Le carton planétaire de Final Fantasy VII a permis au J-RPG de s’exporter bien plus confortablement en Occident. Grâce à lui, c’est tout un pan de la culture vidéoludique japonaise qui nous fut révélé, alors que jusque-là les sorties étaient à la fois rares et terriblement en retard. Malgré tout, cela n’a pas empêché l’Europe de passer à coté de plusieurs titres cultes du genre. Avec en tête, évidemment, l’exceptionnel Chrono Trigger, mais aussi sa suite spirituelle Chrono Chross. Dans un registre un brin différent, SaGa Frontier n’a lui non plus jamais foulé le sol du vieux continent.
Cela étant, Square Enix rattrape ses fautes au compte gouttes depuis une quinzaine d’années. C’est notamment ainsi que nous avons pu toucher à Chrono Trigger sur Nintendo DS, dans une version entièrement traduite en français de surcroît. Cette année c’est au tour de SaGa Frontier de nous parvenir via une édition remasterisée. L’occasion de découvrir un titre aussi atypique que riche d’idées intéressantes, qui a inspiré un certain nombre de softs depuis. Mais le titre de 1997 n’a-t-il pas trop vieilli pour être apprécié des joueurs d’aujourd’hui ?
Conditions du test : Nous avons joué une quarantaine d’heures, d’abord sur TV via une Switch classique, puis en mode portable avec un modèle Lite.
Question de contexte
Difficile d’occulter l’impact extraordinaire qu’a eu Final Fantasy VII sur le marché du jeu vidéo européen et nord américain. Outre le fait qu’il nous ait permis de toucher à ses nombreuses suites et une légion de spin offs, il nous a surtout ouvert les portes d’un monde qui nous était jusque-là inconnu. Cela n’a pas empêché le Japon de restreindre encore une bonne dizaine d’années les sorties, nous empêchant de toucher à la version PlayStation de Chrono Trigger, d’avoir droit à Chrono Cross, ou bien de découvrir Dragon Quest avant L’Odyssée du Roi Maudit sur PS2. Des exemples du genre, il y en a des dizaines d’autres, et SaGa Frontier n’est pas épargné.
Le bougre débarque pourtant au Japon quelques mois après FF VII, alors que la politique de Squaresoft (qui deviendra Square Enix en s’associant avec l’entreprise derrière Dragon Quest) se tourne déjà vers l’international. Le plus surprenant reste que SaGa Frontier connaît bel et bien une parution sur le sol nord américain en mars 1998. Il compte, par ailleurs, parmi les titres les mieux vendus de la PlayStation au Japon en 97, et les critiques y sont très positives. Alors pourquoi n’avons-nous pas pu y toucher à l’époque ? Le mystère reste entier, et l’on pourra se poser la question au sujet d’un paquet d’autres titres.
Ces dernières années cependant, Square Enix semble se focaliser sur le passé, avec notamment une pluie de remasters du coté de ses séries principales. Final Fantasy VIII, X, XII ou encore Crystal Chronicles et Chocobo’s Mystery Dungeon… Il y en a pour tous les goûts, jusqu’au remake adulé de Final Fantasy VII sur PlayStation 4, et bientôt PS5. L’occasion pour l’entreprise qu’on ne présente plus de dépoussiérer SaGa Frontier, pour le plus grand bonheur des amoureux de J-RPG old school. Bien que, sur le papier tout du moins, l’opportunité ne semble pas aussi positive que Square aimerait nous le faire croire : on est face à un simple remaster d’un jeu PS1 après tout…
Un J-RPG à part
Mais alors, SaGa Frontier, qu’est-ce que c’est ? Eh bien pour commencer, vous l’aurez compris en lisant les lignes précédentes, il s’agit d’un jeu de rôle nippon paru initialement sur PlayStation première du nom. Avec tout ce que cela implique de combats au tour par tour, de durée de vie colossale et d’histoire épique… quoique sur ce dernier point, le titre se démarque très largement de la concurrence. En effet, il ne propose pas une, mais bien sept histoires bien distinctes. Ce qui s’exprime de prime abord par le choix d’un personnage principal, parmi une liste de sept, en toute logique. Un concept qu’on retrouve, d’ailleurs, dans un certain Octopath Traveler…
Et ses spécificités surprenantes ne s’arrêtent pas là. SaGa Frontier laisse le joueur totalement libre de ses mouvements dans son monde, avec pour seule indication initiale quelques courtes lignes de dialogue. Et ce quel que soit le protagoniste choisi. Notez d’ailleurs qu’il y en a pratiquement pour tous les goûts, du héros destiné à sauver le monde jusqu’au barde désinvolte qui désire simplement qu’on le laisse tranquille. Premier point fort, d’autant que le titre a l’intelligence de recouper toutes les trames pour qu’elles finissent par se rejoindre. Un concept qui surprend de prime abord, mais permet néanmoins de faire grossir considérablement sa durée de vie et son potentiel de rejouabilité.
