Imaginée comme une alternative orientée Action-RPG à Harvest Moon, la série Rune Factory aura su briller, dès son premier épisode, par une qualité plutôt remarquable au sein du microcosme des simulations de vie agricole. Loin de prendre le contre-pied de la franchise bien implantée de Marvelous, elle vise au contraire à cohabiter pacifiquement avec son modèle, se nourrissant des améliorations apportées dans ses épisodes principaux. Le résultat, c’est une licence dont l’Europe n’aura que peu entendu parler, la faute à une communication quasi inexistante sur le vieux continent, confinant à des sorties relativement confidentielles, du moins jusqu’à récemment.
Parce qu’avec l’explosion de la sphère des Wholesome Games, littéralement les jeux « sains » ou « bienveillants », nombreux sont les joueurs à s’être finalement tournés vers Rune Factory, dont la recette s’intègre parfaitement dans le mouvement. On y trouve chaque fois une galerie de personnages hauts en couleurs, les enjeux scénaristiques sont aux antipodes des récits guerriers habituels, et on y combat une tripotée de monstres tous plus mignons les uns que les autres, dans des décors bariolés à la diversité certaine. Une description qui convient aussi à Rune Factory 3 Special, version améliorée de l’ultime opus DS, initialement paru en 2009 par chez nous.
Une version qui arrive près d’un an et demie après Rune Factory 5, épisode nettement plus ambitieux qui réinventait la recette de la franchise, en lui offrant 3D intégrale et caméra libre, dans des environnements plus vastes et plus riches. Un titre reçu un peu plus froidement que de coutume, ce qui n’a pas empêché Marvelous de mettre en chantier trois nouveaux projets. Rune Factory 6, pour commencer, dont on ne sait encore rien, ainsi que le bien nommé Project Dragon, dont les premières images font saliver. Et pour faire patienter les fans de la franchise, rien de mieux qu’un remaster du second opus le plus apprécié de la série, n’est-ce pas ?
Conditions de test : Nous avons passé près de 25h sur le titre dans sa version Nintendo Switch, principalement en mode portable. Ce test est garanti sans spoiler.
Wholesome jusqu’à un certain point
Ce n’est pas la première fois que la série fait revenir un de ses anciens opus sous des traits plus avantageux. Rune Factory 4 Special, version améliorée de l’épisode 3DS paru exclusivement sur l’eshop de cette dernière par chez nous, sortait en février 2020, et était plutôt bien accueilli par la critique, notamment dans nos colonnes. Néanmoins, il demeure plus compliqué d’envisager la remasterisation d’un jeu Nintendo DS, tant la console portable aux deux écrans semble éloignée d’une Switch en ce qui concerne la technique. Il paraissait assez évident que, malgré toute la bonne volonté dont fait preuve Marvelous, cette version remise aux goûts du jour d’un jeu vieux de quinze ans allait se révéler relativement limitée.
Et en effet, puisque le jeu est globalement repris tel quel, s’émancipant simplement des contrôles tactiles, il accuse un âge certain à peine commencé. Son aspect visuel manque un brin de finesse, certains décors sont même un peu flous, et de manière générale on a l’impression assez désagréable que la caméra zoome un peu trop sur notre personnage, ce qui est autant valable en mode portable que sur TV. Parce que contrairement à un Rune Factory 5, moins bien accueilli que ses pairs, on retourne évidemment ici à une vue du dessus, avec tout ce que cela implique de difficultés d’exécution propres à la franchise. Par exemple, il n’est pas évident de cibler précisément un item au sol, lorsque plusieurs sont proches, ce qui pose rapidement problème aux champs, où ramasser un légume laisse souvent échapper un sac de graines.
Par ailleurs, notre protagoniste se meut beaucoup trop rapidement, courant en continu sans qu’il soit possible de le faire marcher en appuyant plus doucement sur le joystick de gauche. Ça ne paraît peut-être pas, dit comme ça, mais ça se révèle assez déroutant dans un premier temps, et même agaçant, parce que cela participe grandement au manque de précision de l’ensemble. Un manque de précision qui va aussi toucher les autres parties du titre, de la pêche aux combats, et même les différents mini-jeux proposés lors des événements spéciaux. Et si on finit évidemment par s’y faire, il demeure assez regrettable de constater que Marvelous a repris tels quels les déplacements du jeu original, adaptant un peu mal les contrôles initialement tactiles au joystick analogique.
Même constat pour les dialogues, d’ailleurs, qui ont pris un énorme coup de vieux. Ce que l’on remarque dès l’introduction poussive, nous contraignant à aller à la rencontre de tous les habitants du village qui accueillera l’action. On sent rapidement que l’écriture va manquer de finesse, et effectivement elle peinera à convaincre tout au long de l’aventure, avec des répliques stéréotypées ou des réflexions un peu idiotes. Ce qui n’aide pas à s’attacher à la galerie de personnages pourtant très réussie. Néanmoins, il faut reconnaître que la traduction intégrale en français a de quoi faire plaisir aux fans, qui n’avaient en droit qu’à une version anglaise sur DS, du moins officiellement. Cela étant dit, il faut reconnaître qu’en anglais, ça paraissait moins bateau…
On sent beaucoup lesdites limitations du côté de l’ergonomie, avec quelques détails qui font tache, notamment l’absence d’un menu permettant de voir quelle quête est en cours. Il faut chaque fois se rendre au tableau d’affichage, ou dans sa boite aux lettres, pour avoir un résumé de ce qu’il faut faire… quand il n’est pas nécessaire de retourner parler au personnage nous ayant confié sa requête. L’intégration d’un minuscule rappel dans l’austère menu « pause » aurait été un gros plus, qui aurait évité aux joueurs les moins assidus, ou à ceux qui aiment bien vagabonder, de se contraindre à des allers et retours fastidieux. D’autant que les quêtes manquent la plupart du temps d’intérêt, avec quasi exclusivement du FEDEX, alors autant en faciliter l’accès.
