C’est peu dire que le cyberpunk et le film noir vont bien ensemble et parviennent aisément à susciter la fascination. Il y a quelque chose de profondément humain qui se dégage des œuvres s’appropriant ces deux genres, en traitant l’intime, la solitude et le mal-être d’individus dans une société qu’ils ne comprennent plus. Ou qu’ils n’acceptent plus. Si la littérature fit naître les genres susmentionnés, c’est bien la force évocatrice des images de cinéma qui scella les imaginaires collectifs.
Nobody Wants to Die, du studio polonais Critical Hit Games, s’inscrit dans ces influences et, forcément, n’échappe pas à une esthétique familière empruntant autant au Blade Runner de Ridley Scott qu’à certains polars noir. Et, bien qu’il s’agisse d’un studio méconnu nous offrant sa première réalisation, avouons que le rendu de l’Unreal Engine 5 utilisé n’a pas manqué d’impressionner lors des trailers de présentation.
Condition de test : Nous avons joué sur PS5 pendant 9 heures. Pour être plus précis, entre 5 et 6 heures furent nécessaires pour tranquillement parcourir l’aventure, profiter de l’ambiance et des quelques interactions possibles. Le temps restant a servi à relancer des sauvegardes afin de découvrir des embranchements narratifs et d’autres fins.
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ToggleN.Y. Confidential
Quand la mort n’est plus une fatalité, c’est toute une société qui s’en trouve transformée. Dystopie rétro futuriste puisant ouvertement dans le cinéma et le jeu vidéo, certains emprunts sont d’ailleurs un peu trop explicites pour être ignorés, Nobody Wants to Die c’est l’ambition de nous faire vivre une expérience aussi immersive que passionnante. Passé une introduction explicative à la référence peu subtile, un travelling arrière sans coupure apparente, que n’aurait pas renié Brian De Palma, nous dévoile l’intérieur d’un véhicule.
Pas de Philippe Marlowe ici, mais le détective James Karra. Autant désabusé qu’alcoolique, notre héros profite d’un moment pour regarder un film dans ce qui s’apparente à un drive-in, les cinémas plein air popularisés dans les 40’s où l’on regarde un film depuis sa voiture, mais sauce 2329 avec des véhicules volants et des routes inexistantes tel que dans Le Cinquième Elément. Sans trop en dévoiler, cette introduction fait son effet et ne se prive pas de nous en mettre plein la vue.
C’est aussi l’occasion de découvrir des dialogues de qualité mais, surtout, une performance de doublage assez remarquable. Que ce soit pour le détective ou pour notre collègue, la voix dans l’oreillette, Sara. Soutenu par une écriture de dialogue de grande qualité, écouter leurs conversations tout au long de l’aventure est un régal. D’autant que Nobody Wants to Die sait opérer des ruptures de ton, l’humour trouve intelligemment sa place malgré la noirceur du monde et le sérieux des enjeux.
En quelques minutes seulement nous voilà attrapés et jetés dans ce New-York rétro-futuriste fascinant. La beauté des environnements force le respect. La ville paraît si réelle… Vertigineuse aussi. Les équipes de Critical Hit Games ont accompli un très beau boulot, tirant le meilleur de Unreal Engine 5. Bien entendu, le jeu n’échappe pas aux couacs. Problèmes de flous et plus rarement d’affichage, sans oublier quelques textures moins convaincantes, mais hormis les mordus de graphismes, pas de quoi entraver l’immersion.
Sweet Smell of Success
Cela étant dit, des problèmes d’immersion, Nobody Wants to Die en a. Des gênants, évitables de surcroît. L’atmosphère est palpable et nous colle à la peau sans trop nous lâcher, sauf quand le jeu le décide. ainsi, la structure du soft fait que l’aventure se divise en « niveaux » séparés par une coupure significative. Un détail pour certains, un problème pour d’autres car, à l’évidence, cela morcelle une expérience relativement courte, trop à notre goût mais on y revient plus loin, nous forçant à sortir de cet univers un court lapse de temps. Une façon de gérer les ellipses qui méritait mieux.
La présence constante d’indications à l’écran n’est pas très engageante, sachant que rendre cela diégétique était à portée de main. L’encart affichant l’objectif en cours est un bon exemple qui pouvait être contourné par un objet ou un outil possédé par le héros. Dans le même ordre d’idées, lors des phases d’enquête, durant lesquelles on doit rechercher les indices sur une scène de crime, la touche d’action d’un objet sera toujours marquée. Aucune option ne permettant de désactiver cela.