Enfin, au rayon du gameplay pur et dur, le titre propose des combats au tour par tour on ne peut plus classiques dans la forme. Oubliez la jauge ATB de FF VII, puisque vous avez tout votre temps pour planifier vos actions. Cela étant, le système d’expérience est quant à lui assez original, se rapprochant d’une certaine façon de ce que propose Final Fantasy II. En effet, ici vos personnages font gonfler leurs caractéristiques à chaque affrontement, en fonction de ce qu’ils ont fait : s’ils prennent des dégâts, par exemple, leur jauge de PV augmente. Il faut bien l’avouer, cette façon de faire est intéressante, et rend par ailleurs le grinding moins assommant. Ce qui tombe plutôt bien étant donné la difficulté du soft !
On ne vieillit pas tous à la même vitesse
Ne passons pas par quatre chemins, cette version remasterisée est paresseuse à bien des égards. Coté graphismes pour commencer, puisque c’est ce qui saute aux yeux en premier, le lifting est assez sommaire, se contentant de gommer quelques pixels trop apparents et d’améliorer un brin le rendu des décors pré-calculés. Quant aux combats, qui se déroulent en 3D, le résultat est plutôt décevant, pour ne pas dire franchement laid. Alors évidemment nous sommes sur une édition remasterisée d’un jeu de la PlayStation, et il ne fallait pas forcément s’attendre à beaucoup mieux. Si ce n’est qu’on a l’impression tenace que ce remaster s’adapte un peu trop aux smartphones et tablettes, notamment à cause de son interface qu’on devine en partie pensée pour le tactile.
À coté de ça, la bande-son, bonne au demeurant, tourne beaucoup trop en rond, les petits défauts dans la réalisation sont nombreux et étalés sur tout le long de l’aventure. On notera par exemple le fait que les environnements soient très inégaux, tantôt plutôt jolis, tantôt tout l’inverse, avec une constante cependant : le cruel manque de lisibilité. Un peu comme dans FF VII, il est vrai, quoique SaGa Frontier fasse pire et notifie de surcroît les portes et autres passages d’une flèche bien dégueulasse, impossible à supprimer. De quoi achever un sentiment d’immersion déjà bien mis à mal par les problèmes cités précédemment !
Quant à la maniabilité, il n’est pas nécessaire de préciser qu’elle est évidemment d’un autre temps. Ce qui n’excuse cependant pas le développeur n’ayant fait aucun véritable effort à ce niveau. Parce que, qu’on se le dise, hormis les très plaisantes fonctionnalités inédites que l’on a plutôt l’habitude de trouver sur emulateur (sauvegarde rapide, augmentation de la vitesse des combats et des déplacements, fuite instantanée), il n’y a aucun changement de gameplay dans SaGa Frontier Remastered. Ce qui signifie, en d’autres termes, qu’il sera difficile de lui excuser ses nombreux errements d’époque. Notamment des combats trop nombreux et une mollesse générale (même en augmentant la vitesse).
Le plus difficile à apprécier reste encore l’histoire, qui n’a bénéficié que de très minces changements depuis la PlayStation, mais surtout qui nous est narrée dans un anglais pas toujours très facile d’accès. Les dialogues sont, quant à eux, rarement bien écrits. Quant à la mise en scène on ne peut plus minimaliste, difficile d’y trouver la moindre qualité, même avec tout l’optimisme du monde. Son austérité peu digeste est couplée au rythme particulier des différentes aventures, qui nous laissent déambuler dans le monde avec trop peu d’indications sur ce qu’il faut faire. Alors, certes, c’était plutôt novateur à l’époque, mais aujourd’hui c’est limite imbuvable, pour ne pas dire complètement rédhibitoire.
Finalement, bien que ce ne soit probablement pas le public visé en premier lieu par cette sortie en 2021, on peut considérer sans détour que SaGa Frontier Remastered parlera uniquement à ceux qui ont déjà fait le titre d’origine. Ceux-ci trouveront dans cette réédition quelques nouveautés plaisantes, notamment l’ajout d’un protagoniste, à débloquer sous des conditions particulières, disposant de sa propre trame scénaristique. Les amoureux du J-RPG rétro pourront eux aussi s’y essayer s’ils n’ont pas peur de s’y ennuyer, ou de se casser les dents sur le découpage singulier de ses aventures et sur sa difficulté générale plutôt corsée.
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