Si vous êtes plutôt adeptes d’expériences narratives, françaises de surcroît, vous n’avez pas pu passer à côté de Road 96, à l’été 2021. Mettant en scène une nation ravagée par l’insécurité, les couvre-feux et une gérance proche du totalitarisme, le jeu nous contait l’histoire d’adolescents en fuite, direction la liberté de l’autre côté d’un mur infranchissable. Près de 2 ans plus tard, DigixArt revient sur le devant de la scène, depuis racheté par PLAION (Embracer Group) avec Road 96: Mile 0, une préquelle à cette histoire, qui mélange deux genres étonnants : le jeu de rythme musical et la narration, qui a d’ailleurs fait son succès lors de l’opus précédent avec son épopée procédurale.
Développé par DigixArt depuis Montpellier, le studio a notamment été lauréat de 5 prix dont celui du meilleur jeu indépendant ou de l’excellence narrative lors des Pégases 2022 du jeu vidéo grâce à leur précédent jeu dont est tiré leur dernière production, Road 96. Après une première mise en main plutôt convaincante il y a quelques semaines, Road 96: Mile 0 est à présent disponible depuis le 4 avril sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series X|S et Nintendo Switch au prix de 12,96€.
Conditions de test : Nous avons terminé deux fois l’aventure de Road 96: Mile 0, le temps d’apercevoir deux fins radicalement différentes et d’obtenir presque tous les trophées du jeu (sauf un). Le jeu a été testé sur PlayStation 5 durant une durée totale de 9h de jeu.
Sommaire
TogglePétria, lève-toi
1er mai 1996. Dix ans se sont écoulés depuis l’attentat de 1986 ayant entraîné la nation fictive de Petria dans une chute sans fin vers le totalitarisme. A Petria, tout est sectorisé. Alors que la capitale de la nation, Colton City semble bercée par la pauvreté et la pollution, les riches gens comme le président Tyrak, Sonya Sanchez, la journaliste égocentrique de Petria, ainsi que le Ministre du Pétrole par exemple, vivent à White Sands, un quartier huppé et splendide.
Dans cette contrée chamboulée et au bord de l’implosion à quelques semaines d’une élection présidentielle capitale, deux adolescents que tout oppose partagent pourtant le même amour pour la musique et les rythmes endiablés. Zoé d’un côté, la fille du ministre du pétrole, bercée depuis toujours par les bienfaits de la présidence Tyrak et la gloire de Petria, et Kaito de l’autre, un jeune homme meurtri par la mort récente de sa plus proche amie d’un cancer foudroyant, qui nourrit une haine pour le gouvernement et ce qu’il a fait de son pays, tandis qu’il vit aussi à White Sands, dans les taudis offerts aux travailleurs du quartier, comme ses parents.
Tentant inexorablement de convaincre Zoé que tout ce qu’elle idolâtre n’est qu’écran de fumée, Kaito ne va pas hésiter à entrer au coeur des conflits entre la nation et le gouvernement, qui ne parvient plus à calmer la grogne. Alors qu’une gigantesque tempête de sable menace le quartier et que l’annonce d’une allocution du président questionne la population, viendront se mêler à cela des sujets comme l’extrémisme, la maladie, mais aussi les inégalités sociales, notions contrebalancées par de fortes notions d’amitié, d’entraide et d’espoir.
L’action se déroulant grosso modo sur cinq jours début mai, soit seulement quelques semaines avant le début de Road 96 dont est tiré cette préquelle, l’action en ressort finalement assez ramassée, sans prendre réellement le temps de poser les enjeux de la réélection potentielle de Tyrak, sans clairement aborder son opposante Flores, ni même abondement aborder la sujet des fugues des jeunes adolescents de Petria en quête de liberté et de réponses.
Tant bien que si vous avez joué à Road 96, vous comprendrez rapidement les tenants et aboutissants des situations rencontrées, ou même de certains personnages que vous reconnaitrez, ce qui pourrait ne pas être le cas d’un joueur totalement nouveau dans l’univers, par l’abord du groupe des Brigades Noires, très présentes au sein des conversations des deux amis, en passant par les élections présidentielles à venir, également au coeur du jeu original. On saluera par contre le soin apporté afin d’offrir plusieurs réponses capitales à la fugue de Zoé dans le jeu de base, tandis que l’attentat en lui-même disposera enfin de multiples explications bienvenues.
