Il parait que ce n’est pas la destination le plus important, mais plutôt le voyage. Après avoir mis en exergue les événements de la Première Guerre mondiale via leur jeu narratif 11-11 : Memories Retold, le studio montpelliérain DigixArt, récemment racheté par les Allemands de Koch Media (via leur groupe Embracer Group), a décidé d’appliquer à la lettre cette maxine de Robert Louis Stevenson en nous proposant depuis le 16 août 2021 leur nouvelle production auto-éditée, Road 96, sur PC et Nintendo Switch. A noter qu’une édition physique sera disponible à l’automne sur la console portable. A coups de promesses de road-trip endiablé, de choix moraux ou autre génération procédurale, l’aventure est-elle si belle qu’elle en a l’air ?
Conditions de test : Nous avons accompagné les adolescents dans leur périple durant deux parties complètes, soit le temps de terminer tous les scénarii à 100% pour un total d’environ 13h de jeu sur Nintendo Switch.
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Pétria, 9 septembre 1986. Dans cette patrie fictive, un attentat ôte la vie à plusieurs dizaines d’innocents et plonge le pays dans un chaos tel qu’un régime totalitaire se met en place sous le joug du Président Tyrak. Corruption, élections truquées, banditisme, esclavage, organisation secrète et expériences mystérieuses sur les adolescents, le pays est au bord de l’implosion quand, 10 ans plus tard, tout s’apprête à enfin bouger.
Avec la montée en flèche de la violence et des manifestations, des dizaines d’adolescents prennent alors la décision de fuir de chez eux pour se rendre à la frontière, au Nord du pays, pour tenter de quitter ce pays qui n’est plus ce qu’il était. A seulement 2 mois d’une élection cruciale mais courue d’avance, vous devrez accompagner ces adolescents dans leurs réussites mais aussi leurs échecs allant de l’emprisonnement jusqu’à la mort parfois.
Le concept de Road 96 est original à plus d’un titre. Bien qu’il s’agisse d’un énième road-trip vidéoludique, le contexte dépeint ici mais également la notion de génération procédurale font que chaque traversée du pays fictif de Pétria est en fin de compte unique et même après plusieurs heures de jeu. Le jeu débute par une série de questions qui n’ont rien à voir avec le jeu mais plutôt par rapport avec votre personnalité. Puis, vous voilà au sein de Pétria à contrôler un adolescent en fugue.
Le scénario de Road 96, qui tiendra sur un peu plus d’une demi-douzaine d’heures environ pour sa trame principale vous mènera dans de multiples situations mettant en scène 7 personnages iconiques constituant le fil rouge de vos aventures successives. A chaque fois que vous êtes arrêtés, que vous mourrez ou que vous passez la frontière, vous prenez le contrôle d’un nouvel adolescent à aider tandis que la course vers l’élection présidentielle et les révélations font monter la tension du pays.
Dans cet exode pour la liberté, vous rencontrez donc des individus aux caractères très distincts. Une policière en proie aux remords, un ado geek qui prévoit l’avènement du genre Battle Royale, ou encore un duo de motards pas très nets ou une star de la télévision égocentrique et pas très objective pour ne citer qu’eux. Road 96 nous montre une satire d’une société plongée dans l’effroi, ou même la liberté de penser est dangereuse. Il n’est pas rare de ressentir une certaine mélancolie lors du déroulement des dialogues et même si cette vague de fugue d’adolescents pourrait surprendre par son nombre, on comprend tout à fait les raisons qui les pousse à faire cela.
Pour l’exécution de son scénario, les équipes de DigixArt tapent droit dans le mille. Il est vrai qu’au début on peut être rebuté par la succession de mini-scènes n’ayant aucun rapport entre elles (d’ailleurs toutes identifiées par des noms de chansons). Ce n’est qu’au bout de quelques heures de jeu que Road 96 dévoile son grand potentiel et imbrique toutes les pièces du puzzle les unes avec les autres. A chacun de vos essais, appelés ici « épisodes », Sonya Sanchez, la présentatrice phare de la seule chaine d’informations financée par l’état fait le point sur les intentions de vote mais aussi sur l’avancée de l’histoire principale et des adolescents disparus.
Vous rencontrerez ainsi tous ces personnages, tous très justes, pour la plupart attachants et très bien écrits, dans des situations parfois burlesques et qui décideront de se confier à vous, jeune étranger, vous permettant de comprendre les rouages de ce pays vivant et très fortement réaliste. Ce qui compte le plus ici c’est qu’à chaque épisode, vous gardez vos aptitudes acquises, et délivrées par les personnages principaux que vous rencontrez, mais aussi vos connaissances sur leurs histoires personnelles. Il n’est pas rare de se demander sur quel personnage nous allons tomber avant de comprendre ce qu’il se passe grâce à nos renseignements acquis plus tôt.
