut-il enfin ouvrir les yeux sur cette évidence longtemps passée sous silence : la Switch est datée techniquement. Et malheureusement, la majeure partie des problèmes techniques que nous avons rencontrés sur le titre proviennent de cet état de fait, qu’aura savamment esquivé Atlus.
Le fait est que si Soul Hackers 2 n’était pas parfait, loin de là, souffrant notamment d’une histoire manquant un brin d’intérêt sur la durée, de personnages mièvres, et de combats un peu trop mous, il jouissait au moins d’un niveau de finition respectable. Or, si on retrouve tout ou presque des qualités de ce titre chez Mato Anomalies, qui s’offre de surcroît le luxe d’une écriture nettement plus travaillée, d’une histoire beaucoup plus intéressante, et d’un contenu annexe plus pertinent, c’est bien la finition qui pêche chez le titre de Arrowiz. Ce qui est tout de même regrettable.
Car en dehors des ralentissements omniprésents, de la mise en scène froide qui fait penser à du Visual Novel sans ambition, et de la pauvreté visuelle des donjons, Mato Anomalies propose une formule solide qui a déjà fait ses preuves. Une mixture composée d’histoire captivante, donc, de combats certes basiques, mais dont les possibilités s’étoffent avec le temps, et de personnages attachants. Le tout sur fond d’enquête dans un univers futuriste et dystopique, qui n’a absolument rien à envier à Cyberpunk 2077, si ce n’est sur l’aspect graphique évidemment. Et on pourrait arrêter cette critique ici, en vous conseillant de passer votre chemin, sauf à très petit prix. Mais…
Cyber Sleuth
Mais ce serait oublier l’essentiel : Mato Anomalies a du cœur, il respire la passion, et jouit d’une écriture qui fonctionne vraiment très bien. Ses différentes mécaniques, notamment son système d’équipement assez original, lui confèrent un petit quelque chose qu’on ne trouve pas chez la concurrence. Au même titre que son ambiance, à la fois relaxante et sombre, profitant d’une bande-son très réussie, parfaitement en accord avec ce qu’il raconte. Et pour finir, ce serait oublier la générosité du soft, qui flirte avec plusieurs genres, pour une expérience riche, longue, le tout pour un prix déjà assez bas au lancement.
Non content de s’offrir tout un aspect scénaristique pointu, ainsi que des combats fonctionnels, le titre a quelques spécificités intéressantes, comme un jeu de cartes servant plus ou moins à hacker la psyché de nos interlocuteurs. En somme, Mato Anomalies, s’il n’est parfait sur aucun de ses aspects (excepté peut-être au niveau écriture, qui s’avère plutôt mature en prime), ne risque pas d’ennuyer ceux qui auront pris le temps de s’y intéresser… et de passer ses deux premières heures un peu plus lentes que le reste, certes.
Ainsi, oui, il est recommandable. Reste à savoir à qui. Parce que ceux qui cherchent une alternative à Persona 5 déchanteront vite, c’est une évidence, notamment devant la pauvreté visuelle de l’ensemble, surtout en combat. Mato Anomalies s’adresse finalement à ceux qui aiment le RPG et les histoires complexes, et qui sont près à faire de grosses concessions pour suivre une intrigue captivante. Or, il ne fait aucun doute que cela correspond à peu de joueurs, même parmi les petits budgets ciblés par les 40 euros affichés par le titre sur consoles.
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