Du long de ses 4h en ligne droite pour en voir le bout, le jeu demeure court, trop court même pour installer une belle relation entre les deux amis, qui sera par ailleurs perturbée à plusieurs reprises. L’occasion de rappeler que Road 96: Mile 0 n’est pas un jeu procédural, comme le fut son aîné, et qu’il dispose d’une architecture fixe, avec des variations en fonction des choix effectués, avant de parvenir à vraisemblablement une petite dizaine de fin différentes, dont quelques unes complètement remaniées.
Zoé et Kaito, amis pour la vie ?
Durant toute votre aventure, vous aurez loisir à choisir différentes options dans les dialogues que vous entretiendrez avec les différents protagonistes. Pour la plupart sans réelles conséquences, certains choix, balisés avec des icônes facilement identifiables, induiront une modification de vos courbes de moralité, une pour chacun de nos adolescents. Même si l’idée d’interférer sur leur moralité pourrait s’avérer intéressante et nous retrancher nous-mêmes dans nos propres réflexions, nous devons confesser que nous avons été déçus de cet aspect sur la durée.
En effet, nous avons trouvé que les dialogues et les événements étaient trop manichéens et n’apportaient pas assez de nuance dans les choix de réponse. On en viendra finalement à choisir la réponse en rapport avec l’aspect que nous souhaitons développer pour nos héros, afin de voir comment cela agira à la fin du jeu. Une absence d’icônes identifiables ou de réels choix moraux nous poussant dans nos retranchements auraient eu plus d’impact et sur cet aspect, DigixArt nous avait habitués à mieux.
Alors certes, les deux fins que nous avons pu décortiquer sous tous les angles étaient diamétralement opposées, même concernant le destin de certains personnages ou la façon dont les situations ont évolué, mais l’impossibilité de revenir en arrière sur des séquences précises une fois le jeu terminé, un peu comme à la Detroit: Become Human à l’époque, nous forçant ainsi à refaire l’intégralité du jeu pour apercevoir d’autres conséquences, décourage à coup sûr les plus « fainéants » d’entre nous, ou plutôt les moins patients, le jeu étant strictement le même dans son déroulement global.
Un des points positifs qui nous a pourtant donné envie de relancer le jeu une seconde fois, est assurément en rapport avec un aspect que nous n’avons pas encore du tout abordé dans ce test, l’univers musical et sonore, pourtant au coeur de l’expérience de Road 96: Mile 0.
T’as le rythme dans la peau
Cultissime ! Comme pour leur précédent jeu, DigixArt parvient à nous embarquer dans un univers musical aux petits oignons dans cette préquelle qui identifie des morceaux et interprètes qui forment un ensemble cohérent et solide. La bande-son, composée de musiques notamment tirées de groupes comme The Midnight ou encore The Offsprings pour ne citer qu’eux et vous laisser la surprise du reste, sera essentiellement révélée lors des dix séquences musicales ponctuant la narration, formant l’ensemble ambivalent de la nouvelle production du studio montpelliérain.
Grâce à une mise en scène souvent impressionnante, parfois psychédélique mais toujours en rapport avec les événements récents ou passés de l’aventure de nos deux héros, ces séquences constituent une pierre angulaire du gameplay du jeu, en vous demandant de réaliser le combo parfait entre ramasser toutes les étoiles en chemins, ne percuter aucun obstacle et réussir toutes les QTE présentes à l’écran, pour décrocher la note parfaite du 100%, S+, note associée à un trophée pour chacune des dix percées musicales.
Bien que toutes les situations rencontrées pendant ces séquences ne soient pas toutes d’une originalité folle, quelques unes sortiront clairement du lot, comme la séquence d’introduction ou même celle nous narrant les événements de l’attentat de 1986, quand ce n’est pas Zoé qui tentera d’échapper à son imposant garde du corps. Des séquences bienvenues, apportant au jeu son originalité, mais qui pourraient décourager les quelques joueurs ou joueuses les plus perfectionnistes, voulant obtenir la note parfaite à coup sûr, comme ce fut notre cas, après moults et moults essais infructueux.