Un point fort donc qui renforce la mention de road-trip narratif promis par les développeurs. On pourra cependant regretter quelques scènes mal amenées ou encore des dialogues parfois pas très intéressants. Tous ces points ne sont pas sans compter un gameplay qui ne sera jamais le même et souvent surprenant sans forcément être aussi procédural qu’il le promettait.
Un gameplay (presque) procédural très efficace
Tout ce qu’il faut savoir en lançant Road 96 c’est que vous n’aurez pas du tout le même voyage que votre ami qui joue également au jeu. Du moins, votre histoire se déroulera dans un ordre différent. En effet, à chaque fois que vous prenez le contrôle des nouveaux adolescents, les scènes qui ponctuent votre voyage sont générées procéduralement par le jeu en fonction de vos choix. De ce point de vue là, la promesse faite par les montpelliérains n’est pas exactement tenue comme on l’aurait voulu.
En effet, bien que chaque scène soit différente lors de votre première partie, si vous décidez de relancer un New Game + pour compléter les derniers dialogues restant à découvrir tout en conservant vos aptitudes débloquées (qui vont du hacking au crochetage ou encore à un bonus de vie), ce sera au détriment d’une aventure redondante qui tombe obligatoirement dans le déjà-vu. De quoi annihiler tout espoir d’une troisième run unique, bien que l’enchainement de vos rencontres sera différent en fonction de si vous décidez de faire du stop, ou encore de longer la route à pieds, d’acheter un ticket de bus ou de monter à bord d’un taxi. Quoi qu’il parait qu’un psychopathe court les rues.
Chaque choix que vous effectuez dans Road 96 possède un impact plus ou moins important en fonction des situations. Dans la plupart des dialogues, les choix orienteront juste la discussion sans influer sur votre destinée. A contrario, il y aura des moments-clés où le choix qui sera fait pourra mettre un terme ou pas à votre épopée, ou encore vous permettre de ramasser de l’argent ou des alliés dans votre combat pour la liberté.
Le jeu vous préviendra en affichant sur la gauche du choix de dialogue si vous aller influer pour le camp de Florres, l’adversaire du président Tyrak, ou encore pour votre propre liberté ou encore pour les Brigades Noires, terroristes pour certains, héros pour d’autres, nous vous laisseront le plaisir de découvrir qui ils sont et comment vous allez les rencontrer à de multiples reprises.
Ne vous croyez jamais à l’abri dans Road 96. Si le jeu peut vous mettre en difficulté, il le fera. Dans notre première partie, nous avons dû accompagner huit adolescents vers la frontière. Tous ne s’en sont pas sortis indemnes mais le jeu ne vous fait jamais culpabiliser et vous relance tout de suite dans un nouveau périple. D’ailleurs, vous pourrez choisir avant même de débuter un nouvel épisode l’adolescent (fille ou garçon) que vous souhaitez accompagner sur quelques critères simples : âge, durée de la fugue, énergie, argent et mode de déplacement.
Ajoutez à cela que vos adolescents disposent d’une barre de vie. C’est-à-dire que chaque fois que vous choisirez une option de voyage à savoir stop, marche, bus ou taxi, vous consommerez, ou gagnerez des points de vie d’une barre qui peut vite descendre en fonction de vos choix. Pour la gonfler à nouveau, il vous faudra manger, boire ou vous reposer. Marcher le long de la route par exemple, vous fera perdre 3 points tandis que manger vous fera gagner 1 ou 2 points de vie en moyenne. Une feature qui pourrait paraître cruciale mais qui devient transparente quand on apprend à la gérer. Si vous épuisez votre vie, c’est le game over. Dans nos parties par exemple, nous avons eu droit à une mort et à un pillage en étant laissé le long de la route quand cela nous est arrivé.
Bien que le jeu soit majoritairement composé de dialogue à choix multiples et de choix réellement moraux pouvant vous mettre vous-même à mal, chaque scène vous demandera d’agir de façon différente avec parfois des mini-jeux pour varier les plaisirs. Un coup vous devrez lancer des billets de banque sur la police montrant la corruption du pays, tantôt vous devrez réactiver des compteurs électriques, pirater des coffres forts, jouer à un jeu vidéo, réparer une antenne radio, et répondre à des questions façon Qui veut gagner des millions ?, bref ce ne sont qu’une infime partie des possibilités offertes par le jeu.