Mais c’est surtout au niveau de la taille de l’espace de jeu que l’on sent que l’on tient entre les mains un opus DS. Tout est minuscule, et l’exploration du monde se résume à aller farfouiller dans une poignée de tableaux, certes globalement agréables à l’œil, répartis sur une courte liste de biomes différents. Alors il y a effectivement pas mal de choses à y voir et à y entreprendre, c’est indéniable, mais cela n’empêchera pas un sentiment de redondance tenace de s’installer assez rapidement. En soi, si cela fonctionnait bien sur DS, aujourd’hui ça accuse un manque de quelque chose, comme d’une nouvelle zone imaginée pour cette version par exemple, et sans laquelle payer plein pot semble assez fâcheux. D’autant qu’à l’instar de ses congénères, Rune Factory 3 Special est très répétitif.
Une recette bien connue
En dehors de ses nombreux écueils, Rune Factory 3 Special fait du Rune Factory. On y retrouve une histoire énigmatique déroulant son fil rouge au gré de l’exploration du monde, ce qui fonctionne plutôt bien malgré les faiblesses d’écriture citées précédemment. Les combats manquent cruellement de profondeur, et une esquive n’aurait pas été de trop, mais ils font le café malgré tout, grâce à une évolution en continu de note personnage, qui gagne régulièrement de nouvelles facultés en effectuant ses tâches quotidiennes ou en croisant le fer. Le système d’équipement est simple et compréhensible, mais le jeu se permet quelques subtilités à apprendre sur le tas, qui lui permettent de viser une certaine richesse et d’offrir à ses affrontements un petit côté grisant.
On notera notamment un système d’expérience un peu particulier, faisant évoluer les caractéristiques et les capacités de notre personnage au gré de ses agissements. Pour la faire simple, si vous passez beaucoup de temps à arroser vos cultures, alors vous allez acquérir des points d’expérience dans ce domaine, et votre personnage dépensera proportionnellement moins d’énergie en accomplissant cette tâche. Si vous combattez régulièrement avec une épée longue, alors votre maîtrise de cette arme augmentera, et vous serez en mesure d’infliger plus de dégâts, puis d’effectuer des attaques nouvelles. Des petites subtilités que les fans connaissent sur le bout des doigts, mais qui peuvent surprendre les non-initiés. En tout cas, ça fonctionne toujours aussi bien.
On retrouve aussi tout ce qui fait le charme des simulations agricoles à la Harvest Moon, avec une progression sur quatre saisons (et plusieurs années), faisant notamment évoluer le décors (enfin seulement le village et les champs) ainsi que les fruits et légumes à planter et récolter. Une palanquée de festivals et événements locaux est aussi à prévoir, avec quelques immanquables comme le concours de pêche, et d’autres un peu plus surprenants. De quoi permettre de se familiariser encore un peu plus avec les habitants du village. Un lieu qui ne manque pas de charme, d’ailleurs, malgré sa petite taille. Et encore heureux, parce qu’il va être question d’y passer beaucoup de temps, le jeu étant plutôt conséquent en matière de contenu et de durée de vie.
En effet, s’il ne vous faudra pas plus de 25 à 30 heures pour arriver au bout de l’histoire en prenant votre temps, on peut compter près du double pour voir tout ce que le jeu a à offrir. Avec des choses bien cachées, des recettes pas évidentes à dénicher, et des personnages qui ne se laisseront pas approcher facilement. Alors bien sûr, tout le monde ne sera pas réceptif au même degré à ce contenu, et au titre de manière plus générale. Parce que Rune Factory 3 Special fait ce que la série a toujours fait, en d’autres termes il ne parlera absolument qu’aux fans absolus de la recette. Et peut-être plus spécifiquement à ceux qui n’ont pas pu toucher à la version originale, ou qui ont été mis de côté par son absence de traduction en français.
Et c’est peut-être bien le plus gros reproche que l’on puisse lui asséner : Rune Factory 3 Special n’est pas particulièrement accueillant. Avec son commencement poussif, ses mécaniques vieillottes, son visuel désuet, ses dialogues moyennement écrits et la taille minuscule de son monde, le titre risque fort de déplaire à tous ceux qui ne connaissent pas déjà la série, voire à ceux qui n’ont touché qu’aux deux précédents volets. Les habitués seront les plus capables de lui pardonner ses défauts, sachant combien ce qui se cache derrière est riche. Mais les autres auront sûrement du mal à passer au-dessus. Il ne s’agit pas d’un mauvais jeu, mais plutôt d’un bon jeu qui a pris un énorme coup de vieux, et que ressortir tel quel ne fait que desservir.
D’autant que le rayon des nouveautés est absolument risible. On peut évidemment noter la refonte visuelle, qui fait plaisir dans le cas où l’on connaît l’original, mais ça se limite presque à cela. Ainsi, pas de nouveau protagoniste, ce qui confine à l’utilisation d’un garçon, dommage pour celles et ceux qui préféreraient pouvoir jouer une fille. Et idem côté mariages d’ailleurs, puisque les seuls prétendants sont des prétendantes, dont le design certes réussi cache un peu mal une représentation de la femme un brin désuète. Autrement dit, on a droit à une série de jeunes filles dénudées, qui nous font parfois du rentre dedans un peu lourdement. Alors d’accord, on a l’habitude avec les productions japonaises du genre, mais cela n’excuse pas une absence remarquée d’efforts.
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