Bonne transition pour parler gameplay. Nobody Wants to Die se construit surtout autour de ses enquêtes. Malgré une simplicité déconcertante et un jeu qui nous tient systématiquement par la main, gâchant indéniablement le plaisir, ces séquences sont cools. Parce que tout se déroule de manière intradiégétique et tourne autour du bracelet technologique porté par notre détective.
Ce bracelet permet de gérer le défilement du temps afin de reconstituer les événements. Une mécanique amusante et permettant de visualiser ces scènes avec un rendu quand même stylé. Chaque « niveau » nous mettra face à une situation de crimes à élucider avant de devoir passer à un autre gameplay, celui de regroupement d’indices. En clair, cela ressemble à un jeu de plateau avec des pièces, représentant les indices et informations récoltées, qu’il faut déplacer pour qu’ils répondent aux hypothèses émises par James et Sara.
Body Double
Encore une fois, le nombre restreint d’enquêtes, donc de ces situations de jeu, empêche de subir quelconque redondance ou lourdeur. Dans les faits, c’est donc plutôt sympa à jouer, même si l’échec est impossible et que le soft nous demande de retenir pas mal d’informations et de noms en peu de temps. Aucun menu pour se rafraîchir la mémoire. Heureusement qu’il n’y a rien de difficile.
Le reste du temps, Nobody Wants to Die suit sa trame scénaristique tout en laissant de brefs moments de liberté au joueur, joueuse. Se rapprochant alors d’un Walking Simulator, mais qui n’aurait le droit qu’à des surfaces limitées. Que ce soit en termes de nombre d’environnements ou de lieux traversés, la liberté offerte atteint vite ses limites. Et c’est dommage, car c’est dans tous ces moments que nous avons vu les meilleures choses que le soft a à proposer.
Des idées de narration et de mise en scène qui font mouche, à l’instar de ce combat mental de boxe avec un voisin, les réflexions solitaires baignées dans les vapeurs de cigarette, alors qu’on nous invite à contempler l’immensité de la ville. Tandis qu’à d’autres moments, trop souvent, les développeurs font l’impasse sur la mise en scène. Il n’est pas rare d’être dans l’inaction pendant une discussion, ce qui est frustrant compte tenu de ce que Nobody Wants to Die est susceptible de proposer quand il le veut.
Comme si les équipes de Critical Hit Games n’avaient pas osé aller au bout de leur idée. Ce qui se dégage dans les situations de calme, quand le jeu nous laisse nous perdre dans la tête de James Karra, est pourtant fort et, selon nous, Nobody Wants to Die aurait gagné à se laisser perdre dans ces portions de jeu. D’autant plus que l’histoire contée se conclut bien trop vite et de manière abrupte. Au-delà des trois fins déjà vues, c’est surtout la rapidité avec laquelle le générique survient qui déçoit.
Fallen Angel
Lire l’intégralité des documents, parvenir à expérimenter chaque dialogue via les choix que le jeu nous demande de faire, leur impact reste mineur et n’opère de réels virages que sur la fin, ne donne pas toutes les clés attendues pour pleinement appréhender cette société. C’est un parti pris que l’on retrouve dans le film Blade Runner, néanmoins, dans le cadre d’un jeu vidéo nous étions en droit d’attendre davantage. De surcroît devant un jeu narratif, où prendre son temps n’était pas déconnant.
On ressort avec l’impression de passer à côté d’énormément de choses, de ne pas pouvoir profiter comme il se doit d’ un univers pourtant passionnant. Quand bien même des idées semblent tout droit sorties des romans Altered Carbon, cela n’enlève en rien la pertinence des thématiques abordées. La question de la vie et de la mort évidemment, mais également les questionnements subtiles sur la solitude, les relations sociales avec des corps interchangeables.
Sans compter toute la dimension politico-économique derrière. Et la solitude, toujours la solitude, l’ombre planant au-dessus de tous. Asphyxiante comme les immeubles infinis. On parle d’un New-York où ciel et terre ne sont plus visibles, la nature semble inexistante. Nobody Wants to Die donne à voir une société au sein de laquelle ceux outrepassant la mort n’en deviennent pas plus vivants pour autant. La ville fourmille de vies, pourtant, dans la peau de James Karra, on croise davantage de cadavres que de personnes vivantes.
Dans Nobody Wants to Die, les gens ne sont plus que voix au loin, les cadavres ressuscitent à la lueur d’une technologie, et le détective Karra ne vit plus qu’au travers des fantômes du passé venus le hanter et danser sur les sonorités ténébreuses, parfois jazzy, omniprésentes. Connu pour son travail sur The Witcher 3 : Wild Hunt, entre autres, Mikolai Stroinski joue sa partition à merveille, pour un résultat en total adéquation avec son sujet. Toute la noirceur et la fatalité qui traversent ce New–York de 2329 s’y jouent.
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