C’est une des grandes qualités de celui-ci car en ne vous proposant jamais la même scène deux fois dans la même partie, le jeu pousse encore et toujours à la découverte et à l’étonnement. Encore un point fort de Road 96 qui parvient à mener habillement la narration et le gameplay. On regrettera cependant de ne pas avoir d’instants de relaxation, d’observation des environnements désertiques, éclipsés par des écrans montrant votre avancée dans votre périple sur une carte du pays rappelant également les précédentes routes empruntées. Le jeu finit par mettre en retrait les adolescents accompagnés, devenus un prétexte pour suivre dans leurs aventures les 7 personnages principaux, réelles stars du jeu.
On pourra également regretter l’absence de retour en arrière sur un point particulier de l’histoire pour uniquement voir les autres fins possibles ainsi que malheureusement le manque de liberté dans nos actions. Les environnements sont malgré tout assez fermés (que vient faire ce mur invisible en plein milieu d’une route désertique ?) et le déroulé global de l’histoire est tracé globalement d’avance, avec les variations dues au choix du joueur en son sein, enlevant pour partie à l’aspect liberté procédurale promise par Road 96. Mais que serait un voyage routier sans réelle playlist triée sur le volet ?
Une bande-son incroyable mais parfois mal utilisée
Croyez-nous sur parole, la bande originale de Road 96 est une véritable pépite. Même ce test a été rédigé avec les sons de The Toxic Avenger ou de Cocoon dans les oreilles. Tout ce qui touche à la bande-son est incroyable de justesse, rappelant des souvenirs aux trentenaires car puisant dans les inspirations des années 90. Ces musiques, pour la plupart rythmées et américanisées, empruntées à 8 artistes dont ceux cités plus haut, ne sont jamais tape-à-l’œil ni trop présentes et constituent une importante part à cette expérience immersive.
Durant vos périples, vous aurez loisir à choisir une musique à écouter quand vous le souhaitez par exemple en voiture à la radio, ou même sur des postes radio disséminés un peu partout dans le monde. La carte de Road 96 est très grande donc les possibilités sont nombreuses. À noter par ailleurs que les seules collectibles du jeu se trouvent être des vieilles cassettes radio comme l’on connaissait dans le temps, disponibles au nombre de 15 et à retrouver au fil de vos voyages.
S’il fallait tout de même trouver un défaut à cette partition, nous pourrions remarquer que certains morceaux sont trop présents par rapport à d’autres ou alors n’étant pas toujours très en raccord avec l’action. Mais tout ceci est vite effacé quand soudain On The Road de Robert Parker est joué à fond entre deux scènes. On ne pourra par compte pas dire autant d’éloges de la partie technique, du moins sur Nintendo Switch.
Un aspect technique malheureusement pas à la hauteur sur Switch
Aïe aïe aïe. Sans virer au drame, l’optimisation de Road 96 sur Nintendo Switch n’est vraiment pas parfaite. Chute de framerates, lags intermittents surtout dans les temps de chargement très nombreux et assez longs, textures vraiment pas de haute qualité, environnements plutôt vides. Bref, on ne sait pas si l’aspect cubique et peu travaillé des personnages et objets parsemant votre voyage est censé rappeler une nostalgie des jeux d’une autre génération, mais il faut avouer que les premières minutes ont de quoi refroidir les férus de Next-gen.
Passée cette déconvenue, on se fait à cette patte graphique particulière et heureusement que la narration et l’envie d’accompagner ces adolescents en quête de liberté reprennent le dessus sur l’aspect technique nettement en dessous des standards d’aujourd’hui, bien que le jeu offre de beaux panoramas parfois et par la même de nuit. Car même si cela ne gâche pas l’expérience du tout, on regrettera vraiment ce manque de finition, du moins pour la version de la console portable de Nintendo.
Enfin, sachez par ailleurs que Road 96 vous est proposé en version originale sous-titrée en français et possède des dialogues originaux d’une très grande qualité et d’une grande justesse, collant parfaitement aux personnages pour lesquels ils ont été réalisés. Mais il est vrai que ces sous-titres pourront parfois nous faire manquer quelques actions à l’écran si plusieurs choses se passent en même temps.
Et il est vrai que parfois on se surprend à attendre la suite du dialogue d’avec nos partenaires de route, mais qu’en fait c’est à nous de choisir notre réponse située dans un coin de l’écran à l’opposé de là où se trouve notre caméra. Ce sera donc à nous de faire tourner la caméra pour trouver à chaque fois l’action ou le choix de dialogue à réaliser. Un aspect nul doute tiré de la version PC de Road 96, ne bénéficiant pas ici d’une adaptation à une console contrôlée par une manette. N’ayez crainte, tout ceci n’est que broutilles, alors ne trainez pas, la Route 96 vous attend.
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