Vous pourrez d’ailleurs rejouer ces pistes à l’envi depuis le menu principal, tandis qu’obtenir une bonne note n’est même pas obligatoire pour continuer l’aventure, le jeu vous permettant même de sauter les sections vous donnant le plus de mal après plusieurs essais ratés. Des séquences très fluides, sans aucun ralentissement ou bug à noter, et qui multiplient les points de vue, dans un ensemble qui ravira les connaisseurs du premier jeu du studio, Lost in Harmony, un excellent jeu mobile, gratuit de surcroît, présentant à peu près les mêmes mécaniques, et dans lequel nous suivons justement l’épopée de Kaito et de son amie malade, Aya.
La boucle est ainsi bouclée, dans un univers global cohérent avec en fil rouge, l’amitié et la musique, dans une production qui n’a au final pas grand-chose à voir avec son ainée. On pourra également noter le manque flagrant d’ambiance sonore dans le sound design entre ces séquences rythmées. Bien que ces séquences relèvent considérablement le niveau global de l’expérience promise par Road 96: Mile 0, on ne peut que s’avouer déçus du traitement apporté à la partie exploration « libre » du titre, qui devra clairement être revue dans les prochaines productions du studio.
La liberté de marcher (ou pas)
On vous l’a dit précédemment, Road 96: Mile 0 n’a rien de procédural, contrairement à son ainé, et propose une aventure en ligne droite, bien huilée et bien cadrée, voire peut-être même un peu trop. Ne disposant que de quatre environnements à explorer, dans lesquels nous reviendrons à tour de rôle, l’ensemble devient vite redondant, bien que les décors seront parfois modifiés. La planque des deux ados faisant office de hub central avec trop peu d’activités à réaliser, le reste des environnements auraient vraiment gagné à être bien plus ouverts.
Ce fut déjà un reproche fait à l’époque lors de la sortie de Road 96, mais nous le réitérons à nouveau. Trop peu de liberté est laissée à l’exploration, tout étant fermé par des barrières (visibles ou invisibles d’ailleurs), avec un sentiment amer surtout dans une production récente. Attention toutefois, nous ne souhaitions pas un monde ouvert pour autant, mais un peu de liberté, ou la possibilité de visiter quelques lieux autres que le quartier chic de White Sands, aurait été bienvenue.
Rassurez-vous, les séquences seront par ailleurs ponctuées de mini-jeux, plutôt fréquents il faut l’avouer, allant de la plantation de clous, aux tags, en passant par de la manipulation de Talkie-Walkie ou une partie de Puissance 4. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, mais un ensemble qui viendra ponctuer l’expérience sinon bien trop sage et trop courte pour emporter l’adhésion sinon.
La faute également à des personnages en retrait, qui ne parviennent pas à imposer une personnalité forte, comme Sonya, pourtant si stellaire dans le jeu original, qui en devient réellement agaçante et clairement dispensable ici. Notons par ailleurs avec regret l’absence une fois de plus de voix françaises pour le jeu, bien que des sous-titres seront naturellement présents. A noter que des collectibles seront aussi de la partie à savoir des bombes de peintures, des stickers et autres cassettes, vous poussant à regarder partout (vraiment partout) pour les trouver.
Petit aparté concernant la direction artistique du jeu, qui reprend exactement celle du précédent jeu, qui pourrait rebuter certains ou certaines d’entre vous, mais qui est parfaitement compatible avec l’aspect cartoon et décalé que propose l’expérience. Enfin, bien que les phases musicales seront parfaites sur un plan technique (bien qu’un manque de réactivité aux touches de la DualSense a pu nous étonner, la manette n’étant d’ailleurs que peu utilisée), ce n’est pas toujours le cas des phrases exploratives, accusant parfois quelques ralentissements, avec pourtant des décors simples et peu chargés, tandis que les temps de chargement demeureront encore un peu longs pour la console de nouvelle génération, ce qui ne laisse rien présager de bon pour la version Nintendo Switch, que nous n’avons pas pu essayer ici.
Cet article peut contenir des liens affiliés